24 septembre 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue des manoeuvres franco-allemandes, sur la coopération militaire et l'éventualité d'un conseil de défense entre la France et la RFA, à Ingolstadt jeudi 24 septembre 1987.

Mesdames et messieurs, je n'ajouterai pas grand chose à ce qui vient d'être dit par le Chancelier Kohl.
- Nous venons d'assister à des manoeuvres importantes, d'une importance jamais vue dans les relations franco-allemandes, - le deuxième corps d'armée allemande et la force d'action rapide française relevant de notre première armée - afin de remplir trois objectifs : le premier, mesurer la capacité de défense de l'armée de terre allemande £ le deuxième, mesurer la capacité d'engagement auprès de notre allié de la force d'action rapide française £ le troisième, mettre en pratique et donc vérifier la capacité de coopération des deux armées.
- Les conclusions seront tirées de ces quatre jours de manoeuvres. Nous avons pris part ou assisté à la dernière phase. Les journalistes ici présents qui connaissent bien les problèmes et les techniques militaires peuvent déjà tirer leurs propres conclusions. L'ensemble de nos opinions en sera saisi d'ici peu.
- Nous avons vu une sorte de simulation sur le terrain et à grande échelle sur le point suivant : pour la France, comment venir en aide à son allié ? Cela ne modifie en rien les données de base, c'est-à-dire la relation particulière de la France avec le commandement intégré de l'OTAN, les données nucléaires que détient la France, et qui elles aussi restent inchangées. La question est : de quelle façon la France vient-elle en aide à son allié, comme dans d'autres circonstances on pourrait vérifier de quelle façon les alliés dans leur ensemble se viennent en aide mutuellement.
- Il n'y a donc pas de modification dans les données stratégiques. Il y a une mise en pratique très importante, particulière, on pourrait même dire privilégiée, dans la démarche franco-allemande sur le -plan militaire.\
Bien entendu, à partir de manoeuvres `militaires` de ce type, se pose la question du développement de la relation franco-allemande et de son -cadre.
- La conversation que j'ai pu avoir avec M. le Chancelier de la République fédérale a complété ce que l'expérience venait de démontrer. Nous avons parlé du récent passé, nous avons parlé du proche avenir, et de quelle façon nous userons de nos rencontres multiples. Je les rappelle : ma visite d'Etat en République fédérale dans moins d'un mois, le 50ème sommet franco-allemand à Karlsruhe, l'anniversaire du traité de l'Elysée de 1963 avec cet article délaissé jusqu'en 1983, précisément sur la coopération militaire et que nous avons mis en vigueur, le Chancelier Kohl et moi en 1983. De quelle manière allons-nous prolonger ce resserrement de l'accord de l'amitié, de la démarche franco-allemande ? Voilà la question. On peut l'envisager sous l'angle militaire. Il le faut. C'est ce que nous faisons et nous en avons parlé, le Chancelier et moi. On peut aussi à partir de l'accord militaire examiner de quelle manière resserrer les démarches politiques, avec leurs conséquences économiques. On ne peut pas isoler un problème des autres.
- Mais je constate une fois de plus que nous avançons, on pourrait même dire que nous avançons à bonne allure. La journée d'aujourd'hui est de ce point de vue une étape très utile et je remercie les autorités allemandes et particulièrement le Chancelier pour les conditions dans lesquelles, ils ont reçu leurs hôtes français depuis ce matin et de quelle façon ils ont préparé au cours de ces quatre derniers jours, les manoeuvres dont nous avons été les spectateurs.
- Je vous remercie. Je pense que mesdames et messieurs les journalistes, vous pouvez poser maintenant les questions de votre choix.\
QUESTION.- Quel serait le rôle des armes préstratégiques nucléaires, c'est-à-dire les Plutons ou le système Hadès dans le système de défense franco-allemand, le système futur ?
- LE PRESIDENT.- Cela dépendra de l'ensemble des accords qui seront passés. Mais pour l'instant, la stratégie française est tout à fait fixée. Tout ce qui relève du nucléaire obéit à une stratégie de dissuasion qui forme un tout, et dépend de la décision française au plus haut niveau, du Chef de l'Etat. En raison des accords que nous avons passés en 1986, au mois de février `47ème sommet franco-allemand le 28 février 1986`, nous avons établi un système qui permet de nous tenir mutuellement informés, le Chancelier et moi-même.\
QUESTION.- Les deux super-puissances vont se mettre d'accord sur l'élimination des missiles de moyenne portée, quelle conclusion en tirez-vous pour la sécurité occidentale et plus particulièrement pour la collaboration militaire conventionnelle franco-allemande ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien moi, je me réjouis tout à fait de la perspective d'accord qui vient d'être proclamée entre les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique à propos des forces nucléaires de moyenne portée. Je m'en réjouis tout à fait. Ce sont des armements nucléaires en moins. Il en reste beaucoup d'autres et le fait qu'il y ait de l'armement nucléaire en moins est, en soi, une bonne décision.
- Je n'oublie pas que les armes intermédiaires à moyenne portée américaines qui sont en France `fusées Pershing` et qui ont été nécessaires pour rétablir un équilibre qui s'était rompu entre 1979 et 1983 sont des armes qui portent bien leur nom, c'est-à-dire intermédiaires, tandis que les SS 20 soviétiques de par leur portée et de par leur puissance, pouvant atteindre n'importe quel point de l'Europe, avaient une valeur stratégique. Je suis heureux des les voir disparaitre. J'ai déclaré dès le point de départ mon plein accord sur les deux options, dites option "zéro".
- J'ai toujours estimé qu'il appartenait à la République fédérale de déterminer sa décision sur le -plan des armes qu'elle détenait ou qui relevait des deux autorités conjointes : américaine et allemande. Ce n'était pas de l'ordre des décisions ou de propositions de la France.
- De l'armement en moins ne signifie pas pour autant qu'il faille en rester là. Et je me réjouirai plus encore si les Américains et les Russes décident de s'attaquer, comme on le dit parfois, on l'a dit à Reykjavik, aux armements stratégiques. On parle même de 50 %. Eh bien, tous mes voeux vont dans ce sens.\
QUESTION.- Qu'en est-il de la rumeur selon laquelle vous auriez proposé ou vous pourriez proposer au Chancelier une sorte de conseil de défense entre la France et l'Allemagne qui serait la traduction politique du resserrement des liens militaires ?
- LE PRESIDENT.- Vous êtes bien informé, je le vois, il est exact que des conversations ont lieu sur ce sujet. C'est une perspective, une déclaration d'intention qui a déjà été esquissée par le Chancelier et moi-même, ou suivie par nos collaborateurs. Mais nous en sommes aujourd'hui à ce que l'on pourrait maintenant appeler la négociation. Comment mettre en oeuvre sur ce terrain, beaucoup plus précis qu'il ne l'a été jusqu'ici, comment coordonner la décision ? Comment harmoniser les analyses dans le domaine de la sécurité, de la défense, de la recherche, des armements, de l'organisation et de l'emploi des unités mixtes ? Il faut bien qu'il y ait à la tête de tout cela une organisation ou un échelon responsable. Là-dessus, toujours pour cette déclaration d'intention, nous en sommes d'accord et nous le voulons.
- La négociation doit s'organiser, laissant bien entendu aux deux partenaires le soin de faire prévaloir leurs vues au cours de cette négociation, de cette conversation-négociation. Et à partir de là, des problèmes connexes se posent.
- Comment insérer dans les stratégies - celle de l'alliance et celle de la stratégie autonome de dissuasion française - un développement de cet ordre ?
- Comment aussi faire qu'il n'y ait pas qu'une avance de type militaire dans la relation franco-allemande ? Car il faut bien faire avancer en même temps les données politiques et économiques, sans quoi cela n'aurait pas beaucoup de sens.
- Et puis enfin, troisième ordre de problèmes qui doivent être étudiés posément : cet accord franco-allemand qui se situe dans le -cadre d'un traité d'une très grande importance, le traité de l'Elysée, revivifié 20 ans plus tard, en 1983, peut ne pas intéresser seulement l'Allemagne fédérale et la France. Déjà certains autres pays - je pense à l'Espagne, et on me disait, l'Italie, et pourquoi pas d'autres que je ne cite pas, parce que je ne suis pas au courant de leurs intentions - diront : "mais pourquoi ne participerions-nous pas au renforcement du noyau de défense européenne commune ?".
- Voilà, cela fait beaucoup de problèmes qui se posent en même temps. Mais, s'il s'agit de l'intention, et d'un commencement de discussion, lequel à déjà eu lieu, et continue, je ne démentirai pas votre information.\
QUESTION.- (question au Président en allemand).
- LE PRESIDENT.- La France est membre de l'OTAN, de l'Alliance atlantique. Pardonnez-moi de le rappeler. Elle n'est pas membre du commandement intégré de l'OTAN. Elle a donc une stratégie autonome, la stratégie de dissuasion, ce qui n'empêche pas qu'elle a contracté des obligations à l'égard de ses alliés. La sécurité de la France repose sur ces deux piliers : l'Alliance et la stratégie autonome de dissuasion. Ce qui a été accompli aujourd'hui et qui tend au renforcement de l'accord entre deux pays membres de l'Alliance, l'Allemagne fédérale et la France, ne contredit en rien le fait que cette démarche franco-allemande allant vers un noyau spécifiquement européen se déroule dans le -cadre de deux pays membres fidèles de la même alliance.
- L'Alliance n'a pas interdit les démarches particulières et celle de la France est d'autant plus aisée que nous n'appartenons pas au commandement intégré. Alors, ne me posez pas de questions sur les intentions du commandement américain qui s'exerce dans le -cadre de l'OTAN intégré. Quand vous aurez l'occasion de le rencontrer, vous lui poserez la question.\
QUESTION.- (question en allemand).
- LE PRESIDENT.- J'aurai l'occasion de m'exprimer d'une façon que je crois très claire sur ce point délicat. Il y a les forces de l'OTAN tout à fait à l'avant, c'est-à-dire aux frontières. La France n'en est pas, pour les raisons que nous venons de dire avec mon précédent interlocuteur.
- L'armée française se trouve située sur une ligne qui avait été définie au temps du général de Gaulle, en arrière de la ligne des frontières. J'ai moi-même considéré que cette ligne pouvait être modifiée et pouvait se rapprocher, sans se confondre, avec l'organisation de l'OTAN aux frontières. Il s'agit donc bien, en effet, d'une situation de réserve proche. Et je crois avoir même écrit que je ne concevais pas que dans le cas d'un conflit, dès lors que nos alliés de l'OTAN seraient agressés, dès lors qu'il y aurait péril immédiat, pour nous tous, mais en commençant par notre amie, la République fédérale allemande, que l'ordre du Président de la République française pourrait être de dire à cette armée : "retirez-vous ", alors qu'il est évident que le devoir de la France serait de venir en aide à ceux qui sont ses alliés. Quelles que soient les subtilités du langage, quelles que soient les différences de stratégie, la France considère comme un devoir d'être aux côtés de ses alliés. Simplement, les démarches, précisément dans le domaine nucléaire exigent - puisque nous sommes une puissance nucléaire, nous, en France - une analyse et une démarche particulières déjà si souvent définies que je vous épargnerai une explication supplémentaire.
- Lorsque nous discutons avec nos amis allemands, comme c'est le cas actuellement, d'un renforcement de notre accord, d'un éventuel conseil de défense, d'accords connexes sur les sujets que j'ai énumérés lorsque M. Lefevbre m'a posé sa question, cela sous-entend toujours, mais on ne peut pas le répéter au risque de vous lasser en toutes circonstances, que cela s'exerce dans le -cadre de l'Alliance et que les thèmes essentiels et les lignes de force de notre stratégie française n'en sont pas modifiés.
- Simplement, la France et l'Allemagne rapprochent de plus en plus et leur façon de concevoir et leur façon d'agir.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pouvez-vous entrer un peu plus dans le détail des mesures que vous avez arrêtées avec le Chancelier Kohl pour faire suite à ces manoeuvres "Moineau hardi", sur le -plan concret ?
- LE PRESIDENT.- Non, sur le -plan concret j'ai fait des déclarations d'intention qui n'ont d'ailleurs pas attendu ce jour pour être débattues. Nous en arrivons, et le Chancelier Kohl vous en a donné les prochaines étapes, au moment où, précisément, les négociateurs classiques, ceux qui sont normalement chargés par les Etats de mener ces négociations, vont devoir le faire. Cela sera fait dans les tout prochains mois. Et la réponse vous sera apportée à ce moment-là.
- QUESTION.- A-t-il été décidé de faire d'autres manoeuvres "Moineau hardi" dans les mois ou années qui viennent ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'a pas été décidé, parce que cela n'avait pas besoin de l'être. Dès lors que nous avons commencé de faire des manoeuvres communes - bien avant aujourd'hui, elles ont pris une ampleur considérable cette fois-ci -, cela ne peut aller que dans ce sens-là.
- Il y aura de plus en plus de forces et d'engagements communs à la France et à l'Allemagne fédérale, dès lors que l'on parlera de la sécurité commune.\