25 mai 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant le Parlement canadien, sur la situation de l'économie mondiale, les négociations de désarmement, les relations Nord-Sud, à Ottawa lundi 25 mai 1987.

Messieurs les présidents,
- Monsieur le Premier ministre,
- Mesdames et messieurs,
- Je suis très sensible à l'hommage qui vient d'être rendu à la France en ma personne et à l'honneur qui m'est fait d'être accueilli avec tant de prévenance par votre Parlement. Après m'être entretenu ce matin avec le Gouverneur général, avec M. le Premier ministre, j'ai en effet le privilège de m'adresser directement à vous, aux représentants du Canada, gardiens d'institutions qui font de votre pays l'une des grandes démocraties du monde.
- Je dois le dire, j'ai été moi-même, pendant quelques trente-cinq ans, parlementaire de mon pays, au Sénat et à la Chambre des députés. Et depuis 1981, date de mon élection à la présidence de la République, le fil est coupé : je n'ai pas même le droit de pénétrer dans les enceintes où j'ai si longtemps travaillé, où j'ai rarement rencontré un accueil aussi unanime ! ... Il m'arrive de le regretter ... Aussi quand je me trouve dans un pays ami, comme c'est le cas aujourd'hui, je compense !... Et j'y trouve un plaisir personnel, en même temps que la fierté de représenter mon pays auprès d'assemblées comme les vôtres £ je tiens donc à vous remercier une fois de plus.
- Je remarquerai, au point de départ, que les structures politiques du Canada, que l'organisation économique et sociale de votre pays, que les positions que vous défendez sur la scène internationale, témoignent d'un attachement à des idéaux qui nous sont communs. La France et le Canada sont à l'unisson, nos deux pays partagent cette conviction, que leur avenir ne peut se concevoir hors du pluralisme et donc des alternances au pouvoir, de l'expression sans contrainte d'opinions divergentes et de la prépondérance d'une majorité dans nos respects des minorités.
- Aussi voudrais-je maintenant vous apporter ici, et vous prier de transmettre à toutes les femmes et à tous les hommes de ce pays, le salut fraternel du peuple français. Le message que par ma voix la France vous adresse est un message d'amitié et de solidarité, je puis reprendre ici, mot pour mot, les expressions de M. le Premier ministre.\
La conséquence de nos choix de société, au-delà des différences qui tiennent à l'histoire, à la géographie, à l'évolution des moeurs, tout nous pousse au dialogue. Certes le passé confère aux rapports du Canada et de la France une -nature particulière. Dès l'aube des temps modernes, depuis l'époque des grands découvreurs, les Français ont joué un rôle fort important dans la vie de votre pays. Les descendants des premiers arrivés installés sur ce sol et que l'on compte par millions aujourd'hui, représentent plus du quart de la population. Ils tiennent une place originale, irremplaçable sans doute, aux côtés de leurs compatriotes de langue anglaise. Ces communautés actives, entreprenantes, fidèles à leurs traditions, mais également engagées dans la modernité, modernité de votre continent spécifique et cependant universel, concourent à la richesse et à la diversité du grand pays qui est le vôtre. Cette dimension bi-culturelle est un fait dont tout Français se réjouit, et dont je me réjouis, je vous l'assure, profondément.
- Je voudrais évoquer moi-aussi d'un mot, parce qu'il faudrait en dire tellement plus, le sacrifice de vos pères, de vos frères, dans les deux guerres mondiales. Quelle que soit l'origine, le lieu d'où ils venaient, quels que soient les combats qui les avaient eux-mêmes opposés, ils étaient du même côté et à nos côtés. La victoire qui nous a rendu notre liberté eût-elle été possible sans la présence de ces jeunes gens venus d'un peu partout et particulièrement venus du Canada ?
- Vous avez cité, monsieur le Premier ministre, quelques lieux fameux où le deuil a marqué le souvenir avec la souffrance et la mort. Tant de coeurs souffrent encore aujourd'hui de ce tragique rendez-vous, mais au bout du compte, c'était la liberté. Nous devons beaucoup, mesdames et messieurs, à vos soldats et je tenais en cette minute solennelle à l'affirmer devant vos compatriotes qui nous écoutent à l'instant.\
Et si vous voulez bien, je voudrais aborder quelques sujets majeurs du temps. Je les choisirai arbitrairement, il faudrait consacrer tant de temps autrement. Nous sommes dans un monde en crise - certains diraient : "il est toujours en crise" - mais enfin nous qui le vivons, nous avons le sentiment que la difficulté est plus grande peut-être dans d'autres moments de l'histoire. Nous souffrons de maux semblables, nous avons à lutter contre le chomage, nous avons à créer des conditions nouvelles pour la création d'emplois nouveaux, pour ouvrir nos pays sur le siècle qui vient. Nous devons intensifier tous les modes de création, d'imagination, intensifier la recherche, la capacité des esprits formés depuis l'enfance pour nous donner enfin le moyen de maîtriser les secrets de la matière dont nous nous servirons pour élever la condition de l'homme. Nous avons besoin de moderniser nos appareils productifs, nous avons à rendre nos économies plus compétitives. Nous avons un puissant intérêt à développer davantage nos échanges. Sans doute l'orientation principale et naturelle de ces échanges se fait-elle, pour le Canada, davantage vers les Etats-Unis d'Amérique, pour nous-mêmes vers nos voisins de la Communauté européenne £ mais partant d'un niveau il faut le dire modeste, nous pouvons faire, vous et nous, beaucoup plus et beaucoup mieux. Et j'espère que pendant ce voyage, il nous sera possible de tracer quelques perspectives d'avenir.
- Ces dernières années, les divers accords conclus, permettent le renforcement de notre coopération dans l'espace, ou l'océanographie, les bio-technologies, tous porteurs de procédés nouveaux de -nature à stimuler l'innovation industrielle. Nous sommes également convenus au mois de janvier dernier de faciliter des rapports entre nos petites et moyennes entreprises et si nos scientifiques, nos industriels, nos hommes d'affaires se connaissent trop peu, on enregistre cependant des progrès sensibles aussi bien dans le cadre bilatéral - pensons au satellite "SPOT" -, qu'à l'occasion de projets multiples, je pense au projet européen "EUREKA".
- Et si nos intérêts parfois s'opposent, - alors j'évoque les problèmes de la pêche, un peu de bon sens ! Le souci du droit et la volonté politique de régler les différends devraient finir par l'emporter.\
Mesdames et messieurs, permettez-moi de m'arrêter un instant sur la situation de l'économie mondiale. Il faut porter réponse aux problèmes posés. Dans quelques deux semaines, nous nous trouverons à Venise, monsieur le Premier ministre, et nous aurons à traiter en commun quelques-uns des problèmes qui dominent la scène internationale. Je veux mettre l'accent sur l'urgence de quelques décisions à prendre et que je veux esquisser devant vous car il me semble qu'un rendez-vous pareil commande que nous traitions, en toute souveraineté et par les qualités de nos pays associés dans cette oeuvre, que nous traitions des grands problèmes qui sont les vôtres, qui sont les nôtres, et cela en quatre directions.
- La première de ces directions est que les pays en excédent commercial utilisent les marges de manoeuvre dont ils disposent pour relancer leur propre croissance et stimuler celle des autres.
- La deuxième est que l'on avance dans la voie d'une reconstruction d'un système monétaire international en allant vers la stabilisation des taux de change autour de zones de référence mutuellement agréées, vers la baisse des taux d'intérêts et vers une meilleure coordination des marchés.
- La troisième est qu'il faut que recule le protectionnisme et dans tous les domaines car le protectionnisme est partout : services, industrie, agriculture. Je sais bien qu'actuellement vous débattez avec votre voisin les Etats-Unis d'Amérique d'accords de libre échange particuliers dans le cadre du GATT et selon les règles communes. Je vous souhaite plein de succès, étant entendu que nous avons accepté en commun des règles qui s'imposent, à vous-mêmes comme à nous. Mais mettons les choses sur la table, cessons de nous opposer des impossibilités entre l'Europe et le continent américain ou les pays du tiers monde, avouons que le protectionnisme est la règle de chacun et de tous et que s'il reste un travail à faire : comparer, pour dire, en conclusion, où se trouve le protectionnisme : le protectionnisme avoué dans les lois ou dans les règlements, le protectionnisme hypocrite et dissimulé derrière les coutumes et les usages, certaines façons impérialistes d'agir ou bien tout simplement cette tendance si répandue de laisser faire quand la responsabilité de conduire les affaires du monde devrait conduire à s'entendre pour le bien commun.\
J'ai dit trois directions mais je pense surtout en cet instant à la quatrième. C'est celle qui doit tendre à se préoccuper du devenir du tiers monde, des pays en voie de développement et particulièrement de la dette de ces pays. On peut penser à l'allongement des périodes de grâce, de remboursements des pays les plus endettés. On peut penser à une plus grande générosité des procédures du Club de Paris. On ne doit penser surtout selon moi, dans le moment présent, sans exclure aucune autre solution, au recyclage multilatéral d'une partie des capitaux excédentaires des pays qui disposent de surplus. On peut penser au Japon, on peut penser à l'Allemagne : après tout, quiconque parvient à ce stade - une certaine prospérité de l'économie - doit aborder très clairement un stade nouveau de responsabilités. Alors, on développera les moyens du Fonds monétaire international, on augmentera le capital de la Banque mondiale et l'on aidera les pays du tiers monde et parmi les plus pauvres à traverser cette période dramatique qui finira par nuire au monde tout entier. J'ai coutume de dire à mes compatriotes que les deux dangers de guerre pour le siècle prochain c'est sans doute la bombe atomique ou la guerre nucléaire, avec les affrontements permanents qui suscitent des compétitions pouvant aller jusqu'à l'exaspération, mais aussi l'accroissement du fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres.
- Enfin, nos deux pays comptent parmi ceux, peu nombreux, qui ont décidé d'affecter un pourcentage significatif de leur produit national à la coopération avec les pays les plus défavorisés. Je n'ignore pas la part croissante du revenu canadien réservé chaque année à travers le monde, sous la forme d'initiatives privées ou par le truchement d'organismes publics, pour combattre le sous-développement, et je vous en remercie. Je vous en remercie parce que cette cause, je l'éprouve profondément et depuis très longtemps. Quant à la France, elle a, surtout depuis 6 ans, sensiblement augmenté son aide et entend atteindre aussi rapidement que possible, comme le recommandent les institutions internationales, 0,7 % de son produit national brut, celui qui doit être consacré à l'aide au développement.
- Mais que voyons-nous aujourd'hui ? Les pays du Sud, ou dits du Sud, souffrent plus que les autres du ralentissement de la croissance mondiale, de la chute dramatique des cours des matières premières, du fardeau de la dette. Est-il normal que les pays les plus pauvres aient à rembourser chaque année plus qu'ils ne reçoivent de crédits nouveaux ? Peuvent-ils demander à leur peuple de produire sans cesse davantage pour recevoir de moins en moins la part qu'il leur revient du profit du travail ?
- Rappelez-vous une démarche suivie, lorsqu'au début des années 80 `1980`, certains pays du Moyen-Orient détenaient d'importants surplus de capitaux £ reprenons-la aujourd'hui, adaptons-la. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les circonstances se sont plusieurs fois reproduites, j'espère que votre pays et que le mien sont bien disposés à prendre la tête de ce grand mouvement qui conduira les peuples responsables industriels avancés à comprendre que là est la réponse pour eux-mêmes comme pour les autres à la grande interrogation du temps.\
Certes, mesdames et messieurs, l'avenir de notre planète ne dépend pas seulement de l'aptitude des Etats à assurer une croissance économique suffisante, cela ne répond pas à tous les besoins de l'humanité, liés d'une façon plus immédiate encore à leur capacité de préserver la paix. Je vous ai dit quelques propositions touchant à l'organisation des marchés, touchant à la lutte contre le désordre monétaire, touchant à la nécessaire aide au développement des pays pauvres, mais je voudrais vous parler un moment de la paix. Trois fois envahie en 75 ans, la France est très consciente, je vous l'assure, du drame que cela représente. J'ai évoqué l'assistance des soldats canadiens, j'ai moi-même vécu la deuxième guerre mondiale, et je suis né du temps de la première. Comment ma génération ne serait-elle pas marquée essentiellement par ce retour, presque cyclique, des affrontements qui, pour ne parler que de l'Europe, ont été le signal d'une tragique guerre civile dont nous commençons à peine à nous remettre.
- Dès le lendemain du deuxième conflit mon pays a adhéré à la Charte des Nations unies et aux principes dont elle s'inspire. Membre permanent du Conseil de sécurité, la France n'a jamais ménagé son appui à l'Organisation internationale `ONU`, elle l'a aidée à remplir sa tâche, elle a dénoncé les atteintes aux droits des nations et des personnes. Elle a contribué en tant que de besoins aux opérations du maintien de la paix : la France est présente encore aujourd'hui, au nom des Nations unies, sur les lieux où s'affrontent les passions les plus vives. Il n'en reste pas moins que les rapports de force surtout entre les deux plus grandes puissances ont conduit à un surarmement et à un déséquilibre dangereux.
- En dépit des efforts les négociations sur les désarmements n'ont pas permis de limiter, et encore moins de réduire, les arsenaux stratégiques, surabondants des Etats-Unis d'Amérique et de l'Union soviétique. Le traité, dit ABM qui demeure à ce jour le seul accord majeur de maîtrise des armements encore en vigueur, fait l'objet de débats intenses qui peuvent faire craindre son affaiblissement, voire sa disparition. Seules les négociations sur les forces nucléaires intermédiaires, dites intermédiaires, celles qui ne franchissent pas l'Atlantique mais qui peuvent atteindre tous les pays d'Europe, donnent aujourd'hui quelques signes de progrès et la France, je le dis hautement, et de cette tribune, souhaite leur réussite.
- N'oublions pas au passage que l'objet du désarmement est d'accroître la sécurité, non de l'abaisser, de préserver les équilibres non de les compromettre. Et notre espoir est qu'un accord ne portant que sur les forces nucléaires intermédiaires ne représente qu'une étape dans le désarmement, une étape liée d'une part au désarmement stratégique - quelques onze mille charges nucléaires en Union soviétique, douze à treize mille aux Etats-Unis d'Amérique - et d'autre part au désarmement des forces conventionnelles, des armes chimiques ou de toute forme d'arme, quelle que soit sa portée, qui peut conduire à des affrontements. Tout cela dans le cadre d'un contrôle, d'une vérification sans faille, c'est-à-dire d'un respect fondamental aux engagements pris.
- La France, vous le savez, n'est pas partie aux négociations en cours, on ne lui a pas demandé de siéger autour de la table du désarmement, et on le lui aurait demandé, elle n'aurait pas accepté car tant que les deux plus grandes puissances en seront au point où elles en sont, avec le nombre de charges nucléaires que je viens de citer, avant de s'adresser aux autres, notamment à la Grande-Bretagne ou à la France, qui ont des armes, certes, mais de l'ordre de la centaine, ou de deux centaines, il faudrait que de grands progrès fussent accomplis. C'est la thèse que j'ai développée devant les Nations unies en 1983.\
Mais mon pays comme ses voisins, ne peut manquer d'être affecté par un conflit ou par une négociation qui se déroule sur le désarmement et si nous tendons à préserver la stratégie autonome de dissuasion nucléaire qui est la nôtre, fondement selon nous de notre sécurité, nous voulons ajouter nos efforts à ceux des autres pour réduire les tensions.
- Mesdames et messieurs, la France est à quelques centaines de kilomètres de ce monde qui se trouve de l'autre côté de l'Europe coupée en deux depuis Téhéran et Yalta. Elle a fondé avec ses voisins directs une communauté d'abord à 6, ensuite à 9, à 10, à 12 £ cette Europe, nous voudrions qu'elle fût capable, non seulement d'organiser son économie, 320 millions de personnes, un marché plus vaste que celui des Etats-Unis d'Amérique, beaucoup plus vaste que celui de l'Union soviétique, un ensemble de compétences techniques et scientifiques plus large que celui du Japon, une capacité historique non pas à dominer - ce n'est pas dans ces termes désormais que se situe l'avenir du monde -, mais à assurer la présence de chacun des Etats, des nations qui la composent.
- Voilà notre premier choix, notre première volonté, notre premier objectif. Nous voulons bâtir l'Europe et nous y appliquons notre volonté. Nous rencontrons beaucoup d'obstacles. J'étais jeune parlementaire en 1948, bientôt 40 ans, participant au premier congrès européen `La Haye`, trois ans après la fin de la deuxième guerre mondiale. Ce congrès était présidé par Churchill. Il y avait là des Allemands et dans chacune de nos familles, les deuils, les chagrins, les séparations, les supplices marquaient encore notre esprit quand ils n'avaient pas marqué nos corps. Et cependant nous étions quelques-uns à vouloir la réconciliation, à commencer par la réconciliation franco-allemande, et à entraîner les autres peuples de l'Europe. Bâtir l'Europe comme nous le faisons aujourd'hui, ce n'est pas un rêve, ce n'est pas projeter vers un horizon inconnu les difficultés trop connues que nous vivons aujourd'hui.\
L'Europe est notre objectif principal mais ce n'est pas le seul. L'autre, je vous l'ai dit c'est de contribuer à l'harmonie du monde, c'est de veiller à ce que la France, pays si longtemps africain, et même universel, et qui le reste aide à - mais autrement - développer toutes les chances, à unir les cultures, d'où l'importance de la francophonie. C'est vrai, je reviendrai dans votre pays, d'ici peu, au mois de septembre pour participer au Québec à la deuxième conférence de la francophonie. Vous m'aurez beaucoup vu en l'espace de deux saisons mais je ne m'en plains pas et je n'ai pas fait le projet de revenir vous voir l'année suivante, de nouveau à Ottawa où les sept reviendront selon le cycle établi, selon la noria un peu systématique qui fait que l'on retrouve chaque année toujours les mêmes problèmes, mais dans des endroits différents.\
L'Europe, la francophonie, l'élargissement universel par la paix et le développement, je ne saurais clore cette intervention devant ce Parlement sans évoquer les droits de l'homme. Et vous dire que, selon un thème que j'ai souvent développé dans mon pays, reprenant une citation qui fut aussi celle d'Hemingway - titre de l'un de ses grands ouvrages "Pour qui sonne le glas" - qu'une liberté quelque part dans le monde, qu'un droit de l'homme soit bafoué, qu'une vie soit injustement brisée, qu'une liberté soit perdue, c'est le glas d'un individu, mais le glas il sonne pour nous.
- La lutte pour la liberté, comme vous devez, mesdames et messieurs, la comprendre et combien d'entre vous la partagent. Dans leur action de chaque jour, dans la continuité des grandes batailles qui ont occupé les siècles et les siècles, la libération de l'homme et de chaque personne dans des Etats où la liberté serait garantie, c'est peut-être aussi cela l'apprentissage de la démocratie. Voyant l'état, le mouvement, la marche du monde, nous avons le droit de craindre pour la liberté. Comme c'est bon pour moi que de pouvoir ainsi m'exprimer devant une assemblée de femmes et d'hommes libres. C'est bien là qu'est le secret de cette entente profonde, dépassant les litiges et les querelles qui nous unissent.
- Nous sommes de cette famille là. Je n'ignore rien assurément des problèmes qui vous sont posés dans votre pays. Vous pourriez de la même façon évoquer ceux qui se propagent dans le mien. Je n'oublie pas les devoirs particuliers de mon pays. Je les exprimerai demain, après-demain, à l'égard de la partie qui a vécu la France et qui la prolonge aujourd'hui par sa culture, par sa langue, par ses goûts. Et je veux adresser un salut particulièrement sensible à celles et à ceux qui m'entendent et qui ont vécu cette expérience-là. Mais je sens bien qu'un grand pays comme le vôtre a besoin de rassembler toutes ses forces pour témoigner et pour agir conformément aux idéaux que j'ai cherchés à définir et qui reprenaient le fil du discours de M. le Premier ministre. C'est notre, quand je dis notre, votre, le mien, c'est notre patrimoine. Soyons-en fiers, ne cherchons pas à l'imposer, mais cherchons à convaincre.\
Et si dans le monde, on voit demain comme on l'a déjà vu dans le passé - mais plus encore demain -, le Canada et la France s'associaient dans des démarches simples mais nécessaires sur le chemin que nous avons essayé de tracer, alors une visite comme celle-ci s'inscrira dans la véritable suite des temps. Celle que nous dictent nos consciences, celle où l'amitié et la fraternité prévalent, celles qui feront du Canada et de la France, chaque jour davantage, deux pays, deux peuples associés et capables dans le progrès de chaque jour de proposer au monde quelques réponses : monde qui souffre et qui s'inquiète, monde qui meurt, mais aussi monde qui naît en chacune de vos régions, de vos provinces, de vos Etats. Partout à l'Est, à l'Ouest, au Nord, au Sud, immense pays, partout naît l'avenir. Quelques hommes, quelques femmes, parfois perdus dans une immensité, des villes, de grands centres, l'industrie, l'agriculture qui se développent, le sport partout et la capacité de vaincre les obstacles, oui, vous avez beaucoup pour vous, mesdames et messieurs. Permettez-moi de vous dire, simplement ceci, sans faire de leçon à personne "sachez lier la gerbe et moudre le grain".
- Un pays comme la France, plus vieux pays, qui en a vu beaucoup, qui en verra encore, sait que lui aussi dispose de potentiel et de chances indéfinies, que tout est à construire pour le siècle qui vient. Alors j'appelle souvent mes compatriotes à se rassembler, non pas à ignorer leurs propres différences - chacun a le droit de sa préférence et j'ai la mienne - mais à se rassembler chaque fois qu'il est nécessaire de témoigner pour son pays, et de témoigner pour la situation des hommes dans le monde.
- Voilà, j'ai tout dit de ce que je voulais vous dire, mesdames et messieurs £ ce qui veut dire que j'aurais aimé non pas tenir cette tribune plus longtemps mais participer à un échange plus large encore. J'ai déjà été bien servi par l'accueil chaleureux de M. le Premier ministre dans un discours très architecturé, et qui plus est en deux langues. Mais comme c'eût été agréable avec vous ! Il y a naturellement une opposition et une majorité, je connais les deux mesdames et messieurs et je ne sais où se trouve le meilleur. Bien entendu, j'ai tendance à penser que le meilleur se trouve soit dans l'opposition, soit dans la majorité, selon les circonstances auxquelles j'ai été moi-même mêlé. Mais dire la vérité pour les autres, il n'y a rien de plus fâcheux. Vous êtes un pays souverain. Pouvoir discuter avec vous, avec chacun d'entre vous, bref redevenir un moment parlementaire ici, perdre sans doute pour un moment cette belle unanimité.. Mais retrouvons-la tout de suite. Mesdames et messieurs - j'ai cessé - merci de votre accueil. Vive le Canada,
- Vive la France !\