8 février 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la nécessité du progrès social pour le développement économique de la Réunion, à la mairie de Saint-Denis, lundi 8 février 1988.

Monsieur le maire,
- Je vous remercie de vos paroles de bienvenue, il était bien normal de commencer ce voyage à la Réunion par un arrêt à la mairie de Saint-Denis. J'ai pu, déjà, en arrivant à l'aéroport, recevoir l'accueil animé et sympathique de la population, ou du moins d'une partie de la population. Et maintenant je remplis mon devoir en rencontrant les élus, là où le peuple les a choisis.
- Je connaissais bien entendu l'histoire de Saint-Denis que vous avez eu la bonté de me rappeler, mais il est vrai que depuis le temps - depuis la moitié du XIXème siècle, après une installation précédente - Saint-Denis est devenue véritablement capitale. C'est une capitale lorsqu'on la voit, qui présente des aspects riants, une certaine beauté dans la répartition urbaine, à la fois grâce à l'oeuvre de la nature mais aussi grâce à l'oeuvre des hommes. Je souhaite que de plus en plus nombreux soient les Réunionnais ou habitants de cette commune qui puissent véritablement jouir des bienfaits qui sont aujoud'hui en mesure d'être répartis entre tous les habitants.
- Vous avez énuméré toute une série d'équipements, c'est tout à fait remarquable, il est bon que collaborent à cet effet la commune de Saint-Denis, le département de la région et aussi l'Etat. C'est de cette solidarité que peuvent naître la prospérité et le développement. Si elle devait manquer à ce regroupement de toutes les forces, de tous les moyens, nous n'y parviendrions pas. Ce serait vraiment très difficile, et je suis heureux de rencontrer sur place des élus actifs qui apportent leur contribution.\
L'histoire de la République n'a commencé ni en 1988, ni en 1986, ni en 1981 mais, comme on vient de le dire, depuis déjà plusieurs siècles. L'effort a été continu, bien qu'il ait été accru au lendemain de la dernière guerre mondiale, tant était urgente la nécessité. Je pense que parmi les grandes mesures qui nous ont conduit là où nous sommes, il faut essentiellement noter - c'est l'histoire même des structures de cette région - il faut noter d'abord la départementalisation, la fin du système colonial, du moins dans les structures administratives, et la loi de décentralisation qui, me semble-t-il, monsieur le maire `Auguste Legros`, mérite d'être considérée avec peut-être un peu plus d'attention qu'il ne m'a semblé le remarquer tout à l'heure.
- La loi de décentralisation a été déterminante pour le devenir des départements d'Outre-Mer. Il fallait enfin reconnaître aux populations qui vivent et qui travaillent sur ces lieux le droit et le pouvoir de décider pour elles-mêmes dans les domaines qui ne peuvent appartenir à ceux de la souveraineté qui, elle, ne peut être partagée. Il y a donc dans ce domaine un nouveau point de départ que je dois souligner, de façon à ce que cela soit dit, et qui a été complété, vous le savez aussi, par le contrat de plan 1984, suivi par la loi-programme dont vous avez vien voulu parler d'un façon sélective, qui aura d'autant plus d'utilité - et cette utilité sera grande - que les crédits suivront les définitions de la loi : de façon que l'on n'oublie pas le département d'Outre-Mer qu'est la Réunion au moment où il s'agit de traduire en acte et en chiffres ce qui a été défini dans les textes. Je pense que de ce point de vue-là, au cours de ces derniers mois, on a pu procéder à quelques correctifs très utiles.\
Le développement de la Réunion - et particulièrement de cette ville - tiendra d'abord à la capacité des habitants. Encore faut-il qu'il n'y ait pas entre ces habitants de trop grandes disparités pour que les énergies soient intactes ou qu'elles s'associent. Il ne peut pas y avoir de progrès économique sans justice sociale : c'est une définition que je reprends sans cesse partout où je me rends. Et je pense aussi que sur le -plan économique, lorsque l'on constate la difficile proportion entre ce qu'on appellera les importations, les exportations de l'île, on s'étonnera et même on s'inquiétera de voir que les productions de la Réunion comptent si peu dans l'équilibre général du commerce par -rapport à tout ce qui est apporté de l'extérieur. Cela prouve qu'il y a une très grande marge encore, une capacité de développement due aux qualités des habitants qui ne pourront se servir de leurs qualités que s'ils sont formés pour cela : d'où le très appréciable effort que vous avez bien voulu me signaler sur le -plan du savoir, sur le -plan de la formation, sur le -plan scolaire.
- En effet, si trop de garçons et de filles échappent en fait au développement du savoir, nous ne disposerons pas de la ressource humaine hors de laquelle il est inutile de songer à la production d'autres ressources. Mais cela est en train, c'est très bien, il faut continuer, d'ailleurs cela résultera, aussi, des mesures qui seront prises sur le -plan national pour qu'en fait, pas simplement dans les discours, la formation et l'éducation soient vraiment considérées comme la priorité que depuis 10 à 15 ans je répète sans arrêt, et je conçois fort bien qu'il faille du temps : après l'avènement de l'école primaire à la fin du siècle dernier et l'épanouissement de l'enseignement secondaire au lendemain de la deuxième guerre mondiale, apparaît la nécessité de voir aujourd'hui des universités largement ouvertes, capables de donner des diplômes mérités à des jeunes gens qui devront affronter à leur tour la concurrence internationale.\
Tout cela forme un tout, nous n'en avons pas fini, je dirai même que nous n'avons pas encore suffisamment traité ce sujet. Je ne parle pas d'un gouvernement plutôt que d'un autre. C'est la France toute entière qui doit en prendre conscience. La France, ses élus, ses administrateurs et son peuple, rien ne passe avant cela. Je pense qu'il faudra notamment, à la Réunion, inverser certains systèmes économiques pour que l'on cesse, en effet, de compter sur l'extérieur. Encore faut-il en avoir le moyen, d'où la nécessité d'équipements. Et après les progrès réels qui se trouvent réalisés, notamment sur le -plan agricole, j'aimerais voir le même progrès se réaliser sur le -plan industriel - mais enfin, ici et là, il y a des efforts qui doivent être notés - pour que la Réunion tienne sa place non seulement dans ses relations avec la métropole et plus aussi dans ses nouvelles relations avec la Communauté économique européenne qui, comme vous le savez, dans moins de cinq ans, connaîtra un nouvel élan, à la fois nécessaire et aussi difficile à aborder, si l'on veut en être digne. On peut penser que la Réunion doit se voir, aujourd'hui, suivie d'assez près par les gouvernements pour qu'elle ne se trouve pas d'un coup, basculée de nouveau vers une situation déplorable, parce que l'on aurait pu négocier avec la Communauté les accords nécessaires. Je me réjouis qu'un certain nombre de dispositions aient été prises, notamment des dispositions ont été négociées récemment encore, notamment à Londres, pour obtenir que des dérogations communautaires soient accordées à d'importantes productions de l'île. C'est un travail de chaque jour, mesdames et messieurs, qui sera même l'oeuvre de plusieurs générations, qui ne peut pas être contenu dans une expérience politique, cela ne peut qu'être le reflet d'une volonté nationale et d'une volonté nationale également partagée à Paris ou à Saint-Denis.
- Ce n'est que dans ces conditions-là que la Réunion connaîtra le développement qui lui est promis. Ce qui se passe aujourd'hui, ce qui se déroule depuis plusieurs années, ce n'est pas seulement les progrès, mais aussi les ambitions, clairement déterminées, pour que la Réunion dispose - et sa population - des moyens de la production dont la population a le plus grand besoin quand on considère le pourcentage du chômage, pour que la jeunesse ne désespère pas, pour que d'autres tentations ne se développement pas dans cette région et ailleurs. Je pense que ce devoir national doit être compris. Je suis venu ici en témoigner.\
En effet, monsieur le maire, je suis venu - si j'ai bien compris ce que vous avez dit - un peu tardivement. Cela vaut mieux que de ne pas venir du tout, comme cela est arrivé à d'autres Présidents de la République. Et, vous savez que mon voyage était prévu pour le mois de novembre `déplacement du Premier ministre, Jacques Chirac, à la Réunion du 18 au 20 novembre 1987`. Par courtoisie, j'ai jugé nécessaire de ne pas multiplier les voyages les plus officiels en l'espace de trois semaines, ce qui m'a conduit à reporter ce voyage au mois de février, sans qu'aucune confusion ne soit possible. Mais au demeurant, cela est très indifférent. Ce qui compte, c'est que la Présidence de la République, que le Président de la République continue de signifier l'unité de la nation où elle se trouve. Et je me trouve très bien, mesdames et messieurs, parmi vous, surtout si, comme vous me l'apprenez, en cette occasion rare, l'ensemble des élus, à quelques exceptions près, se trouve enfin rassemblé. Il est donc dommage qu'il faille attendre les voyages des chefs de l'Etat, pour que cela se produise.\
Monsieur le maire, mesdames et messieurs, je sais que vous êtes tous ici les artisans d'un travail utile, indispensable, pour la Réunion, pour la France. Cela fait déjà très longtemps que je connais la Réunion puisque j'en étais responsable indirectement, lorsque j'étais moi-même au gouvernement de la France, il y a si longtemps que je ne puis sans indiscrétion dire quand c'était £ enfin, on va dire au cours de ces quarante dernières années... Je n'ai pas découvert la Réunion ce matin... Et j'ai pu constater dans les périodes difficiles à quel point le mot d'ordre principal - quand on parle de redressement et de développement économique - c'est d'établir une réelle égalité. D'abord l'égalité des chances, l'égalité telle qu'elle doit être reconnue à tous citoyens d'un même pays. Et il ne sert à rien d'employer des termes vidés de substances dès lors que dans les faits, chacun ne s'appliquerait pas à réaliser les moyens de cette égalité. Et je pense que les propos tenus ici même ont plus de sens que si je les tenais dans un département métropolitain, où il ne serait pas, cependant, inutile.
- Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence. Monsieur le maire, vous remplissez d'autres fonctions, fort importantes, dans ce département. Je suis heureux de vous avoir rencontré dans cet hôtel de ville, hôtel de ville rénové au cours de ces dix dernières années, qui offre véritablement la vue d'une réussite architecturale et d'un effort des structures administratives que j'apprécie infiniment.
- Je souhaite que dans la plupart des villes capitales de France on puisse assister à un développement de cette sorte. Et si demain, la population tout entière se sent à l'aise chez elle, avec le moyen d'y vivre, d'y travailler, d'y prospérer, alors - nous n'en aurons pas fini, car on n'en a jamais fini avec la gestion de la société - on aura fait accomplir le pas décisif entrepris déjà depuis longtemps.
- Monsieur le maire, mesdames et messieurs,
- Vive Saint-Denis,
- Vive la République,
- Vive la France !.\