7 avril 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du déjeuner offert par le Premier ministre du Portugal et Mme Cavaco Silva, sur les relations franco-portugaises, Sintra, mardi 7 avril 1987.

Monsieur le Premier ministre,
- C'est un réel plaisir, pour nous, ma femme et moi, et pour toute la délégation française qui m'accompagne, d'avoir répondu à votre invitation et de nous retrouver, Portugais et Français, associés dans ce très haut lieu de l'histoire de votre pays et un beau lieu de surcroît.
- Depuis mon arrivée, au cours de mes entretiens avec le Président de la République, avec vous-même, mais aussi à l'occasion de rencontres avec mes compatriotes, j'ai pu constater une fois encore avec émotion combien le Portugal, dans toutes les composantes de sa société, était attaché à la permanence et au développement d'une amitié forgée au cours des siècles. La vaste -entreprise européenne dont vous venez de parler et à laquelle nous sommes désormais conviés, je crois, prouvera dans l'histoire que nos relations reposent sur un socle solide. Puis c'est dans ce palais même - m'a-t-on dit - que Luis de Camoens dont nous avons hier pu fleurir le cénotaphe fit au roi Sébastien la première lecture de son manuscrit des Lusiades, comment ne pas rendre hommage à la glorieuse histoire de votre pays.
- A l'heure de la conquête spatiale, l'esprit humain reste fasciné par la hardiesse des grands navigateurs portugais et par l'intelligence des souverains qui secondaient leurs desseins. Ils ont considérablement élargi l'horizon géographique et intellectuel de l'Europe, du monde en même temps, contribué aux progrès des connaissances, ainsi qu'au rayonnement d'une culture, la vôtre, qui se façonnait dans vos universités à Coïmbra, à Evora que je visiterai demain, je l'espère. Il nous appartient de méditer cette leçon : l'Europe n'a jamais été si grande que lorsqu'elle s'est ouverte sur le monde. Je souhaite que la visite d'Etat que j'accomplis soit l'occasion d'engager une réflexion à plus long terme sur ce que devrait être l'avenir des relations entre nos deux pays, dans une perspective bilatérale, communautaire et internationale. S'agissant de nos relations politiques, nous partageons, vous venez de le dire et si bien, un même attachement aux idéaux de démocratie, de solidarité, de liberté. Nous appartenons à une même alliance, nous sommes membres de la même communauté depuis plus d'une année. Tout nous incite, en fait, à réfléchir en commun aux grands problèmes de l'heure et à rechercher des solutions communes. L'irremplaçable expérience du Portugal dans les affaires du monde est un précieux apport pour l'Europe. De plus s'il s'agit de vous et de nous, aucun différend ne nous oppose et nous sommes toujours ensemble dès qu'il s'agit d'oeuvrer pour la paix, de promouvoir le développement, de défendre dans tous les points du globe le respect des droits de l'homme. Veillons, monsieur le premier ministre, mesdames et messieurs, à ce qu'il en soit toujours ainsi.\
Les échanges économiques que nous entretenons, j'allais dire depuis plusieurs siècles, continuent de croître harmonieusement mais nous nous sommes pour notre part attachés à développer les échanges et la mise en commun de nos expériences. Et il nous semble que nous devons aller toujours plus loin pour développer des courants, encourager la connaissance de nos marchés respectifs, favoriser la coopération entre toutes nos entreprises, enfin celles qui le désirent et qui le font.
- La France, dont j'ai la satisfaction de constater qu'elle est désormais le premier débouché pour l'économie du Portugal, souhaite vivement continuer d'accompagner l'essor que vous connaissez aujourd'hui. Nous devons nous réjouir de voir que notre pays fait de plus en plus appel aux produits vraiment les plus sophistiqués - indépendamment d'autres produits déjà sur nos marchés - de vos industries mécaniques, électriques, automobiles, sans pour autant bien entendu renier son traditionnel attachement au plus noble de ses produits, parmi lesquels je citerai naturellement les productions de votre terre de Porto. Il nous appartiendra aussi de favoriser les investissements, la coopération, de les orienter dans les domaines les plus prometteurs que nous ouvre la technologie contemporaine.
- Notre souci, mais je crois à vous entendre que vous le partagez entièrement, mesdames et messieurs, est de contribuer au rayonnement de nos deux cultures, puisées, au fond, à bien des sources communes et de nous appuyer sur les supports nouveaux que nous proposent les techniques de la communication.
- Sur le -plan humain, enfin, je veux rendre hommage à l'exceptionnelle contribution qu'apporte non seulement à nos économies mais aussi - et peut-être surtout - à nos sociétés, l'importante communauté portugaise de France. Je crois que cette communauté bénéficie d'un accueil amical, ouvert d'une façon générale, je crois que ce que rapportent de France vos compatriotes contribue à raffermir encore nos liens, plutôt que de les distendre, ce qui pourrait arriver, ce qui arrive dans d'autres circonstances.
- Cela porte témoignage de la réalité et de la fécondité d'une amitié, celle dont nous parlons.\
Vous le savez - c'est la dimension qui à tout moment occupe nos discours et nos pensées - cette forme bilatérale de l'amitié entre le Portugal et la France s'intégre désormais dans le -cadre de l'Europe. Et ce -cadre leur fournit, je crois, un prolongement naturel, nécessaire, qui nous permet d'agrandir notre ambition, de rêver à notre histoire ainsi projetée sur les siècles futurs. J'observe les remarquables progrès que vous accomplissez pour assumer les mutations de votre économie alors qu'il y a simplement un peu plus d'une année, bien des paris s'organisaient, pronostiquant sinon l'échec, du moins une pente dure à remonter : cela ne s'est pas produit £ cela prouve qu'au cours de ces dernières années le Portugal s'était intellectuellement et matériellement préparé à la compétition nouvelle dans laquelle il s'engageait.
- Vous le savez également : ce que l'on pourrait appeler le rééquilibrage de l'Europe vers le Sud répondait aux voeux de la France, pas simplement parce que la France se trouvait ainsi elle-même placée au centre de cette configuration, ce qui ne nous est pas indifférent. J'ai personnellement - je suis l'un des millions de Français qui le pensaient - toujours pensé que le Portugal devait être là £ et le Président de la République, M. Mario Soares, l'a rappelé hier soir : je crois que cela a été l'un de mes tout premiers gestes après mon élection au mois de mai 1981 que de lui dire "il faut que le Portugal entre dans la Communauté". Les années se sont passées, nous y sommes parvenus, nous sommes parvenus à l'acte juridique. Nous avons maintenant engagé une politique, nous commençons une économie. Il reste encore beaucoup à faire mais j'ai le sentiment que nos volontés sont les mêmes, que nos aspirations sont les mêmes, les vôtres, monsieur le Premier ministre et les nôtres, qu'elles se déroulent dans la confiance et dans l'amitié.
- Ce voyage parmi vous pour une visite d'Etat a notamment cet objet. Répondant à l'invitation, je n'ai, bien entendu, fixé aucun objectif particulier. Il s'agissait surtout de témoigner, peut-être de façon affective, de l'intérêt que nous portons à tous les éléments culturels qui nous rassemblent. Je ne suis pas venu négocier quoi que ce soit. Mais si nos amis portugais, ceux qui sont dans cette salle et puis tous les autres dans ce pays, ont le sentiment que la France est plus qu'hier encore déterminée à s'associer à votre destin dans l'Europe, alors j'aurai le sentiment d'avoir apporté aux Portugais un message qui vient du coeur et de l'esprit.\
Voilà, il me reste à vous remercier, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs, pour l'accueil chaleureux que vous nous avez réservé. Moi, j'ai confiance, j'ai confiance. En Europe, cette confiance sera soumise à quelques épreuves. Mais enfin, c'est là que la confiance, précisément, s'affirme et s'affine : quand c'est difficile. Et pourquoi serait-ce facile ? Si l'on songe à ce qui, au travers du temps, de l'histoire, depuis que les premières nations se sont constitutées, la vôtre, la nôtre, la nation espagnole, la nation anglaise, les premières !... Pourquoi aurait-ce été facile, façonnés que nous sommes par nos combats, nos rivalités, par nos différences, avant de prendre conscience que l'essentiel était ailleurs, c'est-à-dire dans nos ressemblances ? Nous y sommes maintenant et nous avons la chance d'être les témoins et les acteurs de cette grande circonstance.
- Je vais à mon tour lever mon verre, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs.
- Je le lève à votre santé, à celle de vos familles à votre santé personnelle, monsieur le Premier ministre, à celle de Mme Cavaco Silva, à votre santé, mesdames et messieurs, car lorsque vous nous aurez quittés, vous retrouverez les vôtres et vous serez heureux de les retrouver. Je fais des voeux pour eux.
- A la prospérité du Portugal, à l'amitié qui lie la France et le Portugal !
- Vive l'espérance qui nous unit, monsieur le Premier ministre ! A la santé des Portugais.\