19 février 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant les chefs de corps des trois armées et de la gendarmerie, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 19 février 1987.

Messieurs,
- Je tenais à vous recevoir aujourd'hui pour quelques raisons très simples. La première est qu'il m'est agréable de vous connaître. Bien entendu, j'ai l'occasion de rencontrer des chefs d'Etat-major, quelques-uns d'entre vous au gré des circonstances. Mais, combien exercent des commandements importants, qui sont comptables avec nous de la défense de la France et qu'il ne m'est pas donné de voir, avec lesquels je n'ai pas l'occasion de parler !... Certes, une réception de ce type ne suffira pas à combler cette impossibilité. Mais tout de même, je désire avoir quelques perceptions plus précises de ce que vous pensez sur les problèmes qui sont de votre responsabilité. Voilà la première raison.
- J'en ajouterai une deuxième : celle qui consiste comme toujours, à rechercher la synthèse entre des besoins différents, des obligations différentes.
- Vous représentez les commandements les plus divers. Ce que vous avez appris, ce qui a fait toute votre vie professionnelle, a sans doute pris son cours aux mêmes sources. Mais ensuite, selon les commandements, chacun s'applique à sa tâche, s'y absorbe.
- De cette diversité, nous tirons une grande richesse. Vous imaginez la somme des connaissances qu'ensemble vous représentez. Et cependant, que serait cette diversité sans qu'à un point moyen tout se retrouve dans un ensemble où se définissent et se mettent en action la défense du pays, la mise en oeuvre de sa stratégie, la pratique quotidienne, matérielle, réaliste des grands choix qu'il incombe au Président de la République, au gouvernement et au Conseil de défense de définir...
- Ce que j'ai pu moi-même acquérir depuis bientôt six ans, c'est le sentiment d'avoir devant moi une armée - l'armée française - qui connaît, comme tout corps professionnel et social, ses tendances et ses forces parfois éparses, parfois contraires, mais qui ont le sentiment de prendre part à une grande oeuvre, d'assumer un grand devoir où l'unité de conception de notre armée, de notre défense, prend le pas sur toute autre considération. Il faut vraiment que chacun d'entre vous - et, au-delà de vous, qui exercez de grands commandements, à tous les niveaux de la hiérarchie - que chacun ait le sentiment de contribuer, à sa place, à l'édifice dans sa totalité. C'est difficile parce que, selon les nécessités du moment, c'est telle arme ou telle spécialité dans une arme qui requiert le plus d'attention. Parce que lorsqu'il s'agit de répartir des crédits, on pourrait donner le sentiment d'accorder moins d'importance à telle activité qu'à telle autre £ à telle arme qu'à telle autre.
- Il y a longtemps que j'ai fait, personnellement, le point sur ces choses. Le plus isolé ou le plus éloigné des grands choix participe tout autant que les autres à la stratégie de la France. Ce n'est pas seulement celui qui détient l'arme la plus sophistiquée, c'est aussi celui qui par son service permet à cette arme d'être mise au service des hommes.\
Et des hommes, vous en avez également la charge. Tout ce personnel, si varié qui peut être appelé à tout moment à répondre présent à l'appel que nous lancerions, le plus modeste, le plus lointain, participe de la stratégie de la France. Il n'y a pas de parties nobles et d'autres qui ne le seraient pas. C'est une conviction qui m'est venue peu à peu, à l'expérience et au contact, en apercevant qu'il existe dans l'armée française une étonnante somme de disponibilités, de dévouements et de désintéressements. Je ne pense pas qu'il y ait d'autre corps social qui soit aussi éloigné que le vôtre des intérêts particuliers. Il faut donc respecter votre diversité, elle est nécessaire. Remplir l'ensemble des services qui sont exigés de nous exige une infinité d'obligations. Mais que prévale toujours le sentiment que vous êtes l'armée de la France et que cette armée s'organise autour de la stratégie de la France, pour le service de la France, voilà la conception dont je suis sûr qu'elle vous commande.
- Je ne vais pas vous faire un discours £ je voulais simplement vous expliquer la raison pour laquelle je tenais à vous rencontrer ce soir, avec à mes côtés, monsieur le ministre de la défense `André Giraud`, mes propres collaborateurs et, tout près de vous, les chefs d'Etat-major.
- J'imagine que lorsque vous étiez des jeunes gens, vous étiez portés par un grand idéal. La vie est dure, les déceptions souvent s'accumulent, le doute survient, et cependant, je crois avoir cru comprendre au travers des conversations que j'ai pu avoir avec certains d'entre vous, que les hommes responsables, au milieu de leur vie, parfois au terme ou proches du terme de leur carrière, avaient su garder cet élan du premier jour, parce que l'objet même du service n'a pas changé. L'essentiel est d'en garder conscience.
- Nous allons maintenant pendant quelques instants, quelques moments, rompre la rigidité de ce cercle qui est devant moi, abandonner un moment l'attitude strictement militaire et parler par petits groupes ici même, près de cette table. J'en profiterai pour mieux connaître certains d'entre vous, un peu au hasard des conversations : je veux que vous y voyiez un signe.
- Le Président de la République est le chef des armées. Il a la responsabilité suprême de décider du choix décisif, d'engager l'indépendance ou la vie même de la nation. Vous êtes, vous-mêmes, ceux qui doivent pouvoir supporter ces grands choix. Est-il plus noble tâche ? Je ne le crois pas.
- Et maintenant, messieurs, retrouvons-nous dans cette maison où ont vécu et où ont travaillé tous les Présidents de la République, c'est la maison de la République, c'est donc la vôtre.\