4 mai 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du dîner offert en l'honneur de M. Paul Biya, Président du Cameroun, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 4 mai 1987.

Monsieur le Président,
- Madame,
- C'est pour nous une véritable joie, en vous accueillant ce soir à l'Elysée, de vous exprimer l'amitié, le respect et l'estime qu'avec l'ensemble des Français nous éprouvons pour le Cameroun, son Président et le peuple camerounais. J'ai encore à l'esprit le souvenir de ma visite dans votre pays en juin 1983, et je n'ai pas oublié l'accueil des Camerounais et la qualité de votre hospitalité. Nous avons vécu là des jours très intenses et noué une solide amitié. Plus récemment, en février 1985, votre visite officielle de travail à Paris nous avait donné l'occasion d'entretiens fructueux. Votre visite d'Etat aujourd'hui est un jalon important dans l'histoire de nos relations depuis l'indépendance de votre pays. Elle donnera lieu à de nombreux échanges de vues entre nous, à des contacts avec les principaux acteurs de la vie politique, économique et culturelle française. Vous constaterez que la France, où vous avez passé plusieurs années de votre jeunesse, progresse et se transforme. A cet égard, je pense que votre déplacement en province, à Lyon, à Montpellier, vous permettra de mesurer le chemin parcouru par notre pays au cours de ces dernières années.\
Le Cameroun, est, lui aussi un pays qui avance. Nous connaissons le dessein ambitieux qui est le vôtre depuis votre accession à la Présidence. Il est double : consolider d'une part les institutions politiques en tenant compte des délicats équilibres de la société camerounaise et de l'aspiration de vos compatriotes à participer largement à la vie publique, et d'autre part, avancer dans le même temps dans la voie d'un développement qui, sans bouleverser les structures économiques et sociales traditionnelles, étendra au plus grand nombre les bienfaits du progrès matériel. Nous n'ignorons pas les efforts importants accomplis dans ce domaine par votre gouvernement, qu'il s'agisse des infrastructures, des équipements sociaux, de l'éducation, du développement économique proprement dit. Les résultats en sont tangibles : un taux de scolarisation parmi les plus élevés d'Afrique, un secteur industriel en expansion, une agriculture qui se porte bien et qui assure l'autosuffisance alimentaire.
- Ce grand dessein s'appuie sur une certaine idée de l'homme, de son rôle dans la société : un Africain confirmé dans sa dignité et dans sa liberté, mais aussi un homme dans sa communauté, avec ce que cela suppose de solidarité et de cohésion. Vous avez, à cet égard, délivré ce message dans votre livre tout récent "Pour le libéralisme communautaire".
- Nous qui suivons avec attention et sympathie les affaires du Cameroun et de l'Afrique, sommes conscients de la grandeur de la tâche que vous vous êtes assignée, et nous en mesurons la difficulté. La diversité ethnique et linguistique du Cameroun, vous me disiez à l'instant quelques deux cents langages, sa richesse culturelle, tout cela ne se concilie pas facilement avec les impératifs de l'unité nationale. Chez nous, notre unité a mis des siècles à se constituer, l'apprentissage de la démocratie a été long et fertile en péripéties. Cela nous permet d'apprécier davantage la hardiesse de votre -entreprise.\
D'ores et déjà, les résultats sont là qui attestent de sérieuses avancées de votre pays, avancées qui constituent un encouragement à poursuivre dans la même voie, même si l'environnement international ne facilite pas la tâche d'un pays comme le vôtre. Vos produits d'exportation voient leurs cours baisser tandis que le coût des importations des produits manufacturés augmentent, les modalités de remboursement de la dette extérieure compromettent la croissance, l'instabilité monétaire internationale rend aléatoire toute prévision, bref le Cameroun, même s'il dispose de plus de ressources naturelles que de nombreux pays africains, subit lui aussi de sérieux handicaps. Et vous insistiez au cours de nos conversations ce soir comme vous le ferez demain sur les problèmes posés par cette situation de caractère essentiellement international.
- Vous le supposez bien, non seulement, la France n'est pas indifférente à cette situation, mais elle ne ménage pas ses efforts pour y apporter, dans la mesure du possible, d'utiles solutions. Au cours des dernières années, et malgré nos propres difficultés, nous nous sommes efforcés d'accroître l'ensemble de nos aides bilatérales et multilatérales. Chaque fois que l'occasion s'en présente, et notamment dans les enceintes internationales, la France affirme son attachement à quelques principes de base, elle se fait l'avocat de rapports d'interdépendance entre le Nord et le Sud.
- Elle a une politique qui se propose de contribuer au développement de tous ses partenaires africains, de seconder leurs efforts, s'ils le souhaitent, sur la scène internationale. Elle le fait en accord avec eux, dans le respect de leur souveraineté et de leur indépendance.
- Bien entendu, nous avons des intérêts. Et nous entendons les protéger. Nous devons les défendre, car notre peuple, lui aussi, souffre de la crise internationale. L'important, voyez-vous, est que ces intérêts, les vôtres, les nôtres se rejoignent et c'est la raison pour laquelle nous cherchons toujours davantage à nous associer dans des projets communs, à procéder à des transferts de technologies, à participer à la formation des femmes et des hommes de votre pays. Et nous ne visons aucune exclusivité, ne pouvant tout faire nous-mêmes, nous sommes au demeurant fort heureux que d'autres pays apportent leur contribution.
- Des décennies de vie partagée, de sacrifices consentis en commun, une langue, le Français qui vous appartient autant qu'à nous-mêmes, des maîtres qui nous enseignent les mêmes disciplines, des intérêts entrecroisés, des inspirations convergentes, voilà qui nous permet de nous comprendre à demi-mot, de vivre les événements au même diapason. Nous sommes portés d'instinct aux mêmes préférences. Que de mystérieuses correspondances entre les peuples !\
Je l'ai déjà dit, la France partage les préoccupations des pays du tiers monde, notamment, on le sait bien, celles des pays africains. Elle est attentive aux menaces qui pèsent sur leur intégrité territoriale, sur leur indépendance et, sans s'arroger un quelconque droit à cet égard, elle est constamment disposées à les aider s'ils le demandent. On sait que les événements récents l'ont montré, je veux parler du conflit tchado-libyen, à propos duquel vos propres prises de position ont été particulièrement nettes. Ils ont montré que la France était fidèle à ses engagements. Je puis assurer, ici, qu'elle le demeurera. Nous nous sommes réjouis de la façon dont les tchadiens eux-mêmes, certes appuyés par leurs amis et spécialement par la France, ont pu avec courage, détermination, intelligence, reconquérir l'intégrité de leur pays. Je le répète encore, la France a fait ce qu'elle devait, au-delà même de ses engagements qui depuis un certain nombre d'années étaient réduits £ mais les engagements directs passaient après l'intérêt de l'Afrique, de sa liberté, et nous comprenions l'inquiétude de nos amis qui avaient besoin d'être assurés toujours davantage que la France serait fidèlement à leurs côtés. Nous ne sommes pas, nous n'avons pas été un pays en guerre. Nous avons soutenu l'effort de guerre de peuples menacés dans leur indépendance. C'est cela la différence ! Et aujourd'hui nous pouvons mesurer avec le Tchad réconcilié et l'indépendance retrouvée que c'est ainsi qu'il convenait d'agir. Ceci ne diminue en rien le rôle de votre organisation continentale, l'organisation de l'unité africaine dont nous appuyons les efforts en vue de résoudre les conflits régionaux. Mais puisque vous avez vécu comme nous-mêmes les périodes difficiles de ce conflit dans un pays voisin du vôtre, vous comprendrez mieux que quiconque le sens de mes propos.
- L'Afrique n'est pas épargnée, pas plus que quiconque, par les malheurs que les hommes, souvent par leur aveuglement, s'infligent à eux-mêmes, ou bien infligent à leurs semblables. Comment ne pas parler ici du peuple namibien, arrêté sur le chemin de son indépendance, des souffrances d'autres pays d'Afrique australe victimes des ingérences du dernier pays au monde à faire du racisme un dogme ? Comment ne pas s'insurger contre la politique d'apartheid, contraire à la dignité humaine, cela va de soi, et aux intérêts mêmes de ses promoteurs qui ne semblent pas encore s'en rendre compte.
- Est-il besoin de dire enfin que nous nous employons à créer les conditions d'un désarmement entre l'Est et l'Ouest permettant de respecter l'équilibre des forces, afin de réduire, selon notre pouvoir, les risques d'un conflit mondial qui n'épargnerait personne ? Faut-il dire que nous prônons sans relâche l'affectation au développement des sommes considérables affectées au surarmement ? Que de moyens gaspillés qui seraient mieux employés à combattre les calamités naturelles et à remédier aux misères qui en découlent !
- Monsieur le Président, tous ces liens, tous ces points communs, toutes ces convergences constituent le tissu quotidien des relations entre nos deux pays.\
Il convient à ce propos je crois, de mentionner l'apport de nos communautés - communauté camerounaise en France, française au Cameroun, à peu près d'égale importance - à la substance vivante de nos relations. Aux Camerounais de France, qu'ils soient étudiants, hommes d'affaires ou autres, je dis qu'ils sont les bienvenus chez nous. Si la dureté des temps nous a amenés à être vigilants à l'égard des situations irrégulières, je souhaite que vos compatriotes sachent que la France reste une terre d'accueil qui s'enorgueillit de recevoir chez elles des forces vives et des talents, venus d'ailleurs ou tout simplement des amis.
- Est-il nécessaire de mentionner la présence parmi nous d'écrivains comme Bebey, de musiciens comme Manu Dibango que je pouvais saluer il y a un moment, des champions comme Yannick Noah. Ils sont en france chez eux, nombreux sont ceux qui partagent notre nationalité, qui portent haut nos couleurs, et à ceux qui sont parmi nous ce soir, j'adresse un salut fraternel. Ils m'ont en tout cas permis d'évoquer de grandes réussites humaines qui se reportent et sur votre peuple, et sur le nôtre.
- Quant aux Français du Cameroun, entrepreneurs, commerçants, coopérants, je sais leur souhait sincère d'apporter leur contribution au développement de votre pays. Tous, Camerounais d'ici et Français de chez vous, font déjà beaucoup. Assurément, nous souhaitons tous faire davantage. Il faut savoir en trouver les moyens et ce sera l'objet des conversations que vous aurez, monsieur le Président, avec les membres du gouvernement, le Premier ministre en premier lieu, que vous aurez l'occasion de rencontrer tout particulièrement demain.
- J'ai parlé de solidarité. Eh bien, c'est à cette solidarité, mesdames et messieurs, que je lèverai mon verre, vous invitant à lever les vôtres. C'est en l'honneur de nos amis, le Président de la République du Cameroun et de Mme Paul Biya, bienvenus parmi nous, en l'honneur de leur famille, des personnalités qui les accompagnent, je le répète parce qu'il le faut, et parce que nous le pensons, du peuple camerounais lui-même, auquel nous lient tant de sentiments chaleureux. C'est en pensant à tout cela que je lève ce verre, vous adressant à nouveau le témoignage de notre amitié, mon verre levé à votre bonheur personnel, madame, monsieur le Président, mesdames et messieurs, mon verre levé à l'amitié fidèle entre nos peuples, à l'Afrique toute entière.
- Vive le Cameroun, vive la France.\