5 octobre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, pour le centenaire de l'Institut Pasteur, sur la recherche et l'éthique médicales, Paris, lundi 5 octobre 1987.

Monsieur le président,
- Mesdames et messieurs,
- Je suis heureux d'ouvrir, en votre compagnie, la semaine du centenaire, du premier centenaire de l'Institut Pasteur. Je me trouvais déjà parmi vous, ici, il y a quelques années, lorsque nous avons inauguré les nouveaux bâtiments d'immunologie. Et j'aimerais pouvoir suivre toujours de plus près les travaux passionnants, les travaux si utiles qui sont conduits dans cette maison.
- On vient d'en retracer les principaux épisodes, les grandes découvertes. On ne nous a pas dit, sans doute par discrétion ou modestie, ce que cela représentait de constance et de continuité. Sans doute aussi la somme des échecs qui seuls permettent les réussites £ et donc la patience, la ténacité nécessaire à la vie quotidienne du chercheur qui sait bien, ainsi que cela vient d'être dit, que ce sera peut-être un autre, ailleurs - peut-être moins préparé mais qui se trouvera dans les exactes conditions de ce que l'on appelle l'invention - qui, à sa place et plus tôt que lui, découvrira ce qui permettra de mieux guérir et de mieux soigner les hommes un peu plus tard.\
Au travers de ce qui a été dit, vous avez pu noter, bien entendu, quels étaient les caractères essentiels de cet Institut, depuis la personne étonnante et remarquable de son fondateur, l'une des personnalités les plus complètes que la France ait connue. Quand je dis la France, c'est parce qu'il était Français, mais le monde entier se reconnaît dans l'oeuvre de Pasteur. Et puis cette tradition qui s'est créée autour de lui, de son vivant, puis après lui jusqu'à ce jour, et qui fait, on l'a remarqué, que le pastorien est un personnage, sinon à part, du moins singulier. Des pastoriens se reconnaissent partout dans le monde, à la fois par leurs méthodes de réfflexion, d'investigation, par leur souci d'allier toujours et la recherche et la pratique, le chercheur et le praticien, de développer les réussites de la science en les associant à leur traduction industrielle. Bref, de ne pas se cantonner dans la connaissance d'un savoir et dans son perfectionnement, et de parvenir à partager, à faire connaître et à développer, non seulement ici, chez nous, mais partout où les pastoriens sont allés, où on retrouve la trace solide de cette tradition. Le film que nous avons vu à l'instant, celui de Frédéric Rossif, nous montrait bien comment, dans un Institut associé, comme celui des environs de Dakar - mais il en est beaucoup d'autres - s'est perpétuée cette constance dans les méthodes de recherche et puis d'application.
- Vous avez dit vous-même, monsieur le Président, de quelle façon, avec la biologie moléculaire, on avait élargi le champ de la recherche et de la connaissance. Et c'est vrai que toutes les formes de bio-génétique aujourd'hui connues apparaissent comme un immense champ exploratoire et permettent déjà d'imaginer de quelles façons l'humanité verra apaiser ses angoisses, apaiser ses souffrances, grâce à l'esprit de celui qui cherche, grâce à la ténacité du médecin, de celui qui guérit, grâce aussi à la chaîne qui, à travers les générations, a su créer autour de cet institut et de quelques autres, une somme de connaissances inappréciables. Et comme l'Institut Pasteur n'hésite pas, ce qui est tout à fait, de sa part, ouvert et généreux, à traiter avec les autres instituts, sans aucun sentiment de fermeture sur soi-même, les moyens à mettre en oeuvre et les résultats de ces recherches, on peut dire que l'Institut représente l'une des colonnes sur lesquelles repose la société médicale française, la société scientifique française.
- Il suffit de se reporter aux grands noms qui se sont succédés à sa direction, à sa présidence, - et d'une façon peut-être moins connue à la tête des laboratoires - pour savoir que nous nous trouvons devant l'armorial de ce qu'en un siècle la science médicale et la recherche française, biologique, génétique ont permis de connaître.\
En avancant, mesdames et messieurs, vous levez à chaque pas de nouveaux problèmes. Ce sont les problèmes que l'éthique associe tout aussitôt à la science. On ne peut se contenter d'inventer, de créer de nouveaux moyens du savoir et les laisser aller ainsi au hasard des sociétés. Nous voici donc nous tous appliqués à prolonger votre oeuvre en accord avec vous pour que par différentes réflexions, différents organismes ou institutions, nous soyons mis en mesure en France et partout sur l'étendue de la planète, de traduire en termes moraux, en termes d'éthique cette nouvelle et étonnante maîtrise qui pourrait faire de l'homme le maître de l'homme. Mais dans quel sens ? Et là est bien la marque de toute civilisation. Que fait-on de ce que l'on sait ? Est-ce un moyen de suprématie, est-ce un moyen de domination ? Va-t-on répondre aux rêves fous ?
- Parce que moi je pense qu'il est fou, et je ne suis pas le seul dans cette salle, celui qui permettra de modeler l'homme à sa convenance ou qui pourrait croire qu'au travers de quelques codes génétiques, la carte génétique, on arriverait à percevoir exactement la carte d'identité de l'homme. Ce n'est pas de la somme des éléments qui le composent que naît la vraie personnalité de chaque individu. Il y a donc là une tâche immense qui engage d'abord les démocraties, c'est-à-dire les régimes où l'on associe tous les savoirs, toutes les connaissances, toutes les capacités, tous les potentiels, où nul n'est exclu du moyen non seulement de connaître la science mais aussi d'en tirer avantage. Voilà à quoi nous nous sommes appliqués. Il existe un Comité national d'éthique qui ne rassemble pas que des chercheurs des spécialités qui relèvent de l'Institut Pasteur, et qui associe toutes les formes de recherches intéressant l'homme dans les variétés de son existence, depuis le juriste jusqu'au médecin bien entendu, mais aussi celle ou celui qui a pratiqué la connaissance des enfants, des angoisses et des perplexités devant l'âge de la vieillesse ou bien devant la mort. Ce Comité national d'éthique, nous sommes en train, et Mme le ministre `Michèle Barzach` s'y applique, de lui donner un rayonnement mondial, ou plutôt d'étendre au niveau mondial à l'exemple de ce qui a été fait ici, une capacité de disposer d'un comité international auquel d'ailleurs les chefs d'Etat répondent avec vraiment beaucoup d'enthousiasme, qui permette d'essayer de saisir, autant qu'il est possible, l'ensemble des problèmes qui naissent déjà et qui naîtront au siècle prochain, des formidables avancées, mesdames et messieurs, que nous vous devons largement.
- Voilà ce qu'il faut associer si l'on veut dominer le meilleur de nous-mêmes et faire que l'homme aux prises avec lui-même comme avec les autres ses contemporains, cherchera à gagner dans le beau sens du terme sa vie, faire que sa vie ait un sens, d'abord qu'elle dure, pas à n'importe quel -prix mais au moyen des techniques et des thérapeutiques étudiées ici même. Alors que pour cela, mesdames et messieurs, il n'y a plus de spécialité : ici on apprend, ici on cherche, ici on soigne, ici on redistribue le savoir, ici on garde les yeux grands ouverts sur les besoins du siècle qui vient. Je souhaite, mesdames et messieurs, monsieur le Président, que le siècle qui commence soit aussi riche de découvertes et d'enseignements que celui qui s'achève.\