8 décembre 1987 - Seul le prononcé fait foi
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la reconversion industrielle, les négociations sur le désarmement et la construction de l'Europe, Le Creusot, mardi 8 décembre 1987.
Monsieur le maire, Mesdames et messieurs, Je me retrouve avec joie au Creusot que j'ai si souvent traversé, soit pour des raisons familiales, soit dans l'accomplissement de mes mandats politiques, en raison de la proximité, soit en tant que Président de la République. Cette ville - votre ville - a traversé de tels drames, affronté tant de difficultés, qu'il fallait bien tenter, d'abord de préserver, ensuite de promouvoir, un nouvel avenir pour le Creusot et sa région.
- Je suis donc, naturellement, très attaché à cette ville, d'autant plus que vous-même, monsieur le maire `Camille Dufour`, et combien d'autres avaient été, sont toujours mes amis personnels, comme j'en compte, et nul ne me reprochera de le rappeler, comme j'en compte en Bourgogne où j'ai, moi aussi tant d'attaches.\
Le Creusot, vous l'avez rappelé fort bien, en termes très clairs, a été un élément moteur du développement industriel au cours du XIXème siècle, en France, et au-delà, une famille, des ouvriers, une population particulièrement apte à s'adapter aux travaux industriels, après avoir été formés aux travaux de la campagne et ayant su garder les qualités de l'une et l'autre fonction. Cela a été de tout temps très dur, pas simplement avec la crise, mais avant. Que de combats ouvriers ont trouvé leur origine, ici même, combats pour la justice sociale et pour tenter de conquérir les droits les plus évidents dus à toute personne humaine.
- Je me souviens d'avoir visité le musée, d'y avoir observé, lu, la relation sur les murs ou dans les documents, de la longue lutte ouvrière, tout à fait symbolique de ce que nous avons connu. Je me souviens d'y avoir remarqué ces instructions du ministre du commerce de l'époque, puisque c'était le ministre du commerce qui s'occupait de vous et qui marquait à quel point il était important de laisser les enfants continuer de travailler, lorsqu'ils avaient moins de 10 ans, au moins quatorze heures par jour pour la bonne conduite de notre économie, d'autant plus que ces enfants, plus fluets que les hommes mûrs, pouvaient plus aisément se glisser dans les galeries étroites et travaillaient un peu plus profond. On mesure, au travers de ces descriptions, combien a été dure et même insupportable la vie réservée à celles et à ceux qui ne disposaient, à l'époque, d'aucun droit, et qui les ont acquis comme on les acquiert, c'est-à-dire par l'organisation collective et par la prise de conscience.
- Le Creusot est de ce point de vue l'exemple le plus marquant, d'autant plus qu'il s'agit là d'une population, la vôtre, qui sait raison garder, qui n'est pas naturellement exaltée - c'est le moins qu'on puisse dire -, une population sage et résolue. Si donc elle a été conduite à de tels combats, c'est parce que les conditions de vie économique et sociale les y contraignaient. Mais il fallait vivre, il fallait obtenir, malheureusement par la lutte, mais ainsi était la vérité du système, le droit à l'éducation, le droit de l'enfant - je l'ai dit -, le droit de la femme, le droit au salaire, le droit à la protection sociale, le droit à l'arbitrage, le droit, etc... La liste serait très longue qui vous marquera à quel point a été difficile la transition entre la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen proclamée par une société qui n'avait pas encore éprouvé les rigueurs de la vie industrielle et qui a longtemps hésité avant de transférer les droits individuels sur les droits collectifs, et pourtant c'était le même combat.\
Et vous expliquant ainsi, en vous rappelant tout cela `les conquêtes sociales du XIXème siècle` ici au Creusot, je suis sûr d'éveiller toute une mémoire profonde, propre à des communes comme celles-ci. Ce sont ses titres de noblesse, une grande noblesse. Lorsque vous vous êtes affrontés, plus récemment, beaucoup plus récemment, aux problèmes de destruction de votre tissu industriel, avant de songer à la reconversion ou la conversion, sans doute, tout aussitôt, parmi les travailleurs de cette région, se sont réveillés tous ces souvenirs et pourtant les temps étaient différents. Les droits fondamentaux avaient été, pour la plupart, acquis, simplement ils n'avaient plus de point d'application puisque le problème n'était plus celui du travail, mais celui du chômage et celui de la fin d'une époque ou plutôt de sa transformation.
- Je me souviens, en effet, de ces années que vous avez bien voulu rappeler. J'en ai parlé beaucoup avec les représentants de ce département, avec vous même, monsieur le maire, qui par votre propre expérience, était appelé, mieux que beaucoup d'autres, à connaître la vérité de ce que je viens de rappeler et dans votre vie personnelle, et dans votre vie familiale. Alors, il a fallu s'y mettre, prévoir, organiser, concevoir et assurer la suite. Et lorsqu'une crise comme celle-ci, aussi rude, s'est abattue sur le monde industriel traditionnel, dont vous aviez le prototype ici, sur l'ensemble des industries lourdes et donc nombreuses, rassemblant les classes ouvrières, disposant de cadres le plus souvent éminents, alors il a fallu comprendre et admettre que le siècle qui venait n'offrirait pas des perspectives du même type. Je n'ai pas dit qu'il n'offrirait pas des perspectives du même type. Je n'ai pas dit qu'il n'offrirait pas des perspectives de prospérité. Je crois, au contraire, que vous avez su reconquérir les moyens de la prospérité. Mais nous sommes, ou nous étions, au creux, c'est-à-dire au moment même de ce que l'on appelle une crise. La crise, cela veut dire simplement qu'entre une époque industrielle et une autre, la société plus lourde, difficile à changer, suivait avec peine, ou ne suivait pas, l'évolution de la science et de la technique. Tout le temps qu'il faut pour s'adapter et pour former les femmes et les hommes à la nouvelle révolution industrielle, c'est la crise, la perte de l'emploi, la perte de salaire, l'appauvrissement général, la disparition des structures.
- Tout l'effort d'un gouvernement, quel qu'il soit, pour abréger la crise, consiste - j'allais dire tout simplement mais pour le raisonnement comme c'est dur dans la vie quotidienne - tout simplement, tout crûment, à hâter ce moment-là par une formation à la fois accélérée et plus approfondie, toujours de plus haut niveau, formation des femmes et des hommes appelés aux nouvelles fonctions industrielles et adapter en même temps et l'administration, les formes de l'Etat, la vie régionale, mettre de plus en plus de substance dans la décentralisation, confier aux élus locaux, départementaux, régionaux, le moyen d'assurer le relais de l'Etat. L'on voit au travers d'un phénomène comme celui-ci, à quel point sont illusoires toutes les théories qui consistent à penser que l'Etat - je veux dire la puissance publique - aurait achevé son rôle. On va là toujours d'un extrême à l'autre.\
En vérité, un pays comme la France ne peut - un pays moderne - vivre que par un -concours intelligent entre une puissance publique qui doit savoir s'effacer quand il le faut, mais qui doit savoir être présente lorsqu'il s'agit de sauvegarder les intérêts de la nation, et le premier des intérêts de la nation, c'est l'intérêt des populations qui vivent sur son sol, et particulièrement des catégories sociales qui souffrent plus que d'autres. On ne peut toujours demander des sacrifices aux mêmes. On ne peut toujours demander l'effort aux mêmes, ou bien, alors, il faut savoir - justement, avec toujours sagesse et raison - ayant demandé cet effort, répondre à cet effort par un mode de vie personnel et familiale plus élevé, par une meilleure part dans le grand partage du revenu national.
- Il a été très difficile d'y parvenir, et nous ne sommes pas au bout - vous avez raison de le dire -. Mais je crois que les Français, dont on peut comprendre l'angoisse et parfois la colère, ont véritablement saisi et l'ampleur et la -nature de la crise.
- Je vous le répète, j'ai suffisamment parcouru les routes de Bourgogne et particulièrement celles-ci. Je me suis souvent et si souvent arrêté à travers nos villes et nos villages pour savoir qu'on peut compter sur la détermination et sur les capacités de volonté, d'espérance d'un peuple comme le nôtre. Alors, de plus en plus nombreux sont les filles et les garçons qui se rendent et qui se veulent disponibles pour apprendre et pour réapprendre, pour se former et pour se reformer, pour s'adapter aux qualifications de travail qui sont désormais exigées, et pour aussi se rendre capables de changer en cours de carrière par une formation permanente qui nous éloigne, en effet, de cette conception, aujourd'hui ancienne, et qui voulait que nul ne voulut jamais changer d'endroit et on le comprend, parce qu'on a vu dans des régions comme celles-ci, des populations ouvrières attachées d'abord à leur terroir. Ils en sont très souvent originaires - le plus souvent originaires -. Et puis, ils y ont leur ligne familiale, leur enracinement, ils y ont bâti leur maison, ont déjà organisé la vie familiale pour leurs enfants. Bref, ils sont tellement ancrés dans cette terre que c'est un déchirement, une sorte de désespoir que d'imaginer qu'il faudrait s'en aller. Et comme on peut comprendre cela, comme celles et ceux qui sont dans cette salle et qui comme moi, sont de province, de leur province, qui aiment leur terre, qui aiment leurs horizons.
- Et le milieu social alentour ! Le Creusot s'est trouvé devant cette inquiétude majeure. Allons-nous être obligés tous d'immigrer, de vider nos villes, de vider nos villages, d'aller chercher ailleurs un travail suffisant pour nous permettre de vivre. Est-ce la fin ! nous qui souhaitions toujours les recommencements.
- Cette crise-là n'était que la conclusion ou l'aboutissement d'une crise ambiante, très ancienne, d'une déperdition de force, qui était aussi le résultat d'un manque de prise de conscience, d'un manque aussi de prise de responsabilité de la part de ceux qui étaient responsables et dans tous les domaines. Alors, en 1982, 1983, 1984, il a fallu décider un ensemble des mesures que vous venez de rappeler monsieur le maire, notamment naturellement le pôle de conversion, mais aussi les mesures qui se sont associées, sur le -plan de l'aménagement du territoire, des grands travaux, et sur le -plan européen. Tout cela a concouru à restituer, non seulement l'espoir, l'espoir doit bien se fonder sur des réalités, mais une réalité qui permet aujourd'hui de croire en l'avenir.\
Tout à l'heure, nous irons voir une nouvelle usine, qui, sur le -plan national s'inscrit dans un groupe, la SNECMA, dont la modernisation et les réussites sont tout à fait exceptionnelles. Elle est capable de produire associée sans doute, mais le génie français est là, les meilleurs moteurs au monde et donc, les pièces qui servent au développement de ces moteurs et dans les conditions technologiques les plus ardues. Tout cela renaît ici, et si l'on peut penser que le nombre de travailleurs reste encore modeste, si la perspective ne permet pas de penser que des entreprises de cette sorte pourront recommencer l'aventure de la sidérurgie par exemple, malgré tout, la région, le département et l'ensemble de vos communes, autour du Creusot, puissant ensemble, puissante force vivante, ne devrait plus subir de graves déperditions, il faudrait trouver de nouvelles raisons de développement à la condition, bien entendu, que l'on soit capable de veiller au grain tout à côté. Si la SNECMA s'élève et puis qu'en même temps des industries voisines aussi nécessaires à la ville s'effondrent, bien entendu, ce sera à recommencer. Il faut donc organiser nos énergies, rassembler des capacités et veiller à préserver toutes les chances aujourd'hui réunies. On n'aurait pas pu faire cela, mesdames et messieurs, sans le terreau, le terreau du Creusot, de sa population.
- Ce sont des femmes et des hommes dont je connais la solidité. Ils sont capables de coup de colère, lorsque cela va trop mal, qu'ils ont le sentiment de l'injustice. Mais ils sont capables surtout de longue patience pour édifier le renouveau et apporter leur contribution au redressement national, entrepris déjà depuis de longues années et qui finira par porter ses -fruits croyez-moi.
- Voilà ce que j'ai souhaité vous dire, mesdames et messieurs.\
Vous m'avez demandé de passer maintenant par l'Avenue de l'Europe. Vous me rappelez des souvenirs récents qui ne sont pas forcément enchanteurs `échec du Conseil européen de Copenhague le 5 décembre`, mais enfin qui s'inscrivent dans une perspective. J'ai déjà vu d'autres crises. Là aussi, c'est un problème d'adaptation, c'est toujours un problème d'adaptation. Le besoin est très exigeant, l'Europe est très nécessaire, la construction européenne est un besoin très impérieux et très urgent, mais les structures sont lourdes, la société est lente, les habitudes pèsent. Alors, malheureusement, tous les trois ou quatre ans, cela recommence. On accumule les contentieux, on s'interdit d'avancer parce qu'on bronche sur des obstacles dérisoires. Douze pays, chacun d'entre eux a naturellement des intérêts considérables, mais qui comportent des conséquences de toutes sortes, y compris électorales. Ce qui, dans l'esprit de ceux qui débattent, n'est pas forcément la moindre difficulté.\
`Suite sur les difficultés européennes`
- Finalement, et je l'ai rappelé déjà de nombreuses fois au cours des semaines et des mois précédents, je l'ai rappelé à Copenhague, cela se passe alors que l'on voit les deux plus puissantes nations du monde s'entendre sur un début de désarmement. C'est le premier désarmement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. On a certes connu des moments où l'on a mis fin à certaines catégories de surarmement, mais on n'a jamais désarmé. C'est la première fois que l'on va désarmer. Cela représentera 4 % de l'arsenal nucléaire détenu par ces deux puissances. C'est peu de choses, c'est important.
- J'ai déjà dit et répété : en ma qualité de Président de la République française, je m'en réjouis et je ne comprends pas cette sorte de refus qui s'est inscrit dans les cervaux, qui se traduit dans les propos d'un certain nombre de personnes. Il suffirait de leur dire : préférez-vous donc que l'on surarme ? Est-ce que la réponse aux risques de la guerre, c'est s'armer toujours davantage de part et d'autre ? Il n'est pas d'exemple, depuis la dernière guerre mondiale, que les progrès, si je puis les appeler ainsi, dans les moyens de détruire et de tuer, que les progrès accomplis par l'un des deux puissances, n'aient pas été suivis, trois ou quatre ans après, par l'autre. C'est donc l'échelle de perroquet. Où ira-t-on ? On a failli aller, si j'ose dire aussi, jusqu'au ciel, avec l'installation tout autour de nous, au-dessus de nos têtes d'un chapelet de satellites qui passeraient leur temps à observer ce que vous faites dans votre jardin et bien entendu plus encore à se mettre en disposition d'intervenir à tout moment pour détruire.
- De part et d'autre, si l'on ne désarme pas, on armera de cette façon, on ruinera les économies, sans garantir davantage la sécurité, au contraire, en la mettant davantage en péril. Le choix est donc : désarmer ou surarmer. Mon choix, en votre nom, mesdames et messieurs, mon choix est fait : il faut désarmer et il faut refuser la proposition de ceux qui vous disent non. Parce que ce "non" doit être accompagné d'une explication et cette explication devrait être, si elle est honnête, celle-ci : alors surarmons. Dans cette course-là, êtes-vous sûrs qu'un pays comme la France serait forcément le gagnant ?
- Bien entendu, le désarmement suppose des conditions. On ne peut accepter de fermer les yeux. Le désarmement suppose le contrôle. Il faut qu'aucune des deux parties ne trompe l'autre. Il faut donc des moyens de vérifier, en même temps, que ce désarmement est simultané, équilibré. Il ne faut pas qu'au lendemain d'un désarmement, la sécurité soit moindre qu'avant. Le désarmement est fait pour accroître la sécurité. S'il devait aggraver l'insécurité naturellement on aurait fait un contresens, un contresens grave. Mais ceci s'inscrit dans la logique du désarmement, tandis qu'on nous propose trop souvent, ici et là, la logique du surarmement. Dans la logique du désarmement il faut contrôler, il faut agir de façon simultanée et concomitante et il faut continuer.\
Après ce qui sera fait à Washington `accord sur les FNI`, il faudra aussi s'en prendre aux armements stratégiques, puisque pour l'instant on ne s'en est pris qu'aux armements dits "intermédiaires", au-dessous de 4500 Km. Et, avant que l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique aient détruit, comme on le dit ici ou là, 50 % de leur armement actuel c'est-à-dire 13000 charges nucléaires pour les Etats-Unis d'Amérique, 11 à 12000 pour l'Union soviétique, avant qu'ils ne parviennent à réduire la moitié de ces armes, nous ne sommes pas demain la veille. Mais c'est la bonne direction. Le même raisonnement doit être appliqué pour les armes dites "classiques", conventionnelles, avec lesquelle on a fait jusqu'à Hiroshima, la dernière guerre mondiale et la guerre précédente, si meurtrières, si terrifiantes, puis les armes chimiques, puis... La liste serait longue, il faut, bien entendu, marcher du même pas, d'une façon parallèle, réduire et contrôler la destruction des armements de tous ordres.
- Il me semble là prononcer des paroles de bon sens, mais je vous ramène au raisonnement initial : qui ne veut pas désarmer doit surarmer. Chacun doit faire son choix. Le désarmement, c'est une garantie de la paix. A la condition d'être un désarmement contrôlé, équilibré, simultané.\
Dans un instant, maintenant, nous serons Avenue de l'Europe. Vous m'avez dit que nous serions devant un chantier. C'est ça l'Europe. C'est un chantier. Si le regard est aigu, on voit davantage de décombres que de nouvelles constructions. Les décombres, ce sont ceux des guerres civiles européennes. Nous sommes la deuxième génération, bien que, pour ma part, si je n'ai pas été mêlé, au niveau responsable, à la première création de l'Europe, j'étais déjà parlementaire et j'ai voté toutes les conventions et tous les traités qui devaient tendre à la construction de l'Europe, convaincu que j'étais dès 1946, 1947 et 1948 - puisque j'ai été présent au premier congrès européen de l'histoire de La Haye en 1945, et il y avait des Allemands et nous sortions de la guerre que beaucoup d'entre vous ont aussi vécue - qu'il fallait passer par-dessus ses passions et par-dessus ses deuils. Il fallait construire l'Europe et la construction de l'Europe passait d'abord par la réconciliation franco-allemande. Maintenant, il faut y mettre une grande force de caractère. Il faut être capable de dominer un certain nombre d'intérêts régionaux et limités.
- Il faut préférer, comme toujours, ce qui va dans le sens de l'intérêt général et c'est l'intérêt général de l'Europe, auquel il faut veiller, puisque, comme vous l'avez rappelé, monsieur le maire, à l'instant, c'est maintenant fin 1992 et début 1993 que nous vivrons à l'Intérieur d'un marché unique, c'est-à-dire la disparition de toutes frontières entre les pays qui composent la Communauté. Beaucoup d'efforts sont à faire parce que sur combien de -plans la France risque-t-elle de se trouver en arrière, désavantagée, incapable de supporter la concurrence ! Sur d'autres, heureusement, la France est un grand pays qui a, à son actif, de grandes réussites et les autres pays seront obligés de se défendre contre nos propres succès. C'est une compétition, pacifique et dure, à laquelle nous devons nous préparer par un grand effort d'instruction, d'éducation nationale, par des progrès non seulement dans la recherche fondamentale mais aussi dans la recherche appliquée. C'est certainement un effort qui paraît au-dessus de nos forces mais qui ne l'est pas et qui exigera beaucoup pour que le budget de l'éducation nationale soit en mesure de répondre aux besoins, une priorité absolue que je réclame sans arrêt, une priorité absolue pour la recherche, parce que c'est la connaissance de l'esprit qui permet d'assurer la maîtrise de la matière, et ainsi de suite... Mais nous en parlerons d'autres fois, mesdames et messieurs.\
Je vais, avec vous, maintenant, poursuivre cette journée. Il m'est très agréable de retrouver le Creusot, la Bourgogne, de retrouver aussi ce temps frisquet qui me rappelle tant d'années vécues dans le Morvan où il faut avoir un tempérament solide, et ils l'ont là-bas. Je n'étais pas morvandiau, il a fallu que je m'adapte, moi aussi, à cette région où l'on sait qu'il faut constamment dominer les rigueurs du temps, les frimas, l'hiver qui arrive, plus tôt qu'ailleurs, avec ce massif hercynien à l'intérieur duquel les trois bassins de nos fleuves. Bref, les hommes de par ici, ils sont solides. Eh bien, pour moi, c'est une joie que de les retrouver, car ils me paraissent être exactement faits de telle sorte qu'ils peuvent symboliser l'effort et la capacité de la France.
- Merci, vive le Creusot, vive la République, vive la France !.\
- Je suis donc, naturellement, très attaché à cette ville, d'autant plus que vous-même, monsieur le maire `Camille Dufour`, et combien d'autres avaient été, sont toujours mes amis personnels, comme j'en compte, et nul ne me reprochera de le rappeler, comme j'en compte en Bourgogne où j'ai, moi aussi tant d'attaches.\
Le Creusot, vous l'avez rappelé fort bien, en termes très clairs, a été un élément moteur du développement industriel au cours du XIXème siècle, en France, et au-delà, une famille, des ouvriers, une population particulièrement apte à s'adapter aux travaux industriels, après avoir été formés aux travaux de la campagne et ayant su garder les qualités de l'une et l'autre fonction. Cela a été de tout temps très dur, pas simplement avec la crise, mais avant. Que de combats ouvriers ont trouvé leur origine, ici même, combats pour la justice sociale et pour tenter de conquérir les droits les plus évidents dus à toute personne humaine.
- Je me souviens d'avoir visité le musée, d'y avoir observé, lu, la relation sur les murs ou dans les documents, de la longue lutte ouvrière, tout à fait symbolique de ce que nous avons connu. Je me souviens d'y avoir remarqué ces instructions du ministre du commerce de l'époque, puisque c'était le ministre du commerce qui s'occupait de vous et qui marquait à quel point il était important de laisser les enfants continuer de travailler, lorsqu'ils avaient moins de 10 ans, au moins quatorze heures par jour pour la bonne conduite de notre économie, d'autant plus que ces enfants, plus fluets que les hommes mûrs, pouvaient plus aisément se glisser dans les galeries étroites et travaillaient un peu plus profond. On mesure, au travers de ces descriptions, combien a été dure et même insupportable la vie réservée à celles et à ceux qui ne disposaient, à l'époque, d'aucun droit, et qui les ont acquis comme on les acquiert, c'est-à-dire par l'organisation collective et par la prise de conscience.
- Le Creusot est de ce point de vue l'exemple le plus marquant, d'autant plus qu'il s'agit là d'une population, la vôtre, qui sait raison garder, qui n'est pas naturellement exaltée - c'est le moins qu'on puisse dire -, une population sage et résolue. Si donc elle a été conduite à de tels combats, c'est parce que les conditions de vie économique et sociale les y contraignaient. Mais il fallait vivre, il fallait obtenir, malheureusement par la lutte, mais ainsi était la vérité du système, le droit à l'éducation, le droit de l'enfant - je l'ai dit -, le droit de la femme, le droit au salaire, le droit à la protection sociale, le droit à l'arbitrage, le droit, etc... La liste serait très longue qui vous marquera à quel point a été difficile la transition entre la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen proclamée par une société qui n'avait pas encore éprouvé les rigueurs de la vie industrielle et qui a longtemps hésité avant de transférer les droits individuels sur les droits collectifs, et pourtant c'était le même combat.\
Et vous expliquant ainsi, en vous rappelant tout cela `les conquêtes sociales du XIXème siècle` ici au Creusot, je suis sûr d'éveiller toute une mémoire profonde, propre à des communes comme celles-ci. Ce sont ses titres de noblesse, une grande noblesse. Lorsque vous vous êtes affrontés, plus récemment, beaucoup plus récemment, aux problèmes de destruction de votre tissu industriel, avant de songer à la reconversion ou la conversion, sans doute, tout aussitôt, parmi les travailleurs de cette région, se sont réveillés tous ces souvenirs et pourtant les temps étaient différents. Les droits fondamentaux avaient été, pour la plupart, acquis, simplement ils n'avaient plus de point d'application puisque le problème n'était plus celui du travail, mais celui du chômage et celui de la fin d'une époque ou plutôt de sa transformation.
- Je me souviens, en effet, de ces années que vous avez bien voulu rappeler. J'en ai parlé beaucoup avec les représentants de ce département, avec vous même, monsieur le maire, qui par votre propre expérience, était appelé, mieux que beaucoup d'autres, à connaître la vérité de ce que je viens de rappeler et dans votre vie personnelle, et dans votre vie familiale. Alors, il a fallu s'y mettre, prévoir, organiser, concevoir et assurer la suite. Et lorsqu'une crise comme celle-ci, aussi rude, s'est abattue sur le monde industriel traditionnel, dont vous aviez le prototype ici, sur l'ensemble des industries lourdes et donc nombreuses, rassemblant les classes ouvrières, disposant de cadres le plus souvent éminents, alors il a fallu comprendre et admettre que le siècle qui venait n'offrirait pas des perspectives du même type. Je n'ai pas dit qu'il n'offrirait pas des perspectives du même type. Je n'ai pas dit qu'il n'offrirait pas des perspectives de prospérité. Je crois, au contraire, que vous avez su reconquérir les moyens de la prospérité. Mais nous sommes, ou nous étions, au creux, c'est-à-dire au moment même de ce que l'on appelle une crise. La crise, cela veut dire simplement qu'entre une époque industrielle et une autre, la société plus lourde, difficile à changer, suivait avec peine, ou ne suivait pas, l'évolution de la science et de la technique. Tout le temps qu'il faut pour s'adapter et pour former les femmes et les hommes à la nouvelle révolution industrielle, c'est la crise, la perte de l'emploi, la perte de salaire, l'appauvrissement général, la disparition des structures.
- Tout l'effort d'un gouvernement, quel qu'il soit, pour abréger la crise, consiste - j'allais dire tout simplement mais pour le raisonnement comme c'est dur dans la vie quotidienne - tout simplement, tout crûment, à hâter ce moment-là par une formation à la fois accélérée et plus approfondie, toujours de plus haut niveau, formation des femmes et des hommes appelés aux nouvelles fonctions industrielles et adapter en même temps et l'administration, les formes de l'Etat, la vie régionale, mettre de plus en plus de substance dans la décentralisation, confier aux élus locaux, départementaux, régionaux, le moyen d'assurer le relais de l'Etat. L'on voit au travers d'un phénomène comme celui-ci, à quel point sont illusoires toutes les théories qui consistent à penser que l'Etat - je veux dire la puissance publique - aurait achevé son rôle. On va là toujours d'un extrême à l'autre.\
En vérité, un pays comme la France ne peut - un pays moderne - vivre que par un -concours intelligent entre une puissance publique qui doit savoir s'effacer quand il le faut, mais qui doit savoir être présente lorsqu'il s'agit de sauvegarder les intérêts de la nation, et le premier des intérêts de la nation, c'est l'intérêt des populations qui vivent sur son sol, et particulièrement des catégories sociales qui souffrent plus que d'autres. On ne peut toujours demander des sacrifices aux mêmes. On ne peut toujours demander l'effort aux mêmes, ou bien, alors, il faut savoir - justement, avec toujours sagesse et raison - ayant demandé cet effort, répondre à cet effort par un mode de vie personnel et familiale plus élevé, par une meilleure part dans le grand partage du revenu national.
- Il a été très difficile d'y parvenir, et nous ne sommes pas au bout - vous avez raison de le dire -. Mais je crois que les Français, dont on peut comprendre l'angoisse et parfois la colère, ont véritablement saisi et l'ampleur et la -nature de la crise.
- Je vous le répète, j'ai suffisamment parcouru les routes de Bourgogne et particulièrement celles-ci. Je me suis souvent et si souvent arrêté à travers nos villes et nos villages pour savoir qu'on peut compter sur la détermination et sur les capacités de volonté, d'espérance d'un peuple comme le nôtre. Alors, de plus en plus nombreux sont les filles et les garçons qui se rendent et qui se veulent disponibles pour apprendre et pour réapprendre, pour se former et pour se reformer, pour s'adapter aux qualifications de travail qui sont désormais exigées, et pour aussi se rendre capables de changer en cours de carrière par une formation permanente qui nous éloigne, en effet, de cette conception, aujourd'hui ancienne, et qui voulait que nul ne voulut jamais changer d'endroit et on le comprend, parce qu'on a vu dans des régions comme celles-ci, des populations ouvrières attachées d'abord à leur terroir. Ils en sont très souvent originaires - le plus souvent originaires -. Et puis, ils y ont leur ligne familiale, leur enracinement, ils y ont bâti leur maison, ont déjà organisé la vie familiale pour leurs enfants. Bref, ils sont tellement ancrés dans cette terre que c'est un déchirement, une sorte de désespoir que d'imaginer qu'il faudrait s'en aller. Et comme on peut comprendre cela, comme celles et ceux qui sont dans cette salle et qui comme moi, sont de province, de leur province, qui aiment leur terre, qui aiment leurs horizons.
- Et le milieu social alentour ! Le Creusot s'est trouvé devant cette inquiétude majeure. Allons-nous être obligés tous d'immigrer, de vider nos villes, de vider nos villages, d'aller chercher ailleurs un travail suffisant pour nous permettre de vivre. Est-ce la fin ! nous qui souhaitions toujours les recommencements.
- Cette crise-là n'était que la conclusion ou l'aboutissement d'une crise ambiante, très ancienne, d'une déperdition de force, qui était aussi le résultat d'un manque de prise de conscience, d'un manque aussi de prise de responsabilité de la part de ceux qui étaient responsables et dans tous les domaines. Alors, en 1982, 1983, 1984, il a fallu décider un ensemble des mesures que vous venez de rappeler monsieur le maire, notamment naturellement le pôle de conversion, mais aussi les mesures qui se sont associées, sur le -plan de l'aménagement du territoire, des grands travaux, et sur le -plan européen. Tout cela a concouru à restituer, non seulement l'espoir, l'espoir doit bien se fonder sur des réalités, mais une réalité qui permet aujourd'hui de croire en l'avenir.\
Tout à l'heure, nous irons voir une nouvelle usine, qui, sur le -plan national s'inscrit dans un groupe, la SNECMA, dont la modernisation et les réussites sont tout à fait exceptionnelles. Elle est capable de produire associée sans doute, mais le génie français est là, les meilleurs moteurs au monde et donc, les pièces qui servent au développement de ces moteurs et dans les conditions technologiques les plus ardues. Tout cela renaît ici, et si l'on peut penser que le nombre de travailleurs reste encore modeste, si la perspective ne permet pas de penser que des entreprises de cette sorte pourront recommencer l'aventure de la sidérurgie par exemple, malgré tout, la région, le département et l'ensemble de vos communes, autour du Creusot, puissant ensemble, puissante force vivante, ne devrait plus subir de graves déperditions, il faudrait trouver de nouvelles raisons de développement à la condition, bien entendu, que l'on soit capable de veiller au grain tout à côté. Si la SNECMA s'élève et puis qu'en même temps des industries voisines aussi nécessaires à la ville s'effondrent, bien entendu, ce sera à recommencer. Il faut donc organiser nos énergies, rassembler des capacités et veiller à préserver toutes les chances aujourd'hui réunies. On n'aurait pas pu faire cela, mesdames et messieurs, sans le terreau, le terreau du Creusot, de sa population.
- Ce sont des femmes et des hommes dont je connais la solidité. Ils sont capables de coup de colère, lorsque cela va trop mal, qu'ils ont le sentiment de l'injustice. Mais ils sont capables surtout de longue patience pour édifier le renouveau et apporter leur contribution au redressement national, entrepris déjà depuis de longues années et qui finira par porter ses -fruits croyez-moi.
- Voilà ce que j'ai souhaité vous dire, mesdames et messieurs.\
Vous m'avez demandé de passer maintenant par l'Avenue de l'Europe. Vous me rappelez des souvenirs récents qui ne sont pas forcément enchanteurs `échec du Conseil européen de Copenhague le 5 décembre`, mais enfin qui s'inscrivent dans une perspective. J'ai déjà vu d'autres crises. Là aussi, c'est un problème d'adaptation, c'est toujours un problème d'adaptation. Le besoin est très exigeant, l'Europe est très nécessaire, la construction européenne est un besoin très impérieux et très urgent, mais les structures sont lourdes, la société est lente, les habitudes pèsent. Alors, malheureusement, tous les trois ou quatre ans, cela recommence. On accumule les contentieux, on s'interdit d'avancer parce qu'on bronche sur des obstacles dérisoires. Douze pays, chacun d'entre eux a naturellement des intérêts considérables, mais qui comportent des conséquences de toutes sortes, y compris électorales. Ce qui, dans l'esprit de ceux qui débattent, n'est pas forcément la moindre difficulté.\
`Suite sur les difficultés européennes`
- Finalement, et je l'ai rappelé déjà de nombreuses fois au cours des semaines et des mois précédents, je l'ai rappelé à Copenhague, cela se passe alors que l'on voit les deux plus puissantes nations du monde s'entendre sur un début de désarmement. C'est le premier désarmement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. On a certes connu des moments où l'on a mis fin à certaines catégories de surarmement, mais on n'a jamais désarmé. C'est la première fois que l'on va désarmer. Cela représentera 4 % de l'arsenal nucléaire détenu par ces deux puissances. C'est peu de choses, c'est important.
- J'ai déjà dit et répété : en ma qualité de Président de la République française, je m'en réjouis et je ne comprends pas cette sorte de refus qui s'est inscrit dans les cervaux, qui se traduit dans les propos d'un certain nombre de personnes. Il suffirait de leur dire : préférez-vous donc que l'on surarme ? Est-ce que la réponse aux risques de la guerre, c'est s'armer toujours davantage de part et d'autre ? Il n'est pas d'exemple, depuis la dernière guerre mondiale, que les progrès, si je puis les appeler ainsi, dans les moyens de détruire et de tuer, que les progrès accomplis par l'un des deux puissances, n'aient pas été suivis, trois ou quatre ans après, par l'autre. C'est donc l'échelle de perroquet. Où ira-t-on ? On a failli aller, si j'ose dire aussi, jusqu'au ciel, avec l'installation tout autour de nous, au-dessus de nos têtes d'un chapelet de satellites qui passeraient leur temps à observer ce que vous faites dans votre jardin et bien entendu plus encore à se mettre en disposition d'intervenir à tout moment pour détruire.
- De part et d'autre, si l'on ne désarme pas, on armera de cette façon, on ruinera les économies, sans garantir davantage la sécurité, au contraire, en la mettant davantage en péril. Le choix est donc : désarmer ou surarmer. Mon choix, en votre nom, mesdames et messieurs, mon choix est fait : il faut désarmer et il faut refuser la proposition de ceux qui vous disent non. Parce que ce "non" doit être accompagné d'une explication et cette explication devrait être, si elle est honnête, celle-ci : alors surarmons. Dans cette course-là, êtes-vous sûrs qu'un pays comme la France serait forcément le gagnant ?
- Bien entendu, le désarmement suppose des conditions. On ne peut accepter de fermer les yeux. Le désarmement suppose le contrôle. Il faut qu'aucune des deux parties ne trompe l'autre. Il faut donc des moyens de vérifier, en même temps, que ce désarmement est simultané, équilibré. Il ne faut pas qu'au lendemain d'un désarmement, la sécurité soit moindre qu'avant. Le désarmement est fait pour accroître la sécurité. S'il devait aggraver l'insécurité naturellement on aurait fait un contresens, un contresens grave. Mais ceci s'inscrit dans la logique du désarmement, tandis qu'on nous propose trop souvent, ici et là, la logique du surarmement. Dans la logique du désarmement il faut contrôler, il faut agir de façon simultanée et concomitante et il faut continuer.\
Après ce qui sera fait à Washington `accord sur les FNI`, il faudra aussi s'en prendre aux armements stratégiques, puisque pour l'instant on ne s'en est pris qu'aux armements dits "intermédiaires", au-dessous de 4500 Km. Et, avant que l'Union soviétique et les Etats-Unis d'Amérique aient détruit, comme on le dit ici ou là, 50 % de leur armement actuel c'est-à-dire 13000 charges nucléaires pour les Etats-Unis d'Amérique, 11 à 12000 pour l'Union soviétique, avant qu'ils ne parviennent à réduire la moitié de ces armes, nous ne sommes pas demain la veille. Mais c'est la bonne direction. Le même raisonnement doit être appliqué pour les armes dites "classiques", conventionnelles, avec lesquelle on a fait jusqu'à Hiroshima, la dernière guerre mondiale et la guerre précédente, si meurtrières, si terrifiantes, puis les armes chimiques, puis... La liste serait longue, il faut, bien entendu, marcher du même pas, d'une façon parallèle, réduire et contrôler la destruction des armements de tous ordres.
- Il me semble là prononcer des paroles de bon sens, mais je vous ramène au raisonnement initial : qui ne veut pas désarmer doit surarmer. Chacun doit faire son choix. Le désarmement, c'est une garantie de la paix. A la condition d'être un désarmement contrôlé, équilibré, simultané.\
Dans un instant, maintenant, nous serons Avenue de l'Europe. Vous m'avez dit que nous serions devant un chantier. C'est ça l'Europe. C'est un chantier. Si le regard est aigu, on voit davantage de décombres que de nouvelles constructions. Les décombres, ce sont ceux des guerres civiles européennes. Nous sommes la deuxième génération, bien que, pour ma part, si je n'ai pas été mêlé, au niveau responsable, à la première création de l'Europe, j'étais déjà parlementaire et j'ai voté toutes les conventions et tous les traités qui devaient tendre à la construction de l'Europe, convaincu que j'étais dès 1946, 1947 et 1948 - puisque j'ai été présent au premier congrès européen de l'histoire de La Haye en 1945, et il y avait des Allemands et nous sortions de la guerre que beaucoup d'entre vous ont aussi vécue - qu'il fallait passer par-dessus ses passions et par-dessus ses deuils. Il fallait construire l'Europe et la construction de l'Europe passait d'abord par la réconciliation franco-allemande. Maintenant, il faut y mettre une grande force de caractère. Il faut être capable de dominer un certain nombre d'intérêts régionaux et limités.
- Il faut préférer, comme toujours, ce qui va dans le sens de l'intérêt général et c'est l'intérêt général de l'Europe, auquel il faut veiller, puisque, comme vous l'avez rappelé, monsieur le maire, à l'instant, c'est maintenant fin 1992 et début 1993 que nous vivrons à l'Intérieur d'un marché unique, c'est-à-dire la disparition de toutes frontières entre les pays qui composent la Communauté. Beaucoup d'efforts sont à faire parce que sur combien de -plans la France risque-t-elle de se trouver en arrière, désavantagée, incapable de supporter la concurrence ! Sur d'autres, heureusement, la France est un grand pays qui a, à son actif, de grandes réussites et les autres pays seront obligés de se défendre contre nos propres succès. C'est une compétition, pacifique et dure, à laquelle nous devons nous préparer par un grand effort d'instruction, d'éducation nationale, par des progrès non seulement dans la recherche fondamentale mais aussi dans la recherche appliquée. C'est certainement un effort qui paraît au-dessus de nos forces mais qui ne l'est pas et qui exigera beaucoup pour que le budget de l'éducation nationale soit en mesure de répondre aux besoins, une priorité absolue que je réclame sans arrêt, une priorité absolue pour la recherche, parce que c'est la connaissance de l'esprit qui permet d'assurer la maîtrise de la matière, et ainsi de suite... Mais nous en parlerons d'autres fois, mesdames et messieurs.\
Je vais, avec vous, maintenant, poursuivre cette journée. Il m'est très agréable de retrouver le Creusot, la Bourgogne, de retrouver aussi ce temps frisquet qui me rappelle tant d'années vécues dans le Morvan où il faut avoir un tempérament solide, et ils l'ont là-bas. Je n'étais pas morvandiau, il a fallu que je m'adapte, moi aussi, à cette région où l'on sait qu'il faut constamment dominer les rigueurs du temps, les frimas, l'hiver qui arrive, plus tôt qu'ailleurs, avec ce massif hercynien à l'intérieur duquel les trois bassins de nos fleuves. Bref, les hommes de par ici, ils sont solides. Eh bien, pour moi, c'est une joie que de les retrouver, car ils me paraissent être exactement faits de telle sorte qu'ils peuvent symboliser l'effort et la capacité de la France.
- Merci, vive le Creusot, vive la République, vive la France !.\