26 juin 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de l'inauguration du collège de Montsauche (Nièvre), vendredi 26 juin 1987.

Lorsque j'ai reçu l'invitation qui m'a été adressée pour prendre part à la pose de la première pierre du collège, j'en ai été heureux. C'était d'abord pour moi l'occasion de revenir dans ce canton, dans cette commune, c'était aussi une opportunité de réveiller la mémoire collective sur les dramatiques événements qui s'étaient déroulés au cours des décennies précédentes.
- Vous l'avez rappelé, monsieur le maire, monsieur le conseiller général. C'est à un double titre que vous me recevez ici. En 1949, j'avais été élu conseiller général de Montsauche. J'étais déjà député de la Nièvre depuis 3 ans, et j'avais déjà pu connaître ce canton reculé et difficile d'accès, surtout à cette époque, en me trompant parfois dans mes itinéraires, en plein hiver, par temps de neige.
- La première vision que j'ai eue de Montsauche, les plus anciens d'entre vous s'en souviennent, hors quelques immeubles épargnés, c'est l'église, et encore, ce n'était qu'un champ de ruines. L'incendie avait tout ravagé, l'incendie volontaire, au moment de la retraite des armées allemandes, et aussi par souci de revanche, de sanction, contre les maquis qui se manifestaient courageusement.
- J'ai habité à Montsauche. Chaque fois que j'y venais, pendant de longues années, dans des baraquements assez peu commodes, je logeais chez l'un, chez l'autre, surtout chez M. et Mme Petillo, chez l'ami Paul Philippot, ou bien j'allais chez Mme Minet, et j'ai appris à connaître là le coeur du Haut-Morvan, plein de courage, de ténacité, qui se battait contre tout. La France était tellement occupée par d'autres drames qu'il était difficile d'obtenir des crédits pour reconstruire un village perdu dans la forêt et les collines du haut plateau morvandiau. Il a fallu vraiment un mouvement général, une solide entente, dans ce pays où pourtant l'on sait ce que c'est que les luttes politiques de toutes sortes. Les Morvandiaux, dès qu'ils arrivent à la Porte d'Italie à Paris, ne se quittent plus, mais sur place... Enfin, chacun a mis la main à la pâte, et on y est arrivé. D'autres communes voisines ont connu un sort semblable, je pense en particulier à Planchez, ou pis encore. Nous allons célébrer, commémorer cet événement, dans un instant, à Dun-les-Places où les exécutions et les morts d'hommes ont été plus nombreuses. Bref, l'hiver, l'automne, encore l'automne est généralement plus beau, le printemps, la boue, les maisons détruites, la peine des habitants, leur courage, et souvent leur gaité, leur esprit de travail, tout cela a été pour moi d'un grand enseignement. On a vu peu à peu la reconstruction ébaucher le visage d'un nouveau village, c'est celui que vous voyez aujourd'hui, alors qu'on arrive presqu'au terme, avec cette reconstruction d'un collège, presqu'au terme d'un ensemble de projets, de desseins, qui ont mis le temps qu'il fallait pour aboutir.\
L'épisode que vous avez rappelé du collège a été particulièrement typique. Un jour, puisqu'on apprend que ce canton était dispersé, puisqu'il avait beaucoup de peine à panser ses plaies, après tout pourquoi ne pas l'achever, pourquoi tenter de faire revivre ce qui semblait déjà voué à la perdition. Et un plan de l'éducation nationale, la carte scolaire, approuvé par toutes les autorités, locales, préfectorales, de l'époque, ne semblait rencontrer aucun obstacle. Le parlementaire que j'étais ne l'a appris qu'après coup, comme cela se passait trop souvent. Le temps du verbe que j'emploie est un temps de politesse, la décentralisation est quand même passée par là, et les préfets sont devenus extrêmement vigilants. Mais tout cela c'était la politique du fait accompli de l'autorité centrale, et le canton de Montsauche, disons sur le -plan de l'enseignement, en dehors des écoles primaires, éclatait vers les cantons voisins, Château-Chinon, Saulieu. Alors nous étions absolument dispersés, perdus. Alors là, vous avez raison de le rappeler, ce fut la mobilisation générale. J'en ai pris la tête, avec quelques hommes énergiques, les maires des communes, des parents d'élèves, des enseignants, des institutions. Je m'en souviens. Lorsque Grocat se mettait en route, on l'entendait, et cela faisait beaucoup de bruit. Il avait une énergie inlassable. Faut-il le rappeler à quelques-uns d'entre vous, chers amis, Camille Marchand, M. Pelletier, M. Menetrey, qui a aussi lutté pour sa Nièvre, et il avait du mérite puisqu'il était pour partie projeté à quelques kilomètres de Saulieu. Bref, on a établi une union. Pour la deuxième fois, après le début de la reconstruction et le désastre de la guerre, oublier les querelles, les rivalités entre communes, les rivalités entre personnes, les rivalités politiques. Tout le monde y est allé et on a gagné. On a fait reculer le gouvernement et l'administration. Pour venir à Montsauche, mesdames et messieurs de la presse qui êtes là, ces routes se sont considérablement améliorées. J'ai connu Montsauche sans électricité. Pendant quelques années j'y allais simplement éclairé à la bougie et à l'acétylène. La première fois que j'y suis allé, je me souviens, il y avait du vent et les flammes de l'acétylène se couchaient, de sorte que l'on apercevait des ombres fantastiques qui se dessinaient sur le mur. J'ai appris d'ailleurs par la suite qu'il y avait eu un député, précisément à St-Agnan, maire et châtelain du coin, qui avait installé l'électricité au château mais négligé de l'installer dans la commune. Alors j'avais développé un certain esprit contestataire dans le coin. On peut comprendre : c'est comme cela que çà se produit généralement quand les dirigeants oublient leur devoir. Les routes étaient dans un -état désastreux. Qui pouvait venir là, dans la boue, ou dans les nids de poule. Inutile de parler d'adduction d'eau, il n'en était pas question.\
Le Morvan était véritablement un pays abandonné, mais qui ne s'abandonnait pas. C'est la démonstration que je voudrais faire. A compter du moment où le péril était là, les Morvandiaux savaient faire front, et le mouvement pour le maintien du collège, pour son développement, s'est poursuivi avec succès puisqu'un jour nous avons pu obtenir tout ce que vous savez, c'est-à-dire une réforme de la carte scolaire. Cette petite histoire mériterait quand même, pour la mémoire locale, d'être écrite, car vous avez là des personnes, dont je ne peux citer les noms, de crainte d'être injuste à l'égard des autres, des hommes et des femmes qui se sont illustrés dans cette bataille locale gagnée et ont permis à Montsauche de vivre. Si Montsauche avait été ainsi décérébrée, vidée de substance, Montsauche ne serait plus qu'une addition de petits hameaux. Il ne pourrait plus y avoir de plan central comme il y a eu, rappelez-vous, autour du Lac des Settons, et j'y suis venu souvent, réunir des propriétaires riverains. Monsieur le conseiller général, ce n'est pas une mince affaire. Heureusement que vous n'avez pas de nouveaux lacs parce que pour se mettre d'accord sur une zone réservée et discuter d'un prix, avec les solides Morvandiaux, c'est un problème plus difficile que certaines affaires internationales. C'est là que je me suis exercé. Je suis venu, trois fois, quinze fois, et puis peu à peu on redisait les résistances, et on a pu ainsi développer, pour Montsauche, toute une zone dont vous avez eu raison de dire qu'elle pouvait être extrêmement intéressante sur le -plan du tourisme, car c'est un très beau pays, et en même temps vous allez disposer d'équipements, hôtellerie, plans sportifs, aires de repos, campings, qui permettront à ces cantons de connaître un développement qu'ils n'auraient pas connu sans le collège, si les enfants avaient été dispersés, et les familles aussi.
- Vous gardez votre centre, et votre raison d'être, et je vous félicite et je vous remercie, messieurs les élus, et vous monsieur le conseiller général, d'avoir persévéré à partir du moment où l'on avait lancé, avec quelques-uns d'entre vous, cette -entreprise, et d'en avoir assuré la continuité, ce qui est assez remarquable. Et vous avez continué en améliorant. Vous avez eu d'autres idées, vous avez complété. C'est déjà une histoire de bientôt quarante ans, bientôt un demi siècle et au bout de ce demi siècle, on verra Montsauche, le Haut-Morvan et les neuf autres communes du canton associées dans un bon esprit. Ici, on en est bien capable lorsqu'il s'agit d'oeuvrer pour le bien public. Vous pourrez supporter la comparaison avec les cantons qui disposent de plus gros centres, donc d'une population plus nombreuse et plus concentrée. Défilent dans ma mémoire, pendant que je m'exprime, beaucoup d'images dont certaines m'émeuvent car cela fait déjà 40 ans que je connais ce canton. Que d'hommes et de femmes de grand mérite, de grand dévouement, qui ont disparu, que de familles blessées et en même temps, les jeunes sont venus. Peu à peu les uns remplacent les autres et, finalement, on ne perd pas au change car j'aperçois dans les générations nouvelles des talents, des forces, des imaginations qui, si elles savent se regrouper, s'associer, donneront de ce canton un visage rénové, affermi, capable de répondre aux besoins de la fin de ce siècle.\
Messieurs les maires, monsieur le conseiller général, je pense qu'il serait injuste d'oublier les responsables de l'administration, M. le Préfet de la Nièvre et aussi le Conseil général parce que, sans le Conseil général de la Nièvre, ce dont nous parlons n'aurait pu se réaliser. Qui allait nous aider à financer dix communes pauvres. Cela dépassait immédiatement leurs possibilités, le seul fait d'être seuls réduisait à néant toute espérance. On voulait bien, par gentillesse, par amitié, donner un petit coup de main pour ceci, pour cela, mais on ne pouvait pas non plus, moi-même par décence, on ne pouvait pas tirer des crédits en dépassant la limite permise car d'autres cantons que celui-ci avaient besoin d'être aidés. Le Conseil général a donc pris une très heureuse initiative, développé un plan pour les cantons, comme il avait d'ailleurs développé en plan pour les communes, et les crédits ont été rassemblés, regroupés, et en même temps un échéancier, pour un certain nombre de cantons qui se sont vus affecter un financement tel que l'-entreprise était désormais réalisable. Ce plan s'est trouvé brouillé dans le mesure où la loi de décentralisation a réparti autrement les responsabilités, mais Montsauche a eu la chance de se trouver, parce que c'était un des cantons les plus oubliés et que le collège était une des nécessités les plus impérieuses, parmi tous les cantons de la Nièvre, dans un rang raisonnable, je crois en 2ème ou 3ème rang, dans le calendrier du Conseil général, profitant pour une fois de sa misère juste à temps pour que les nouvelles lois ne réduisent pas à néant l'effort que nous avions entrepris. Le Conseil général de la Nièvre a donc été l'élément décisif. Je tiens à le remercier, et à remercier en particulier les conseillers généraux plus spécialisés dans les problèmes de financement, de construction ou d'éducation nationale qui nous ont permis cette réalisation.\
Enfin, je me réjouis, un peu plus de six ans après avoir quitté ce canton - pas par le coeur, ni par le souvenir, mais je ne l'ai plus en charge, du moins je l'ai en charge parmi quelques autres milliers de cantons en France, de sorte que ma vue est moins aiguisée qu'elle ne l'était auparavant -, de voir qu'il y a sur place des hommes, des responsables, des élus qui font bien leur travail, qui y mettent un grand dévouement. Ils assurent la suite. C'est très bien comme ça. C'est même une leçon qu'on pourrait tirer pour la France toute entière. La réalité française dans ses vieilles traditions, ses choix idéologiques, spirituels, intellectuels, ses choix politiques, oui, tout cela est nécessaire pour la liberté de l'esprit, et pour le libre choix des citoyens. Je m'acharne à le répéter partout. Je ne sais pas pourquoi on mélange les choses, et je le dis depuis déjà de longues années, je le répèterai encore pour le temps qu'il me reste, de temps à autre. Lorsqu'il y a incendie, guerre, abandon de l'Etat, disparition prévue du collège, besoin d'équiper ces cantons, et puisque personne n'y pense, en dehors des élus locaux ou départementaux, à ce moment là on se retrouve.
- J'ai pu jouir d'une certaine longévité politique dans ce département, 35 ans, toujours au même endroit, et 32 ans au Conseil général de la Nièvre. Je le dis simplement pour inciter mes anciens collègues du Conseil général de la Nièvre à essayer d'en faire autant, et toujours au premier tour, ce n'est pas une gloire, cela aurait très bien pu m'arriver, les accidents selon les moments, les humeurs, mais c'est tout de même un pacte de confiance entre la population de Montsauche et moi-même, et je m'y suis fait des amitiés, sans vouloir prétendre à l'unanimisme qui n'est pas réalisable, des amitiés durables dans les milieux qui n'étaient pas portés à me soutenir politiquement. Cela veut dire que lorsqu'on s'accroche au terrain, lorsqu'on connaît les gens, lorsqu'on les aime, il n'y a pas de distinction politique pré-établie. On les retrouve dans les grands choix nationaux, et c'est bien normal, mais au moins on s'associe pour gérer, pour surtout tirer d'affaire une population très souvent malheureuse car les revenus du Haut-Morvan ne sont pas des revenus qui permettent de vivre très largement. Voyez la terre comme elle est, voyez la -nature du sol, et le Morvan ! Songez que jusqu'en 1947, il n'y a pas si longtemps, il n'y avait pas encore de routes transversales. Le Morvan était un roc granitique, séparant les vallées, spécialement de la Loire et de la Saône, mais par où personne ne passait. Pas d'accès en 1947, il a fallu tout faire. Eh bien, mesdames et messieurs, je me retourne vers vous les fils, les petits fils, les filles, les petites filles, de nos anciens. Aujourd'hui le Morvan existe dans le pays beaucoup plus qu'au XIXème siècle où l'on ne connaissait de lui que les nourrices, et leurs époux, souvent chauffeurs de maîtres, ou agents des transports publics quand ce n'était pas simplement convoyeurs de bois, jusqu'à Montsauche, jusqu'à la conjonction de l'Yonne et de la Seine. Nous avons vraiment diversifié les professions, multiplié les chances et si l'on trouve encore beaucoup de Morvandiaux, d'ailleurs pourquoi pas, dans les métros, les autobus, la police, l'accès à la fonction publique, le désir d'être garantis, chacun sait que l'Etat n'a qu'à se réjouir de disposer d'agents aussi qualifiés, d'une telle conscience professionnelle, remarqués entre tous. Et puis, quand l'heure de la retraite arrive, qu'est-ce qu'ils font ? Ils reviennent. J'en ai connu qui, habitant Paris, venaient sans fortune toutes les fins de semaine. Toutes les fins de semaine, on les trouvait en train de biner leur jardin, de se lever à 5 heures du matin avec le soleil...\
Je vais arrêter là. Je n'égrène pas mes souvenirs, j'égrène les souvenirs du Morvan, et spécialement du canton et de la commune de Montsauche, enfin dotés des équipements de base qui permettront aux enseignants, dont j'ai pu apprécier la qualité tout au long de ces années, l'extraordinaire dévouement, la patience, et en même temps la compétence.
- Monsieur le maire, monsieur le conseiller général, messieurs les maires, à vous de conduire la barque, de la mener à son terme. On y arrive, et puis il se passera autre chose, d'heureux, de malheureux, on passera la main. Nous aurons en tout cas assuré notre temps.
- Je vous remercie, mesdames et messieurs, d'avoir organisé ce petit rassemblement, ici, et même si le temps n'est pas beau, c'est aussi bien que l'Irlande où l'on va pêcher le saumon, que l'Ecosse où l'on va jouer dans les plus anciens golfs du monde. C'est un pays où il faut aimer la nature, la chasse, la pêche, la promenade, la convivialité, la nourriture et surtout la grande gentillesse et le sens de l'hospitalité. Ce sera mon dernier mot. Les rares voyageurs qui passaient par le Morvan trouvaient toujours la porte ouverte. On ne leur demandait pas leur nom, ni leur identité, on leur offrait le café. Ils restaient là autant que le mauvais temps durait ou le risque de faire de mauvaises rencontres. Les Morvandiaux, qui sont si réservés, savent recevoir parce qu'ils ont du coeur, et c'est une vieille civilisation. Je voudrais la célébrer en ce dernier moment, vous remercier, vous dire bon courage : vous allez continuer, vous en êtes capables, entendez-vous pour cela, c'est tout ce que je vous demande.\