30 mars 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur la défense de la Sécurité sociale, le chômage, la construction de l'Europe, à l'hôtel de ville de Besançon, lundi 30 mars 1987.

Monsieur le maire, et cher ami,
- Mesdames et messieurs,
- Je crois que nous terminons quasiment cette journée, du moins sous son aspect public, et je me réjouis d'être à Besançon par cette belle lumière. Selon votre conseil, monsieur le maire, j'ai commencé ma visite de Besançon aujourd'hui par le haut. J'y suis arrivé par la forteresse. J'ai visité le musée. J'ai vu avec quels soins, conservateur, conservatrice, Mme Lorach et les différentes personnes qui s'appliquent à cette tâche, avec quels soins, ils revivaient cette histoire, dont ils entretenaient le souvenir. Et défilaient dans mon esprit bien des images du passé, se proposaient bien des leçons pour l'avenir. Donc, j'ai bien commencé comme cela, comme il faut. J'ai vu des toits, leurs formes, leurs couleurs, des cheminées, tous les aigus qui montent vers le ciel, cette ville pressée où l'histoire est là, et la littérature.
- Je connais Besançon depuis ma jeunesse. Je l'ai peu fréquentée, mais j'y suis quand même venu de temps à autre, voyageur attardé, sans qu'il eût été nécessaire de rassembler des foules, ou de prévenir par exemple, M. le préfet. Non, je suis venu comme ça, par plaisir, ce qui ne veut pas dire que ce soit sans plaisir si je viens là avec M. le président de région, avec M. le préfet de région, avec MM. les ministres qui m'accompagnent, avec tous ceux qui ont figure dans un voyage officiel, car c'est un voyage officiel. Un voyage officiel du Président de la République, qui ne m'empêche pas, on a pu le constater, de vous parler comme j'ai envie de le faire. Et puis je vais continuer, bien entendu en veillant à ne froisser aucune sensibilité, si c'est inutile, et en recherchant tout ce qui peut rassembler et unir les Français que vous êtes. Non pas dans la confusion, mais dans la clarté et surtout dans le respect mutuel.
- Cette ville, vous l'avez dit, elle est pétrie d'histoire. Pour ceux qu'ils l'aiment, l'histoire, ils savent en effet de quelle façon la conter à travers les derniers siècles, comment avant Louis XIV elle a vécu sa vie, sa vie de forte province, jugée nécessaire aux empires, jalousée et recherchée par les royaumes et, finalement ayant rejoint ce qui était sa vocation naturelle, la France, où tout aussitôt les meilleurs de ces fils ont montré qu'ils s'inscrivaient dans la théorie admirable des illustres, ou des artisans et serviteurs modestes mais nécessaires de la patrie.
- Comment ne pas aimer Besançon ? Vous sans doute, mais vous élus locaux, vous le savez mieux que moi, cela ne doit pas être une ville, pas plus que cette province, qui se donne, comme cela. Aujourd'hui, c'est jour de liesse, par un beau soleil, mais il doit y avoir des jours plus durs, plus gris, et la vie quotidienne se fait exigeante, surtout lorsque comme vous, monsieur le maire, on doit gérer une communauté humaine, nombreuse, et parmi elle en son sein combien de femmes et d'hommes, dont le destin est dur ? Oh je sais avec quel soin vous cherchez à parer aux inégalités, aux misères. Je sais de quelle façon vous cherchez à faire surgir partout des constructions modernes qui s'allient à la beauté des lieux. Je sais l'attachement et le dévouement de tous ces élus locaux que je rencontre un peu partout et qui sont souvent le meilleur du pays, parce que les obligations de leur vie et de leur responsabilité les amènent tout naturellement à penser qu'il faut associer ces forces, plutôt que de les diviser. Quitte, bien entendu, de temps à autre quand les rendez-vous sont pris avec le suffrage universel, à définir quel est le meilleur, je veux dire celui qui dispose des suffrages, lequel gagne. Et puis la vie continue et il faut éviter d'entretenir toutes collectivités dans un -état de guerre civile des esprits, même si c'est un honneur que d'affirmer ses convictions.\
Toute cette journée, j'ai expliqué depuis Tavaux, Dôle et les autres localités, ou villes où je me suis rendu, j'ai dit un peu les différences, de quelle façon, moi, je voyais les choses. J'ai attiré l'attention sur certaines menaces des temps présents. La menace sur la Sécurité sociale que je voyais, que je vois, depuis qu'elle existe, depuis 1945, c'était l'année de mon entrée dans la vie politique, l'année qui a précédé mon entrée au Parlement. J'ai donc vécu ces combats là. Et je sais de quelle façon, ils se proposaient : c'était le général de Gaulle qui dirigeait le gouvernement, et c'était le Conseil national de la résistance qui inspirait par les documents qu'il avait publiés, qui inspirait la conduite des gouvernements. La Sécurité sociale était considérée comme une immense conquête, et cela en est une. Si l'on emploie le ton de la dérision, on peut dire, oui, cette espèce d'assistance généralisée, cela ne correspond plus à nos moyens. Mais non, ce n'est pas cela. C'est l'effort d'un pays sur lui-même, pour les personnes qui vieillissent, des travailleurs qui n'ont plus que peu de temps à vivre souvent, qui ont peiné pendant des années et des années, 37 ans et plus encore, depuis leur jeunesse, pour affirmer leur droit à l'existence, pour les malades, ceux qui n'auraient pas le moyen d'être soutenus, d'espérer, de combattre, d'être soignés. Le choix pour que ceux qui sont affrontés aux rudes mutations qui font la crise et qui contraignent tant des nôtres à subir le chômage, pour que les uns et les autres aient une chance, une forte chance de voir la cohésion sociale de la nation les entourer et les aider. C'est un ciment de la société française.\
`Suite sur la Sécurité sociale`
- Il ne faut pas se laisser aller au catastrophisme, ce n'est pas en péril : les derniers rapports du plan, indiquaient que s'il est vrai que la courbe démographique peut inspirer des inquiétudes d'ici 2005 ou 2010, rien ne menace profondément si l'on gère bien les équilibres fondamentaux et il existe tout de même quelques chances que d'ici cette époque on en ait fini avec la crise brutale qui frappe si cruellement l'emploi.
- Quand on sait que 100000 chômeurs de plus c'est 4 milliards aussi de plus de déficit dans les comptes de la Sécurité sociale, on aperçoit le moment - et on y arrivera ! - ou ayant transformé les données de la société industrielle on pourra voir la France et l'Occident de l'Europe offrir aux jeunes gens d'aujourd'hui, qui auront grandi ou vieilli, une chance supplémentaire de vivre leur emploi et de ce fait de ne plus peser sur une société qui pèse déjà si lourdement sur eux au point très souvent de leur interdire l'espérance. J'ai attiré l'attention là-dessus parce que pour moi c'est une donnée fondamentale et je pense que la maîtrise des dépenses est possible sans que l'on touche au principe fondamental qui veut que précisément les plus faibles, les plus malades, les plus abandonnés, ceux qui ont le moins de moyens se sentent plus aidés que les autres, non parce qu'on les aime plus mais parce qu'ils ont plus besoin que d'autres. C'est une grande conquête, un énorme pas en avant accompli par la République fraternelle, par la République qui proclamait dès le point de départ son voeu de fraternité. On pourrait dire de solidarité, peu importe les termes, voilà une conquête qu'il faut préserver et ne pas se tromper de méthode. Moi je n'accuse jamais personne de vouloir se tromper de méthode par malignité, je ne pense pas qu'il y ait des gens qui veuillent vraiment détruire ce système. Certes, ici ou là on y songe, surtout lorsque l'on représente des intérêts particuliers qui voudraient substituer je ne sais quelle forme de débrouillardise individuelle ou de retraite complémentaire de caractère privé, substituée au système d'Etat, au système national qui permet vraiment d'assurer la solidarité. Mais ceux qui dirigent, ceux qui gouvernent, ceux qui connaissent la vérité quotidienne des Français ne peuvent pas le vouloir ! Mais il ne faut pas se tromper de chemin, il ne faut pas se tromper de méthode, il ne faut pas se laisser aller à croire ce qui est dit. Il n'y a pas de danger mortel si l'on s'attaque aux véritables causes et j'observe que tout le temps que la maîtrise des dépenses et surtout des dépenses hospitalières a été assurée, la Sécurité sociale s'est trouvée excédentaire, il n'y a pas si longtemps. Elle s'est trouvée excédentaire 6 ou 7 années au cours des 15 dernières et notamment 1983, 1984 et 1985. Ce n'est donc pas impossible et je suis sûr ou du moins j'espère que mes propos seront entendus par les oreilles utiles d'hommes et de femmes responsables qui sont parfaitement capables de comprendre où se trouve l'intérêt du pays. L'intérêt du pays c'est la cohésion sociale en même temps que la cohésion nationale. D'ailleurs, il n'y aura pas l'une sans l'autre.\
Je le disais hier soir dans d'autres lieux, c'est vrai que le phénomène du chômage est dû pour une large part à une transformation de notre société industrielle qui n'a pas été suffisamment préparée. D'ailleurs aucune société ne prépare vraiment l'avenir car les soucis, la vie de chaque jour ont l'habitude d'absorder les pensées des gouvernants. Certains avaient bâti un plan pour prévoir mais le plan n'est pas toujours à l'honneur. En vérité, il faut savoir que la gangrène gagne du terrain. Cela prouve que les remèdes, quelle que soit l'identité politique de ceux qui les ont employés, n'ont pas suffi. Il y a des remèdes sociaux, il y a des remèdes économiques. Les remèdes sociaux sont indispensables, c'est la solidarité dont je vous parlais tout à l'heure. Les remèdes économiques ? Bon, on pourra tourner autour autant qu'on le voudra mais ils reposent toujours sur les mêmes données : c'est vrai, le jour où l'on aura pu retrouver les chemins de la croissance, le jour où nous aurons des hommes et des femmes, des jeunes filles et des jeunes hommes formés aux métiers que l'on fera, le jour où nous aurons transformé, amélioré, modernisé notre appareil productif, le jour où l'on aura modifié les conditions de travail, le jour où, le jour où ... c'est certain que ce sont des conditions que l'on retrouve toujours et qui s'imposent, mais aucun jusqu'ici n'a apporté la solution miracle. Simplement cela s'aggrave.. Il n'y a pas si longtemps c'était 10000 chômeurs par mois, maintenant c'est 16000. Il faut bien prendre garde à ce que cette maladie là n'emporte pas un corps déjà miné ou affaibli et même si ce n'était pas le cas, il faut que le sens que nous avons, qui nous habite tous j'en suis sûr, de la solidarité ne nous conduise pas à voir monter les révoltes, surtout les révoltes de la jeunesse qui voit tant de portes fermées à l'heure où l'on espère.\
Voilà, j'ai attiré l'attention sur ces domaines au cours de la journée, j'ai rencontré des agriculteurs, là, tout près de Besançon, j'ai entendu de la part d'hommes qui ont l'esprit clair et qui ont marqué par leur vie professionnelle qu'ils savaient être réalistes en même temps que vouloir servir la communauté dans son ensemble, j'ai entendu la revendication, l'explication par -rapport aux problèmes du pays, comme par -rapport aux problèmes de l'Europe où nous sommes, et tout naturellement nous avons dû parler de l'Europe, ce à quoi m'invitait le Président Edgar Faure que j'étais heureux de saluer dans cette ville parce que c'est vrai, la région, l'Europe, voilà des domaines où s'exercer désormais. La région à laquelle un gouvernement que j'avais constitué appliquait je crois le meilleur de ses réformes en décidant une décentralisation audacieuse, qui changeait les habitudes mais qui commence à vivre, que l'on voit vivre et qui permet aux 22 régions de la métropole et à celles d'outre-mer de se sentir elles-mêmes et de répondre davantage aux aspirations de toutes collectivités humaines par le temps qui court, qui est d'affirmer sa personnalité et de se saisir soi-même des problèmes qui incombent à celles et ceux qui vivent sur le terrain, qui vivent et qui habitent, bref, gérer soi-même les problèmes de sa propre vie. Ce n'est pas une panacée universelle, cela ne répond pas à toutes les questions précisément. J'ai d'abord dit, tout à l'heure, qu'il fallait imposer les règles de la solidarité nationale : on ne peut pas laisser chaque région se débrouiller toute seule, mais chaque région doit éminemment participer par son initiative, par la capacité, par la qualité de ceux qui la dirigent et de ceux qui la composent à la base, chaque région doit contribuer au devenir de la nation.\
Et l'Europe ? Moi je suis européen depuis longtemps déjà. Je suis de la génération qui a pris part à la deuxième guerre mondiale, j'ai été prisonnier en Allemagne, j'ai connu la camaraderie des mouvements de Résistance et aussi leurs difficultés et j'étais hanté, comme d'autres, par la nécessaire réconciliation de peuples qui se livraient, depuis tant de siècles, à des combats sans fin, sans suite et sans issue tandis que grandissaient ailleurs les empires. Quel drame que ce million et demi de jeunes gens perdus, morts pendant la guerre de 1914 - 1918 dans notre pays, pour notre pays ! On en sent encore les conséquences dans nos familles certes, dans nos pays £ de cette hémorragie on ne s'est pas remis. Il faudra sans doute qu'une autre génération passe. Et comment n'aurait-ce pas été long cette guérison de la mort, du mal, puisque le relais d'une deuxième guerre est venu là qui encore nous a privés de 600 à 700000 des nôtres, et des meilleurs ! Et c'était pareil dans toute l'Europe.
- L'Europe dont nous parlons, la Communauté des Douze, en gros l'Europe occidentale, mais l'autre aussi - quelques douze millions de victimes en Union soviétique - combien en Pologne, dans les autres pays, en Tchécoslovaquie ? Un champ de mort, un champ de ruines. L'Europe car, quand je parle de l'Europe, je pense à l'Europe telle qu'elle est et si je m'applique, avec d'autres, à construire l'Europe de la Communauté, c'est parce que je m'applique avec vous à ce qu'il est possible de faire, avec ce que l'-état historique, géographique, culturel, politique tout simplement, permet d'envisager, puisqu'il y a désormais, depuis Téhéran et Yalta un mur - c'est une image - en tout cas une coupure entre les deux Europe qui, en vérité, est une coupure artificielle. Je ne sais pourquoi, dans l'Europe de la Communauté, se trouve tel pays tandis qu'un autre en serait interdit. Mais c'est comme çà, commençons comme nous pouvons, comme un travailleur qui utilise les matériaux qui se trouvent à sa disposition.
- Sur l'Europe, en 1947 déjà, deux ans après la guerre mondiale, je participais au premier congrès européen de l'histoire, à La Haye £ je m'en souviens, c'était sous la présidence de Churchill. J'étais un tout jeune parlementaire, je ne connaissais pas grand monde et je suis resté au bout de ma chaise cannée, j'ai écouté les uns et les autres, je m'émerveillais tout de même de voir surgir cette espérance nouvelle et j'ai continué de la servir, en me méfiant des illusions. Je me souviens de mes hésitations devant la Communauté européenne de défense, c'est-à-dire une armée qui précéderait un pouvoir politique. Je ne voulais pas que l'Europe fût simplement à la remorque d'un empire extérieur ... et je continue à penser la même chose. Il faudra le faire, mais les difficultés sont immenses, les intérêts nationaux prévalent toujours. Non qu'il faille les nier ou ne pas les servir, mais à la condition de préférer l'essentiel à l'accessoire et de comprendre que l'objectif de disposer d'une puissance de 320 millions d'habitants devrait permettre à chacune des patries qui composent cette Europe, de faire prévaloir ses objectifs particuliers, conformes à sa tradition, à sa culture et à ses moyens, beaucoup mieux que dans l'isolement de chacun. Sans cela on verra, finalement, les puissances de part et d'autre du Pacifique - des nations qui dépassent 100 millions d'habitants, où les empires militaires et politiques aujourd'hui dominent le monde - assurer leur supprématie et finalement interdire le développement de celles et de ceux qui vivent dans notre vieille Europe, mère tout de même d'un certain nombre de données qu'on peut appeler une civilisation.\
`Suite sur l'Europe`
- Pourquoi est-ce que je vous dis cela à Besançon ? Parce que on a attiré mon attention là-dessus et comme cela je retrouvais un thème qui m'est cher £ j'entends bien le développer au cours de ce voyage pour saisir les Français, leur faire prendre conscience et, en même temps, pousser les gouvernements - je ne parle pas du gouvernement de la République française, pas seulement de lui, les gouvernements quels qu'ils soient, quelle que soient leur nuance politique - à prendre en compte cette exigence et à comprendre que cela vaut la peine. Echouer dans cette -entreprise, ce serait ruiner une part des chances de la France. Je suis également convaincu là que chacun peut le comprendre et agir en conséquence. Je n'instaure le procès de personne et, dans ma démarche, même si j'affirme ce que je pense, qui n'est pas forcément ce que pensent beaucoup d'autres, je voudrais qu'on rassemble plutôt les énergies et les pensées plutôt que de les séparer.
- Bon. Je ne rêve pas. Je sais ce qu'il en est des combats politiques et ces combats sont nécessaires parce que c'est la démocratie, dès lors que chacun respecte la même règle du jeu, celle que décide le suffrage universel. Voilà c'est tout simple à dire mais difficile à faire. Mais il faut s'en tenir là. Nous savons montrer l'exemple d'une démocratie vivante et diverses dans ses composantes, avec une nouvelle répartition de la responsabilité des pouvoirs, oui ! Un pouvoir central, à commencer par le Président de la République qui ne doit pas en manquer - il n'en manque d'ailleurs pas tellement - le pouvoir du Président de la République, celui du gouvernement, mais un pouvoir qui veille à organiser lui-même, si on ne le lui impose pas, les contre-pouvoirs. Il n'y a pas de démocratie sans cela. Le contre-pouvoir des régions, le contre-pouvoir des départements avec leurs conseils généraux, le contre-pouvoir des municipalités, le contre-pouvoir des syndicats, le contre-pouvoir de tout ce qui devrait exister dans les institutions. Il y a le contre-pouvoir de la presse, à condition que, précisément, la presse sache veiller à ce que ce pouvoir reste libre. Et puis il y a le contre-pouvoir judiciaire, etc.. Montesquieu a déjà dit cela avant moi-même si je peux le dire autrement parce que, à l'époque, on ne connaissait ni le téléphone ni les télescripteurs. Il faut s'adapter aux circonstances du jour et le pouvoir doit être balancé par les contre-pouvoirs étant entendu que la décision finale appartient aux élus du peuple au niveau national qui rassemble l'ensemble des intérêts, je veux dire le Parlement.
- Voilà. Je ne veux pas faire une petite leçon de droit constitutionnel mais il est parfois bon de rappeler certaines choses.\
Mesdames et messieurs, je vous ai dit pour commencer, je le répèterai pour finir, je suis heureux d'être à Besançon, ce n'est pas un discours convenu, parce qu'après tout je pourrais dire ça dans chaque localité où je m'arrête et comme j'ai déjà visité quatorze régions, et beaucoup de départements, en dehors de ces régions-là, cela finirait par être lassant que de dire toujours la même chose. On croit que l'on fait plaisir aux gens, en les tatant un peu sur la beauté de leur pays. Je ne cherche pas à dire cela £ simplement, moi j'ai pu identifier Besançon et sa région aux belles heures de ma propre jeunesse, et cela compte. Ce n'est pas très loin d'ici, mais c'était dans le Jura qu'un jour de décembre 1941, j'ai franchi le dernier petit obstacle qui me séparait de la liberté, lorsqu'en traversant la Loue, en ayant sauté des trains à Mouchard, je me suis retrouvé à Chambley, sans savoir que je venais d'atterrir tout près d'un endroit, où, s'il s'était déjà trouvé là, le président Edgar Faure aurait pu m'inviter à déjeuner. J'ai d'ailleurs appris quelque chose. C'est que si j'avais raté Edgar Faure, je ne ratais pas Jules Grévy. J'ai appris en effet, en voyant sa statue à Mont-sous-Vaudrey, qu'il y avait un Président de la République qui émanait du Jura, donc de Franche-Comté. C'était toujours, je le sais, un 15 décembre 1941, et j'ai pris mes jambes, je n'avais que cela à faire, j'avais dormi dans le foin d'une ferme, et j'ai parcouru, je ne sais pas, 8 ou 10 kilomètres de route bleue en plein hiver, avec ce beau spectacle de la nature jurassienne, de Chambley à Mont-sous-Vaudrey, avant de trouver un autobus, qui voulait bien accepter de me prendre, malgré mon absence totale de moyens financiers. Mais, ma tenue de chemineau, circulant à travers les routes, ma pauvre mine et mes chaussures éculées plaidaient pour l'assistance qu'on a bien voulu m'accorder. Et voilà que, me dirigeant vers Lons-le-Saunier, j'aperçois une pancarte d'un village, cela évoque des souvenirs précisément de ma jeunesse antérieure, d'avant la guerre £ une famille amie, je descends, je marche encore, j'entre dans le village, je trouve ceux de ma famille, qui n'étaient pas dispersés par la guerre. Et j'ai vécu dans le Jura, avec quelques balades dans le Jura et dans le Doubs, des balades de ma liberté retrouvée, c'est inséparable naturellement de ma mémoire, et quand je dis que je suis heureux de me retrouver à Besançon, vous commencez à croire que c'est vrai.\
Mesdames et messieurs, nous allons nous séparer, mais pas pour longtemps. Je vais tout à l'heure rester pour dîner à Besançon, je tiens à faire une visite amicale à l'égard d'un homme que j'estime, d'un de vos concitoyens, qui a rempli naguère de hautes fonctions dans cette ville. Et puis voilà, la journée sera terminée, la première journée d'un périple de deux jours. Je resterai dans votre région vers Belfort, vers la Haute-Saône, et je rentrerai chez moi. Et mercredi matin, non jeudi, à cause du voyage du Premier ministre aux Etats-Unis d'Amérique, nous avons légèrement retardé le Conseil des ministres, donc, jeudi matin, je me retrouverai avec le gouvernement. Je sais que l'on dit, ici ou là, qu'on avait une drôle de figure au mois de mars 1986. Il ne faut pas croire que ce soit une partie de plaisir, mais, simplement, il y a là des hommes et des femmes sur lesquels, je n'ai pas d'opinion à exprimer - si j'en ai, je les garde pour moi, elles ne sont pas forcément critiques - ce que je veux dire, c'est que : que fait-on là ? Le gouvernement de la France, c'est le gouvernement de la France, quelles que soient les évolutions du suffrage universel, et le Président de la République change quand arrive à terme son mandat. Enfin, généralement ! Et, c'est tout à fait normal, on dit même que c'est recommandé. Et cela se passe comme cela, et il faut s'habituer à vivre de cette façon-là, en ayant pour soi la force de ses convictions, il faut avoir le sentiment que l'on a raison, je ne veux pas non plus cultiver l'orgueil d'avoir toujours raison en toutes choses. Il faut apprendre à estimer les autres, même si l'on ne se range pas à leur avis, et c'est comme cela que la vie continue, jusqu'à ce que d'autres Présidents de la République, d'autres gouvernements, le même suffrage universel, selon son humeur, son tempérament et ses goûts assurent jusqu'à la fin du siècle et au-delà, la continuité de la France.
- Je voudrais, mesdames et messieurs, monsieur le maire, qui m'y avez invité tout à l'heure, à partir des souvenirs de la Résistance, là, dans votre ville, en haut de la ville, témoigner de la piété qui entoure le souvenir des victimes de la Résistance, des pauvres corps torturés, des âmes fortes cependant, dans le malheur et la destruction, dans le déchirement des familles, le malheur du pays chanté par nos poètes et ressenti par celles et ceux qui ont vécu, vécu quoi donc ? La mort provisoire de la France ? non ! Déjà s'étaient levés ailleurs, ici et là, certains des nôtres, qui montraient l'avenir du doigt en disant : il faut y croire. Voilà, la première image que j'ai tirée de Besançon, ce sera la dernière que je vous proposerai. Il faut y croire, il faut le vouloir, il faut aimer son pays pour le servir.
- Mesdames et messieurs, merci pour votre accueil.
- Vive Besançon ! Vive ce département du Doubs, cette région de Franche-Comté ! Vive la République ! Vive la France.\