12 janvier 1987 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert au Roi Hussein de Jordanie et à la Reine Nour, sur les conflits du Proche et du Moyen-Orient et les relations franco-jordaniennes, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 12 janvier 1987.

Sire,
- Madame,
- Je veux d'abord dire à Vos Majestés combien nous nous réjouissons de les accueillir ce soir à l'Elysée et de pouvoir leur exprimer tout le respect, l'amitié de la France pour la Jordanie et ses souverains.
- Vous connaissez la France, et la France vous connaît bien. Il n'est guère de Français pour lesquels le nom du Roi Hussein ne soit synonyme de courage devant les épreuves et de détermination au service de son pays.
- Je sais aussi, madame, que le coeur des Français vous est gagné et qu'ils vous associent pleinement à votre époux dans cet élan qui les portent vers ce que vous incarnez l'un et l'autre.
- Comment n'évoquerais-je pas en premier lieu la visite que j'ai eue l'honneur d'effectuer dans le royaume de Jordanie, il y a maintenant deux ans et demi. Je garde le souvenir de votre accueil, celui de votre magnifique pays que j'avais découvert trente-cinq ans plus tôt, de votre capitale transformée aujourd'hui, qui témoigne de la vitalité jordanienne.
- Je n'ai pas oublié non plus ma visite, notre visite, puisque nous étions chez vous en voyage officiel, piloté par vous-même, à Petra, la Nabatéenne, joyau sans égal tiré de plus d'un millénaire d'oubli, au site de Jerash, où travaillent conjointement vos archéologues et les nôtres. Je me souviens aussi de la sûreté du pilote.
- De tant de trésors un aperçu éloquent nous est donné par l'exposition organisée au musée du Luxembourg, sous le nom de "la Voie royale, neuf mille ans d'art au Royaume de Jordanie" et que, madame, vous êtes venue inaugurer en novembre dernier.\
Je garde, aussi, bien entendu, le souvenir de nos entretiens sur des questions qui nous touchent parce qu'elles concernent la paix et la sécurité d'une région, la vôtre, à laquelle nous attachent tant de liens historiques. Parce qu'aussi elles mettent en cause les principes universels de justice - justice pour les Etats, justice pour les peuples - auxquels la Jordanie et la France adhèrent et dont elles s'efforcent toutes deux d'obtenir le respect ou bien la mise en oeuvre.
- Ces entretiens nous les avons poursuivis ici-même, puisqu'il ne s'est pas passé une seule année sans que vous me fassiez l'honneur d'une visite. Les problèmes qui n'ont cessé d'occuper nos esprits sont malheureusement toujours devant nous.
- Nul plus que vous, Majesté, n'a mesuré les menaces que comporte la situation du Proche et du Moyen-Orient, ni travaillé pour y mettre fin. Vous l'avez fait avec une constance et une énergie que n'ont pas découragé les obstacles toujours renaissants que vous avez rencontrés sous vos pas.
- L'appui de mon pays vous est acquis pour les solutions que dicte la raison, c'est-à-dire, d'abord, l'ouverture du dialogue entre tous les pays concernés. Puisque celui-ci ne parvient pas à se nouer directement entre elles, eh bien, nous sommes favorables à la méthode que vous proposez, qui est celle d'une Conférence internationale à laquelle participeraient, outre les parties directement intéressées, les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies qui ont une responsabilité particulière au regard de la paix, de la sécurité, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Si besoin s'en fait sentir, nous serions de notre côté disposés à contribuer à sa préparation selon les modalités qui seraient jugées les plus appropriées.
- Bref, toute formule réaliste qui permettra de progresser dans la voie de solutions durables et équitables, sera la bienvenue. Et, à l'inverse, toute mesure unilatérale qui figerait les situations de fait, en particulier dans les territoires visés par les résolutions 242 et 338 des Nations unies, compliquerait la tâche des partisans de la paix et retarderait l'heure du règlement. Il faut, en particulier, donner au peuple palestinien la possibilité de se prononcer lui-même sur son avenir et assurer que soient effectivement tirées les conséquences de ce choix. De même que les Etats de la région, à l'intérieur de frontières - c'est le terme consacré, mais il est important de le rappeler - de frontières sûres et reconnues, doivent être en mesure d'établir entre eux des relations normales, c'est-à-dire pacifiques. Je lance auprès de vous un appel à tous ceux qui, proches ou lointains de la zone du conflit, sont visés par son règlement, afin que, surmontant une indifférence confortable ou des intérêts à courte vue, ils prennent leurs responsabilités, conjuguent leurs efforts pour dégager la solution qui exigera - ce n'est un secret pour personne - une imagination et un courage politique peu communs. Tel est le devoir urgent qui s'impose à chacun, car derrière l'aspect trop souvent incantatoire des formules diplomatiques, comment ne pas voir que chaque jour qui passe apporte aux hommes et aux femmes, qui n'ont d'autre choix que de subir, son lot de deuils, de souffrances ou bien d'humiliations.
- Personne ne peut s'étonner qu'attentif comme vous l'êtes aux conditions de vie des populations de Cisjordanie, vous ne soyez pas resté insensible à leurs besoins. La France, de son côté, intervient de façon encore modeste, sans doute, mais que nous souhaitons voir s'accroître, en matière d'enseignement, de scolarisation, de coopération technique, en articulant son aide avec l'action de la Communauté européenne.\
D'autres situations, dans la même région, requièrent la même détermination. Je pense, en premier lieu, au conflit qui met aux prises depuis plus de six ans, l'Iran et l'Irak, dans une confrontation sanglante, ruineuse, insensée. Ces deux pays, porteurs l'un et l'autre de valeurs spirituelles et de civilisations anciennes et éminentes, vont-ils longtemps encore continuer à épuiser leurs peuples et leurs forces ? L'équilibre d'une région aussi hautement sensible, la sécurité de la navigation dans une voie d'eau qui intéresse tant d'autres pays dans le monde, en dépendent. Il faudra bien s'en occuper.
- La France n'a cessé d'encourager la recherche d'une issue raisonnable, négociée, en assumant, au sein du Conseil de sécurité, les responsabilités qui sont les siennes et en appuyant les initiatives visant à la cessation des hostilités, notamment celles du secrétaire général des Nations unies.\
Non moins dramatique, la poursuite de la crise libanaise qui entre dans sa treizième année. Vous connaissez, Majesté, l'attachement de la France et des Français pour le Liban, longtemps apparu comme un modèle d'équilibre et de liberté, avec lequel, nous, Français, nous avons, au cours des siècles, forgé des liens humains et culturels exemplaires. Qui ne voit que la solution à ces problèmes, repose sur la reconnaissance par tous de son droit à une existence libre et souveraine, respect de son indépendance, de son unité, de son intégrité territoriale. Respect du choix que sa population enfin laissée à elle-même, doit faire des modalités de réconciliation entre les diverses communautés qui la composent. Il est vrai que la réponse libanaise répond d'abord de ce peuple-là. Il doit cesser par sa réunification morale et politique, de prêter la main aux tentations venues de l'extérieur.
- Je n'ai cessé de rappeler les efforts de la France pour appuyer tous ceux qui pouvaient contribuer au retour, à l'unité de ce pays. Nous avons apporté aux autorités libanaises le concours que nous pouvions fournir. Nous l'avons fait et nous le faisons encore au prix de sacrifices que chacun connait, lourd tribut, croyez-moi, versé à une amitié dont la fidélité se vérifie dans les épreuves.
- Aussi douloureux, choquants, intolérables que soient les assassinats dont des Français de toute sorte, civils, diplomates, militaires, sont victimes à Beyrouth en particulier et dans le Sud du pays, aussi scandaleuse que soit la détention d'otages français, nous ne revenons pas sur nos engagements, nous demeurons aux côtés de nos amis libanais portant le témoignage d'une solidarité fondée sur des siècles de confiance placée dans la France.\
Sire, Madame, aucune ombre ne plane sur les relations entre nos deux pays. Nous avons connu depuis la création de votre Etat des rapports dont le développement demeure remarquable. La place que la Jordanie s'est acquise sous votre autorité en fait un interlocuteur essentiel, lorsqu'il s'agit de rechercher les voies de la paix, de l'équilibre de la sécurité dans cette partie du monde et cela vous est dû, Majesté, pour une large part. Aussi notre dialogue est-il constant. Il se fonde sur la considération que la France porte à votre action ainsi qu'à votre jugement et il fait apparaître l'identité de nos objectifs sur les grandes affaires que je viens d'évoquer. Vous savez aussi que nos positions et que notre langage ne sont pas de circonstance, qu'ils expriment des convictions réelles, fondées sur le respect de principes permanents auxquels nous conformons notre action.
- Je souhaite que nos affaires bilatérales soient portées dans tous les domaines au niveau de qualité qu'ont atteintes nos relations politiques. Déjà dans le domaine culturel qui est loin d'être indifférent, comme je le signalais tout à l'heure en évoquant le succès de l'exposition du musée du Luxembourg, nous avons souvent lieu d'être satisfaits de la connaissance croissante qu'ont nos deux peuples, de leur culture et de leur patrimoine respectifs, ce à quoi concourt également l'existence de l'émission quotidienne d'une heure et demie en français à la télévision jordanienne. Nous en avions parlé lors de notre visite et j'avais appris avec beaucoup de satisfaction le soin que vous y apportiez. Les échanges commerciaux entre la Jordanie et la France ont connu ces dernières années un véritable essor. Les résultats enregistrés en matière de télécommunication ou d'aéronautique nous incitent à étendre le champ de notre coopération. La Jordanie est parvenue en surmontant les contraintes d'une nature souvent difficile à assurer à sa population et à son économie une stabilité que beaucoup lui envient. Nos entreprises dont les dirigeants sont nombreux autour de cette table, disposent du savoir-faire le plus moderne et le plus diversifié et sont intéressées par le projet de développement et de mise en valeur de votre pays. Sachez enfin, que, comme par le passé, la Jordanie peut compter sur la France pour ses besoins de sécurité.
- Je forme donc le voeu que cette visite officielle, cette visite d'Etat de vos Majestés, qui vient couronner les échanges que j'ai rappelés tout à l'heure, soit aussi l'occasion de diversifier, d'intensifier encore les rapports entre nos deux peuples et nos deux pays afin de donner leur plein épanouissement aux liens d'amitié et de confiance qui nous unissent.
- Mesdames et messieurs et essentiellement nos amis visiteurs jordaniens, je tiens à ce que vous sachiez le plaisir que nous avons de vous recevoir à l'occasion du voyage de leurs Majestés, vous êtes ici les bienvenus, vous le savez. Quant à vous, je vous invite à lever votre verre en l'honneur de leurs Majestés, le Roi Hussein et la Reine Nour, je pense en cet instant à votre famille, Madame, à vos amis, à votre cercle, à tout le travail accompli chaque jour dans ce pays que vous servez, que vous aimez, je pense, mesdames et messieurs, à votre peuple dont vous êtes ici l'expression, si bien qu'en levant mon verre, c'est à votre bonheur personnel sans doute mais aussi à la prospérité du peuple jordanien, à l'amitié franco-jordanienne que je le ferai en songeant que ce n'est qu'une étape dans une véritable amitié.\