8 février 1988 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Saint-Paul, Ile de la Réunion, lundi 8 février 1988.

Monsieur le maire,
- Cela m'est très agréable que de me trouver à Saint-Paul. Vous avez eu raison de rappeler l'évocation d'un passé historique qui compte pour beaucoup dans la naissance et le développement de votre île, qui a marqué, bien au-delà de ses rivages, l'histoire politique et littéraire de notre pays commun.
- Qui d'entre nous, dès les bancs de l'école, n'a été formé au rythme et aux cadences venus d'ici, à vos évocations de la nature, et d'une nature dominée par la maîtrise de l'esprit. On aimerait voir aujourd'hui Saint-Paul connaître le destin qui lui est promis depuis les origines. Je sais que vous vous y appliquez, monsieur le maire `Cassam Moussa`, par des circonstances qui n'ont pas été aisées puisque la commune a dû subir un deuil cruel et subit et qu'il vous a fallu assurer le relais. Vous pouviez le faire, vous en aviez la compétence et vous en aviez aussi le dévouement. Aussi ai-je tenu, dans un itinéraire forcément succint, en l'espace de deux jours, à venir à Saint-Paul. Cela s'imposait de soi-même - deuxième ville du département - mais malgré tout, il me semblait que là, à Saint-Paul, je pouvais retrouver une résonance particulière, mieux sentir et mieux comprendre sans doute l'âme réunionnaise dont vous vous êtes fait l'interprête.\
Vous m'avez dit à la fois vos chances et vos risques. Vos chances, elles sont dans cette terre et bien entendu, d'abord, chez les hommes et les femmes qui y vivent, j'allais dire qui y travaillent, qui voudraient tant y travailler car vous subissez aussi de plein fouet la crise de l'emploi, et vous aviez raison, tout à l'heure, d'évoquer ce que la jeunesse pourrait être et devrait être dans notre grande démocratie, si elle était adaptée aux temps qui viennent. C'est possible. Encore faut-il une grande ambition nationale. J'entends, ici et là, tous ceux qui se réclament aujourd'hui du suffrage universel évoquer cette grande perspective £ ils ont raison. Encore faut-il y ajouter une volonté sans faille et dire à quel point la formation des hommes est une des conditions fondamentales de l'égalité entre les hommes, de l'accès avec égalité des chances aux responsabilités, et d'abord aux bienfaits du savoir. On ne peut pas séparer le développement de la formation, de l'éducation, des progrès de la démocratie.
- Vous avez des richesses naturelles, je sais qu'elles sont menacées. Un effort assez remarquable a été accompli par vos agriculteurs autour de cultures traditionnelles comme la canne à sucre, autour d'initiatives nouvelles intéressantes comme le géranium, mais elles ont subi le contrecoup des rigueurs de la nature, et aussi, ce qui est normal mais difficile à surmonter, les concurrences étrangères, des prix de revient difficiles. Il faut dont que vous soyiez armés pour supporter la concurrence. Cela est d'autant plus compliqué que vous êtes fort loin de la métropole, que vous pouvez vous sentir un peu isolés dans cette partie de l'Océan indien, en dépit des bonnes relations que vous entretenez avec vos principaux voisins. Mais enfin, j'imagine aisément ce qu'est l'espoir de ces agriculteurs qui peuvent, surtout peut-être autour des cultures maraichères, qui peuvent promouvoir l'île, assurer son autosuffisance alimentaire et en même temps, assurer leurs propres moyens d'existence et qui, à peine ont-ils accompli cet effort se trouvent, comme on dit en termes sportifs, "cueillis à froid" par les maux sociaux, économiques, et tout simplement les rigueurs de la nature.
- Ce que vous m'avez dit tout à l'heure de l'évolution de votre jeunesse, de l'équipement scolaire permet d'espérer. Et je suis sûr que les conseillères et les conseillers municipaux, au-delà de leurs tendances naturelles, ont et auront à coeur de contribuer, monsieur le maire, à votre effort le mieux possible pour réaliser ce qui est une véritable obligation pour tous. Là est le sens du développement de la démocratie depuis qu'elle est née dans notre pays, et vous avez le devoir de la pousser plus loin, c'est-à-dire de réaliser par la base de l'éducation l'égalité nécessaire qui manque encore dans notre pays et dans un département comme celui-ci, et cela est affaire des hommes et des femmes de bonne volonté. Je sais que vous en êtes, monsieur le maire, et je ne trie pas, je ne trace pas de ligne de séparation entre les uns et les autres, je vous appelle tous au nom de la République, et au nom de la France à promouvoir ce qui est encore virtuel, potentiel, tout ce qui est possible, tout ce qui est faisable, tout ce qui dépend de votre acharnement, de votre volonté, de votre compétence et vous n'en manquez pas. Vous ne pourrez pas y parvenir qu'associés étroitement au dessein de la métropole qui doit vous comprendre, qui doit vous connaître, d'autant plus que vous vous trouverez précipités dans peu d'années dans l'aventure, à la fois admirable et risquée du marché unique européen, qui doit naturellement vous englober puisque vous faites corps avec la France métropolitaine, même si les conditions de concurrence posent des problèmes qu'il faudra résoudre.\
Monsieur le maire, mesdames et messieurs, et je m'adresse en même temps à toutes les personnes qui m'attendaient là devant votre hôtel de ville, je vous remercie, et je veux vous dire à quel point je suis heureux d'être parmi vous. Je vous appelle à vous dépasser pour construire un avenir qui est dans vos moyens, dès lors que vous le voudrez et que vous aurez décidé, une fois pour toutes, de faire passer l'intérêt général avant les luttes particulières, bien entendu sans oublier que la vie de la démocratie c'est cependant l'affirmation de l'intelligence, du caractère et des opinions de chacun : c'est de cet ensemble là que naît l'unité nationale.
- Monsieur le maire, mesdames et messieurs, merci encore pour votre accueil. C'est ma deuxième étape dans l'Ile de la Réunion, je poursuivrai, ici même, dans votre commune ce périple, et je le continuerai ce soir et demain. Déjà je puis vous dire que je me réjouis d'avoir pu, trop rapidement sans doute, mais d'avoir pu quand même venir à votre rencontre, retrouver votre regard et vos poignées de mains, vos qualités naturelles d'accueil. A la Réunion, on sait recevoir, et je vous remercie. C'est donc du fond du coeur, et avec la foi dans notre avenir commun, à nous la France, partout dans le monde, que je vous dirai pour conclure, comme vous-même, monsieur le maire.
- Vive Saint-Paul !
- Vive la Réunion !
- Vive la République !
- Vive la France !\