10 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Montevideo, sur les liens culturels entre la France et l'Uruguay, samedi 10 octobre 1987.

Monsieur le maire,
- Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- En recevant les clefs de Montevideo, offre qui m'honore grandement, je pensais à quelques événements du passé.
- Vous le savez vous, mais tous les Français ne le savent pas, lorsqu'en 1724, deux ans avant que le gouverneur Chavala fonde votre ville, parmi les cinq habitants civils qui se trouvaient là, il y avait deux Français installés près du centre de la ville, près de ce qui est aujourd'hui la Banque de la République. Ces deux Français s'appelaient Jean-Baptiste Cailloix et Eugène Eustache. Et parmi les trois autres, il y avait le grand-père du général Artigas. Donc deux Français se sont trouvés associés intimement à la naissance de votre ville. Il est bon de raviver leur mémoire pour mieux marquer que dès l'origine, Uruguay et France, se trouvaient associés. Et cela a continué à travers le temps par une sorte d'interaction intellectuelle et esthétique.
- Le Président Sanguinetti me montrait hier plusieurs tableaux, dont les auteurs sont de grands peintres uruguayens et j'apercevais un esprit de famille, une ressemblance d'école artistique avec un peintre comme Bonnard. Et plus tard on aperçoit déjà les formes qui se brisent pour aller à l'essentiel de l'esprit des choses. On trouve parmi vos grands peintres les annonciateurs des temps présents.
- On connaît l'influence du grand Rodin sur la sculpture uruguayenne. Je relève une autre interaction sur le -plan de l'architecture, si l'on pense au rôle qu'a joué Carré auprès de vos propres créateurs. Et, passant par vos boulevards, j'ai bien remarqué l'institut d'architecture par lequel l'Uruguay et la France se trouvent également mêlés.
- On garde encore dans les ateliers et les galeries parisiennes notamment, la trace et la présence de quelques-uns des plus grands artistes de votre pays.
- Un monument, qui a été voulu par la France, à Montevideo, qui marque le souvenir des trois grands écrivains, nés dans cette ville et qui comptent beaucoup dans la littérature française : Jules Laforgue dont on célèbre le centenaire de la mort, Jules Supervielle dont les poèmes ont beaucoup marqué ma propre jeunesse et qui continuent d'être contemporains, et le troisième, le fameux Isidore Ducasse dit Lautréamont, devenu l'auteur de l'une des plus étranges aventures de l'esprit que nous ayons connues à la fin du siècle dernier `Les Chants de Maldoror`.
- La famille de ces trois écrivains venait du Sud-Ouest de la France, à peu près de la même région, aux alentours du Béarn. Tous les trois sont nés à Montevideo, tous les trois se sont exprimés en français, tous les trois sont aujourd'hui encore le signe vivant d'une grande communion de pensée et d'expression.
- Si je ne rappelle pas ici ces traces brillantes du passé, où le ferais-je ?\
`Suite sur l'interaction intellectuelle entre la France et l'Uruguay`
- L'histoire de l'esprit, c'est aussi notre histoire. La même interaction se révèle sur le -plan juridique. Les grands légistes urugayens et français recoupent très souvent leurs oeuvres, leurs pensées et sont les uns et les autres à l'origine de toute une école d'explication de la société.
- Cette intimité historique, intellectuelle, s'est perpétuée à travers le temps. Vous avez, monsieur le maire, relevé un certain nombre d'événements dont j'ai moi-même parlé hier, devant votre assemblée générale. Les Français continuent d'être très sensibles à cette évocation, je veux dire votre deuil de 1940 et votre joie de 1944 et entre temps la première reconnaissance officielle du Comité de la France libre, première amorce de notre libération nationale. Tout cela a été fait par l'Uruguay.
- Aujourd'hui encore, il y a votre décision de rendre l'enseignement du Français obligatoire, décision qui nous va droit au coeur, et puis votre participation à la commémoration du bi-centenaire de la Révolution. Et puis, ce qui va plus loin encore, ces femmes et ces hommes, ces enfants qui s'amassent le long des rues en criant aujourd'hui dans les rues de Montevideo "Vive la France". On ressent physiquement cette sorte de liberté qui anime vos compatriotes, personne ne les a conviés et tout le monde les a invités, je veux dire les grands témoins de votre histoire, de la nôtre, qui tous inspiraient cette foule, parfois composée de gens simples qui sans connaître le détail de cette histoire, crient naturellement "Vive l'Uruguay, Vive la France" parce qu'ils expriment ce que nous sommes.
- Vous avez évoqué à l'instant, monsieur le maire, monsieur le Président, quelques grands principes et prononcé de grands mots. Je sentais à quel point vous en éprouviez la densité, la force. Mais ces principes ne relèvent pas de l'invocation. Ces principes, mesdames et messieurs, vous les vivez. C'est pourquoi je me sens très honoré d'être aujourd'hui votre hôte, c'est pourquoi je remercie la ville de Montevideo.
- Vive Montevideo,
- Vive l'Uruguay,
- Vive la France.\