14 décembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de sa visite au musée des Beaux Arts à Vienne le 14 décembre 1987.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je suis venu à Vienne comme dans une ville amie ou du moins je compte tant d'amis parmi ses habitants que c'est pour moi chaque fois une façon de reprendre pied, de retrouver la France telle qu'elle est et autour de conversations amicales, de s'interroger sur tout ce qui nous passe par l'esprit, à nous Français, dans des temps, disiez-vous, cher Louis Mermaz, qui sont durs.
- En vérité, tous les temps sont durs. Il n'a jamais été facile de vivre, jamais facile de vivre en société, jamais facile de vivre dans l'histoire. Il nous faut bien vivre en société et dans l'histoire puisque nous sommes une partie de la France. Les temps sont toujours durs. Ils ont cependant ce caractère particulier en 1987 de se situer à l'intérieur de ce que l'on appelle une crise et qui est tout simplement la difficulté qu'a notre société, surtout économique, à s'adapter aux nouvelles façons de penser, de créer, de travailler en raison de la puissante évolution commandée par les progrès de la science et de la technique. La société, elle, est plus lourde que l'esprit humain. Le temps qu'il lui faut pour rattraper ce que quelques-uns des siens ont conçu, ce temps, c'est la crise. Le passage d'une société industrielle à l'autre rend plus durs encore les temps difficiles à supporter, difficiles à supporter surtout pour les laissés pour compte, pour les chômeurs, pour ceux que l'on appelle les nouveaux pauvres, pour celles et ceux qui sont frappés par la maladie, le deuil et qui ne trouvent pas toujours, à l'heure ou je m'exprime, l'environnement souhaitable pour que leur espérance puisse vraiment s'implanter en eux mêmes.\
Je ne ferai pas un long exposé. Je viens de jeter un coup d'oeil très rapide sur ces quelques objets anciens qui sont ici exposés dans ce musée. L'intérêt de mes visites à Vienne, c'est que j'y apprends chaque fois quelque chose. Il suffirait d'avoir des yeux et des oreilles, l'esprit toujours ouvert pour apprendre partout toujours quelque chose. Mais quand même, il faut solliciter l'attention. A Vienne, je me souviens qu'en 1984, nous avions visité certains des quartiers, précisément, les plus anciens, j'avais examiné de plus près certains aspects de votre ancienne histoire et je viens de voir à l'instant, d'apprendre quelque chose, ce qui est quand même le meilleur enrichissement pour chacun d'entre nous. En voyant ces plats, ces objets d'argent tirés des âges, j'imagine l'immense joie de ceux qui ont pu eux-mêmes découvrir et faire réapparaître dans la mémoire des hommes ce qui semblait enfoui à jamais.
- Je suis venu ici, je veux dire à Vienne, depuis déjà pas mal d'années, cela se compte maintenant par décennies, plusieurs. J'avais vu cette ancienne capitale, qui le reste toujours un peu, enserrée dans les bras du fleuve, dans l'étroit de ses collines, avec ce passage si difficile qui signalait Vienne à l'intention des gens de passage, qui restaient dans votre ville plus longtemps qu'ils ne le souhaitaient mais sans procéder aux visites intéressantes qui me sont réservées, tout simplement au volant de leur voiture. J'ai vu, peu à peu, Vienne s'élargir, s'agrandir, s'ouvrir, retrouver sa mission historique £ j'ai dit ancienne capitale qui tend à le redevenir. C'est un parcours intéressant. Vous m'aviez chargé mon cher Mermaz de livres, de monographies, de l'histoire de Vienne £ j'en ai le goût et de ce fait, je les ai à l'époque à peu prés tous lus et j'en ai bien gardé quelques souvenirs. Cela doit être vraiment passionnant que de pouvoir gérer avec le -concours de la population et de nombreux élus une ville comme celle-là. Vous vous trouvez vraiment au carrefour d'une très ancienne histoire, d'un renouveau, d'une nouvelle projection sur l'avenir. On le sent partout ici.\
Ce n'est que le début de ce bref voyage en Dauphiné puisque je devrai me rendre maintenant dans deux autres communes. La halte de l'amitié, c'est comme cela que j'appellerai ce passage à Vienne, la halte où l'on apprend quelque chose, bref où l'on tire profit pour son intelligence et son coeur des heures que le temps vous accorde.
- J'ai aperçu ici à l'extérieur beaucoup de Viennoises et de Viennois qui se pressent sur les trottoirs et dans les rues, qu'ils en soient remerciés. Je suis très sensible à cet accueil. Comment pourrait-on y être insensible ! On ne peut pas avoir affronté beaucoup de difficultés dans une responsabilité elle-même fort lourde sans trouver de temps à autre comme une sorte de satisfaction, - je dirai de réconfort, de joie -, prenons un terme positif, je n'ai après tout pas tellement besoin d'être réconforté, j'allais dire même pas du tout, j'ai simplement surtout besoin de savoir que les Français continuent d'espérer. Si j'ai pu servir cette espérance et par les oeuvres du présent et par les fondations du lendemain, alors, j'aurai le sentiment d'avoir accompli ce que je devais faire.
- Un Président de la République a naturellement pour tâche de s'intéresser non seulement aux problèmes propres au pays dont il a la première charge mais aussi aux problèmes qui touchent aux relations de ce pays avec le reste du monde. Là aussi, que de problèmes puisqu'il faut assurer à ce pays, la France, le moyen de vivre, de dominer les contradictions, de préserver son rang dans le rapport de force, dans les rapports de force qui se proposent chaque jour, d'assurer la paix et la sécurité, tout en remplissant ses devoirs.
- Je puis vous l'assurer, mesdames et messieurs, votre présence, votre constance, très souvent votre confiance, sont des facteurs très importants pour assurer la démarche de celui qui vous représente. C'est vous aussi, qui le faites, c'est cette confiance qui permet quand on rentre chez soi, le soir, quand il peut arriver des moments de fatigue ou bien d'incertitude, c'est vous qui tracez le chemin. Je le trouve à Vienne plus facilement qu'ailleurs car nous avons déjà dessiné une longue trace. Je veux surtout, mesdames et messieurs vous en remercier, remercier particulièrement le maire de la commune, mon ami Louis Mermaz, ami depuis si longtemps et plus que cela. Nous avons mis la main aux mêmes tâches. Nous nous sommes associés à la construction du même édifice, nous avons partagé les mêmes peines et les mêmes espérances. C'est un bon ciment. C'est dire. Puisqu'il me faut déjà partir, je trouve que c'est un peu rapide, j'aurais bien aimé pouvoir, sinon m'installer, je suis appelé en d'autres lieux, m'arrêter vraiment, avoir le temps de dire merci autrement, de m'attarder dans ces salles et au dehors puisque le temps a l'air de se lever, de voir un peu si c'est possible le paysage, une image, un certain visage de la France.
- Mesdames et messieurs, je ne vous dirai rien d'autre en cet instant. Il y a des mots rituels que l'on emploie toujours mais je ne peux pas les employer sans les ressentir profondément, c'est pourquoi je vous dirai de cette façon,
- Vive Vienne,
- Vive l'Isère,
- Vive la République,
- Vive la France.\