26 mars 1987 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de sa visite à Alger, sur le respect du droit international à propos du Tchad et du Sahara occidental, le Proche-Orient et les relations franco-algériennes, Alger le 26 mars 1987.
LE PRESIDENT.- Mesdames et messieurs, je viens de rencontrer pendant quelques heures le Président Chadli. Nous avons donc pu aborder les problèmes essentiels d'ordre international et d'ordre bilatéral, problèmes constamment étudiés par nos deux pays et sur lesquels, à travers les années, se sont fixés des points de vue de plus en plus proches les uns des autres.
- Je ne voudrais pas choisir à votre place les sujets qui vous intéressent, et je pense que vous pourriez dès maintenant me demander de vous répondre sur les questions qui s'imposent à votre esprit, soit du côté algérien, soit du côté français, ou les deux à la fois. Alors je vous écoute.
- QUESTION (Journal Horizon).- Monsieur le Président, votre visite aura été brève. Est-ce qu'elle aura été aussi bien remplie ?
- LE PRESIDENT.- Très bien remplie. On dit brève £ mais ceux d'entre vous qui ont la pratique de ces rencontres internationales savent que c'est de cette façon que les chefs d'Etat ou de délégation peuvent le mieux discuter. Je viens de passer pratiquement cinq heures avec le Président Chadli, ce que la -nature un peu informelle de cette rencontre permettait. Cette rencontre correspondait à ce que nous avions décidé depuis 1981 : établir aussi souvent que possible des relations personnelles permettant d'aller au fond des questions qui nous intéressent. On ne peut donc pas dire que cette visite a été brève. Mais il est vrai qu'une seule journée en Algérie, ce pays où se déroulent tant de choses passionnantes, où un peuple assume son destin devant les problèmes multiples qui l'assaillent, c'est court £ évoquer les relations de deux pays amis comme le sont l'Algérie et la France, cela justifierait davantage de temps.
- Je profite de votre question, monsieur, pour vous demander, à vous comme à vos collègues, de bien vouloir adresser au peuple algérien mon très cordial salut.\
QUESTIONS (Agence de presse algérienne).- Monsieur le Président, est-ce que l'on peut avoir une idée des sujets que vous avez abordés avec le Président Chadli et ceux que vous avez privilégiés.
- LE PRESIDENT.- Oui, vous pouvez avoir une idée, dites-les moi, vous allez voir.
- QUESTION (APS).- Je ne sais pas.
- LE PRESIDENT.- J'allais le dire à votre place. Mais vous pouvez très bien imaginer que sur le -plan bilatéral nous avons à nous informer du point où en sont les conversations engagées et structurées qui se déroulent au sein d'une commission sur les problèmes humanitaires, sur la situation des familles - souvent ou parfois déchirées - sur les biens des personnes £ bref sur la série des problèmes, soit encore hérités de la période précédente, soit nés des circonstances particulières dans lesquelles nos deux pays ont vécu.
- Puis il y a les problèmes bilatéraux qui touchent à nos échanges économiques, commerciaux, culturels. Nous avons parlé de tout cela. Et puis, il y a les grandes questions internationales, celles du jour, et parfois les questions du jour durent beaucoup de jours !... Si je vous parle par exemple des problèmes Est-Ouest, et des discussions actuelles sur le désarmement, cela fait longtemps qu'on en parle, et pourtant en parler aujourd'hui prend une actualité tout à fait différente de ce qu'on aurait pu dire il y a trois mois. Il y a également quelques problèmes plus spécifiquement africains : le Tchad, le Sahara occidental, telles ou telles appréciations de passage sur la situation d'autres pays. Il y a enfin le Proche et le Moyen-Orient. Ce sont là des sujets de conversation qui ont de quoi nous occuper.
- Nous avons aussi évoqué d'autres aspects, celui des otages français au Proche-Orient, situation dans laquelle l'Algérie se comporte en grand pays ami et responsable. Voilà quelques-uns des problèmes en question, et si vous voulez bien nous allons continuer d'en parler.\
QUESTION (El Moudjahid).- Monsieur le Président, à propos des conflits africains justement, vous avez évoqué récemment à Lomé le principe de l'intangibilité des frontières héritées du colonialisme. Dans quelle mesure ce principe pourrait-il s'appliquer dans le cas du Sahara occidental ?
- LE PRESIDENT.- Il doit s'appliquer, c'est tout. Ce principe, ce n'est pas moi qui l'ai édicté. C'est un principe conforme au droit international et aux conventions qui ont prévalu à l'époque du phénomène de décolonisation, à l'instigation des nouveaux pays indépendants eux-mêmes : pour que beaucoup de difficultés ne se profilent pas à leur horizon immédiat, ils ont souhaité que les frontières héritées de la période coloniale fussent considérées comme intangibles. Ce principe, je n'en suis pas l'auteur, mais je l'approuve. Je considère donc que les peuples qui vivent à l'intérieur de ces frontières là ont vocation à s'exprimer eux-mêmes pour dire ce qu'ils entendent faire de leur propre destin. Voilà, je l'ai rappelé à Lomé £ je le rappelle aujourd'hui : je n'ai aucune difficulté à rester fidèle à moi-même.\
QUESTION (RMC).- Monsieur le Président, vous venez de dire à propos des otages français que l'Algérie était un grand pays ami et responsable. Il y a eu l'affaire Abdallah dans laquelle l'Algérie a été impliquée depuis assez longtemps. Est-ce qu'il n'y a pas des divergences entre la France et l'Algérie dans la mesure où pour la France quelqu'un comme Abdallah est un terroriste, alors que pour d'autres pays, peut-être pour l'Algérie, Abdallah pourrait être, par exemple, un militant de la cause arabe.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à entrer dans ces débats psychologiques. Ce qui est vrai, c'est qu'Abdallah s'est trouvé en situation d'accusé devant la justice française et successivement accusé, d'abord de délits, puis de crimes £ et que, bien entendu, les peines qu'entraînent notre code devenaient plus lourdes. C'est la justice qui a tranché ce problème, ce n'est pas à moi de le faire à sa place.\
QUESTION (Journal algérien).- Monsieur le Président, l'idée d'une conférence internationale sur le Proche-Orient a fait son chemin. La CEE l'a proposée tout récemment comme -cadre approprié du règlement de la question. Mais si l'on parle de conférence internationale, on ne dit pas, du moins l'Europe ne dit pas, ce qu'on attend de cette conférence ni qui doit y participer. Je pense notamment à l'OLP en tant qu'unique et légitime représentant du peuple palestinien.
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas faire la question et la réponse en même temps, quelque idée qu'on en ait. Je crois même avoir été - si je me trompe vous me pardonnerez - le premier responsable européen, à l'Ouest et même, je crois au total, à avoir accepté cette idée émanant du Proche-Orient : à savoir la réunion d'une conférence internationale sur le problème de cette région, mais en y ajoutant une procédure, car sur le principe, je suis loin d'être le premier. J'ai même longtemps souhaité que ce problème pût être réglé au niveau des relations bilatérales, ce qui s'est révélé irréalisable.
- La procédure que j'ai indiquée, serait un groupe de contact, un groupe de travail préparatoire. Sans quoi les questions, parmi lesquelles celles que vous avez très justement évoquées, n'ayant pas été analysées ni débrouillées, on risquerait d'achopper au moment où l'on aurait réuni beaucoup de gens qui n'auraient pas eu de canevas de travail. L'idée que j'ai proposée, c'était de confier, parmi d'autres, aux cinq pays membres du Conseil de sécurité, le soin d'exécuter ce travail préparatoire. Cela avait l'avantage, vous le distinguez tout de suite, de mettre au coeur de la discussion des pays comme les Etats-Unis d'Amérique ou l'Union soviétique, ce qui n'est pas négligeable et, permettez-moi d'ajouter, d'autres pays dont la France qui connaissent bien ces problèmes. Bien entendu ce n'est pas une liste limitative, il ne m'appartient pas non plus d'en décider.
- M. Gorbatchev que je rencontrais peu de temps après, développait une idée comparable. Nous nous étions mis d'accord sur ce thème. Il n'y a pas eu de proposition franco-soviétique : il y a eu une proposition française et une proposition soviétique qui tendent, en fait, au même objet. Mais ce serait ruiner les chances de cette conférence de travail préparatoire que de préjuger ce qu'elle déciderait. J'ai repris le sujet que vous avez abordé, mais il y en a d'autres : qui, combien de personnes, de quelle façon, sur quel ordre du jour ? etc... C'est précisément à cet organe de travail préparatoire qu'il reviendrait le soin de préciser les contours de la négociation et son contenu. Si qui que ce soit, vous et moi aujourd'hui, nous nous hasardons à préjuger ce qui sera décidé, déjà nous lançons une formidable concurrence de propositions qui risquent de détruire, à l'avance, l'utilité de cette procédure. Je ne vais pas me prononcer £ je vais simplement confier à un certain nombre de pays et de personnes, pays extérieurs à la région et pays de la région, le soin de déterminer eux-mêmes la façon de procéder.\
QUESTION (France inter).- Monsieur le Président, il y a trois jours, l'agence de presse libyenne a très violemment critiqué votre voyage en Algérie et a conseillé aux algériens de rejeter la thèse française à propos du Tchad. Est-ce que vous avez parlé des deux thèses, française et algérienne, avec le Président Chadli Bendjedid et que pouvez-vous en dire ?
- LE PRESIDENT.- Mais je ne connais pas de thèse française. Et d'ailleurs je ne pense pas qu'il y ait de thèse algérienne. Il y a le droit international, j'y reviens. Le droit international, vous l'avez rappelé à l'instant monsieur, c'est que chaque peuple se détermine lui-même à l'intérieur de ses frontières, elles-mêmes fixées par convention internationale reconnue par les Nations unies et par les nations africaines. A partir de là, aucun pays n'a le droit d'user d'une quelconque supériorité, souvent d'ailleurs momentanée, pour agresser l'un de ses voisins et s'emparer d'une partie de ses territoires. Dès lors qu'un pays le fait, comme l'a fait la Libye à l'égard du Tchad, il n'y a pas de thèse algérienne, il n'y a pas de thèse française, il y a la thèse du droit international : non, pas çà ! et, si vous le faites alors les conséquences risquent de vous dépasser. C'est ce qui est en train de se produire.
- Je ne sais donc pas quelle a été la -nature de la protestation de M. Kadhafi. Je dirai simplement qu'elle m'importe peu dès lors qu'il s'agit essentiellement pour le gouvernement légitime du Tchad de recouvrer son autorité sur son pays enfin indépendant. Ayant retrouvé son intégrité, tous les efforts qu'il fera dans ce sens seront les bienvenus et la France a, je le crois, fait son devoir à l'égard de ce pays en soutenant ses efforts. Je ne peux rien changer à cela £ le principe c'est celui que nous avons dit, ce n'est pas un principe dont la France serait l'auteur. La France s'est mise au service de ce principe de droit international avec d'autant plus de détermination qu'en l'occurence, il s'agit d'un pays auquel nous lient d'anciennes relations. Je veux dire le Tchad.\
QUESTION (La Pravda).- Monsieur le Président, l'Union soviétique a proposé de retirer les flottes de guerre de l'Union soviétique et des Etats-Unis de la Méditerranée. Comment vous estimez cette proposition ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à me prononcer. Pour l'instant, je me prononce sur la dernière proposition soviétique touchant au désarmement dans le domaine des forces nucléaires intermédiaires à longue portée. Je ne veux pas compliquer mon dossier en improvisant sur l'ensemble des sujets qui appartiennent au contentieux des grandes puissances. De toute manière, je serai toujours favorable aux mesures équitables qui permettront de maintenir les équilibres nécessaires, équilibres dont dépend la paix du monde.\
QUESTION (Télévision algérienne).- A la suite d'actes racistes répétés touchant notre émigration en France, quelles sont les mesures prises, monsieur le Président, par votre pays pour juguler cette remontée du racisme qui nuit aux relations entre nos deux pays.
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que l'on puisse parler de remontée. Il y a des phénomènes racistes en France. On peut en observer d'autres, parfois plus graves, dans d'autres pays. Mais il y en a. Donc, le seul fait qu'il y en ait, c'est déjà trop, et je les désapprouve et les condamne comme vous.
- En France, il y a une forte population d'origine du Maghreb, forte population de religion musulmane et dans la masse de ces travailleurs, bien entendu, de temps à autre, se déroulent des conflits. Lorsqu'il s'agit de travailleurs qui sont venus dans le -cadre de la loi, ils se trouvent sous la protection directe de la loi et doivent être défendus avec fermeté par les pouvoirs publics. Je n'ai jamais manqué de le faire £ je suis chaque fois scandalisé par tout acte raciste, et j'ai dit publiquement en France, à la télévision, que nos amis immigrés avaient droit au respect de la population française dans leur travail, dans leur vie civique, dans leur vie familiale, dans leur vie culturelle, dans leur vie religieuse, etc...
- Une situation différente sur le -plan juridique, mais non pas sur le -plan moral, est celle des nombreux clandestins qui sont venues en France pour des raisons que l'on peut souvent comprendre - besoin de travail par exemple, besoin de chercher un refuge - mais qui se trouvent cependant en situation irrégulière par -rapport à la loi. Il est normal que ces personnes puissent quitter décemment notre territoire, puisqu'elles y sont venus sans y être autorisées. Cela est vrai juridiquement. Moralement, je vous rejoins : à l'égard de ces personnes comme à l'égard des autres, s'appliquent les droits imprescriptibles de la personne humaine. Il convient de les traiter comme on doit traiter toute femme, tout homme qui, a priori, ne doivent pas être soumis à des pratiques différentes de celles qui s'imposent à nos concitoyens.
- Hors cela, c'est vrai de temps à autre, on entend parler de crimes et de violences pour des mobiles purement et salement racistes. Alors je me range parmi ceux qui demandent l'application sévère de nos lois pour la protection des individus quels qu'ils soie\
QUESTION (TF1).- Monsieur le Président, je veux revenir sur l'affaire Tchadienne. L'Algérie s'efforce d'aider à la réconciliation entre Tchadiens. Des entretiens se sont même tenus à Alger entre Tchadiens. A l'issue de votre rencontre avec le Président Chadli, estimez-vous qu'on se trouve près d'un accord politique et appuyez-vous la tentative algérienne ?
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait favorable à toutes les initiatives qui tendent à la réconciliation des différentes fractions tchadiennes et particulièrement de leurs dirigeants. L'Algérie y prend une part active actuellement, dans cette ville. La France aussi. Je crois pouvoir dire que la plupart de ceux qui sont regroupés aujourd'hui autour de M. Hissène Habré ont pris langue avec la France et que nous avons toujours encouragé ces efforts. Et si, comme je l'espère, M. Goukouni Oueddei se trouve en mesure, ainsi que M. Hissène Habré, d'organiser en commun et au gré de leur propre décision, dans laquelle je n'ai pas à intervenir, une solennelle en même temps qu'évidente réconciliation entre eux qui se sont si longtemps combattus, ce serait pour le Tchad un événement d'une incalculable importance. Mais il faut le dire, l'essentiel a déjà été fait. Rares sont les fractions qui échappent aujourd'hui à l'autorité du gouvernement légitime du Tchad. M. Goukouni Oueddei est une personnalité importante, estimable, d'importance symbolique. C'est la fin de toute guerre civile au Tchad, et c'est la preuve qu'il s'agit bien désormais d'une guerre à l'égard d'un pays étranger et d'une armée d'occupation. Oui, je souhaite la réconciliation sur des bases qu'il ne m'appartient pas de déterminer.
- QUESTION (TF1).- Avez-vous l'impression qu'on approche ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux dire que ceci : les pronostics, vous savez, c'est toujours dangereux : j'ai l'impression qu'on en approche.\
QUESTION.- Je voudrais savoir comment le Président Chadli et vous-même analysez la brusque remontée de tensions dans l'affaire Jean-Louis Normandin. Quelle analyse en faites-vous ? Quelle analyse en fait le Président Chadli ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé. Je crois être informé de l'analyse du Président Chadli, mais ce sujet - je n'exerce pas de censure - j'évite d'en parler avant que ne se dénoue, aussi heureusement que je l'espère, cette situation dramatique.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous savez qu'en ce moment des efforts ont lieu pour arriver à l'application de la résolution 104 de l'OUA et des Nations unies pour la décolonisation du Sahara occidental, prévoyant des négociations directes entre le Front polisario et le Maroc. Quel est selon vous le rôle que pourrait jouer la France ?
- LE PRESIDENT.- La France est un pays ami de l'Algérie, elle est également amie du Maroc. Dans une affaire de ce genre, dont dépend le sort du Sahara occidental, la France entend demeurer fidèle au principe du droit international qu'elle a constamment rappelé et dont nous avons parlé, vous et moi, il y a un instant. Hors cela, elle estime qu'elle n'a pas à intervenir sinon, puisqu'elle a une possibilité de dialogue avec la Maroc et avec l'Algérie, en faisant valoir ses espérances et ses souhaits de voir se dessiner une décision d'accord. Et, bien tentendu, c'est aux représentants du peuple Sahraoui de dire eux-mêmes ce qu'ils souhaitent faire dès lors que cela s'inscrit dans le -cadre du droit que j'ai rappelé il y a un instant, le droit de tout peuple de vivre à l'intérieur de ses frontières en se déterminant lui-même £ il s'agit là d'un problème particulièrement compliqué, sur la base d'une autodétermination, c'est-à-dire d'un référendum sous contrôle international. Les autres modalités qui sont ressorties des décisions de l'OUA ne sont pas de mon domaine. La France n'est pas un pays africain et je n'ai donc pas d'opinion à exprimer à ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un déficit de cinq milliards de dinards dans les échanges commerciaux entre l'Etat français et algérien. Est-ce que vous pensez que vous pourriez utiliser l'influence de la Présidence de la République française pour essayer de rétablir l'équilibre ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, les relations commerciales ça va, ça vient, ça monte, ça descend. Lorsque j'ai moi-même arrêté un accord d'une importance déterminante, décisive, puisque nous vivons encore sur cet accord, lors de ma rencontre avec le Président Chadli en 1981, au mois de décembre je crois, lorsque j'ai arrêté une série de décisions, notamment à propos du gaz algérien, et nous avons eu bien des conversations par la suite à ce sujet, mais nous avons commencé dés la fin de 1981, l'argument, l'objection principale des experts français c'était que cela coûtait trop cher à la France et que cela faisait basculer le commerce extérieur vers un grave déficit pour la France.
- En effet, à cette époque et pendant les années qui ont suivi, le prix du gaz aligné sur un panier du prix du pétrole a été extrêmement onéreux. A ce moment-là, le commerce extérieur algérien était nettement bénéficiaire. Et puis l'évolution du prix du pétrole a conduit le gaz à connaître une évolution parallèle et à renverser une fois de plus la tendance, c'est-à-dire à passer d'un bénéfice algérien à un déficit. En tant que Président de la République, je ne peux pas peser sur le prix du pétrole. Ce sont des définitions de caractère commercial qui résultent parfois de délibérations politiques, mais qui sont des délibérations des pays producteurs.
- En revanche, je suis tout à fait favorable à toute mesure qui permettrait un meilleur équilibre du commerce extérieur entre nos deux pays. De ce point de vue, il n'y a pas que le pétrole, il n'y a pas que le gaz, et je sais que nos spécialistes et nos responsables ministériels s'y appliquent.
- Je vais devoir vous quitter mais si vous avez encore quelque chose qui vous brûle l'esprit ou les lèvres dites-le moi. Il ne faudrait pas nous quitter comme cela. Monsieur ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un jeune coopérant français détenu actuellement en Afrique du Sud. Comment comptez-vous vous y prendre pour obtenir sa libération ?
- LE PRESIDENT.- C'est une affaire qui est en cours. Un intermédiaire de qualité, M. Deniau, a été envoyé en Afrique du Sud. Attendons la suite. Cette suite, croyez-moi, est suivie de très près par les responsables français. Je suis moi-même intervenu à diverses reprises avant le procès.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un problème émotionnel en France dont on parle beaucoup, c'est celui des enfants nés de couples franco-algériens. Vous en avez certainement parlé avec le Président Chadli, qu'est-ce qu'il s'est dit ?
- LE PRESIDENT.- J'en avais parlé aussi à Paris avec les mères qui sont martyrisées dans leur tendresse pour leurs enfants puisqu'elles en sont séparées. Il y a des cas qui doivent bien se poser aussi dans l'autre sens, lorsque deux peuples sont amenés à se fréquenter comme le peuple algérien et le peuple français. Je pense que ce problème est également posé dans d'autres pays encore. Ces déchirements d'ordre privé sont tragiquement aggravés par les différences du droit, des traditions, des coutumes, l'éloignement... Ce n'est donc pas facile à régler.
- Lorsque j'ai rencontré ces personnes, les mères de ces enfants, qui se trouvent aujourd'hui en Algérie près de leurs pères, je m'étais inquiété de ce qu'il convenait de faire et j'avais réactualisé cette question pendante depuis trop longtemps et nous en avons parlé le Président Chadli et moi. Il existe une commission qui travaille sur ce thème et qui vraiment, je peux vous le dire, a fait de grands progrès. Le Président Chadli y prête comme moi, une attention personnelle considérable, et de notre conversation il ressort que l'on peut penser raisonnablement et sans lever d'espoirs impossibles, résoudre ce problème à bref délai.
- Merci et au revoir aux Algériens qui nous ont si bien reçus.\
- Je ne voudrais pas choisir à votre place les sujets qui vous intéressent, et je pense que vous pourriez dès maintenant me demander de vous répondre sur les questions qui s'imposent à votre esprit, soit du côté algérien, soit du côté français, ou les deux à la fois. Alors je vous écoute.
- QUESTION (Journal Horizon).- Monsieur le Président, votre visite aura été brève. Est-ce qu'elle aura été aussi bien remplie ?
- LE PRESIDENT.- Très bien remplie. On dit brève £ mais ceux d'entre vous qui ont la pratique de ces rencontres internationales savent que c'est de cette façon que les chefs d'Etat ou de délégation peuvent le mieux discuter. Je viens de passer pratiquement cinq heures avec le Président Chadli, ce que la -nature un peu informelle de cette rencontre permettait. Cette rencontre correspondait à ce que nous avions décidé depuis 1981 : établir aussi souvent que possible des relations personnelles permettant d'aller au fond des questions qui nous intéressent. On ne peut donc pas dire que cette visite a été brève. Mais il est vrai qu'une seule journée en Algérie, ce pays où se déroulent tant de choses passionnantes, où un peuple assume son destin devant les problèmes multiples qui l'assaillent, c'est court £ évoquer les relations de deux pays amis comme le sont l'Algérie et la France, cela justifierait davantage de temps.
- Je profite de votre question, monsieur, pour vous demander, à vous comme à vos collègues, de bien vouloir adresser au peuple algérien mon très cordial salut.\
QUESTIONS (Agence de presse algérienne).- Monsieur le Président, est-ce que l'on peut avoir une idée des sujets que vous avez abordés avec le Président Chadli et ceux que vous avez privilégiés.
- LE PRESIDENT.- Oui, vous pouvez avoir une idée, dites-les moi, vous allez voir.
- QUESTION (APS).- Je ne sais pas.
- LE PRESIDENT.- J'allais le dire à votre place. Mais vous pouvez très bien imaginer que sur le -plan bilatéral nous avons à nous informer du point où en sont les conversations engagées et structurées qui se déroulent au sein d'une commission sur les problèmes humanitaires, sur la situation des familles - souvent ou parfois déchirées - sur les biens des personnes £ bref sur la série des problèmes, soit encore hérités de la période précédente, soit nés des circonstances particulières dans lesquelles nos deux pays ont vécu.
- Puis il y a les problèmes bilatéraux qui touchent à nos échanges économiques, commerciaux, culturels. Nous avons parlé de tout cela. Et puis, il y a les grandes questions internationales, celles du jour, et parfois les questions du jour durent beaucoup de jours !... Si je vous parle par exemple des problèmes Est-Ouest, et des discussions actuelles sur le désarmement, cela fait longtemps qu'on en parle, et pourtant en parler aujourd'hui prend une actualité tout à fait différente de ce qu'on aurait pu dire il y a trois mois. Il y a également quelques problèmes plus spécifiquement africains : le Tchad, le Sahara occidental, telles ou telles appréciations de passage sur la situation d'autres pays. Il y a enfin le Proche et le Moyen-Orient. Ce sont là des sujets de conversation qui ont de quoi nous occuper.
- Nous avons aussi évoqué d'autres aspects, celui des otages français au Proche-Orient, situation dans laquelle l'Algérie se comporte en grand pays ami et responsable. Voilà quelques-uns des problèmes en question, et si vous voulez bien nous allons continuer d'en parler.\
QUESTION (El Moudjahid).- Monsieur le Président, à propos des conflits africains justement, vous avez évoqué récemment à Lomé le principe de l'intangibilité des frontières héritées du colonialisme. Dans quelle mesure ce principe pourrait-il s'appliquer dans le cas du Sahara occidental ?
- LE PRESIDENT.- Il doit s'appliquer, c'est tout. Ce principe, ce n'est pas moi qui l'ai édicté. C'est un principe conforme au droit international et aux conventions qui ont prévalu à l'époque du phénomène de décolonisation, à l'instigation des nouveaux pays indépendants eux-mêmes : pour que beaucoup de difficultés ne se profilent pas à leur horizon immédiat, ils ont souhaité que les frontières héritées de la période coloniale fussent considérées comme intangibles. Ce principe, je n'en suis pas l'auteur, mais je l'approuve. Je considère donc que les peuples qui vivent à l'intérieur de ces frontières là ont vocation à s'exprimer eux-mêmes pour dire ce qu'ils entendent faire de leur propre destin. Voilà, je l'ai rappelé à Lomé £ je le rappelle aujourd'hui : je n'ai aucune difficulté à rester fidèle à moi-même.\
QUESTION (RMC).- Monsieur le Président, vous venez de dire à propos des otages français que l'Algérie était un grand pays ami et responsable. Il y a eu l'affaire Abdallah dans laquelle l'Algérie a été impliquée depuis assez longtemps. Est-ce qu'il n'y a pas des divergences entre la France et l'Algérie dans la mesure où pour la France quelqu'un comme Abdallah est un terroriste, alors que pour d'autres pays, peut-être pour l'Algérie, Abdallah pourrait être, par exemple, un militant de la cause arabe.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à entrer dans ces débats psychologiques. Ce qui est vrai, c'est qu'Abdallah s'est trouvé en situation d'accusé devant la justice française et successivement accusé, d'abord de délits, puis de crimes £ et que, bien entendu, les peines qu'entraînent notre code devenaient plus lourdes. C'est la justice qui a tranché ce problème, ce n'est pas à moi de le faire à sa place.\
QUESTION (Journal algérien).- Monsieur le Président, l'idée d'une conférence internationale sur le Proche-Orient a fait son chemin. La CEE l'a proposée tout récemment comme -cadre approprié du règlement de la question. Mais si l'on parle de conférence internationale, on ne dit pas, du moins l'Europe ne dit pas, ce qu'on attend de cette conférence ni qui doit y participer. Je pense notamment à l'OLP en tant qu'unique et légitime représentant du peuple palestinien.
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas faire la question et la réponse en même temps, quelque idée qu'on en ait. Je crois même avoir été - si je me trompe vous me pardonnerez - le premier responsable européen, à l'Ouest et même, je crois au total, à avoir accepté cette idée émanant du Proche-Orient : à savoir la réunion d'une conférence internationale sur le problème de cette région, mais en y ajoutant une procédure, car sur le principe, je suis loin d'être le premier. J'ai même longtemps souhaité que ce problème pût être réglé au niveau des relations bilatérales, ce qui s'est révélé irréalisable.
- La procédure que j'ai indiquée, serait un groupe de contact, un groupe de travail préparatoire. Sans quoi les questions, parmi lesquelles celles que vous avez très justement évoquées, n'ayant pas été analysées ni débrouillées, on risquerait d'achopper au moment où l'on aurait réuni beaucoup de gens qui n'auraient pas eu de canevas de travail. L'idée que j'ai proposée, c'était de confier, parmi d'autres, aux cinq pays membres du Conseil de sécurité, le soin d'exécuter ce travail préparatoire. Cela avait l'avantage, vous le distinguez tout de suite, de mettre au coeur de la discussion des pays comme les Etats-Unis d'Amérique ou l'Union soviétique, ce qui n'est pas négligeable et, permettez-moi d'ajouter, d'autres pays dont la France qui connaissent bien ces problèmes. Bien entendu ce n'est pas une liste limitative, il ne m'appartient pas non plus d'en décider.
- M. Gorbatchev que je rencontrais peu de temps après, développait une idée comparable. Nous nous étions mis d'accord sur ce thème. Il n'y a pas eu de proposition franco-soviétique : il y a eu une proposition française et une proposition soviétique qui tendent, en fait, au même objet. Mais ce serait ruiner les chances de cette conférence de travail préparatoire que de préjuger ce qu'elle déciderait. J'ai repris le sujet que vous avez abordé, mais il y en a d'autres : qui, combien de personnes, de quelle façon, sur quel ordre du jour ? etc... C'est précisément à cet organe de travail préparatoire qu'il reviendrait le soin de préciser les contours de la négociation et son contenu. Si qui que ce soit, vous et moi aujourd'hui, nous nous hasardons à préjuger ce qui sera décidé, déjà nous lançons une formidable concurrence de propositions qui risquent de détruire, à l'avance, l'utilité de cette procédure. Je ne vais pas me prononcer £ je vais simplement confier à un certain nombre de pays et de personnes, pays extérieurs à la région et pays de la région, le soin de déterminer eux-mêmes la façon de procéder.\
QUESTION (France inter).- Monsieur le Président, il y a trois jours, l'agence de presse libyenne a très violemment critiqué votre voyage en Algérie et a conseillé aux algériens de rejeter la thèse française à propos du Tchad. Est-ce que vous avez parlé des deux thèses, française et algérienne, avec le Président Chadli Bendjedid et que pouvez-vous en dire ?
- LE PRESIDENT.- Mais je ne connais pas de thèse française. Et d'ailleurs je ne pense pas qu'il y ait de thèse algérienne. Il y a le droit international, j'y reviens. Le droit international, vous l'avez rappelé à l'instant monsieur, c'est que chaque peuple se détermine lui-même à l'intérieur de ses frontières, elles-mêmes fixées par convention internationale reconnue par les Nations unies et par les nations africaines. A partir de là, aucun pays n'a le droit d'user d'une quelconque supériorité, souvent d'ailleurs momentanée, pour agresser l'un de ses voisins et s'emparer d'une partie de ses territoires. Dès lors qu'un pays le fait, comme l'a fait la Libye à l'égard du Tchad, il n'y a pas de thèse algérienne, il n'y a pas de thèse française, il y a la thèse du droit international : non, pas çà ! et, si vous le faites alors les conséquences risquent de vous dépasser. C'est ce qui est en train de se produire.
- Je ne sais donc pas quelle a été la -nature de la protestation de M. Kadhafi. Je dirai simplement qu'elle m'importe peu dès lors qu'il s'agit essentiellement pour le gouvernement légitime du Tchad de recouvrer son autorité sur son pays enfin indépendant. Ayant retrouvé son intégrité, tous les efforts qu'il fera dans ce sens seront les bienvenus et la France a, je le crois, fait son devoir à l'égard de ce pays en soutenant ses efforts. Je ne peux rien changer à cela £ le principe c'est celui que nous avons dit, ce n'est pas un principe dont la France serait l'auteur. La France s'est mise au service de ce principe de droit international avec d'autant plus de détermination qu'en l'occurence, il s'agit d'un pays auquel nous lient d'anciennes relations. Je veux dire le Tchad.\
QUESTION (La Pravda).- Monsieur le Président, l'Union soviétique a proposé de retirer les flottes de guerre de l'Union soviétique et des Etats-Unis de la Méditerranée. Comment vous estimez cette proposition ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à me prononcer. Pour l'instant, je me prononce sur la dernière proposition soviétique touchant au désarmement dans le domaine des forces nucléaires intermédiaires à longue portée. Je ne veux pas compliquer mon dossier en improvisant sur l'ensemble des sujets qui appartiennent au contentieux des grandes puissances. De toute manière, je serai toujours favorable aux mesures équitables qui permettront de maintenir les équilibres nécessaires, équilibres dont dépend la paix du monde.\
QUESTION (Télévision algérienne).- A la suite d'actes racistes répétés touchant notre émigration en France, quelles sont les mesures prises, monsieur le Président, par votre pays pour juguler cette remontée du racisme qui nuit aux relations entre nos deux pays.
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que l'on puisse parler de remontée. Il y a des phénomènes racistes en France. On peut en observer d'autres, parfois plus graves, dans d'autres pays. Mais il y en a. Donc, le seul fait qu'il y en ait, c'est déjà trop, et je les désapprouve et les condamne comme vous.
- En France, il y a une forte population d'origine du Maghreb, forte population de religion musulmane et dans la masse de ces travailleurs, bien entendu, de temps à autre, se déroulent des conflits. Lorsqu'il s'agit de travailleurs qui sont venus dans le -cadre de la loi, ils se trouvent sous la protection directe de la loi et doivent être défendus avec fermeté par les pouvoirs publics. Je n'ai jamais manqué de le faire £ je suis chaque fois scandalisé par tout acte raciste, et j'ai dit publiquement en France, à la télévision, que nos amis immigrés avaient droit au respect de la population française dans leur travail, dans leur vie civique, dans leur vie familiale, dans leur vie culturelle, dans leur vie religieuse, etc...
- Une situation différente sur le -plan juridique, mais non pas sur le -plan moral, est celle des nombreux clandestins qui sont venues en France pour des raisons que l'on peut souvent comprendre - besoin de travail par exemple, besoin de chercher un refuge - mais qui se trouvent cependant en situation irrégulière par -rapport à la loi. Il est normal que ces personnes puissent quitter décemment notre territoire, puisqu'elles y sont venus sans y être autorisées. Cela est vrai juridiquement. Moralement, je vous rejoins : à l'égard de ces personnes comme à l'égard des autres, s'appliquent les droits imprescriptibles de la personne humaine. Il convient de les traiter comme on doit traiter toute femme, tout homme qui, a priori, ne doivent pas être soumis à des pratiques différentes de celles qui s'imposent à nos concitoyens.
- Hors cela, c'est vrai de temps à autre, on entend parler de crimes et de violences pour des mobiles purement et salement racistes. Alors je me range parmi ceux qui demandent l'application sévère de nos lois pour la protection des individus quels qu'ils soie\
QUESTION (TF1).- Monsieur le Président, je veux revenir sur l'affaire Tchadienne. L'Algérie s'efforce d'aider à la réconciliation entre Tchadiens. Des entretiens se sont même tenus à Alger entre Tchadiens. A l'issue de votre rencontre avec le Président Chadli, estimez-vous qu'on se trouve près d'un accord politique et appuyez-vous la tentative algérienne ?
- LE PRESIDENT.- Je suis tout à fait favorable à toutes les initiatives qui tendent à la réconciliation des différentes fractions tchadiennes et particulièrement de leurs dirigeants. L'Algérie y prend une part active actuellement, dans cette ville. La France aussi. Je crois pouvoir dire que la plupart de ceux qui sont regroupés aujourd'hui autour de M. Hissène Habré ont pris langue avec la France et que nous avons toujours encouragé ces efforts. Et si, comme je l'espère, M. Goukouni Oueddei se trouve en mesure, ainsi que M. Hissène Habré, d'organiser en commun et au gré de leur propre décision, dans laquelle je n'ai pas à intervenir, une solennelle en même temps qu'évidente réconciliation entre eux qui se sont si longtemps combattus, ce serait pour le Tchad un événement d'une incalculable importance. Mais il faut le dire, l'essentiel a déjà été fait. Rares sont les fractions qui échappent aujourd'hui à l'autorité du gouvernement légitime du Tchad. M. Goukouni Oueddei est une personnalité importante, estimable, d'importance symbolique. C'est la fin de toute guerre civile au Tchad, et c'est la preuve qu'il s'agit bien désormais d'une guerre à l'égard d'un pays étranger et d'une armée d'occupation. Oui, je souhaite la réconciliation sur des bases qu'il ne m'appartient pas de déterminer.
- QUESTION (TF1).- Avez-vous l'impression qu'on approche ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux dire que ceci : les pronostics, vous savez, c'est toujours dangereux : j'ai l'impression qu'on en approche.\
QUESTION.- Je voudrais savoir comment le Président Chadli et vous-même analysez la brusque remontée de tensions dans l'affaire Jean-Louis Normandin. Quelle analyse en faites-vous ? Quelle analyse en fait le Président Chadli ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avons parlé. Je crois être informé de l'analyse du Président Chadli, mais ce sujet - je n'exerce pas de censure - j'évite d'en parler avant que ne se dénoue, aussi heureusement que je l'espère, cette situation dramatique.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous savez qu'en ce moment des efforts ont lieu pour arriver à l'application de la résolution 104 de l'OUA et des Nations unies pour la décolonisation du Sahara occidental, prévoyant des négociations directes entre le Front polisario et le Maroc. Quel est selon vous le rôle que pourrait jouer la France ?
- LE PRESIDENT.- La France est un pays ami de l'Algérie, elle est également amie du Maroc. Dans une affaire de ce genre, dont dépend le sort du Sahara occidental, la France entend demeurer fidèle au principe du droit international qu'elle a constamment rappelé et dont nous avons parlé, vous et moi, il y a un instant. Hors cela, elle estime qu'elle n'a pas à intervenir sinon, puisqu'elle a une possibilité de dialogue avec la Maroc et avec l'Algérie, en faisant valoir ses espérances et ses souhaits de voir se dessiner une décision d'accord. Et, bien tentendu, c'est aux représentants du peuple Sahraoui de dire eux-mêmes ce qu'ils souhaitent faire dès lors que cela s'inscrit dans le -cadre du droit que j'ai rappelé il y a un instant, le droit de tout peuple de vivre à l'intérieur de ses frontières en se déterminant lui-même £ il s'agit là d'un problème particulièrement compliqué, sur la base d'une autodétermination, c'est-à-dire d'un référendum sous contrôle international. Les autres modalités qui sont ressorties des décisions de l'OUA ne sont pas de mon domaine. La France n'est pas un pays africain et je n'ai donc pas d'opinion à exprimer à ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un déficit de cinq milliards de dinards dans les échanges commerciaux entre l'Etat français et algérien. Est-ce que vous pensez que vous pourriez utiliser l'influence de la Présidence de la République française pour essayer de rétablir l'équilibre ?
- LE PRESIDENT.- Mais, monsieur, les relations commerciales ça va, ça vient, ça monte, ça descend. Lorsque j'ai moi-même arrêté un accord d'une importance déterminante, décisive, puisque nous vivons encore sur cet accord, lors de ma rencontre avec le Président Chadli en 1981, au mois de décembre je crois, lorsque j'ai arrêté une série de décisions, notamment à propos du gaz algérien, et nous avons eu bien des conversations par la suite à ce sujet, mais nous avons commencé dés la fin de 1981, l'argument, l'objection principale des experts français c'était que cela coûtait trop cher à la France et que cela faisait basculer le commerce extérieur vers un grave déficit pour la France.
- En effet, à cette époque et pendant les années qui ont suivi, le prix du gaz aligné sur un panier du prix du pétrole a été extrêmement onéreux. A ce moment-là, le commerce extérieur algérien était nettement bénéficiaire. Et puis l'évolution du prix du pétrole a conduit le gaz à connaître une évolution parallèle et à renverser une fois de plus la tendance, c'est-à-dire à passer d'un bénéfice algérien à un déficit. En tant que Président de la République, je ne peux pas peser sur le prix du pétrole. Ce sont des définitions de caractère commercial qui résultent parfois de délibérations politiques, mais qui sont des délibérations des pays producteurs.
- En revanche, je suis tout à fait favorable à toute mesure qui permettrait un meilleur équilibre du commerce extérieur entre nos deux pays. De ce point de vue, il n'y a pas que le pétrole, il n'y a pas que le gaz, et je sais que nos spécialistes et nos responsables ministériels s'y appliquent.
- Je vais devoir vous quitter mais si vous avez encore quelque chose qui vous brûle l'esprit ou les lèvres dites-le moi. Il ne faudrait pas nous quitter comme cela. Monsieur ?\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un jeune coopérant français détenu actuellement en Afrique du Sud. Comment comptez-vous vous y prendre pour obtenir sa libération ?
- LE PRESIDENT.- C'est une affaire qui est en cours. Un intermédiaire de qualité, M. Deniau, a été envoyé en Afrique du Sud. Attendons la suite. Cette suite, croyez-moi, est suivie de très près par les responsables français. Je suis moi-même intervenu à diverses reprises avant le procès.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a un problème émotionnel en France dont on parle beaucoup, c'est celui des enfants nés de couples franco-algériens. Vous en avez certainement parlé avec le Président Chadli, qu'est-ce qu'il s'est dit ?
- LE PRESIDENT.- J'en avais parlé aussi à Paris avec les mères qui sont martyrisées dans leur tendresse pour leurs enfants puisqu'elles en sont séparées. Il y a des cas qui doivent bien se poser aussi dans l'autre sens, lorsque deux peuples sont amenés à se fréquenter comme le peuple algérien et le peuple français. Je pense que ce problème est également posé dans d'autres pays encore. Ces déchirements d'ordre privé sont tragiquement aggravés par les différences du droit, des traditions, des coutumes, l'éloignement... Ce n'est donc pas facile à régler.
- Lorsque j'ai rencontré ces personnes, les mères de ces enfants, qui se trouvent aujourd'hui en Algérie près de leurs pères, je m'étais inquiété de ce qu'il convenait de faire et j'avais réactualisé cette question pendante depuis trop longtemps et nous en avons parlé le Président Chadli et moi. Il existe une commission qui travaille sur ce thème et qui vraiment, je peux vous le dire, a fait de grands progrès. Le Président Chadli y prête comme moi, une attention personnelle considérable, et de notre conversation il ressort que l'on peut penser raisonnablement et sans lever d'espoirs impossibles, résoudre ce problème à bref délai.
- Merci et au revoir aux Algériens qui nous ont si bien reçus.\