23 juin 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le développement industriel, la formation professionnelle et la nécessité de l'effort, à la mairie de Flers, mardi 23 juin 1987.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- J'achève à Flers ce voyage de deux jours en Basse-Normandie. J'ai visité de nombreuses villes, quelques campagnes, un port de pêche, des industries et cependant, j'aurai le sentiment en vous quittant de n'avoir fait qu'approcher la réalité normande, particulièrement celle de l'Orne, ce département qui vit plus difficilement que d'autres les difficultés du moment. Plus difficilement, peut-être, parce qu'il est éloigné des grands centres ou des grandes voies de communication. Vous avez insisté sur ce point, monsieur le maire, soyez sûr que je transmettrai au gouvernement, étant bien entendu qu'ici même, se trouvent des hauts responsables de l'administration qui auront certainement noté vos observations.
- J'ai pu, en effet, suivre l'évolution de cette ville depuis l'époque textile. Je me souviens d'une époque, c'était en 1981 - 1982, où l'on avait le sentiment que l'ensemble de l'industrie textile allait être engloutie, peu préparée il faut le dire à supporter les concurrences. C'était M. Dreyfus, anciennement responsable de la Régie Renault, qui avait été mis en charge de ce secteur. Le plan qu'il a réalisé a pu sauver encore un large pan de cette industrie. Mais vous êtes ici si riches de souvenirs, devant la qualité du métier, la qualité des productions, la qualité des travailleurs, l'entreprise : tous des connaisseurs, du chef de l'entreprise jusqu'au plus modeste travailleur, je sais à quel point vous avez employé le mot, monsieur le maire £ déchirement, à quel point peut être déchirante cette séparation d'un passé qui a permis à tant de générations de vivre correctement.
- Vous avez fait, cependant vos évolutions, y compris vos évolutions industrielles. J'ai vu qu'un certain nombre d'entreprises de ce type s'étaient implantées et développées. Bien entendu à partir de là, vous avez été pris de plein fouet par les effets de la révolution industrielle actuelle, et vous fournissez les principales victimes de la mutation en cours qui s'attaque surtout aux industries lourdes. Mais le progrès est là, on l'observe dans tous les secteurs et d'abord, c'est leur définition, dans les secteurs de pointe. La France est dotée de quelques industries puissantes capables d'emporter les marchés sur la terre entière, qu'il s'agisse des moyens de transport, dans l'air, sur terre, par mer, qu'il s'agisse du nucléaire, qu'il s'agisse des télécommunications, l'énumération serait longue. Et pourtant, il n'en est pas assez.\
Il faudrait que l'esprit de progrès et l'adaptation au moyen de produire qui seront seuls dans la compétition de la fin de ce siècle se répandent dans tous les domaines, que notre industrie soit véritablement formée d'hommes et de femmes ayant appris les métiers qu'ils feront, que l'on fera dans les années qui viennent et non plus formés aux métiers que l'on ne fait plus. Il faudra que les chefs d'entreprise, que les cadres adaptent leur savoir aux conditions de la concurrence internatinale, n'hésitent pas à sortir de notre pays où l'on est bien pour passer le temps qu'il faudra et pour conquérir les marchés, munis de la connaissance des langues, de plusieurs langues et surtout, dès le point de départ, formés à l'école, dans les instituts de technologie, dans les lycées professionnels, formés dans les écoles spécialisées, dans les écoles commerciales, dans les écoles où l'on apprend l'exportation, formés aussi les chefs d'entreprise qui n'ont pas toujours non plus la maîtrise de ce que l'on appelle l'investissement. Alors, c'est par là que passent toutes les réussites du futur. L'Etat, lui aussi, l'Etat doit dessiner la carte de la France à venir, doit donner les moyens dont vous avez parlé, les communications c'est sûr, communication, télécommunication, mais bien d'autres moyens qui dépendent de lui, la solidarité nationale à laquelle vous avez fait appel par l'éducation dont je viens de parler, l'éducation nationale, toutes les structures qui forment l'esprit et qui organisent l'ensemble des aspects matériels que les mains des travailleurs et l'esprit qu'ils en ont seront bien dominés.\
Puis vous avez tout autour de vous l'agriculture. Nous ne l'oublions pas. Nous sommes là, dans une petite ville, déjà importante, mais tout autour c'est la campagne avec les problèmes qui se posent à elle. J'en ai traité en d'autres lieux, je ne m'y attarderai pas, mais je ne peux ignorer les difficultés que connaissent ceux qui vivent de la production laitière et qui tentent peu à peu de diversifier une production sur un sol qui lui, bien entendu, a été dressé à fournir les moyens de produire quelques cultures et pas toutes à la fois. Il est difficile de dire aux agriculteurs : le lait cela marche moins bien, alors changez moi cela. Ce sont des grands spécialistes, de remarquables spécialistes de la production animale, la production de la viande un peu, la production laitière beaucoup. Alors les céréales, les fruits, tout ce que le climat pourrait fournir mais que le sol refuse parfois : on ne peut se contenter de donner des conseils aux agriculteurs. Il faut que sur le -plan national et sur le -plan de l'Europe soient bien présentes à l'esprit de nos négociateurs les obligations de la France. On ne peut pas tout faire à la fois. Il est certain qu'on ne peut pas produire plus que l'on ne consomme. Il est sûr que l'on ne peut pas produire plus qu'on ne consomme mais que l'on exporte, sans quoi s'accumulent comme c'était le cas en Europe, comme c'est encore le cas en Europe, des millions et des millions de tonnes qu'il convient de stocker et qui coûtent cher aussi à la collectivité que nous formons.
- Mais, dites moi, la réussite des hommes et des femmes sur cette terre, le maintien de l'exportation familiale agricole, comment faire que cette terre ne retourne pas au désert, ne soit pas finalement abandonnée à elle-même ? C'est toute une société, une forme de civilisation qui se trouve en jeu. Voilà pourquoi, c'est avec le plus grand sérieux, monsieur le maire, que j'entendais tout à l'heure vos propos et j'essaierai de faire partager cette conviction. Ce ne sera pas si difficile mais les moyens à réunir, eux, qui se situent au -plan européen, voilà un problème délicat. Nous avons besoin de l'Europe, il faut l'Europe, encore faut-il que ce que la France est, ce qu'elle a su construire à travers le temps, puisse vaillamment se défendre et même s'accroître et gagner du terrain dans la nouvelle entité que 1992 nous propose.\
Mesdames et messieurs, vous êtes donc pour la plupart, Flériennes et Flériens - c'est comme ça que l'on dit j'espère ? Très bien - vous êtes donc de la Basse-Normandie - je ne sais pas pourquoi on dit la Basse mais enfin c'est peut-être une affaire de relief - vous êtes normands, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'un peuple comme le vôtre est partie intégrante, mêlée historiquement depuis tant de siècles au peuple français avec ses caractéristiques normandes. Vous savez vous-mêmes, quand on voit, comme je l'ai vu, comme vous le voyez vous-mêmes tous les jours, le désastre hérité de la dernière guerre mondiale, le désastre, ces destructions inimaginables que nous montrent aujourd'hui les photographies, qu'ont inscrit dans leur mémoire celles et ceux de la génération qui a vécu cela. Et puis voilà que tout est rebâti, reconstruit, que la vie a repris, que les générations qui ont suivi se sont repris à espérer. C'est quand même le -fruit de votre travail, mesdames et messieurs, et le -fruit de la solidarité nationale que nous évoquions à l'instant et il faut continuer. La France n'a aucune raison de s'abandonner à la fatalité des risques et des périls, aucune raison, tout dépend de nous. Là où ça marche allons-y, là où ça va moins bien, eh bien étudions le terrain, observons-le, prenons les mesures qui conviennent et rassemblons, réunissons les Français au moins dans ce domaine-là pour que, associés étroitement ensemble, ils soient en mesure de préparer la nation française de la fin de ce siècle, qui n'en reste pas moins, je l'ai dit, dans bien des endroits au cours de ces deux jours, qui n'en reste pas moins, malgré ses 55 millions d'habitants - ce qui est peu, trop peu, trop faible population, trop faible natalité - le 5ème pays du monde par son économie et le 4ème par son industrie, le 3ème par ses moyens de défense. Et peut-on mesurer ce domaine, qu'on appelle celui de la culture, du passé riche, de l'art, de la création, de la recherche, de la science ? La France figure, croyez-moi, parmi les pays capables aujourd'hui de créer, comme ce fut le cas pendant les siècles et les siècles qui nous ont précédés. Et moi je suis venu vous dire cela, et quelques autres choses qui s'imposent à nous parce que nous sommes en démocratie avec, heureusement la diversité des pensées, la diversité des intérêts selon les groupes sociaux-professionnels, selon les degrés de fortune, selon la situation géographique. Il y a une inégalité naturelle des régions de France et le rôle de la collectivité nationale et des pouvoirs publics c'est d'établir entre les individus, les groupes, les régions, non pas l'égalité absolue, mais une répartition équitable des produits de la nation.\
J'en appelle à l'effort, à l'effort nécessaire £ un peuple qui s'abandonne est un pays perdu, rien ne remplacera notre effort à nous-mêmes. Nul ne viendra de l'extérieur, ne se substituera à nous pour nous aider. Cela dépend de nous, il faut bien le savoir. C'est vrai dans quelque domaine que ce soit, mais cela n'est possible que si, chacun ayant fait l'effort qu'il peut faire, il existe ensuite un partage que j'ai dit équitable, c'est-à-dire aussi juste que possible, lorsqu'il s'agit de répartir tout simplement les produits de l'effort, le travail que vous avez fait en commun là où vous êtes, la production, les progrès, les progrès du savoir partagés autant qu'il est possible, je le répète, le savoir, la connaissance, les moyens de la connaissance. Faire que notre peuple qui a su montrer à quel point il était capable de montrer le chemin dans les domaines de la création, demain plus qu'hier encore, soit en mesure de susciter des vocations partout, de préparer ses filles et ses garçons à des responsabilités élevées. Japon, Etats-Unis d'Amérique, on les cite toujours, mais on pourrait dire Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, mais on pourrait en citer bien d'autres, en Extrême-Orient, et bien d'autres encore, en Amérique latine, et bien d'autres encore partout sur la planète. La compétition sera rude, ne vous en sentez-vous pas capables, amis qui m'entendez, Français qui avez su montrer dans les plus grands périls ce dont vous étiez capables ? Vous le pouvez, vous le savez, même si vous ne reteniez de mon passage chez vous, dépassant toutes nos divisions et nos incertitudes, que ce message de volonté, de foi en soi-même et en notre pays, notre volonté de conquête, sur nous-mêmes d'abord, on ne peut rien faire d'autre sans la maitrîse de soi, mais aussi sur les choses, capables de dominer nos divisions, jamais se laisser aller au delà des luttes démocratiques, légitimes, ne pas laisser aller les tentations traditionnelles vers des formes de guerre civile quand ce ne serait que la guerre des esprits qui ont déchiré, ensanglanté dans les époques fameuses de notre histoire.
- Mais moi je sens une capacité d'union ou de réunion des Français car ils ont compris que nous tous, ensemble, nous pouvions assurer pour nos enfants toutes les chances qu'ils méritent. Nous sommes à Flers : j'ai bien souvent entendu parler de cette ville, j'y ai connu des amis, je sais quels sont les équipements qui vous manquent, je sais aussi ce dont vous êtes capables, ce que vous êtes capables de faire.
- Je m'adresse ici, à toutes et à tous, en particulier à vous les élus, et les élus de toute obédience, et de toute origine. Quand vous êtes conduits à travailler ensemble pour étudier un plan et pour le financer, pour chercher le progrès et le développement, vous le faites. Eh bien ! Agissez de même quand il s'agit de la France toute entière ! Voilà, c'est ce que moi j'avais à vous dire. Si quelqu'un doit tenir ce langage, c'est bien le Président de la République française. Aujourd'hui c'est moi, hier c'étaient d'autres, demain c'en sera d'autres, c'est la continuité de la France, c'est pour moi une grande force que de savoir que je représente cette permanence devant l'histoire.
- Monsieur le maire, mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence et de votre écoute. Je forme des voeux pour vous, pour celles et pour ceux qui en dehors de cette salle et en dehors de cette belle demeure, de ces beaux jardins représentent la population de l'Orne, et particulièrement de ces cantons de Flers.
- Bonne chance, oui, bonne chance à vous tous.
- Vive Flers,
- Vive l'Orne,
- Vive la Basse-Normandie,
- Vive la République,
- Vive la France.\