28 janvier 1988 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les problèmes industriels de la région Nord-Pas-de-Calais ainsi que sur le rôle de l'Etat, à la mairie de Dunkerque, jeudi 28 janvier 1988.
Monsieur le maire, Mesdames et messieurs,
- C'est en effet la deuxième fois, depuis bientôt sept ans, qu'il m'est donné de venir dans cette ville de façon officielle dans le -cadre de mes fonctions et je m'en réjouis.
- Il est plus aisé de la sorte de mesurer le chemin parcouru. Je vous remercie de vos paroles de bienvenue et d'avoir bien voulu rappeler que mon rôle, en effet, est de garantir l'unité nationale, et aussi de veiller à l'application des institutions. Elles ont été voulues par le peuple, le peuple peut désirer un jour ou l'autre les modifier, - seul il peut le faire - et le devoir des citoyens, plus précisément encore des responsables, est de respecter la volonté du peuple. Au demeurant à l'intérieur des mêmes institutions, on peut émettre des façons de penser et d'agir tout à fait différentes.
- Quand sera écrite - elle commence de l'être - l'histoire de la République instituée en 1958, on verra des visages assez différents, pas simplement par le visage de ses Présidents de la République mais par leurs façons d'être et de faire, c'est-à-dire par leur manière de comprendre la République elle-même et la vie démocratique.\
Je suis sûr que la population de Dunkerque est une population de courage et d'efforts car elle l'a si souvent montré dans l'histoire nationale. Je sais comme vous, monsieur le maire `Claude Prouvoyeur` et vous avez bien voulu attirer mon attention sur ce point, à quel point elle a été frappée de front par la crise industrielle, et j'imagine la somme d'efforts, de volonté et d'espérance qu'il a fallu pour traverser une épreuve qui n'est pas achevée en disposant en même temps les éléments qui permettront, qui ont permis, de préparer l'avenir.
- De ce point de vue, monsieur le maire, je vous ai écouté d'une oreille sensible et j'ai observé que vous aviez cédé peut-être plus que de raison à la tentation de découper le temps selon la -nature de vos choix politiques. Mais le temps n'est pas comme cela. En 1983, vous ne pouvez pas imaginer, monsieur le maire, qui êtes un homme informé et qui gérez, que si en 1983, la crise lorsque je suis venu, était cruelle, violente, c'est parce que dans les années précédentes et pas simplement depuis 1981 - je dirai même dans les vingt années précédentes - les investissements nécessaires n'avaient pas été prévus. Les situations ne se créent pas soudain par magie surtout dans un domaine où les structures sont déterminantes. On peut donc, mais je ne me livrerai pas à ce mauvais petit jeu, chercher, en même temps que l'on découpe le temps, à découper les responsabilités. Oui, c'est vrai, cette région n'a pas fait sur le -plan national l'objet de soins suffisants pendant plusieurs décennies, on n'y a pas compris que certaines grandes industries allaient supporter le fouet de la concurrence internationale sans avoir et sans disposer, ni des investissements et donc ni des équipements nécessaires pour pouvoir résister.
- En effet, cette crise s'étant abattue à partir des événements de 1974, de l'ouverture progressive au reste du monde du marché national, eh bien c'est une industrie vieillie, mal préparée à supporter le choc qui s'est trouvé démantelée.
- Alors nous allons essayer de ne pas découper le temps, j'essaierai de ne pas succomber à la tentation qui été la vôtre. Je ne dirai pas entre 1981 et 1986 il n'y a eu que des bonnes choses. Je dirai, il y en a eu beaucoup. Je ne dirai pas, avant 1981, il n'y en avait que des mauvaises. Il y en avait beaucoup. Je ne dirai pas depuis 1986, on n'a pas fait assez. Je ne veux pas entrer dans ce genre de polémique. Je constate simplement que c'est à partir du moment où nous avons vécu, où j'ai pu constater sur place, et le Premier ministre de l'époque `Pierre Mauroy` étant de votre région pouvait le mesurer mieux qu'aucun autre, c'est à partir du moment où l'on a réuni les quelques éléments du redressement qu'aujourd'hui et pour les années prochaines, je l'espère, on pourra disposer des moyens de gagner.\
Voyez le problème de la sidérurgie. C'est vrai que c'est très triste de penser que la politique suivie par de nombreux gouvernements et par la profession, par le patronat de la sidérurgie, a été à ce point imprévoyante, comptant toujours sur l'apport de l'Etat, et négligeant d'utiliser les capacités de fabriquer des objets que l'on vend. Et nous avons été, l'Europe en même temps que nous, mais nous plus encore que les autres, nous avons été démunis du moyen de résister aux offensives extérieures particulièrement à celles qui sont venues de l'Extrême-Orient. L'histoire de la sidérurgie, c'est l'histoire sur vingt ans d'un immense drame d'incompréhension, de manque de prévision, de manque de planification, de désintéressement de l'esprit, et peut-être de profits abusifs pour une certaine catégorie de citoyens, profits abusifs parce que non mérités tandis que les travailleurs supportaient le poids de la crise.
- Je tiens à dire cela et je n'y avais pas pensé auparavant mais vous m'avez donné des idées, monsieur le maire. Je me souviens d'avoir beaucoup discuté des problèmes de cette région avec plusieurs responsables qui se trouvaient près de moi. Je me souviens, c'était en 1984, donc on en avait forcément parlé avant, a été installé ce haut fourneau, le haut fourneau no 4 qui représente aujourd'hui l'élément le plus performant qui puisse exister dans notre pays sur le terrain industriel où nous nous plaçons.
- C'est sans doute cette installation qui a permis de résister mieux que nous l'aurions pu autrement aux difficultés que nous venons, vous et moi, d'évoquer. L'université dont vous avez bien voulu parler, je me souviens de l'avoir personnellement retenue, monsieur le maire, parmi les projets architecturaux qui devaient faire l'objet d'un soin particulier de la puissance publique nationale. Si donc j'en ai débattu avec les responsables de l'époque, cela ne peut pas être tout à fait oublié au moment où l'on commence à se réjouir de cette implantation. Le travail se fait lentement, parfois trop lentement, mais si l'on veut être juste, je pense surtout à l'époque que nous abordons `élection présidentielle 1988`, il faut qu'il y ait un débat civique, une grande vérité, une grande honnêteté et à ce moment-là, on ne verra pas les uns se dresser contre les autres avec la même véhémence, parfois la même violence. Ce fut le cas dans un passé pas si lointain.\
J'ajoute que s'il y a des problèmes sur lesquels nous devons insister, c'est sur la nécessaire harmonie entre les interventions locales, la communauté, la ville d'abord, le département, la région, l'Etat. Si vous rayez l'un de ces éléments d'une construction commune, déjà vous vous affaiblissez. J'ai été très heureux d'apprendre que la région Nord-Pas-de-Calais avait contribué de façon importante à la tentative de sauvetage de la construction et de la réparation navales. Je crois même savoir que le dernier car-ferry qui a été construit a reçu une aide régionale relativement importante, il faut l'estimer à quelque 220 millions de francs - ce qui n'est pas négligeable -. Il n'aurait pas pu se réaliser sans cela.
- Je me méfie des positions systématiques. Je suis l'un de ceux qui ont estimé nécessaire de mettre en oeuvre ce que l'on a appelé "le moins d'Etat", moins d'intervention du pouvoir central. D'où la loi de décentralisation - les lois de décentralisation - qui représentent la plus profonde transformation de la structure nationale - depuis quand ? on ira peut-être jusqu'à Colbert, en tout cas jusqu'à la Révolution française ! - pour permettre aux élus locaux d'assumer pleinement leurs responsabilités. A partir de là, c'est le concours de tous qui permet de réaliser l'oeuvre commune. Mais ce n'est pas parce que j'ai cherché le "moins d'Etat", c'est-à-dire, un nouvel espace de liberté par l'exercice d'une responsabilité supérieure assumée par les élus locaux, qu'il faut en arriver, par un jeu nocif de l'esprit, à la dénonciation de l'Etat. L'Etat est également nécessaire et parfois, j'ai envie de dire "mais il faudrait plus d'Etat ", lorsque, par exemple, j'assiste à la disparition des aides publiques dans des secteurs aussi sensibles que la construction et la réparation navales, lorsque je vois l'ensemble des pays qui ont des constructions navales puissantes ou rentables.
- Je ne vois pas d'exemple dans lequel la puissance publique ne serait pas intervenue, à la condition, bien entendu, que ces projets soient raisonnables et qu'au lieu de rêver à d'immenses unités, on puisse exactement fixer le point nécessaire à la renaissance de la construction et de la réparation navales, c'est-à-dire, des unités moyennes - je ne sais pas moi, de 500 ou 600 travailleurs - qui correspondent aux normes internationales.
- Mais l'Etat ne peut pas se désintéresser. L'Etat ne doit pas contribuer au maintien à perte d'entreprises incapables de survivre. Il doit contribuer assez, pour qu'une structure persiste, pour que des travailleurs puissent exercer leur métier, apporter un élément d'activité, de richesse à la ville et à la région à laquelle ils appartiennent. C'est dans la juste appréciation des efforts collectifs, et des uns et des autres, que nous démontrerons la capacité de l'unité nationale dont vous m'avez parlé.
- Alors, les modernisations, par les investissements, les aides - lorsqu'elles sont nécessaires -, tout cela nécessite un certain plan industriel. Je pourrais parler au cours de la journée, par exemple, des effets bénéfiques du plan textile. Il ne faut pas laisser les choses aller, il faut les concevoir. Le plan textile a sauvé le textile français et, ce qui existe aujourd'hui, est le résultat positif de l'audace, d'initiatives de ceux qui en 1981, 1982, ont conçu ce projet.\
Monsieur le maire, vous souffrez cruellement du chômage, vous l'avez dit, plus de 16 %, en tout cas les statistiques dont je dispose vont, pour l'ensemble des secteurs, au moins à 15 % et plus. Par -rapport à une situation déjà fortement dégradée dans l'ensemble du pays, c'est un triste record qui s'explique par les déperditions de la sidérurgie - j'ai dit pourquoi - et par la déperdition de la construction et de la réparation navales qui sont, - qui devraient être - les deux éléments forts de votre ville, de votre communauté et de votre région.
- Mais, vous savez, c'était difficile. Il faut penser qu'au moment où j'ai assumé cette responsabilité - si vous aviez eu un peu plus de temps pour vous exprimer, vous me l'auriez sans doute dit, mais c'est vrai qu'en raison des obligations multiples qui m'attendent, on a limité la durée des exposés, mais vous m'auriez rappelé, certainement - qu'en 1981, nous avions 14 % d'inflation. Là, nous n'étions pas en mesure vraiment de concurrencer les pays étrangers. Vous m'auriez rappelé qu'il y avait 62 milliards de déficit du commerce extérieur. Vous m'auriez certainement rappelé que l'année dernière, il n'y en avait plus ou à peu près plus. Vous auriez sans doute ajouté qu'il était vraiment dommage qu'on retrouve ce déficit en 1987. Vous m'auriez dit que le chômage était inscrit structurellement dans notre industrie déficiente et mal préparée au choc actuel.
- Arrêtons là, nous avons tenté de mettre en place - et vous y prenez part, monsieur le maire, à la tête de votre ville et dans une communauté déjà puissante - les voies de l'avenir, c'est beaucoup plus intéressant. Vous croyez que les Français vont se disputer sur des bilans ! Aux chiffres s'opposent des chiffres, aux pourcentages, des pourcentages, moi cela ne m'intéresse pas, sinon, bien entendu, pour répondre.\
Les plans d'avenir ! Ils ont consisté essentiellement, à la fois, à sauver ce qui pouvait l'être, par la modernisation intelligente de vos industries de base ou de vos activités, mais aussi à changer l'horizon. Vous avez bien voulu les citer. Le TGV, son tracé vient d'être décidé, très bien. Il n'a pu être décidé que parce que son principe avait été retenu. Je me souviens d'y avoir, précisément, pris part, avec le Premier ministre de l'époque et les parlementaires de votre région, nous avions décidé de programmer le TGV-Nord, et si l'on n'a pas pu aller plus vite, c'est parce qu'il fallait déboucher sur les pays étrangers. Il fallait donc leur accord. Que les Belges, que les Allemands, que les Hollandais, puissent s'accorder sur le futur tracé, sans quoi cette ligne n'aurait pas eu beaucoup de sens.
- Et puis d'autre part, nous avons ouvert une autre perspective, celle du Transmanche, c'est-à-dire la communication avec la Grande-Bretagne. Par le TGV et par le Transmanche, cela donne une tout autre dimension à la région Nord-Pas-de-Calais, par le nombre des emplois que l'on peut en attendre et par le fait que vous allez vous trouver au centre de communications multiples, donc de passage, donc de fixation, l'un des centres vitaux, évidents de l'Europe. Ce n'est pas rien, cela permet déjà aux populations d'ici, de se dire "profits et pertes", faisons nos comptes, mais en phare, il y a de l'espoir, nous en sommes capables". Et, mesdames et messieurs, vous en êtes capables. D'autant plus que le Marché unique vous attend, d'ici peu : douze pays d'Europe, sans frontières, d'aucune sorte. C'est ce que j'ai moi-même voulu lors des conférences européennes de Milan et de Luxembourg. Mais c'est une rude audace pour la France ! Elle ne peut gagner que dans la compétition. Elle ne le peut pas dans le repli sur soi. Il faut choisir ! En même temps il faut faire confiance aux Français. Je suis sûr que ce sera une occasion puissante de rassembler les énergies. Vous avez déjà beaucoup d'éléments rassemblés, sans oublier l'aspect social des choses.\
Comment voulez-vous un redressement économique, si vous n'avez pas la base de la justice sociale ? Je l'ai répété cent fois, je le dirai une fois de plus, je le répéterai encore très souvent, impossible sans l'apport volontaire, décidé et actif des travailleurs de France. Croyez-moi, monsieur le maire - dans des années découpées et soustraites de notre histoire de France, par vos soins tout à l'heure - la cinquième équipe en sidérurgie, cela a été une mesure considérable pour alléger la condition ouvrière. Et quand on allège la condition ouvrière, on donne en même temps un peu plus de coeur à l'ouvrage, et puis l'envie de prendre part au redressement du pays.
- Si l'on a le sentiment que la justice ou plutôt que l'injustice cède devant un effort commun de justice sociale, alors on met la main à la pâte, on a envie de réussir. On n'a pas le sentiment que c'est vraiment inutile que de consacrer des heures et des heures au travail hebdomadaire. Beaucoup de peine, beaucoup d'inquiétude lorsque le résultat est là pour constater un partage injuste et inégal entre les différentes couches sociales ou socio-professionnelles. Cela forme un tout. Et de voir l'activité de votre ville et de votre communauté, venant de si loin, d'une si longue et si ancienne impréparation aux obligations de ce jour, je ne peux que me tourner vers vous, comme je le fais monsieur le maire, sans aucune distinction politique, croyez-le, je ne peux que me retourner vers vous et vous dire : eh bien, vous allez être de bons artisans du redressement, de la reprise en main. Vous avez tous commencé, qui que vous soyez, parce que vous aimez votre pays et parce que vous en êtes capables. Aux Français maintenant de démêler les mérites particuliers. Ce n'est pas mon affaire.
- Bonne chance et bon travail pour Dunkerque, monsieur le maire,
- Vive Dunkerque,
- Vive la République,
- Vive la France.\
- C'est en effet la deuxième fois, depuis bientôt sept ans, qu'il m'est donné de venir dans cette ville de façon officielle dans le -cadre de mes fonctions et je m'en réjouis.
- Il est plus aisé de la sorte de mesurer le chemin parcouru. Je vous remercie de vos paroles de bienvenue et d'avoir bien voulu rappeler que mon rôle, en effet, est de garantir l'unité nationale, et aussi de veiller à l'application des institutions. Elles ont été voulues par le peuple, le peuple peut désirer un jour ou l'autre les modifier, - seul il peut le faire - et le devoir des citoyens, plus précisément encore des responsables, est de respecter la volonté du peuple. Au demeurant à l'intérieur des mêmes institutions, on peut émettre des façons de penser et d'agir tout à fait différentes.
- Quand sera écrite - elle commence de l'être - l'histoire de la République instituée en 1958, on verra des visages assez différents, pas simplement par le visage de ses Présidents de la République mais par leurs façons d'être et de faire, c'est-à-dire par leur manière de comprendre la République elle-même et la vie démocratique.\
Je suis sûr que la population de Dunkerque est une population de courage et d'efforts car elle l'a si souvent montré dans l'histoire nationale. Je sais comme vous, monsieur le maire `Claude Prouvoyeur` et vous avez bien voulu attirer mon attention sur ce point, à quel point elle a été frappée de front par la crise industrielle, et j'imagine la somme d'efforts, de volonté et d'espérance qu'il a fallu pour traverser une épreuve qui n'est pas achevée en disposant en même temps les éléments qui permettront, qui ont permis, de préparer l'avenir.
- De ce point de vue, monsieur le maire, je vous ai écouté d'une oreille sensible et j'ai observé que vous aviez cédé peut-être plus que de raison à la tentation de découper le temps selon la -nature de vos choix politiques. Mais le temps n'est pas comme cela. En 1983, vous ne pouvez pas imaginer, monsieur le maire, qui êtes un homme informé et qui gérez, que si en 1983, la crise lorsque je suis venu, était cruelle, violente, c'est parce que dans les années précédentes et pas simplement depuis 1981 - je dirai même dans les vingt années précédentes - les investissements nécessaires n'avaient pas été prévus. Les situations ne se créent pas soudain par magie surtout dans un domaine où les structures sont déterminantes. On peut donc, mais je ne me livrerai pas à ce mauvais petit jeu, chercher, en même temps que l'on découpe le temps, à découper les responsabilités. Oui, c'est vrai, cette région n'a pas fait sur le -plan national l'objet de soins suffisants pendant plusieurs décennies, on n'y a pas compris que certaines grandes industries allaient supporter le fouet de la concurrence internationale sans avoir et sans disposer, ni des investissements et donc ni des équipements nécessaires pour pouvoir résister.
- En effet, cette crise s'étant abattue à partir des événements de 1974, de l'ouverture progressive au reste du monde du marché national, eh bien c'est une industrie vieillie, mal préparée à supporter le choc qui s'est trouvé démantelée.
- Alors nous allons essayer de ne pas découper le temps, j'essaierai de ne pas succomber à la tentation qui été la vôtre. Je ne dirai pas entre 1981 et 1986 il n'y a eu que des bonnes choses. Je dirai, il y en a eu beaucoup. Je ne dirai pas, avant 1981, il n'y en avait que des mauvaises. Il y en avait beaucoup. Je ne dirai pas depuis 1986, on n'a pas fait assez. Je ne veux pas entrer dans ce genre de polémique. Je constate simplement que c'est à partir du moment où nous avons vécu, où j'ai pu constater sur place, et le Premier ministre de l'époque `Pierre Mauroy` étant de votre région pouvait le mesurer mieux qu'aucun autre, c'est à partir du moment où l'on a réuni les quelques éléments du redressement qu'aujourd'hui et pour les années prochaines, je l'espère, on pourra disposer des moyens de gagner.\
Voyez le problème de la sidérurgie. C'est vrai que c'est très triste de penser que la politique suivie par de nombreux gouvernements et par la profession, par le patronat de la sidérurgie, a été à ce point imprévoyante, comptant toujours sur l'apport de l'Etat, et négligeant d'utiliser les capacités de fabriquer des objets que l'on vend. Et nous avons été, l'Europe en même temps que nous, mais nous plus encore que les autres, nous avons été démunis du moyen de résister aux offensives extérieures particulièrement à celles qui sont venues de l'Extrême-Orient. L'histoire de la sidérurgie, c'est l'histoire sur vingt ans d'un immense drame d'incompréhension, de manque de prévision, de manque de planification, de désintéressement de l'esprit, et peut-être de profits abusifs pour une certaine catégorie de citoyens, profits abusifs parce que non mérités tandis que les travailleurs supportaient le poids de la crise.
- Je tiens à dire cela et je n'y avais pas pensé auparavant mais vous m'avez donné des idées, monsieur le maire. Je me souviens d'avoir beaucoup discuté des problèmes de cette région avec plusieurs responsables qui se trouvaient près de moi. Je me souviens, c'était en 1984, donc on en avait forcément parlé avant, a été installé ce haut fourneau, le haut fourneau no 4 qui représente aujourd'hui l'élément le plus performant qui puisse exister dans notre pays sur le terrain industriel où nous nous plaçons.
- C'est sans doute cette installation qui a permis de résister mieux que nous l'aurions pu autrement aux difficultés que nous venons, vous et moi, d'évoquer. L'université dont vous avez bien voulu parler, je me souviens de l'avoir personnellement retenue, monsieur le maire, parmi les projets architecturaux qui devaient faire l'objet d'un soin particulier de la puissance publique nationale. Si donc j'en ai débattu avec les responsables de l'époque, cela ne peut pas être tout à fait oublié au moment où l'on commence à se réjouir de cette implantation. Le travail se fait lentement, parfois trop lentement, mais si l'on veut être juste, je pense surtout à l'époque que nous abordons `élection présidentielle 1988`, il faut qu'il y ait un débat civique, une grande vérité, une grande honnêteté et à ce moment-là, on ne verra pas les uns se dresser contre les autres avec la même véhémence, parfois la même violence. Ce fut le cas dans un passé pas si lointain.\
J'ajoute que s'il y a des problèmes sur lesquels nous devons insister, c'est sur la nécessaire harmonie entre les interventions locales, la communauté, la ville d'abord, le département, la région, l'Etat. Si vous rayez l'un de ces éléments d'une construction commune, déjà vous vous affaiblissez. J'ai été très heureux d'apprendre que la région Nord-Pas-de-Calais avait contribué de façon importante à la tentative de sauvetage de la construction et de la réparation navales. Je crois même savoir que le dernier car-ferry qui a été construit a reçu une aide régionale relativement importante, il faut l'estimer à quelque 220 millions de francs - ce qui n'est pas négligeable -. Il n'aurait pas pu se réaliser sans cela.
- Je me méfie des positions systématiques. Je suis l'un de ceux qui ont estimé nécessaire de mettre en oeuvre ce que l'on a appelé "le moins d'Etat", moins d'intervention du pouvoir central. D'où la loi de décentralisation - les lois de décentralisation - qui représentent la plus profonde transformation de la structure nationale - depuis quand ? on ira peut-être jusqu'à Colbert, en tout cas jusqu'à la Révolution française ! - pour permettre aux élus locaux d'assumer pleinement leurs responsabilités. A partir de là, c'est le concours de tous qui permet de réaliser l'oeuvre commune. Mais ce n'est pas parce que j'ai cherché le "moins d'Etat", c'est-à-dire, un nouvel espace de liberté par l'exercice d'une responsabilité supérieure assumée par les élus locaux, qu'il faut en arriver, par un jeu nocif de l'esprit, à la dénonciation de l'Etat. L'Etat est également nécessaire et parfois, j'ai envie de dire "mais il faudrait plus d'Etat ", lorsque, par exemple, j'assiste à la disparition des aides publiques dans des secteurs aussi sensibles que la construction et la réparation navales, lorsque je vois l'ensemble des pays qui ont des constructions navales puissantes ou rentables.
- Je ne vois pas d'exemple dans lequel la puissance publique ne serait pas intervenue, à la condition, bien entendu, que ces projets soient raisonnables et qu'au lieu de rêver à d'immenses unités, on puisse exactement fixer le point nécessaire à la renaissance de la construction et de la réparation navales, c'est-à-dire, des unités moyennes - je ne sais pas moi, de 500 ou 600 travailleurs - qui correspondent aux normes internationales.
- Mais l'Etat ne peut pas se désintéresser. L'Etat ne doit pas contribuer au maintien à perte d'entreprises incapables de survivre. Il doit contribuer assez, pour qu'une structure persiste, pour que des travailleurs puissent exercer leur métier, apporter un élément d'activité, de richesse à la ville et à la région à laquelle ils appartiennent. C'est dans la juste appréciation des efforts collectifs, et des uns et des autres, que nous démontrerons la capacité de l'unité nationale dont vous m'avez parlé.
- Alors, les modernisations, par les investissements, les aides - lorsqu'elles sont nécessaires -, tout cela nécessite un certain plan industriel. Je pourrais parler au cours de la journée, par exemple, des effets bénéfiques du plan textile. Il ne faut pas laisser les choses aller, il faut les concevoir. Le plan textile a sauvé le textile français et, ce qui existe aujourd'hui, est le résultat positif de l'audace, d'initiatives de ceux qui en 1981, 1982, ont conçu ce projet.\
Monsieur le maire, vous souffrez cruellement du chômage, vous l'avez dit, plus de 16 %, en tout cas les statistiques dont je dispose vont, pour l'ensemble des secteurs, au moins à 15 % et plus. Par -rapport à une situation déjà fortement dégradée dans l'ensemble du pays, c'est un triste record qui s'explique par les déperditions de la sidérurgie - j'ai dit pourquoi - et par la déperdition de la construction et de la réparation navales qui sont, - qui devraient être - les deux éléments forts de votre ville, de votre communauté et de votre région.
- Mais, vous savez, c'était difficile. Il faut penser qu'au moment où j'ai assumé cette responsabilité - si vous aviez eu un peu plus de temps pour vous exprimer, vous me l'auriez sans doute dit, mais c'est vrai qu'en raison des obligations multiples qui m'attendent, on a limité la durée des exposés, mais vous m'auriez rappelé, certainement - qu'en 1981, nous avions 14 % d'inflation. Là, nous n'étions pas en mesure vraiment de concurrencer les pays étrangers. Vous m'auriez rappelé qu'il y avait 62 milliards de déficit du commerce extérieur. Vous m'auriez certainement rappelé que l'année dernière, il n'y en avait plus ou à peu près plus. Vous auriez sans doute ajouté qu'il était vraiment dommage qu'on retrouve ce déficit en 1987. Vous m'auriez dit que le chômage était inscrit structurellement dans notre industrie déficiente et mal préparée au choc actuel.
- Arrêtons là, nous avons tenté de mettre en place - et vous y prenez part, monsieur le maire, à la tête de votre ville et dans une communauté déjà puissante - les voies de l'avenir, c'est beaucoup plus intéressant. Vous croyez que les Français vont se disputer sur des bilans ! Aux chiffres s'opposent des chiffres, aux pourcentages, des pourcentages, moi cela ne m'intéresse pas, sinon, bien entendu, pour répondre.\
Les plans d'avenir ! Ils ont consisté essentiellement, à la fois, à sauver ce qui pouvait l'être, par la modernisation intelligente de vos industries de base ou de vos activités, mais aussi à changer l'horizon. Vous avez bien voulu les citer. Le TGV, son tracé vient d'être décidé, très bien. Il n'a pu être décidé que parce que son principe avait été retenu. Je me souviens d'y avoir, précisément, pris part, avec le Premier ministre de l'époque et les parlementaires de votre région, nous avions décidé de programmer le TGV-Nord, et si l'on n'a pas pu aller plus vite, c'est parce qu'il fallait déboucher sur les pays étrangers. Il fallait donc leur accord. Que les Belges, que les Allemands, que les Hollandais, puissent s'accorder sur le futur tracé, sans quoi cette ligne n'aurait pas eu beaucoup de sens.
- Et puis d'autre part, nous avons ouvert une autre perspective, celle du Transmanche, c'est-à-dire la communication avec la Grande-Bretagne. Par le TGV et par le Transmanche, cela donne une tout autre dimension à la région Nord-Pas-de-Calais, par le nombre des emplois que l'on peut en attendre et par le fait que vous allez vous trouver au centre de communications multiples, donc de passage, donc de fixation, l'un des centres vitaux, évidents de l'Europe. Ce n'est pas rien, cela permet déjà aux populations d'ici, de se dire "profits et pertes", faisons nos comptes, mais en phare, il y a de l'espoir, nous en sommes capables". Et, mesdames et messieurs, vous en êtes capables. D'autant plus que le Marché unique vous attend, d'ici peu : douze pays d'Europe, sans frontières, d'aucune sorte. C'est ce que j'ai moi-même voulu lors des conférences européennes de Milan et de Luxembourg. Mais c'est une rude audace pour la France ! Elle ne peut gagner que dans la compétition. Elle ne le peut pas dans le repli sur soi. Il faut choisir ! En même temps il faut faire confiance aux Français. Je suis sûr que ce sera une occasion puissante de rassembler les énergies. Vous avez déjà beaucoup d'éléments rassemblés, sans oublier l'aspect social des choses.\
Comment voulez-vous un redressement économique, si vous n'avez pas la base de la justice sociale ? Je l'ai répété cent fois, je le dirai une fois de plus, je le répéterai encore très souvent, impossible sans l'apport volontaire, décidé et actif des travailleurs de France. Croyez-moi, monsieur le maire - dans des années découpées et soustraites de notre histoire de France, par vos soins tout à l'heure - la cinquième équipe en sidérurgie, cela a été une mesure considérable pour alléger la condition ouvrière. Et quand on allège la condition ouvrière, on donne en même temps un peu plus de coeur à l'ouvrage, et puis l'envie de prendre part au redressement du pays.
- Si l'on a le sentiment que la justice ou plutôt que l'injustice cède devant un effort commun de justice sociale, alors on met la main à la pâte, on a envie de réussir. On n'a pas le sentiment que c'est vraiment inutile que de consacrer des heures et des heures au travail hebdomadaire. Beaucoup de peine, beaucoup d'inquiétude lorsque le résultat est là pour constater un partage injuste et inégal entre les différentes couches sociales ou socio-professionnelles. Cela forme un tout. Et de voir l'activité de votre ville et de votre communauté, venant de si loin, d'une si longue et si ancienne impréparation aux obligations de ce jour, je ne peux que me tourner vers vous, comme je le fais monsieur le maire, sans aucune distinction politique, croyez-le, je ne peux que me retourner vers vous et vous dire : eh bien, vous allez être de bons artisans du redressement, de la reprise en main. Vous avez tous commencé, qui que vous soyez, parce que vous aimez votre pays et parce que vous en êtes capables. Aux Français maintenant de démêler les mérites particuliers. Ce n'est pas mon affaire.
- Bonne chance et bon travail pour Dunkerque, monsieur le maire,
- Vive Dunkerque,
- Vive la République,
- Vive la France.\