8 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur l'émigration aveyronnaise en Argentine, Pigüé, jeudi 8 octobre 1987.

Monsieur le Président de la République argentine,
- Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Invité par votre Président à visiter votre pays pour y célébrer l'amitié entre l'Argentine et la France, je voulais venir à Pigüe, faire connaître aux Français le nom de cette ville qui symbolise la force des liens humains entre nos deux nations. Où mieux qu'ici, en terre argentine, les femmes et les hommes de France ont-ils mis leurs efforts pour transformer la nature et créer une vie nouvelle ?
- Vous avez voulu créer, vous avez voulu que le souvenir de vos fondateurs fût partout présent, et c'est notre belle terre de Rouergue que je retrouve ici avec les hommes de la trempe de Clément Cabanettes, de François Issali, et de tous ces rudes Aveyronnais qui furent leurs compagnons. Partout le message est limpide : la misère n'est pas une fatalité si l'on sait être persévérant et faire preuve d'endurance, de ténacité, de courage.
- Oui, mesdames et messieurs, de tels hommes, vos fondateurs, méritent le respect et l'admiration qu'Argentins et Français nous devons aux vrais pionniers.
- Pendant le vol sur notre avion - le Concorde - qui m'a conduit en Argentine ainsi que tous mes compagnons de voyage qui sont ici autour de moi, j'imaginais ce qu'avait été le voyage de ces villageois aveyronnais il y a plus de cent ans, la foi en une nouvelle terre promise qui, sans doute, les animait, et la nécessité pour eux de vaincre les mille obstacles que la vie dresserait encore au bout d'un si long chemin.\
A peine les premières récoltes engrangées, les premiers malheurs climatiques affrontés, les pionniers, vos ancêtres et vous-mêmes, vous avez parié sur la mécanisation et créé l'une des premières usines agricoles de l'Argentine.
- Eh bien, vous tous qui êtes venus manifester votre sympathie à notre égard - je veux dire à l'égard de la France - sachez que cette volonté de se tourner vers l'avenir est plus que jamais celle du premier pays de vos ancêtres, celle de la France, la France de la fusée Ariane ou de l'avion Concorde, de l'Airbus et du TGV, la France qui vous invite à découvrir la Cité de la Science, comme le Musée d'Orsay, le Centre Pompidou, comme le Louvre et bientôt le Grand Louvre, un pays qui reste celui de Lamartine et de Victor Hugo, de Balzac et de Zola, mais qui sait aussi que son avenir et son indépendance passent par la maîtrise des hautes technologies.
- Je salue l'esprit de solidarité qui règne à Pigüé. Nous étions à l'instant au siège de la Société de Secours Mutuel, la Fraternelle créée, ai-je bien vu, en 1891. Et n'est-ce pas ici qu'est né en 1898 la première coopérative agricole de l'Amérique latine ?...
- Votre ville demeure à l'avant-garde, en Argentine, de la coopération et du mutualisme. Ainsi à quelques 12000 kilomètres de leur village aveyronnais, mes compatriotes ont-ils su se rassembler pour faire face à l'adversité et pour retrouver la fraternité qui, seule, donne sa dimension à l'épanouissement individuel.
- Je vous sais très fiers, ô combien, d'être argentins. Mais qu'il soit permis au Président de la République française de remercier les descendants de Clément Cabanettes et de ses compagnons pour leur fidélité. Merci pour avoir été à nos côtés, dans la joie comme dans la peine, dans la guerre comme dans la paix, merci pour ceux qui sont revenus combattre et parfois mourir à nos côtés, merci d'être à la fête avec nous chaque 14 juillet depuis 1885 !
- Et c'est vrai que vous commémorez la prise de la Bastille, dans un pays, le vôtre, l'Argentine, où l'esprit de l'Encyclopédie, la France de la grande Révolution et de la nuit du 4 août ont inspiré les pères de cette patrie qui naissait en 1810. Le Général Jose de San Martin, lui-même, aimait à lire et à commenter les écrits de Rousseau, de Voltaire, de Diderot, de Montesquieu qui l'avaient accompagné tout le long de son épopée à travers les Andes.
- Vous avez célébré le centenaire de votre fondation le 4 décembre 1984. Le Président Alfonsin était venu lui-même commémorer avec vous cet anniversaire que vous aviez voulu, monsieur le maire, placer sous le signe de l'amitié avec la France. Des centaines d'Aveyronnais avaient alors fait le voyage et retrouvé ou découvert leurs cousins argentins, donnant ainsi un élan nouveau à cette relation fraternelle. Et voilà que, comme un signe de l'histoire, beaucoup de Français, croyez-le, en ce 10 décembre 1983, se sont sentis, monsieur le Président et vous mesdames et messieurs, très proches de vous, de vous tous Argentins, parce que la démocratie retrouvée, c'est le plus vigoureux des maillons qui unisse par delà les mers et le temps les hommes de bonne volonté.\
J'ai entendu votre appel, monsieur le Président. Ce que vous venez d'exprimer à Pigüé, ce que nous avons tous retenu comme une leçon. Rien ne se fera, rien, sans courage et sans patience £ c'est une leçon universelle. Quand le moment est difficile, alors on serre les dents et on gagne. Je suis venu vous apporter le salut de la France, mais pas seulement un salut pour la cérémonie le salut qui vient du coeur et de la raison, celui qui veut que mon pays s'associe à ceux qui le voudront pour contribuer au développement et au bien-être des pays qui, comme l'Argentine, doivent supporter la dureté de la crise.
- Je vous remercie, monsieur le Président, de tout ce que vous avez fait pour que l'accueil fait par l'Argentine aux Français qui sont ici soit le meilleur possible.
- Je vous dis à vous tous : bonne chance, réussissez dans vos efforts. Vive la démocratie !
- Vive Pigüé !
- Vive l'Argentine !
- Vive la France !\