9 juillet 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'inauguration de la nouvelle bibliothèque municipale et de la statue du sculpteur César, à Clamecy (Nièvre), jeudi 9 juillet 1987.

Monsieur le maire et cher ami,
- Mesdames et messieurs,
- J'ai toujours observé l'effort, que je crois remarquable, des élus nivernais qui, avec l'administration, veillent au progrès constant des équipements de ce département et donc, des communes qui le composent.
- Je peux avoir de ce paysage une vue panoramique, depuis la fin de la dernière guerre mondiale. On peut aisément supposer lorsqu'on est plus jeune ce qu'a pu être cette période où les destructions, l'abandon des champs et des usines, les pertes humaines, avaient conduit la France à connaître l'un des moments les plus difficiles de son histoire. Il fallait reconstruire et pour cela rassembler les énergies. Il fallait gérer un Etat vacillant. Il fallait en même temps restituer aux générations qui venaient leur propre originalité, de telle sorte qu'elles ne soient pas prisonnières des thèmes esthétiques ou des types choisis par la génération à laquelle j'appartenais, tout juste, elle-même, ouverte au monde futur sur les débris de l'ordre ancien.
- Cet effort de plus de 40 ans a été poursuivi avec constance et volonté. J'ai pu y prendre une part directe jusqu'à une époque récente, je continue, assurément, de m'y intéresser, de donner le coup de main quand cela est possible, laissant à d'autres le soin - et c'est justice - d'assurer la maîtrise d'oeuvre, une conception de ce que doit être désormais la Nièvre.\
Je suis heureux de saluer, ici, précisément, la relève. Encore sont là, heureusement, quelques-unes et quelques-uns de ceux qui ont construit, de ceux qui ont fait accéder la Nièvre aux temps modernes. Ils sont là, vigilants, et leurs conseils sont écoutés. Ils n'ont rien perdu de leur ardeur. Mais je me réjouis de voir cette relève, des maires, des conseillers généraux, des conseillers municipaux, des élus nationaux, une administration très fermement attachée à réussir l'oeuvre commune, bref un bon climat psychologique, un bon climat humain, dans un environnement qui reste difficile puisque nous connaissons, spécialement dans la Nièvre, comme dans la plupart des départements d'origine rurale du Bassin parisien, les effets douloureux de la crise de l'emploi, c'est-à-dire de la crise de l'industrie ou plus exactement encore, de la difficulté qu'ont les gouvernants à réduire la distance qui sépare la société industrielle ancienne de la société industrielle nouvelle. Et dans notre département comme ailleurs, nous avions, nous possédions beaucoup d'industries anciennes - surtout des industries lourdes - qui se sont très rapidement révélées mal adaptées aux réalités commerciales, aux échanges, aux besoins, soit du pays, soit du monde extérieur.
- Mais nous avons donc dû faire l'effort de préparer le moment où la Nièvre serait dotée d'un instrument meilleur, puisque désormais capable de répondre à la demande des habitants de ce pays et à la demande mondiale. Nous avons, ici, des entreprises dont le don, la réputation, la production sont connus dans le monde entier. Encore s'agit-il d'un petit département, d'une faible population, dont les équipements majeurs ne peuvent être comparés à ceux des grands centres industriels, et cependant, cet équilibre - recherché par ceux qui ont la responsabilité de ce département et de ces communes - a été respecté. On se modernise, on se transforme, on préserve le meilleur des traditions, on assure la continuité et l'on regarde les yeux bien ouverts le temps qui s'ouvre.
- De ce point de vue, l'oeuvre à la fois très réelle et très symbolique de César, s'inscrit très heureusement dans cette perspective. Elle signifie une oeuvre importante d'un grand artiste, d'un grand créateur contemporain et son nom, sa signification - homme de futur -, sa représentation esthétique marque bien que tel est le choix, au-delà de l'artiste, de ceux qui ont voulu qu'elle figurât désormais dans l'armorial nivernais, au centre de ce quartier nouveau que j'ai vu naître.\
Je n'ai pas grand peine à me souvenir de ce Clamecy, réparti dans ses quartiers, lesquels quartiers étaient eux-mêmes organisés - je suppose que cela continue d'une certaine manière - de telle sorte que de temps à autre, ensemble, ils réalisaient l'unité de la ville, mais aussi assez souvent ils estimaient, chacun, avoir droit à un destin particulier. L'originalité de chaque quartier de Clamecy est très typique dans un département comme le nôtre et caractérise cette ville très riche d'histoire, particulière, très attachée à ce qui fut et cependant, on le voit bien, tout à fait prête à aborder le temps qui vient.
- Les constructions qui ont été réalisées au cours des dernières décennies, et particulièrement au cours de ces dernières années, ont permis de relier ces quartiers, de recréer un centre de la ville. J'ai eu la joie de le constater, aujourd'hui, ce matin, comme vous-mêmes, mesdames et messieurs, autour de la salle polyvalente et dans l'espace très aéré qui se trouve tout autour, où figure la nouvelle sculpture et les premiers lotissements, si l'on peut appeler ainsi ces jolies maisons qui sont accessibles à des foyers modestes. Ceci compose aujourd'hui un paysage central pour Clamecy où l'on sera - je l'espère, je le crois - heureux de vivre. C'est l'ambition de la municipalité, l'ambition du maire, il m'en parlait encore tout à l'heure. Et ce lien entre plusieurs quartiers de la ville pourrait étendre la constatation à d'autres endroits. Tout cela montre que Clamecy reste bien décidée à vivre comme une petite mais forte ville, ayant connu les regrets et les inquiétudes devant l'effondrement d'anciennes structures, et en même temps, je crois, surtout depuis deux ou trois années, devenue apte à cette transformation, à demeurer cette petite ville active, vivante et pourquoi pas florissante dès lors que l'on aurait réuni toutes les conditions.
- Ce quartier nouveau, cet aménagement d'un très bel hôtel royal, ancien, dont on me disait qu'il était proche de la disparition, permet à des jeunes gens, des adultes, des anciens, de lire, écouter - écouter de la musique -, de se rencontrer peut-être tout simplement et j'ai remarqué avec intérêt cette nouvelle technique très intéressante des prêts d'oeuvres qui pourront séjourner un certain temps dans les maisons particulières pour revenir ensuite au musée, enfin à la maison commune, puisqu'ils appartiennent à la communauté.
- Voilà beaucoup d'idées, de réalisations qui méritent le respect et l'admiration. Il faut quand même mesurer pour en juger la modicité des moyens dont dispose une commune comme celle-ci qui approche de 6000 habitants !\
Sans vouloir mésestimer l'effort des autres collectivités de la Nièvre, et il en est qui se défendent fort bien, et même si elle dispose d'une capacité assez exceptionnelle à vivre, à se survivre, et à se dépasser, cette ville `Clamecy` a pris part à notre histoire, et sous tous ses aspects. L'histoire nationale, l'histoire tout court. Les grands faits qui ont marqué la nation mais aussi l'histoire particulière des arts, de la littérature, du travail, des métiers, des métiers qui souvent ont disparu et pour cause, tous ceux qui devaient desservir, au travers des rivières qui vont vers la Seine, la grande agglomération parisienne. Et quand on a connu, comme moi-même, la profondeur de la forêt morvandelle, on pourrait mesurer ce que pouvait être au siècle dernier, et dans les siècles précédents, l'apport du bois, du bois de chauffage, de tous usages, vers Paris, à travers ces métiers, particuliers. Je répète volontairement l'expression, des métiers particuliers qui ont imprimé le caractère de cette ville, de ces voyageurs, de ces bois de flottage, de ces hommes qui étaient là comme sur des trains d'équipage et qui allaient jusqu'à la jonction de l'Yonne et de la Seine, sur le port de Montereau où se faisait la redistribution et la répartition des matières premières nivernaises.
- Ce caractère de la ville, on le retrouve je crois dans certaines oeuvres littéraires, fort bien exprimé par beaucoup d'écrivains locaux dont la célébrité et la réputation n'ont pas franchi de grandes distances et qui sont des créateurs de qualité. Je pourrais citer plusieurs noms, en particulier ceux de quelques érudits que j'ai connus mais je risquerais de commettre des injustices en ne les citant pas tous : qui ne connaît le nom de Romain Rolland, celui de Claude Tillier, qui ont été précisément des créateurs, représentatifs d'une certaine littérature, d'un certain type de préoccupations que se posent les hommes devant la vie en société, en même temps que devant le destin individuel et qui ont été les créateurs de grandes oeuvres. Ce sont deux des noms, pas les seuls, parmi les plus connus, dont le message a été répandu, pour Tillier au-delà des limites nationales, Romain Rolland certainement sur un -plan universel. Ils ont marqué cette cité mais aussi ils en ont été des représentants.
- Celles et ceux d'entre vous qui ne sont pas d'ici, si la curiosité ou le goût les poussent à s'intéresser à ces oeuvres, ils comprendront mieux la Nièvre et Clamecy, à la dernière page de quelques grandes oeuvres et ils sauront comment vivent les gens d'ici, comment ils sont, assez facilement rebelles, naturellement résistants. Ils l'ont montré dans de très nombreuses circonstances, les dernières étapes douloureuses de la vie nationale, que ce soient le coup d'état de 1851, ou que ce soit, sous une autre forme, la résistance à l'ennemi, à deux reprises, en 1871, et lors des années que nous avons vécues entre 1940 et 1945. Tout cela montre bien que nous sommes ici reçus par une population ardente, réservée mais ardente, résolue, originale, personnelle, pas facilement assimilable à d'autres, mais capable de créer en accord avec ce qu'elle est. Et je pense que c'est un bon modèle à proposer à la France, que chaque petite partie d'elle-même s'affirme en tant que telle avec une vue qui dépasse les simples frontières de la ville ou du canton pour atteindre la dimension ou un esprit national dont nous avons tant besoin.\
Je remercie très vivement Bernard Bardin, dont j'apprécie les qualités depuis longtemps. Ce n'est pas tout à fait pour rien si j'ai pu bénéficier de son concours en certaines circonstances importantes de ma vie politique, puisqu'il fut appelé à me succéder au mois de mai 1981, comme représentant de la nation, représentant de la Nièvre, dans les assemblées parlementaires, puis aujourd'hui après les années dont on a connu les efforts remarquables et l'affirmation de la personnalité à la fois délicate et profonde de Noël Berrier, aujourd'hui responsable comme je le fus moi-même, du Conseil général. C'est donc pour moi une occasion, non pas des retrouvailles, nous nous voyons de temps à autre, mais ici à Clamecy, dans cette commune dont il est maire, l'occasion de rendre témoignage, de porter témoignage, pour dire aux habitants de Clamecy, que par-delà les rivalités politiques, non seulement inévitables mais aussi légitimes, ceux qui sont en charge aujourd'hui de cette ville et de ce département sont pleins de dévouement, de compétence et de sérieux, qu'ils sont surtout animés par le service public, par le souci du bien public. Je puis en témoigner et je le fais.
- Tout autour d'eux, ces corps de métier, ces architectes, ces constructeurs, ces ingénieurs, ces ouvriers, ces employés qui, représentant les différentes directions départementales ou les sociétés privées, sont toujours là pour traduire en actes ce qui a été un moment le -fruit de l'imagination, ou d'un plan tracé rapidement sur un papier, ou bien l'étude d'un budget un peu abstrait, en termes finalement très concrets. Et tout cela a été fait ou rempli d'harmonie.
- Je me représente aussi fort bien ce qu'a été cette harmonie, c'est comme la musique, beaucoup de notes très différentes. Je ne connais pas d'endroits où existe une harmonie naturelle et la France de ce point de vue est particulièrement qualifiée pour faire ressortir son unité de son extrême diversité, à condition qu'on y veille car il ne faut pas laisser les choses aller. Il ne faut pas non plus se laisser aller. Cela arrive, chez les uns, chez les autres. Il faut donc bien que, pour qu'on ne se laisse pas aller, il y ait quelques fonctions et quelques personnes chargées de garantir la nation contre ce qui serait la contradiction de soi-même.\
C'est l'exemple que je vois dans ce département, que je crois bien tenu, ou la diversité est très grande, les oppositions de caractère très sensible et cependant, il est des heures harmonieuses. J'allais dire que tout l'art de gérer un pays tient là. Tirer le meilleur de la diversité des talents, tirer le meilleur des antagonismes naturels, des différences de point de vue, des philosophies qui se croient opposées - et qui souvent le sont - pour que se dégage finalement une figure centrale, celle d'un pays, capable de représenter à travers l'histoire un peuple qui lui-même en a vu beaucoup et cependant présente aujourd'hui le visage de sa jeunesse, de son élan, de son appétit de gagner les justes batailles qui lui sont proposées, un pays qui s'engage, qui peut s'engager délibérément. Il suffit de peu de choses pour que ça marche, un pays qui tout simplement va vers les prochaines échéances. La prochaine, la plus sensible, est 1992, celle que j'ai moi-même dessinée lorsqu'à Luxembourg, j'ai insisté pour que fussent adoptées l'ensemble des dispositions qui vont maintenant faire qu'une Europe de 320 millions d'habitants va disposer d'un marché unique, d'un marché commun, le plus grand ensemble au monde - je n'ai pas dit le plus peuplé - mais comparé aux Etats-Unis d'Amérique, à l'Union soviétique, mais plus encore au Japon, beaucoup plus nombreux et doté d'autant de talents et de capacités de toutes sortes. Si donc il y a ici et là des défaillances, des reculs ou des hésitations, il faut regarder froidement les raisons et tenter d'y répondre, voir où est le mal et le guérir sans croire que l'on peut guérir un mal en ajoutant un autre mal, pas plus qu'on ne répare une erreur en en commettant une deuxième.\
Je félicite celles et ceux ici présents et d'autres absents qui ont pris une part directe aux deux, j'allais dire inaugurations, non l'inauguration aujourd'hui c'est très bien, très agréable, cela me donne l'occasion de venir vous voir, mais il faut penser plutôt à ce qui a précédé, c'est-à-dire une longue période pendant laquelle on met en oeuvre. Je tiens à les féliciter parce que du plus modeste jusqu'au plus représentatif, cette oeuvre commune me paraît satisfaire les besoins de cette ville, soutenir sa réputation, répondre à son caractère et installer Clamecy, en cette fin de siècle, dans la grande course du siècle prochain.
- Vous y avez mêlé l'esthétique, le sens du travail matériel et administratif, une certaine forme d'éthique, car on ne fait rien sans le souci du vrai, sans le souci du juste, sans la volonté de servir plus grand que soi et qui est-ce qui est plus grand que soi, parmi bien d'autres choses ? Tout d'abord le peuple dont on est issu, et le pays qu'on représente.
- Est-il d'autres ambitions, mesdames et messieurs, pour chacun d'entre nous ? Le reste est affaire de destin individuel, encore faut-il que ceux qui gèrent la vie quotidienne veillent à ce que les destins individuels puissent eux-mêmes, je reprends le mot, s'harmoniser avec le destin collectif.
- Je salue ici les habitants de Clamecy, par-delà cette salle, cette salle polyvalente, les habitants de la Nièvre, ceux de la région, qui furent si longtemps mes amis et mes compagnons, et s'ils n'étaient pas spécialement mes amis ou mes compagnons, ils ont été quand même des témoins d'une vie passée parmi eux, et au total j'en garde le sentiment d'une oeuvre forte, collective, de relations humaines solides, sérieuses, durables, qui ont su dépasser toutes les distinctions et toutes les divisions. Nous sommes là, mesdames et messieurs et nous pouvons nous réjouir car Clamecy et la Nièvre continuent de la meilleure façon. Mes voeux vont vers vous, monsieur le maire et cher ami, vous les reporterez vers votre Conseil municipal et vers les élus de l'ensemble des cantons voisins. Vous avez un rôle éminent à jouer, vous représentez un centre historique vers lequel tous ceux dont nous parlons se tournent, vous remplissez bien votre fonction. Le fait que nous ayons inauguré une sculpture, une belle sculpture contemporaine par un des maîtres, des plus grands maîtres actuels, et une bibliothèque, animée par les personnes dont j'ai bien senti non seulement l'amour pour ce qu'elles font, c'est-à-dire le respect du livre, le goût de la lecture, de la culture, mais aussi le sens d'un certain dévouement pour les autres, tout cela est très significatif. On pourrait inaugurer plus tard - je ne suis pas candidat pour cela, ni pour rien d'ailleurs - des maisons, des ponts, des routes. A Château-Chinon je n'ai jamais rien inauguré. On me presse quelquefois, je résiste. Je ne sais pas si j'arriverai à résister à tout, inauguration d'un collège, d'une avenue. Mais n'extrapolons pas. Je dis simplement que pour moi c'est une très grande satisfaction que d'avoir eu une occasion aussi sympathique et, je crois, utile de revenir parmi vous. Alors je vous en remercie.
- Vive Clamecy,
- Vive la République,
- Vive la France !\