22 juin 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan de sa première journée en Basse-Normandie ainsi que sur le thème du dialogue social et de la fraternité, à la mairie d'Hérouville Saint-Clair, lundi 22 juin 1987.

Monsieur le maire et cher ami,
- Mesdames et messieurs,
- Je vais pratiquement terminer ma journée de Basse-Normandie avec vous, du moins avant que pendant quelques heures je ne me retrouve en compagnie des responsables de cette région. Cependant, de ce matin jusqu'à ce soir, j'ai pu rencontrer à la fois les responsables, les foules. J'ai pu voir des Français au travail, j'ai pu considérer leurs projets. Je crois avoir aperçu leurs difficultés et j'ai senti parmi ceux que je rencontrais, surtout ceux que je ne connaissais pas, comme vous, assemblés le long des avenues ou sur la place des mairies, comme l'accueil du peuple de France. Peut-être plus chaleureux, parce que amical, parce que la plupart d'entre vous sont venus avec le souci de me dire : courage, de me dire : on n'a pas si souvent l'occasion de se voir, profitons-en. Comme vous le disiez tout à l'heure cher ami, arrêtons-nous un moment, considérons autour de nous, et moi je fais comme vous. Je vous regarde et je trouve dans vos regards ou dans votre attitude, tout simplement dans votre présence, une raison nouvelle de puiser force et courage dans la tâche qui est la mienne.
- Je suis heureux de retrouver ici le maire de cette ville que je connais `François Geindre`, pour y être venu plusieurs fois. Je ne sais pas pourquoi j'inaugure aussi souvent, ce n'est pas une de mes passions favorites, on pourrait le croire, on se tromperait, et surtout monsieur le maire ne voyez pas dans le fait de ma venue en 1980 et en 1987 un signe prémonitoire qui n'est aucunement dans mon esprit. Simplement les choses sont comme cela. Et puisque vous m'avez invité, je suis venu.\
Je suis venu parce qu'Hérouville Saint-Clair a un sens. J'ai connu les premières équipes, celles qui ont voulu faire de cette cité-dortoir une vraie ville et à partir d'une vraie ville, une cité où l'on se rencontre, où l'on se connaît, où l'on s'éprouve, où l'on vit en commun. Grande et noble ambition dont j'aperçois chaque fois les progrès. Vous allez à une telle allure, on voit s'édifier les bâtiments, les avenues, les quartiers. Celui que je viens de voir avec vous, le long de ce que vous appelez "la cité douce" est tout à fait frappant pour le visiteur étranger. On peut imaginer ce qu'est la vie quotidienne lorsqu'il n'y a pas de Président de la République dans le quartier, avec tout ce qui l'accompagne, personnalités fort honorables, mais enfin c'est un peu officiel tout cela, il faut le dire. Je transporte avec moi une petite part de l'Etat et l'Etat ce n'est pas habituel dans vos conversations du soir. Vous êtes, vous, les Hérouvillais. Comment vivez-vous ici ? C'est à vous de le dire. Est-ce que cela vous convient ? Est-ce que vous vous sentez - comment dirai-je - dans une société plus conviviale ? Est-ce que le rêve des fondateurs est en voie de se réaliser ? C'est à vous de le dire. C'est vous qui le sentez. C'est vous qui le savez. J'aime que cela ait été tenté. J'aime qu'on l'ait voulu. J'aime qu'on ait voulu réveiller un peu partout en France les banlieues sans âme, j'aime qu'on ait voulu bâtir, créer un urbanisme, là où il semblait impossible qu'il y en eût : dans la laideur et le désordre où le goût immodéré, absurde, du profit, avait bâti des villes sans s'occuper des hommes. J'ai vu aussi de quelle façon M. Geindre, votre maire, dépassant les limites de sa propre commune, s'est appliqué au cours de ces dernières années à promouvoir, dans d'autres villes dites de banlieue puisqu'il en avait reçu la charge et la confiance, une vie meilleure dans une cité plus belle. Est-il un objet plus désirable pour un élu du peuple : faire que l'on vive mieux dans un endroit plus beau. Voilà une définition que je vous laisse et il me semble que l'on pouvait aussi deviner ce que serait le destin d'Hérouville si des hommes de cette trempe n'avaient pas été choisis par la population. Oui, je me flatte de vivre avec vous un moment privilégié.
- Ces rues échappent à la géométrie ou leur géométrie secrète est d'un tout autre ordre que celle que nous avons coutume de rencontrer parce qu'ici c'est la géométrie du coeur et de l'esprit. Ce théâtre, cet hôtel de ville, ce lycée, ce quartier, mesdames et messieurs, laissez-moi en fin de journée me réjouir en constatant qu'il reste assez d'imagination créative en France, assez de goût du rêve et de l'action pour que des architectes, des entrepreneurs, des artistes, des ouvriers, des travailleurs qui aiment avec leurs mains et leur esprit construisent pour demain, se soient tous associés dans l'oeuvre que nous célébrons ce soir.\
Nous n'avons pas évoqué de problème, disons, à l'échelon national, de problème technique ou pratique ou politique, ce n'est pas le moment.
- Tout le long de cette journée, de Cherbourg à Saint-Lô, en passant par quelques autres lieux, j'ai développé quelques thèmes, ceux que je voudrais voir adoptés par les Français, que je voudrais voir plus ouverts et plus fraternels, plus ouverts aux autres, plus confiants en eux-mêmes, ou bien - je pourrais dire autrement - plus ouverts aux autres parce que plus confiants en eux-mêmes. La France n'est pas en péril. Si l'on aime y venir d'ailleurs pour y chercher du travail, croyez-vous que la réalité profonde de notre peuple soit en quoi que ce soit menacée ? Sans quoi cette menace eut été de tous les temps. La France est faite de toutes les alluvions des siècles, au travers d'un mouvement continu qui est toujours passé par chez nous et cela a fait le peuple français tel que nous le connaissons dans sa richesse et sa diversité. Chacun d'entre nous est l'héritier de ce mouvement des peuples sur le sol qui est le nôtre, comme si ce sol et sa civilisation, celle qu'il a produite, avaient ce don mystérieux de l'amalgame, qui a finalement produit un peuple capable de se retrouver chaque fois que l'histoire le demande.
- Mais croyez-moi, nous avons connu deux guerres mondiales, je suis né pendant la première, j'ai combattu pendant la deuxième. Nous avons connu depuis lors d'autres conflits déchirants. Nous célébrions simplement hier le souvenir de la guerre d'Algérie, d'autres de nos frères ou de nos fils sont allés combattre partout au-delà des mers. Mais ne croyez-vous pas qu'il soit temps de bâtir la France de la paix, de la paix dans le monde au travers de l'Europe, élément fondateur de l'Europe, celle qui nous attend pour le siècle prochain et qu'il faut maintenant bâtir. La France capable de s'adresser aux peuples en voie de développement, à ces milliards d'êtres humains que personne ne veut entendre, vers lesquels si peu de mains se tendent, mais celles de la France : oui. C'est un appel à la fraternité comme si la première déclaration des droits de l'homme et du citoyen en 1789 avait pris désormais la dimension universelle.\
Oui, je suis heureux de voir que vous cherchez à servir la beauté en même temps que la fraternité des hommes, des femmes entre eux, en même temps que naît une cité, une ville. C'était la campagne ici, c'était un village de moins de deux mille habitants. C'était aussi, comment dirai-je, une sorte de rejet de la grande ville, une sorte de surgeon que personne ne taillait. Vous avez eu la chance ensemble de produire ou de désigner, de distinguer celles et ceux qui avaient l'ambition d'inventer une société nouvelle, par une ville nouvelle. C'est dans ces villes que le laboratoire des idées du siècle prochain fait que les chercheurs, les créateurs, les praticiens, les administrateurs, vont donner de notre société un visage différent. Je m'inquiète parfois de voir tous ces conflits qui naissent, généralement conflits sociaux, parfois conflits raciaux, dont nous pourrions faire si bien l'économie. Nous n'avons pas besoin de cela, nous avons tous les moyens du dialogue social. Nous avons tous les moyens de préserver la protection sociale tout en continuant d'avancer dans la construction d'une société industrielle prospère et victorieuse. Nous n'avons pas besoin de ces conflits raciaux, actes individuels ou crimes collectifs. Nous avons besoin pour être mieux nous-mêmes d'être davantage ouverts à tous les autres. Et j'en vois par ici qui sont accueillis bras ouverts, qui sont les bienvenus si j'ai bien entendu ce que vient de dire avant moi François Geindre. C'est par une sorte d'hymne à cette fraternité pour le visage futur de la France, que je veux vous saluer, mesdames et messieurs, vous dire ma joie d'être avec vous, après plus de six ans, dans des moments parfois difficiles, ma volonté d'une part de servir les idées, les choix qui sont les miens - je n'en renie aucun - tout en préservant la paix civile, tout en évitant les crises inutiles, les déchirements dangereux, tout en invitant le peuple français à se reconnaître dans les lois qui signifient pour lui progrès, fraternité, ouverture et finalement paix dans tous les domaines, paix sociale, paix civique, paix à l'extérieur, la France, encore une fois, enseignant aux nations la façon de vivre l'avenir.\
Monsieur le maire, mesdames et messieurs, chers amis, et vous toutes, vous tous qui êtes là, vous m'avez réservé un moment choisi, un moment rare, je vous le dois. Je n'ai pas besoin d'encouragement, je peux déjà considérer l'aspect général de la présidence que j'ai remplie même si, à l'horizon immédiat, les jours qui se préparent ne s'annoncent pas comme les plus aisés. Mais je n'ai pas besoin d'encouragement, j'ai surtout besoin de savoir si vous ressentez ce que je veux vous dire, si vous voulez bien comprendre le sens de mon action, oh pas simplement de la mienne, de toutes ces femmes, de tous ces hommes, j'en vois ici qui ont engagé avec moi l'action décisive, l'action principale de leur vie au service du pays. Mais quand même, cette confiance et cette amitié, ce sont des éléments, des pierres que l'on peut mettre à la base de toute construction £ avec ça, c'est du solide. Comme je vous le dois, mesdames et messieurs, amis d'Hérouville, laissez-moi vous dire ma gratitude.
- Je n'ai pas besoin d'encouragement mais quand je vous aurai quittés, peut-être avec un peu plus de fatigue, mais pas tellement, avec beaucoup plus de force en fin de compte, celle que vous m'aurez transmise, je saurai que diriger le pays au rang le plus élevé et donc le plus responsable ne trouve sa signification, j'allais dire sa justification, que dans votre confiance et dans votre adhésion.
- Voilà, de cette rencontre, je tirerai cette leçon £ je vais vous dire bonsoir, bonne chance, bonne chance à Hérouville, vive Hérouville-Saint-Clair, vive ce département du Calvados, vive la République, vive la France.\