12 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la cérémonie d'ouverture du Parc de la Villette, lundi 12 octobre 1987.

Nous allons procéder à une cérémonie qui consiste très simplement, comme on le voit, à remettre les distinctions qui leur ont été reconnues par la République, aux personnalités qui se trouvent ici devant moi, dans les deux grands ordres nationaux, ceux qui représentent et qui symbolisent le mieux la reconnaissance que l'on doit à l'égard de personnes qui, à des degrés divers, ont servi le pays. En l'occurence nous sommes à La Villette : une grande oeuvre a été -entreprise, elle est menée à bien dans des conditions qui doivent valoir la gratitude du pays. Déjà, pour ce qui touche à la Cité des sciences et de l'industrie, son architecture, sa composition, son contenu, on peut voir un degré de réalisation qui s'approche de l'achèvement. Pour le reste, on discerne des lignes de force, et pour ce qui me concerne, ayant vu les progrès à travers le temps, et n'ayant que la vue d'un amateur qui ne pénètre pas très exactement les plans dessinés sur un papier, je vois enfin aujourd'hui ce que c'est. Chaque chose se remet à sa place et s'y ajoute une esthétique que je ne pouvais pressentir et qui me paraît correspondre au désir que nous en avions.\
Seront donc distingués : Paul Delouvrier que j'ai la chance de connaître depuis les années d'avant-guerre, ce qui ne nous arrange ni l'un, ni l'autre, au temps où nous étions étudiants, malgré tout avec quelque avance pour lui. Et je l'ai vu à travers les décennies, son devoir accompli comme il convenait pendant la guerre, devenir l'un de ces hauts fonctionnaires appelés aux pires des tâches, qui pouvait même sortir de ce que je n'oserais pas appeler, le connaissant bien, son plan de carrière, puisqu'il fut affronté aussi à des problèmes humains qui ont pesé lourd sur la suite des temps. Il s'agit donc d'un homme qui a été appelé, la liste est trop longue pour terminer bref dans cet exposé, à des responsabilités de toutes sortes, essentiellement de gestion, d'administration, mais aussi de responsabilité au plus haut degré, et qui l'ont conduit en particulier à s'intéresser, mais ce n'est qu'une facette de son action, à l'urbanisme, à la construction, et à la construction répondant à des critères d'esthétique qu'il a toujours respectés. Voici que je lui remettrai la grande croix de l'ordre de la Légion d'Honneur, c'est-à-dire le degré suprême après lequel il ne pourra briguer de futures promotions, seraient-elles méritées.
- Donc, pour Paul Delouvrier, je crois qu'il n'y a pas de secret de ce qu'est l'administration de la France, de ce que sont les finances publiques, de ce qu'est la ville, la construction de la ville et des grands ensembles, voici l'apport de Paul Delouvrier qui a été président actif de cet établissement public et qui est toujours président d'honneur.
- Je dois dire que lorsque je suis arrivé à la Présidence de la République, j'étais très heureux de le trouver là, sachant la confiance que l'Etat pouvait lui faire.\
Maurice Lévy apporte à la construction commune pour laquelle vous êtes là, rassemblés, sans quoi cela n'aurait pas de sens, l'apport de la science, la connaissance des sciences, la pénétration des sciences. Physicien, ayant été aussi un homme qui met la main à la pâte, qui a joué un grand rôle dans notre connaissance et notre conquête de l'espace et ceci n'est qu'un aspect parmi beaucoup d'autres d'une carrière très remplie. A deux reprises, il a eu à prendre part, une part éminente, dirigeante, au développement de La Villette, et c'est bien parce que ses qualités étaient solides, reconnues, et à un niveau de compréhension et de perception rares, qu'on lui a demandé de conduire la Cité des sciences et de l'industrie, qui correspondait exactement à ses compétences certes, mais qui a dû j'imagine, avec les soucis que cela représente, lui en apporter quelques autres.
- Pour plusieurs d'entre vous, messieurs, vous arrivez aux termes, non pas de vos actions mais de celles qui furent consacrées au service de l'Etat. Je tiens donc à dire, comme je le ferai pour M. Goldberg, je tiens donc à dire à quel point la réussite d'une vie peut correspondre à la réussite du service que l'on entreprend.
- Et je l'ai dit pour commencer, l'Etat, la République, le pays, doivent vous remercier collectivement : particulièrement ceux auxquels je m'adresse doivent être remerciés collectivement d'avoir mené à bien jusqu'au terme qui leur était assigné, d'avoir ménagé en même temps les chances de l'avenir dans cette entreprise colossale que représente celle où nous sommes. L'administration, vue comme pouvait l'observer et la connaître Paul Delouvrier, la connaissance des arts et des techniques, comme pouvait la dominer Maurice Lévy, à quoi Serge Goldberg a naturellement ajouté sa connaissance pratique - bien entendu doublée d'une forte connaissance théorique - d'ingénieur des ponts et chaussées, de l'équipement, de tout ce qui consiste à construire, à édifier, à dessiner, à tracer le -cadre de la vie des hommes pour leur commodité, leur bien être y compris celui du regard. A la tête de l'établissement public de la Villette, la trace a été poursuivie, elle se poursuit en dépit des difficultés inhérentes à toute entreprise d'envergure, quoiqu'il ne faut jamais s'inquiéter outre mesure des difficultés que l'on rencontre. On ne les rencontrerait pas on se dirait qu'est-ce qui se passe ? Il faut donc avoir une ligne de conduite, une volonté, une claire vision de ce qu'il convient de faire, accomplir son devoir et ne pas s'occuper du reste. Le reste viendra tout seul, ce sera le témoignage déjà de notre temps, parce que j'espère que l'on ne mettra pas trop d'années pour parachever ce qui a été commencé. En tout cas des générations sauront qu'en cette fin du XXème siècle on a su voir grand et réaliser bien, dans le respect des finances publiques avec la connaissance et avec la pratique de la haute gestion, grâce à la connaissance particulière des arts et des techniques, avec la connaissance des pratiques dont je viens de parler, le difficile maniement des choses, des gens, des matériaux. Voici trois hommes qui méritaient bien d'être distingués, c'est ce que nous faisons aujourd'hui, une fois de plus dans leur carrière.\
Adrien Fainsilber est un architecte, tout le monde le sait et il a été chargé d'un projet à vrai dire surprenant, transformer une carcasse d'abattoir pour en faire un musée, une cité vivante, adaptée à ses nouveaux besoins qui n'étaient pas exactement ce qui était prévu au point de départ, que moi je connaissais parce que parlementaire de la Nièvre, j'étais devenu un spécialiste, non pas des abattoirs, mais malheureusement de ce que l'on y conduisait, et il m'arrivait de temps à autre de rencontrer les professionnels de ces métiers ici à la Villette. Je ne suis pas fâché que l'on y ait ajouté Fainsilber, cela donne une note différente qui a représenté un effort d'imagination et de conception esthétique dont j'imagine la rigueur, dont on pouvait douter et qui aujourd'hui provoque l'admiration des autres grands professionnels qui à travers le monde s'intéressent au progrès de l'architecture. Cette architecture-là est reconnue. Ce n'est d'ailleurs pas la peine de lire les revues d'architecture pour s'en rendre compte, de venir comme cela comme le feront des millions de gens, comme ont commencé de le faire des millions de gens qui viennent, qui regardent et qui se sentent à l'aise avec une construction dont on me disait, je ne sais pas si c'est tout à fait exact, que c'était à peu près quatre fois Beaubourg en volume - et Beaubourg, c'est déjà une très belle construction qui a exigé un sens des espaces raffiné et audacieux -, quatre fois, je crois que l'on en retire la même impression d'équilibre et d'esthétique à l'extérieur et à l'intérieur.
- On ne distingue pas si souvent que cela les architectes qui sont parfois méconnus : tant d'obligations techniques sont exigées que le rôle de l'architecte, du moins dans ce que je lis ici où là, paraît un peu estompé, alors qu'en vérité rien ne serait possible sans lui puisque c'est lui qui conçoit l'objet et qui le réalise. Je suis très heureux de pouvoir remettre cette distinction à un homme qui a ajouté quelque chose pas simplement à la ville de Paris dans un lieu historique, mais encore à notre pays.\
Je vais terminer par M. le Professeur du Conservatoire des Arts et Métiers dont je sais qu'il a apporté un élément humain sur la base d'une grande technique qui était indispensable. Paul Delouvrier m'en avait parlé dès le point de départ. Comment va-t-on faire, c'est tellement vaste, cela risque d'être un peu rugueux, on risque de ne pas très bien s'y reconnaître ? C'est fait pour qu'un immense public vienne se distraire en apprenant, et on risque d'exclure beaucoup de gens handicapés dont l'intelligence et le sens de l'art existe, dont la capacité d'atteindre au plus haut degré de la connaissance scientifique sont égales aux autres et qui seront ainsi punies d'avoir été frappés soit par la nature, soit par les accidents qui peuvent intervenir dans une vie. Nous vous devons beaucoup monsieur le professeur, beaucoup. Cette note humaine voulue par les fondateurs et par les dirigeants, il fallait quelqu'un qui pût apporter sa pratique des choses £ on ne peut pas faire cela sans avoir consacré une large part de soi-même, de son coeur et de son esprit. Je pense que la promotion dans l'ordre national du mérite n'est qu'un élément bien faible pour marquer notre reconnaissance.\
Annick Bouret est l'un des éléments du personnel de La Villette £ elle doit faire connaître, débattre avec ceux qui doutent et convaincre, expliquer. C'est un monde. Tout ce qui naît, tout ce qui crée, tout ce qui change, voit naturellement se dresser tout ce qui est refus, non pas forcément par manque d'intelligence mais par manque de sens d'adaptation. Le refus de l'innovation, des formes nouvelles d'esthétique, chacun d'entre vous a connu ces refus dans sa vie personnelle avec les formes nouvelles de littérature, de musique, de peinture, enfin de tous les arts. Il faut toujours faire un effort sur soi-même pour passer par-dessus la sclérose.
- J'imagine qu'Annick Bouret a dû dépenser beaucoup d'énergie en relations publiques pour arriver à faire admettre, à faire aimer, puis à faire venir du côté de La Villette, à faire venir, ce n'est pas toujours très facile surtout quand on dit que ce n'est pas très bien, cela complique la tâche alors que c'est très bien. D'ailleurs si on, je ne sais pas qui d'ailleurs, a pu dire cela ne marche pas bien, ce n'est pas très bien, cela fait le charme de toute discussion £ il y a les anciens et les modernes, et à travers toute l'histoire de France on en a toujours rencontré. Moi, je dis c'est très bien et quand cela ne marche pas autant qu'on le voudrait comme tout entreprise humaine, eh bien on corrige et on continue.
- Madame, vous l'avez dit avant moi, je me contente de répéter et donc j'essayai de faire valoir un peu ce qu'est votre rôle. Je l'ai fait avec d'autant plus le sentiment de rendre justice que j'ai connu, apprécié beaucoup apprécié M. Bouret parlementaire, Préfet d'un département voisin, qui a représenté pour moi un type d'homme d'une générosité peu égalable. Que le hasard des circonstances fasse qu'aujourd'hui je vous retrouve madame, ici, ajoute à l'émotion que j'éprouve d'être celui qui pourra vous remettre la distinction dont vous avez été l'objet.
- Voilà, nous allons maintenant procéder à la cérémonie elle-même, cela n'était qu'un hors-d'oeuvre qui n'est pas toujours prévu.\