29 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle du Président de la République et la nécessité du dialogue social, à la mairie de Roanne, jeudi 29 octobre 1987.

Monsieur le maire,
- mesdames, messieurs,
- Ici s'achèvera la quatrième et dernière étape de ce bref voyage dans la Loire. Encore les deux premières se déroulaient-elles dans la même ville. Face à des institutions différentes, j'ai déjà eu l'occasion, grâce, il faut le dire, à l'incitation qui m'a été donnée par ceux qui s'adressaient à moi, par M. le Président du Conseil général ou MM. les maires de Saint-Etienne et de Saint-Chamond et maintenant de Roanne, d'aborder certains sujets, ceux qu'ils avaient traités eux-mêmes, ce qui permet le dialogue tandis que si vous aviez l'intention de traiter tel sujet plutôt que tel autre et que moi je réponde sur celui qui vous intéressait moins que les autres, nous nous séparerions peut-être très contents de ce que nous aurions dit, mais en quoi aurions-nous avancé pour une meilleure compréhension mutuelle.
- S'adresser à un Président de Conseil général et à trois maires de grandes communes, communes moyennes mais tout de même d'une réelle importance, à la mesure française, c'est naturellement être conduit à traiter de quelques problèmes sérieux qui touchent à la gestion et au développement du pays, en relation avec le département et l'Etat, avec l'Etat et l'Europe. Ce sont les thèmes qui sont généralement revenus, sans oublier la responsabilité, donc ce plus de liberté que suppose la décentralisation, cette dignité de l'homme dans la cité, qu'à quel degré que ce soit, de l'entreprise, à la gestion communale, chacun d'entre nous se doit de prendre part.
- Et, vous avez eu raison de le dire, les problèmes qui m'ont été posés, depuis plus de six ans, sont de cet ordre. J'y avais été préparé, eh bien par quoi donc ? Par ce que vous faites vous-mêmes, mairies, conseil général, présidence du Conseil général, vie parlementaire. Il n'est pas nécessaire de faire tout ce circuit pour être chef de l'Etat, mais enfin, pour celui qui comme moi, a pu accomplir tout cet itinéraire, je pense que cette vie de la démocratie, cette pratique de la démocratie, a été une bonne école. Je n'ai pas dit que dans cette bonne école j'étais un bon élève. Je dirai simplement que si je n'ai pas été un bon élève, à vous de juger, aux Français, au-delà de vous-mêmes, alors c'est que vraiment en classe, j'étais distrait, que je regardais par la fenêtre, que je pensais à autre chose. Tel n'a pas été le cas, je vous le jure, de ma journée dans la Loire. J'ai bien écouté, je crois avoir bien entendu, et j'en tire déjà des leçons. Je reviendrai sur quelques thèmes déjà élaborés. Et je ne veux pas vous retenir trop longtemps. Mais on va parler quand même de Roanne et, à partir de Roanne, du reste.\
D'abord je constate qu'au-delà des césures politiques, inévitables et souhaitables, la règle de l'alternance est l'un des fondements de la démocratie. Je m'honore d'avoir connu et rencontré ainsi, dans ma vie politique, bien des personnalités. Je vois devant moi l'ancien maire de Roanne, le sénateur, l'ancien maire, qui fut un compagnon de travail à l'Assemblée nationale, et dont je garde, je dois le dire, un excellent souvenir personnel, au-delà des choix qui ont pu séparer, qui ont séparé, j'aperçois au-delà, et avec les césures politiques, ce que peut être ou ce que pourrait être la continuité nationale.
- Comme responsable de formation politique, engagé pour construire un certain type de société, certaines relations entre les hommes, avec une vue particulière sur les relations de classes ou de groupes sociaux, chacun suit naturellement le cours de sa pensée ou celui de son expérience. Et cela doit être fait, et puis, pour quelques-uns, dont je suis, qui ont pu connaître cet aspect des luttes justes, pour la foi que l'on a dans le destin de l'homme, chacun à sa manière, quand arrive le moment où la confiance d'une majorité vous accorde autorité et durée, pour le bien de tous, et pas simplement de cette majorité, alors deux devoirs se dessinent dans le même moment, celui d'être fidèle à ses engagements et celui de ne pas pousser au-delà le respect de ses engagements jusqu'à froisser, jusqu'à blesser, jusqu'à exclure ceux qui n'ont pas les mêmes choix. C'est le rôle et le devoir du Président de la République, quel qu'il soit, du moins c'est le tracé idéal auquel il faut constamment se reporter si l'on ne veut pas, par la -nature des choses, dériver. Qui d'entre nous peut affirmer qu'il n'a jamais été porté à s'éloigner du bien commun pour assumer ses propres préférences ? Mais j'aurais vraiment quelques regrets de me trouver devant des Français sans pouvoir leur dire : "Eh bien je me suis efforcé d'allier ces contraires qui, en termes philosophiques, ne sont pas contradictoires, sans quoi il eût été impossible de concilier quoi que ce fût. Je suis là devant vous, comptable de plusieurs années, plus de six, près de sept, pouvant déjà considérer le paysage derrière moi, derrière nous, pendant lequel je me suis identifié, je continue, à la vie nationale. Comme je crois qu'il n'y a pas de réponse, qu'il n'y a de réponse à aucun problème de la vie politique, de la vie et de l'action, en dehors des réponses que l'on apporte soi-même, au gré de sa vie intérieure, je m'efforce aussi d'accorder l'une et l'autre.
- Bien, cela c'est mon domaine personnel.\
Je n'irai pas plus loin, sinon pour remarquer que dans cette salle, et sans doute dans cette foule qui se trouve à l'extérieur, se trouvent beaucoup de Françaises et de Français d'horizons différents qui, pour un moment, sont sans doute heureux d'être ensemble pour le vivre en commun. Ce sont de grands rendez-vous. Vous m'avez dit, je suis le deuxième Président de la République, enfin pas depuis toujours, je pense en tout cas au cours de ce dernier demi-siècle, à venir à Roanne. Qu'est-ce qu'ils ont fait avant ? Il est vrai que les moyens de transport étaient moins faciles mais enfin, ici, on n'est pas à Papeete ! Je me réjouis d'être le deuxième, ce serait mieux si j'étais le troisième etc..., mais ce lien entre le chef de l'Etat et la collectivité, une commune ou un département, c'est l'un des liens que j'ai pu éprouver pendant ma vie politique et j'y tiens. Me voilà donc dans la Loire, je le disais tout à l'heure à Saint-Etienne, avec quelque retard. J'espère qu'on l'excusera ce retard. Il est encore des départements où je n'ai pu aller, où je n'aurai pas la possibilité de me rendre, ces départements sont en quelque sorte comme des créanciers par -rapport à moi. Puisque je suis dans la Loire, parlons donc de la Loire.
- Vous m'avez fait déjà une description, dessiné un panorama. Ce département a été sinistré plus que d'autres par le grand passage d'une révolution industrielle à une autre. Comme cela, la volonté individuelle des hommes ne pouvait pas grand chose, malgré ce travail de fourmi qu'ont accompli certains ou bien cette tentative d'arrêter les murs de l'iceberg se refermant sur lui avec simplement la force des deux mains. Que d'hommes politiques qui ont vécu le dernier après-guerre, après le désastre de ces quatre années, qui ont déjà employé leur jeunesse, et ça c'est leur noblesse, à défendre leur patrie dans des conditions plus difficiles encore que vous ne supposez, parfois même dans la solitude, et qui ensuite ont dû se comporter en gestionnaires, en représentants du peuple, sans avoir rien dans les mains ! Il ne faut jamais oublier cela si l'on veut juger la période précédente. Il se trouve que je l'ai vécue. C'est un des privilèges de mon âge, il n'y a pas que le contraire, il n'y a pas que les inconvénients. Il y en a aussi, mais le privilège c'est de savoir et d'avoir pris part, d'une façon active, à l'élaboration du temps qui vient.\
Aujourd'hui, ce n'est pas plus facile, mais c'est autre chose. Le département de la Loire me permet de rencontrer des administrateurs, des responsables, des élus qui assurent la transition, qui passent d'une époque à l'autre. Ils ont connu les destructions anciennes, conséquences des dommages de deux guerres mondiales, d'une fatigue de notre peuple, d'une perte sensible de la démographie : comment n'aurait-on pas souffert de ces maux, alors qu'une première fois un million cinq cent mille jeunes hommes ont péri, ont saigné la France et une deuxième fois quelques six à sept cent mille encore et parmi les plus jeunes et parmi les autres, ceux qui avaient fait le choix de tenir bon, de résister avec leur esprit, avec les moyens matériels, si rares, dont ils pouvaient disposer et qui pouvaient estimer après cela avoir le droit de se reposer, d'abandonner l'action civique, parce qu'après tout, on ne peut pas tout faire.
- C'est cette continuité-là que j'observe dans la Loire où les combats politiques ont certainement la rudesse que l'on rencontre partout ailleurs, quelquefois même les excès tranchants, auxquels bien peu d'entre nous peuvent résister, avec cependant la bonne volonté, le souci de bien faire qui réunit en fin de compte ceux qui ont contribué, à des moments divers, à l'édification de cette société nouvelle.
- Or, la Loire et Saint-Etienne, la Vallée du Gier, et tout le reste, même le Roannais avec sa puissante industrie textile, avec ses puissantes industries lourdes, ont éprouvé des destructions nouvelles, d'un autre ordre. Ils ont pris en plein visage le choc le plus brutal, l'effondrement de technologies qui n'étaient plus en mesure de fabriquer des produits capables de supporter la concurrence avec bon nombre de pays étrangers, souvent fort loin de nous et dont cependant les marchandises arrivaient jusqu'à nous à meilleur prix.
- Que faire ? Sans doute y a-t-il une responsabilité collective dans cette trop longue inadaptation aux besoins modernes de la concurrence, de la compétition internationale. Mais qui osera porter l'accusation ? Ce qui est vrai, c'est que je suis là, dans un département qui se bat, qui se bat bien, qui a d'abord posé en termes intelligents les données du problème, qui commence à sentir qu'il y parvient, qui y croit donc chaque jour davantage, qui se sent maintenant capable d'entraîner avec lui les dizaines et les centaines de femmes et d'hommes qui vivent sur son sol, d'entraîner cette fraction de la France à gagner le combat, la lutte moderne, à s'intégrer dans une Europe compétitive, à se défendre à l'intérieur de cette Europe, bref, à faire la preuve que la France d'aujourd'hui, tout autant que celle des siècles passés, est en mesure de gagner sur le terrain qu'elle a choisi.\
Eh bien, quel que soit votre choix politique, je vous le dis, Françaises et Français qui avez décidé de vous engager dans ce combat-là, celui de la lutte contre le chômage par la création de l'emploi, c'est-à-dire par un meilleur environnement économique, par la modernisation des techniques et des machines, par la formation, les ressources humaines, la formation des jeunes femmes, des jeunes gens, par la reformation, par l'éducation permanente à tout âge de celles et ceux qui pour vivre ont besoin de changer de métier, parfois même de petit pays, ceux qui sont affrontés aux pires crises des temps modernes, eh bien partout, j'aperçois des équipes qui montent, qui s'organisent et qui décident et qui, au bout du chemin, rencontreront, c'est sûr, l'assentiment de la patrie. Ils se retrouveront, ils retrouveront une vérité commune.
- J'insiste sur ce point, pour qu'il n'y ait pas d'erreur. Je suis de ceux qui croient, cela sera la troisième fois que je le dirai aujourd'hui, pas devant les mêmes, je suis de ceux qui croient aux contradictions de la France et qui croient en même temps à ces heureuses contradictions.
- J'ai l'air de changer soudain de terrain. Non, je crois qu'il serait vain de prétendre qu'il n'y a pas d'opposition de classe sociale, d'intérêt social, d'intérêt économique. Il y a les plus riches, il y a les plus pauvres. Il y a ceux qui sont démunis de tout, il y a ceux qui n'ont pas reçu l'éducation ou l'instruction élémentaires. Il y a ceux qui, il y a ceux qui.. La liste serait longue de nos différences.
- Il est sain que s'organise non pas le combat, mais le débat. C'est pourquoi certaines assemblées ont été instituées où chacun vient apporter, avec la passion qu'il doit aux intérêts qu'il représente, la vérité telle qu'il la sent, la vérité telle qu'il la pense, qui n'est naturellement pas la vérité à elle toute seule.\
Je crois à ces contradictions et je redoute celles et ceux qui, dans le monde politique, par souci de plaire, effacent le tableau et font semblant de croire qu'il n'y a pas ici de la misère, de la pauvreté, de l'injustice, parfois aussi de l'ignorance, et de l'autre.. Non, tout cela existe, mesdames et messieurs, chez nous. Tout cela existe beaucoup trop. Il y a celles et ceux qui ont été frappés, dans leur esprit et dans leur corps et qui n'ont pas en fait les mêmes réalités d'existence, ni les mêmes droits reconnus que les autres. Il y a les laissés pour compte, des centaines de milliers et même des millions de gens qui vivent parmi nous, qui apportent leur travail et qui sont mis en accusation sur toutes les places publiques avec pour seule issue, messieurs allez-vous en !
- Contre cette injustice-là, moi je pose, je ne voudrais pas exagérer les termes, la souffrance que j'en éprouve, et la volonté que j'ai de dominer ces injustices pour que chaque Français et chacun de ceux qui viennent au foyer de la France se sentent plus heureux d'y être.
- Rien ne s'achève jamais. Quand se termine un mandat électif, quand s'achève ou se termine une -entreprise humaine, une oeuvre d'art, la fabrication d'un objet, quelle est la première réflexion de l'auteur de cette oeuvre ? Vous allez dire, c'est très au-dessous de ce que je voulais faire. Il faut recommencer ou bien, le temps n'est plus où l'on peut recommencer. C'est selon les tempéraments et les choix. Mais ce qui est vrai, c'est que, quel que soit le moment où une vie se déroule, on n'achève jamais. Evitons donc cette déception, trop répandue, d'une oeuvre imparfaite et sachons la laisser à d'autres telle qu'elle est.
- Si l'on a réussi à mettre une collectivité d'hommes et de femmes sur la route qui conduit au progrès, on a fait beaucoup. Quand on ne manque pas de forces pour accomplir, mettre sur la route qui conduit au progrès, on a fait beaucoup. Quand on ne manque pas de forces pour accomplir, mettre sur la route qui conduit aux temps futurs, alors, dans ce cas-là, si on a prétendu s'arrêter, poser le sac au bord du chemin, c'est qu'on n'était pas digne de mener sa fonction ou bien c'est qu'on a fait reculer l'ensemble de son temps. Tout exige, tout est effort. L'effort est la philosophie même de toute société. Un pays qui refuse l'effort est un pays perdu.\
Mais, on n'en est pas là, au contraire et, de ce bref voyage dans la Loire, je retirerai l'impression vécue, et vue de mes yeux, que les équipes sont là, que les relèves sont prêtes quand il le faut, que le travail se poursuit. Il appartenait sans doute à l'Etat d'apporter des éléments qui manquaient, quand il pouvait l'apporter. Vous avez bien voulu citer le plan textile. C'est vrai, on doit une très grande gratitude à un homme comme Pierre Dreyfus, qui a osé proposer ce plan à un gouvernement étonné, dans la mesure où il fallait trancher dans le vif et cependant sauver la vie même. Il n'y a pas, ai-je souvent répété, de secteurs ou de domaines perdus, il y a des entreprises qui se perdent, mais dans tous les domaines, si l'on sait moderniser à temps, former des jeunes, on peut toujours gagner. Simplement il faut changer de méthodes et c'est souvent le plus difficile.
- Le plan textile a réussi suffisamment pour que la France dispose encore d'une industrie textile, alors qu'il n'y aurait plus rien, et je ne développe pas ici un certain nombre d'autres réussites de la législature précédente pour la comparer aux autres. Je ne suis pas venu pour cela. J'ai mes convictions, je me suis engagé dans des responsabilités, aux autres d'en juger, ce n'est pas à moi.
- Je veux donc, dans cette dernière intervention publique, avant de vous quitter, bien signifier ma reconnaissance pour celles et ceux d'entre vous qui ont pris à bras le corps la difficulté d'être d'un département comme celui-ci, qui voyait s'abattre tous les moyens de sa fortune passée, tandis que l'on voit apparaître, surgir quelquefois, même achevées un certain nombre d'entreprises, d'industries complètement différentes mais qui font appel aux mêmes hommes, à celles et ceux qui ont tout de même été, dans le temps passé, les générations précédentes, d'admirables ouvriers, de courageux ouvriers ou artisans, des agriculteurs, connaissant leur métier et dont les fils ont dû, non pas abandonner la tâche du père mais en transformer les données.\
Je fais appel, mesdames et messieurs, à votre capacité de moderniser la France. Dans peu d'années `1992 ` Marché communautaire`, nous allons nous trouver cette fois-ci en plein dans la concurrence, sans pouvoir se protéger derrière les barrières de nos frontières, de nos frontières physiques ou naturelles, de nos frontières fiscales, douanières, de toutes sortes. Ce sera dur. Ceux qui vous promettraient le succès au bout de la marche sans attendre de vous des efforts rudes, vous tromperaient. Vous allez vous trouver là avec les Allemands qui chaque année, pour l'instant, ont un bénéfice commercial avec nous qui approche de 50 milliards, c'est-à-dire beaucoup plus que le déficit total de notre commerce extérieur. Notre voisin allemand mais aussi tous les autres. Nous sommes douze dans la Communauté : il y a les plus faibles, il y en a d'autres qui, dans certains domaines, sont plus forts. Nous le sommes dans quelques autres. L'épreuve de vérité n'est pas pour dans longtemps et pourtant, il faut le faire, car si l'Europe n'est pas construite, chacun des pays de l'Europe abordera la compétition avec le monde extérieur, occidental, d'Amérique ou d'Extrême-Orient, en situation de défaite assurée. Chacun de nos pays perdra sa chance dans l'histoire des hommes, dans l'histoire du monde s'il n'a pas l'audace de s'associer et de se fondre dans une construction supérieure où nous nous sentons, où je vous sens, capables d'assurer la permanence de notre identité. On n'effacera pas comme cela l'identité française, ni sa culture, ni ses modes de civilisation. J'étais là, tout à l'heure, arrivé dans votre ville, avant de venir vous rejoindre, ma foi, dans un lieu où il n'est pas facile de faire pareil, comme cela d'un seul coup sur quelques recettes apprises de loin. Dans ce cas-là, je ne suis pas le seul. Je ne vais pas venir ici chaque semaine, même si j'en avais le désir et puis je ne sais pas si ce serait une bonne méthode mais, malgré tout, l'art de la qualité, vous la retrouverez sans doute dans vos techniques de productique, partout, y compris chez ceux que je ne vois pas, qui tracent quelques traits sur un papier pour l'oeuvre d'art. C'est ce que j'ai vu tout à l'heure, à Saint-Etienne, juste en lisière de la commune de Saint-Etienne, ce nouveau musée, qui représente l'un des plus importants efforts que l'on ait pu connaître en France dans une ville de province, dans une ville éloignée des centres traditionnels, de Paris, où l'on avait l'habitude de concentrer tous les efforts de cette sorte. Bien, vous avez fait là une grande oeuvre.
- Je ne veux pas énumérer, ni vous faire une liste de compliments. Vous les méritez certainement. Si on y regarde de plus près, un certain nombre d'observations ne tourneraient pas dans le même sens. Je ne sais pas lesquelles, vous ne me les avez pas dites, je n'ai pas encore eu le temps. Laissez-moi rester ici une semaine et je verrai bien. De toutes façons, vous, qui gérez vos communes et vos départements, vous trouverez toujours assez de gens de la Loire pour vous dire ce qui ne va pas et pour expliquer qu'à votre place ils feraient mieux, ce qui au demeurant est peut-être possible mais que je n'oserai affirmer.\
Ainsi va la vie ! Si l'on n'a pas l'esprit assez ouvert pour comprendre que seule l'Europe sera le tremplin de la réussite française, comme elle le sera des réussites allemande, italienne, anglaise ou des autres, si l'on veut être présent dans les décisions d'où reléveront et la paix et la guerre, et la fortune et la détresse, et la chance et la malchance, et tant qu'il est possible l'approche d'un bel équilibre humain ou bien tout simplement l'approche du malheur, cela dépend de nous. Je voudrais que ce message soit partout entendu : "Français, cela dépend de vous ". Alors les lois qui vous ont déjà permis de mettre vous-mêmes la main à la pâte, d'être responsables là où vous vivez et là où vous travaillez ont ouvert le chemin. Il faut continuer dans cette trace, il faut rendre de plus en plus nombreux les Français responsables et l'on ne peut pas être responsable si l'on n'a pas le double -fruit de l'instruction et de l'expérience. Il faut donc accroître toutes les chances de l'instruction pour tous et accroître tous les moyens. L'expérience, elle, pourra se forger tout simplement à l'épreuve des faits.
- Vous avez évoqué, monsieur le maire `Jean Auroux`, quelques autres perspectives, disons d'un ordre plus élevé encore, qui touchent à la -nature des relations humaines et il semble en effet que dans votre ville et dans quelques autres on soit parvenu à dialoguer, à se parler. Cela ne fait pas changer forcément les opinions premières mais au moins peut-on distinguer dans celui d'en face un autre homme, une autre femme, également soucieux de bien faire et dont le choix initial peut s'expliquer par l'historique d'une famille, par l'historique d'une vie personnelle, par les obstacles rencontrés, par les injustices subies. Tout cela, c'est la -nature des choses.
- J'ai lancé un appel, trop souvent répété sans doute pour les médias qui nous écoutent, mais nécessaire dès lors que l'on est appelé à aller d'une commune à l'autre. J'ai commencé comme cela mon exposé de la mairie de Saint-Etienne. J'ai dit : "Eh bien voilà, il faut que chacun y mette du sien. Il faut que chacun y mette du sien selon ses capacités et ses moyens". Pour quoi faire ? Eh bien pour vaincre les premiers obstacles qui se proposent à nous, dont le premier et le plus grave est le chômage. Il faut y mettre du sien pour développer l'instruction, il faut y mettre du sien pour que réussisse l'entreprise, l'entreprise considérée non comme une abstraction mais qui se définit dans la réalité par une infinité de situations différentes. Il faut que les responsabilités, là encore, soient assumées par ceux qui en ont la charge mais aussi qu'elles soient partagées.
- Par exemple, lorsque l'on va être conduit à transformer les technologies, croyez-vous qu'il faille réserver aux scientifiques ou à l'ingénieur la connaissance de cette transformation ? Ne faut-il pas aussi appeler à dire leur mot ceux qui, avec leurs mains et leur esprit connaissent tous les secrets de la matière ? Ne faut-il pas davantage dialoguer au sein de l'entreprise autour des évolutions, des transformations techniques ? On pourrait en dire autant sur le -plan social. Cela, c'est un discours cent fois déjà dit mais je pense aujourd'hui que plus l'ensemble des travailleurs de toutes catégories seront amenés à prendre part aux débats des conseils d'administration - là où se prennent les décisions et mieux ce sera - monsieur le maire, vous avez donné votre nom, et après tout c'était justice, à des lois qui maintenant couvrent à peu près les deux tiers du terrain, qui ont été très critiquées, qui ont eu de la peine à s'implanter dans les entreprises. Je crois que c'était pourtant un bon signal et il est de plus en plus compris.\
`Suite sur le dialogue social`
- J'étais l'autre jour devant quelques milliers, peut-être un peu plus, de responsables d'entreprises et j'entendais l'écho de cette transformation qui est maintenant considérée comme acquise et bénéfique. D'autres sont capables de faire autre chose. Si c'est dans cette direction, chacun à sa façon, alors ne vous gênez pas, allez-y ! Il faut organiser ce dialogue, partout où l'on est. J'ai cité précisément tous les terrains. Il y a l'outre-mer ! Que de souffrance, que d'injustice et que d'incompréhension, qu'il faut absolument corriger si l'on veut que la France préserve son visage mais il y a aussi les intérêts français, ils sont également respectables et nul n'a le droit de s'en prendre à eux sans connaître l'histoire qui a voulu que des Français apportent leur contribution par leur travail, leur intelligence.\
Tout cela doit être mis comme cela, sur la table. Il faut que l'on sache de quoi on parle. Le dialogue : aujourd'hui, une crise qu'on n'avait pas connue depuis 60 ans, frappe tout le secteur boursier, donc le secteur financier, bouscule déjà le secteur monétaire, semble annoncer une crise économique contre laquelle on peut encore se dresser. Il est des moyens, s'il est des volontés et la première de ces volontés, c'est d'associer ceux qui seront conduits à dresser le mur sur lequel se brisera cette crise. D'abord en France, par une meilleure entente des différents éléments qui construisent le pays. Ensuite en Europe, je vous l'ai dit, plus loin avec nos partenaires du système occidental `SME` et plus quelques autres comme le Japon. Un système, un ordre monétaire international est non seulement indispensable pour assurer le développement des pays riches, ou dits riches, parmi lesquels il y a beaucoup de pauvres, les grands pays industriels mais aussi pour les deux milliards et plus maintenant d'êtres humains qui appartiennent à l'autre monde, au "tiers monde", dont nous avons besoin pour nos propres échanges. S'ils ont le plus grand besoin, qu'on leur tende la main aujourd'hui, simplement pour vivre demain.\
Tous les problèmes se mêlent en un seul. Ou bien on a l'esprit ouvert sur les autres, autres hommes, autres pays, autres continents, en sachant que notre planète est aujourd'hui toute petite et qu'il serait alors absurde, stupide, de mesurer ce qu'il reste à faire à la distance à accomplir. Ce n'est rien le tour du monde ! C'est désormais une promenade. Et nous raisonnerions comme si nous étions encore à la fin du XIXème siècle, et nous maintiendrions des systèmes économiques et sociaux comme s'il n'y avait pas eu l'avènement de millions de femmes et d'hommes de la classe ouvrière et du prolétariat, l'avènement à la capacité de juger, de décider comme les autres. Et nous vivrions comme s'il n'y avait pas, à travers notre continent de l'Europe, non seulement de notre côté, là, l'Occident, mais aussi de l'autre, une chance nouvelle. Un jour tous ces barrages, ces murs s'abattront, plus tôt que vous ne le croyez, et l'on redécouvrira une autre fraction de l'Europe où les mêmes sources de la culture, où les mêmes inspirations spirituelles, où les mêmes formes de l'art ont prévalu jusqu'à créer une civilisation dont nous sommes les fils. Vous voyez, il y a du pain sur la planche !
- Ce sera difficile. Donc il faut commencer tout de suite. On a déjà commencé, d'autres avant moi, j'obéis moi aussi au goût immodéré de dire avant, avant..., heureusement avec moi.. Lorsque j'entends d'autres tenir le même raisonnement, je deviens philosophe en disant mais j'ai déjà entendu cela. J'ai entendu cela au début de la Quatrième République par -rapport au système d'avant, à la fin de la Quatrième République par -rapport au début, au début de la Cinquième République par -rapport à la fin de la Quatrième, au milieu de la Cinquième République par -rapport au début, etc.. Et déjà aujourd'hui, j'entends s'élever la voix de ceux que je ne connais pas et qui jugeront la période actuelle en pensant que c'est à partir d'eux, cette page effacée, que commencera enfin le redressement de la France. Le redressement de la France, mesdames et messieurs, il a commencé avec les Français qui ont dû aborder les temps difficiles, les temps nouveaux, en faisant feu de tout bois, et ils ont été plus ou moins capables, ils ont plus ou moins réussi. Cela, c'est aux historiens de le dire, mais la continuité nationale a réussi à surmonter les césures politiques.
- Voilà, c'est tout ce que je voulais vous dire et, reprenant le fil de mon discours en son début, voilà l'idée centrale que je veux développer ici. Continuez d'être ce que vous êtes, continuez de servir les choix qui sont les vôtres, restez fidèles au meilleur de vos traditions. Elles ne sont pas les mêmes : assumez ces parts si diverses et parfois si contraires de notre histoire de France. Assumez le poids de ces contradictions, soyez même fiers de ce que vous êtes, et de la lignée dont vous êtes issus, quand je dis lignée, je pense à celle de l'esprit.\
Sachez seulement que nous ne gagnerions rien à ce que de cette diversité naisse d'irréductibles oppositions. Nous allons revivre une période qui ne sera pas commode, d'ici le mois de mai prochain `élection présidentielle` - le joli mois de mai, ça se chante comme cela aux Antilles, mais c'est une chanson douce et triste -. Croyez-moi, la période ne sera pas très facile, en raison des justes ambitions contradictoires qui vont solliciter l'attention populaire, avec la description de mirages tous plus séduisants l'un que l'autre. Vous jugerez, vous ferez comme vous voudrez. Moi, il faut que j'assume, la où je suis, j'ai été choisi, même si ce n'était pas dans l'esprit d'un certain nombre de Français, c'est tout de même de faire que cela se passe le mieux possible, qu'on ne tombe pas de crise en crise, qu'on n'ajoute pas à la crise qui vient de l'extérieur la crise qui naîtrait de l'intérieur et qui s'aggraverait. Je serai le dernier, vous avez pu le constater, à vous demander d'effacer ce que vous êtes, je viens de dire le contraire. La synthèse sera plus belle si tout le monde est là avec sa différence. Il faut quand même chercher la synthèse. J'ai essayé, croyez-moi, en 1981, et en 1986. C'est un sort qui m'a été réservé donc j'assure les transitions. Je ne sais pas pourquoi on m'a choisi pour cela parce que je ne suis par le tempéramment le mieux fait, étant entendu que moi aussi j'ai mes préférences. C'est comme cela, vous l'avez dit, vous Français - enfin 52 % d'entre vous, je n'exagère rien - mais les 48 % autres après tout, une fois que c'était fait, se sont dit : "il faudrait qu'il fasse comme cela". Et j'ai essayé de faire comme ça.
- Tenter d'apaiser, ou du moins de limiter, l'expression des passions et ne pas déborder votre journal de chaque jour - et on est gâté depuis quelques temps -, cette tâche ne sera pas la plus aisée. Et il y a encore six mois. Moi, je suis là, je tiendrai bon. Telles sont mes intentions. Je veux que la France se tienne bien dans cette phase difficile. Cette phase résulte des institutions. On sait, sept ans à l'avance, qu'il y aura un terme et l'opinion le sait. L'élection au suffrage universel, pour un pays aussi grand que la France, nécessite sans doute des prises de positions préalables, en temps voulu. Je crois qu'on ne peut pas éviter des phases de cette sorte. On ne peut pas non plus bousculer constamment les rendez-vous, les dates des rendez-vous pris, donc il faudrait mieux, autant que possible, s'y tenir. Si on ne peut pas, on verra bien. De toute manière, vous ne craignez rien et j'y penserai. Mais ce qui est vrai, c'est que vous, Français, essayez donc au moins, sur ce terrain-là, de m'aider, d'apporter bon sens et raison et pourquoi pas, même si ces mots détonnent en politique, un peu d'amitié ou de compréhension les uns pour les autres. Après quoi, le peuple choisira et, quand il aura choisi, eh bien mon successeur devra à son tour faire la part des choses et assurer, avec la césure politique, s'il y a une césure politique, la continuité nationale.
- Voilà pourquoi je vous dis vraiment, avec beaucoup d'assurance morale, beaucoup de tranquillité d'esprit, comme il m'est facile de le dire ici dans cette mairie,
- Vive Roanne,
- Vive le département de la Loire,
- Vive la République,
- Vive la France !\