9 avril 1987 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, à "Via Europe" le 9 avril 1987, notamment sur la place des jeunes dans la construction de l'Europe et le développement d'une culture européenne.
QUESTION.- Depuis 1949, les faits de la seconde guerre mondiale s'étant estompés, la nécessité européenne ne se présente plus aux jeunes de la même manière. Pensez-vous que l'on puisse trouver, aujourd'hui, un moteur comparable pour inciter les jeunes à participer à la construction européenne ?
- Le PRESIDENT.- Le seul "moteur" qui vaille c'est l'adhésion des peuples. L'Europe doit être celle des citoyens. Une Europe bureaucratique n'a aucune chance de réussite. Je l'ai dit plusieurs fois : "L'Europe n'a pas d'avenir, si la jeunesse n'a pas d'espoir". Mais la jeunesse n'a pas d'espoir si l'Europe n'a pas d'avenir.
- L'Europe c'est déjà une communauté économique à douze, c'est Ariane, Airbus, Hermès. C'est aussi la promesse de grands chantiers comme le tunnel sous la Manche, créateurs des emplois dont notre jeunesse a besoin. Je ne vois pas un seul des domaines où se joue l'avenir, - la haute technologie, la recherche, l'audiovisuel, l'éducation - où la dimension nationale restera pertinente face aux défis lancés par les grandes puissances, les Etats-Unis comme le Japon. Solidaires nous serons plus forts £ unis nous redeviendrons les premiers.\
QUESTION.- Pour nous, jeunes Européens, l'horizon proche, c'est l'an 2000. L'Europe nous apparaît comme pouvant être un -cadre privilégié pour répondre à un certain nombre de problèmes. Celui de la sécurité se pose toujours. L'Europe peut-elle apporter une répose globale aux terrorismes ? Et ne pensez-vous pas que la lutte contre les terrorismes aurait pu être la première marche vers une défense européenne ?
- Le PRESIDENT.- Combattre le terrorisme sous toutes ses formes en coordonnant étroitement l'ensemble des services compétents mais aussi définir avec hardiesse des relations pacifiques et d'intért mutuel entre l'Europe d'une part, le Proche et Moyen-Orient d'autre part : voilà de grandes tâches pour l'Europe.
- Quant à la défense européenne, il s'agit de rendre complémentaire et de mieux harmoniser les politiques de défense et l'organisation des armements dans les pays d'Europe. C'est difficile car nous en sommes encore au partage de l'Europe d'il y a plus de 40 ans dont il a résulté des statuts différents pour les Européens, ceux qui sont devenus des puissances nucléaires, ceux qui ne le peuvent pas, ceux qui ne le souhaitent pas, ceux qui en droit ou en fait préfèrent rester neutres etc etc... Cela dit la défense européenne finira par s'imposer. Voyez déjà ce qui a été accompli entre la France et l'Allemagne.
- QUESTION.- Vous avez déclaré que "l'arme nucléaire ne se partageait pas". Peut-on demander aux Européens, qui encourent les mêmes risques, de ne pas bénéficier de la même protection.
- Le PRESIDENT.- Il s'agit simplement de constater que l'éventuelle décision d'emploi de l'arme nucléaire en raison de sa nature même et de ses effets ne peut être partagée entre plusieurs personnes, a fortiori entre plusieurs pays. Les différences de situation qui existent en Europe et que je viens de relever sont des faits dont on doit tenir compte même si on le regrette. Différences de situation géographique, appartenance ou non à l'Alliance atlantique, détention ou non de l'arme nucléaire. Ces diversités de fait n'empêchent pas des rapprochements : ils sont évidents.
- D'ores et déjà, des propositions intéressantes ont été faites, notamment par le Chancelier Schmidt. Elles doivent alimenter nos réflexions.\
QUESTION.- Les études et la formation apparaissent également comme une période privilégiée pour une meilleure connaissance des uns et des autres. Mais le cursus européen, pour un étudiant, est encore exceptionnel et coûteux.
- Pour des raisons budgétaires, le projet Erasmus a été abandonné. Faut-il éternellement s'arrêter à des considérations budgétaires pour ne pas investir dans l'enseignement et la matière grise alors que l'on sait que c'est le seul moyen d'assurer l'avenir européen, tant économique ou scientifique qu'humaniste ?
- Le PRESIDENT.- Il faut en effet que les jeunes d'Europe se connaissent davantage. La période des études ou de la formation est la plus propice aux échanges entre eux. Je suis frappé de voir que trop souvent, lorsque des jeunes Européens quittent leur pays pour des études à l'étranger, ils choisissent les Etats-Unis d'Amérique, au lieu d'un autre pays d'Europe. Le programme Erasmus destiné à favoriser la mobilité des étudiants en Europe doit être relancé même s'il bouleverse des habitudes casanières. Je l'ai rappelé au dernier sommet de Londres et je pense avoir été entendu.\
QUESTION.- L'Europe, pour les jeunes générations, ne sera crédible que si elle apporte une réponse au problème numéro un actuel : l'emploi. L'est-elle vraiment ?
- Le PRESIDENT.- Il y a aujourd'hui dans les douze pays de la Communauté 15 millions de chômeurs. C'est en effet notre principal problème. Seule une croissance plus élevée en Europe permettrait de faire reculer le chômage. Or aucun pays d'Europe ne peut relancer isolément son économie sous peine de souffrir rapidement de déséquilibres des paiements extérieurs. Il faut donc que tous les pays d'Europe fassent un effort conjoint et coordonné pour stimuler la croissance, chacun utilisant les marges de manoeuvre dont il dispose. Cette approche, que je soutiens, est celle qu'a proposée le président de la Commission, Jacques Delors. Les chefs d'Etat et de gouvernement l'ont approuvée. Il reste maintenant à la mettre en oeuvre. J'ai proposé aussi que nous étudiions la possibilité de réaliser un programme des grands travaux de communication de tous ordres : autoroutes, trains à grande vitesse, réseaux de communication à larges bandes. Un tel programme donnerait à la jeunesse, en même temps que du travail, le goût d'une Europe ambitieuse. C'est une proposition. Il y en a sans doute d'autres.\
QUESTION.- L'un des facteurs d'unité des USA a été la langue anglaise. Pour l'Europe, peut-on imaginer un facteur d'unité linguistique ou culturel ?
- Le PRESIDENT.- Certes, l'Italie n'est pas l'Espagne, qui n'est pas l'Allemagne, etc... etc... Pourtant, l'Europe, c'est un -état d'esprit, une approche des événements, un goût des couleurs et des sons que l'on retrouve d'un pays à l'autre et qui forment un art, une sensibilité européenne. Cette culture commune peut paraître difficile à définir, mais elle est ressentie, je crois, par tous les Européens. C'est sûrement pour l'Europe un lien plus fort que les liens économiques, un facteur d'unité exceptionnel. Si l'on ne peut penser à une langue unique on peut parfaitement développer considérablement l'enseignement des langues principales, ou au moins des bilinguismes.
- QUESTION.- Actuellement la télévision est le principal outil pour véhiculer la culture, notamment auprès des jeunes. Pensez-vous que l'Europe puisse créer un modèle dans ce domaine ou que l'on assistera simplement à la multiplication des schémas nationaux ?
- Le PRESIDENT.- L'audiovisuel constitue un facteur essentiel d'expression de l'identité culturelle de l'Europe. L'Europe sait et saura construire les équipements du futur, la télévision haute définition, les satellites. Elle peut produire ses propres programmes et les distribuer. Nous avons besoin aujourd'hui de 125000 heures de programmes, alors que dans un pays comme la France on n'en produit que 5000. Le reste est importé et ce sont des images venues de l'extérieur, Etats-Unis surtout et Japon, que les jeunes Européens absorbent. Sachons-le : l'Europe de la culture se fera par l'Europe des images. J'espère que 1988, qui sera l'année du cinéma et de la télévision en Europe, donnera un coup d'accélérateur décisif dans ce domaine.\
QUESTION.- L'écu se développe bien, mais reste matériellement éloigné des citoyens. Pour voyager en Europe, il nous faut encore changer notre argent à chaque frontière. Les Allemands semblent ne supporter l'écu que tant que celui-ci ne vient pas concurrencer le mark sur les marchés financiers. Pensez-vous que l'Europe pourra, avec une volonté politique européenne, créer une monnaie commune, ou que ce sont les contingences monétaires qui obligeront l'Europe à se faire ?
- Le PRESIDENT.- L'Europe aura un jour une monnaie commune, j'en suis convaincu. C'est parce que je crois profondément à la nécessité d'une réalité monétaire européenne que j'ai dit à Londres, récemment "ou bien le SME réussira et l'Europe se fera, ou bien il échouera et l'Europe ne se fera pas". Mais il n'est pas réaliste d'imaginer qu'une monnaie européenne remplace les monnaies nationales à brève échéance.
- L'écu privé - qui circule entre banques commerciales - est déjà largement utilisé, même en dehors de l'Europe.
- L'écu public - qui s'échange entre banques centrales - n'a pas connu jusqu'à présent un pareil développement. Il faut faire en sorte que l'écu devienne une grande monnaie internationale qui joue un rôle stabilisateur face au dollar et au yen.\
QUESTION.- La démographie est un problème de société important, et les rapports Nord Sud intéressent de plus en plus les jeunes. On constate ainsi que le fossé se creuse entre des pays industrialisés à PNB croissant et démographie décroissante, et l'immense majorité des pays à démographie galopante et PNB décroissant. Quelle est la responsabilité et les moyens de l'Europe face à cette situation ?
- Le PRESIDENT.- Vous avez raison de soulever ce problème que je crois essentiel à l'avenir commun de l'humanité. Le fossé entre pays développés et pays en développement ne se résorbe pas, il se creuse.
- L'instabilité chronique du cours des matières premières, les fluctuations erratiques des taux de change, les calamités naturelles - la sécheresse hier, les criquets aujourd'hui - le poids de la dette extérieure, on n'en finirait pas d'énumérer tous les maux qui sapent le développement des pays les plus pauvres. Prenons-y garde : la peur et la faim aujourd'hui, demain le désespoir et peut-être la violence. La France, l'Europe doivent réagir, secouer les apathies et prôner la solidarité. Les accords de Lomé, la création du fonds spécial Afrique, la reconstitution des financements de l'AID sont autant d'exemples concrets. Il faut aller plus loin pour aider les pays en développement, comme je l'ai proposé à Lomé l'an dernier, en concentrant nos efforts sur les plus démunis.\
QUESTION.- A cet égard, plusieurs responsables politiques, dont vous-même, pensent que l'Europe a besoin d'un visage. Quel président pour l'Europe pourrait incarner ce visage, et par quel mode de désignation ?
- Le PRESIDENT.- La pratique actuelle n'est pas satisfaisante : tous les six mois, la présidence du Conseil change. En outre, avec la Commission, avec le Conseil on s'y perd un peu. On comprend mal la réalité des Institutions européennes. On ne sait qui décide, qui est responsable. La nomination et l'élection d'un président de l'Europe clarifierait la situation, mais il faudra beaucoup de réflexions en commun pour déterminer ce que devront être ses pouvoirs, ses attributions et les étapes intermédiaires.\
QUESTION.- Les jeunes sont très sensibles aux problèmes d'environnement, traités actuellement par chaque Etat de façon plus ou moins indépendante. Tchernobyl, "TchernoBâle", les pluies acides, il n'y a plus de dégradations écologiques simplement nationales. Quelle réponse peut-on apporter ?
- Le PRESIDENT.- Le dépérissement de certaines forêts et les catastrophes de Tchernobyl ou du Rhin ont des conséquences qui ne connaissent pas de frontières. Il est donc indispensable d'organiser la prévention, l'information des populations et d'entretenir un dialogue permanent entre les différents pays concernés. Je vous rappelle que 1987 a été décidée année européenne de l'environnement.
- Hors de l'Europe, la diversification, la déforestation l'érosion des sols, le manque d'eau ou la dégradation de sa qualité sont autant de risques qui menacent l'équilibre du monde. Il s'agit de notre survie.
- A ce problème sans frontières il faut une réponse universelle. En commençant chez nous, en Europe, à créer les autorités adéquates.\
- Le PRESIDENT.- Le seul "moteur" qui vaille c'est l'adhésion des peuples. L'Europe doit être celle des citoyens. Une Europe bureaucratique n'a aucune chance de réussite. Je l'ai dit plusieurs fois : "L'Europe n'a pas d'avenir, si la jeunesse n'a pas d'espoir". Mais la jeunesse n'a pas d'espoir si l'Europe n'a pas d'avenir.
- L'Europe c'est déjà une communauté économique à douze, c'est Ariane, Airbus, Hermès. C'est aussi la promesse de grands chantiers comme le tunnel sous la Manche, créateurs des emplois dont notre jeunesse a besoin. Je ne vois pas un seul des domaines où se joue l'avenir, - la haute technologie, la recherche, l'audiovisuel, l'éducation - où la dimension nationale restera pertinente face aux défis lancés par les grandes puissances, les Etats-Unis comme le Japon. Solidaires nous serons plus forts £ unis nous redeviendrons les premiers.\
QUESTION.- Pour nous, jeunes Européens, l'horizon proche, c'est l'an 2000. L'Europe nous apparaît comme pouvant être un -cadre privilégié pour répondre à un certain nombre de problèmes. Celui de la sécurité se pose toujours. L'Europe peut-elle apporter une répose globale aux terrorismes ? Et ne pensez-vous pas que la lutte contre les terrorismes aurait pu être la première marche vers une défense européenne ?
- Le PRESIDENT.- Combattre le terrorisme sous toutes ses formes en coordonnant étroitement l'ensemble des services compétents mais aussi définir avec hardiesse des relations pacifiques et d'intért mutuel entre l'Europe d'une part, le Proche et Moyen-Orient d'autre part : voilà de grandes tâches pour l'Europe.
- Quant à la défense européenne, il s'agit de rendre complémentaire et de mieux harmoniser les politiques de défense et l'organisation des armements dans les pays d'Europe. C'est difficile car nous en sommes encore au partage de l'Europe d'il y a plus de 40 ans dont il a résulté des statuts différents pour les Européens, ceux qui sont devenus des puissances nucléaires, ceux qui ne le peuvent pas, ceux qui ne le souhaitent pas, ceux qui en droit ou en fait préfèrent rester neutres etc etc... Cela dit la défense européenne finira par s'imposer. Voyez déjà ce qui a été accompli entre la France et l'Allemagne.
- QUESTION.- Vous avez déclaré que "l'arme nucléaire ne se partageait pas". Peut-on demander aux Européens, qui encourent les mêmes risques, de ne pas bénéficier de la même protection.
- Le PRESIDENT.- Il s'agit simplement de constater que l'éventuelle décision d'emploi de l'arme nucléaire en raison de sa nature même et de ses effets ne peut être partagée entre plusieurs personnes, a fortiori entre plusieurs pays. Les différences de situation qui existent en Europe et que je viens de relever sont des faits dont on doit tenir compte même si on le regrette. Différences de situation géographique, appartenance ou non à l'Alliance atlantique, détention ou non de l'arme nucléaire. Ces diversités de fait n'empêchent pas des rapprochements : ils sont évidents.
- D'ores et déjà, des propositions intéressantes ont été faites, notamment par le Chancelier Schmidt. Elles doivent alimenter nos réflexions.\
QUESTION.- Les études et la formation apparaissent également comme une période privilégiée pour une meilleure connaissance des uns et des autres. Mais le cursus européen, pour un étudiant, est encore exceptionnel et coûteux.
- Pour des raisons budgétaires, le projet Erasmus a été abandonné. Faut-il éternellement s'arrêter à des considérations budgétaires pour ne pas investir dans l'enseignement et la matière grise alors que l'on sait que c'est le seul moyen d'assurer l'avenir européen, tant économique ou scientifique qu'humaniste ?
- Le PRESIDENT.- Il faut en effet que les jeunes d'Europe se connaissent davantage. La période des études ou de la formation est la plus propice aux échanges entre eux. Je suis frappé de voir que trop souvent, lorsque des jeunes Européens quittent leur pays pour des études à l'étranger, ils choisissent les Etats-Unis d'Amérique, au lieu d'un autre pays d'Europe. Le programme Erasmus destiné à favoriser la mobilité des étudiants en Europe doit être relancé même s'il bouleverse des habitudes casanières. Je l'ai rappelé au dernier sommet de Londres et je pense avoir été entendu.\
QUESTION.- L'Europe, pour les jeunes générations, ne sera crédible que si elle apporte une réponse au problème numéro un actuel : l'emploi. L'est-elle vraiment ?
- Le PRESIDENT.- Il y a aujourd'hui dans les douze pays de la Communauté 15 millions de chômeurs. C'est en effet notre principal problème. Seule une croissance plus élevée en Europe permettrait de faire reculer le chômage. Or aucun pays d'Europe ne peut relancer isolément son économie sous peine de souffrir rapidement de déséquilibres des paiements extérieurs. Il faut donc que tous les pays d'Europe fassent un effort conjoint et coordonné pour stimuler la croissance, chacun utilisant les marges de manoeuvre dont il dispose. Cette approche, que je soutiens, est celle qu'a proposée le président de la Commission, Jacques Delors. Les chefs d'Etat et de gouvernement l'ont approuvée. Il reste maintenant à la mettre en oeuvre. J'ai proposé aussi que nous étudiions la possibilité de réaliser un programme des grands travaux de communication de tous ordres : autoroutes, trains à grande vitesse, réseaux de communication à larges bandes. Un tel programme donnerait à la jeunesse, en même temps que du travail, le goût d'une Europe ambitieuse. C'est une proposition. Il y en a sans doute d'autres.\
QUESTION.- L'un des facteurs d'unité des USA a été la langue anglaise. Pour l'Europe, peut-on imaginer un facteur d'unité linguistique ou culturel ?
- Le PRESIDENT.- Certes, l'Italie n'est pas l'Espagne, qui n'est pas l'Allemagne, etc... etc... Pourtant, l'Europe, c'est un -état d'esprit, une approche des événements, un goût des couleurs et des sons que l'on retrouve d'un pays à l'autre et qui forment un art, une sensibilité européenne. Cette culture commune peut paraître difficile à définir, mais elle est ressentie, je crois, par tous les Européens. C'est sûrement pour l'Europe un lien plus fort que les liens économiques, un facteur d'unité exceptionnel. Si l'on ne peut penser à une langue unique on peut parfaitement développer considérablement l'enseignement des langues principales, ou au moins des bilinguismes.
- QUESTION.- Actuellement la télévision est le principal outil pour véhiculer la culture, notamment auprès des jeunes. Pensez-vous que l'Europe puisse créer un modèle dans ce domaine ou que l'on assistera simplement à la multiplication des schémas nationaux ?
- Le PRESIDENT.- L'audiovisuel constitue un facteur essentiel d'expression de l'identité culturelle de l'Europe. L'Europe sait et saura construire les équipements du futur, la télévision haute définition, les satellites. Elle peut produire ses propres programmes et les distribuer. Nous avons besoin aujourd'hui de 125000 heures de programmes, alors que dans un pays comme la France on n'en produit que 5000. Le reste est importé et ce sont des images venues de l'extérieur, Etats-Unis surtout et Japon, que les jeunes Européens absorbent. Sachons-le : l'Europe de la culture se fera par l'Europe des images. J'espère que 1988, qui sera l'année du cinéma et de la télévision en Europe, donnera un coup d'accélérateur décisif dans ce domaine.\
QUESTION.- L'écu se développe bien, mais reste matériellement éloigné des citoyens. Pour voyager en Europe, il nous faut encore changer notre argent à chaque frontière. Les Allemands semblent ne supporter l'écu que tant que celui-ci ne vient pas concurrencer le mark sur les marchés financiers. Pensez-vous que l'Europe pourra, avec une volonté politique européenne, créer une monnaie commune, ou que ce sont les contingences monétaires qui obligeront l'Europe à se faire ?
- Le PRESIDENT.- L'Europe aura un jour une monnaie commune, j'en suis convaincu. C'est parce que je crois profondément à la nécessité d'une réalité monétaire européenne que j'ai dit à Londres, récemment "ou bien le SME réussira et l'Europe se fera, ou bien il échouera et l'Europe ne se fera pas". Mais il n'est pas réaliste d'imaginer qu'une monnaie européenne remplace les monnaies nationales à brève échéance.
- L'écu privé - qui circule entre banques commerciales - est déjà largement utilisé, même en dehors de l'Europe.
- L'écu public - qui s'échange entre banques centrales - n'a pas connu jusqu'à présent un pareil développement. Il faut faire en sorte que l'écu devienne une grande monnaie internationale qui joue un rôle stabilisateur face au dollar et au yen.\
QUESTION.- La démographie est un problème de société important, et les rapports Nord Sud intéressent de plus en plus les jeunes. On constate ainsi que le fossé se creuse entre des pays industrialisés à PNB croissant et démographie décroissante, et l'immense majorité des pays à démographie galopante et PNB décroissant. Quelle est la responsabilité et les moyens de l'Europe face à cette situation ?
- Le PRESIDENT.- Vous avez raison de soulever ce problème que je crois essentiel à l'avenir commun de l'humanité. Le fossé entre pays développés et pays en développement ne se résorbe pas, il se creuse.
- L'instabilité chronique du cours des matières premières, les fluctuations erratiques des taux de change, les calamités naturelles - la sécheresse hier, les criquets aujourd'hui - le poids de la dette extérieure, on n'en finirait pas d'énumérer tous les maux qui sapent le développement des pays les plus pauvres. Prenons-y garde : la peur et la faim aujourd'hui, demain le désespoir et peut-être la violence. La France, l'Europe doivent réagir, secouer les apathies et prôner la solidarité. Les accords de Lomé, la création du fonds spécial Afrique, la reconstitution des financements de l'AID sont autant d'exemples concrets. Il faut aller plus loin pour aider les pays en développement, comme je l'ai proposé à Lomé l'an dernier, en concentrant nos efforts sur les plus démunis.\
QUESTION.- A cet égard, plusieurs responsables politiques, dont vous-même, pensent que l'Europe a besoin d'un visage. Quel président pour l'Europe pourrait incarner ce visage, et par quel mode de désignation ?
- Le PRESIDENT.- La pratique actuelle n'est pas satisfaisante : tous les six mois, la présidence du Conseil change. En outre, avec la Commission, avec le Conseil on s'y perd un peu. On comprend mal la réalité des Institutions européennes. On ne sait qui décide, qui est responsable. La nomination et l'élection d'un président de l'Europe clarifierait la situation, mais il faudra beaucoup de réflexions en commun pour déterminer ce que devront être ses pouvoirs, ses attributions et les étapes intermédiaires.\
QUESTION.- Les jeunes sont très sensibles aux problèmes d'environnement, traités actuellement par chaque Etat de façon plus ou moins indépendante. Tchernobyl, "TchernoBâle", les pluies acides, il n'y a plus de dégradations écologiques simplement nationales. Quelle réponse peut-on apporter ?
- Le PRESIDENT.- Le dépérissement de certaines forêts et les catastrophes de Tchernobyl ou du Rhin ont des conséquences qui ne connaissent pas de frontières. Il est donc indispensable d'organiser la prévention, l'information des populations et d'entretenir un dialogue permanent entre les différents pays concernés. Je vous rappelle que 1987 a été décidée année européenne de l'environnement.
- Hors de l'Europe, la diversification, la déforestation l'érosion des sols, le manque d'eau ou la dégradation de sa qualité sont autant de risques qui menacent l'équilibre du monde. Il s'agit de notre survie.
- A ce problème sans frontières il faut une réponse universelle. En commençant chez nous, en Europe, à créer les autorités adéquates.\