19 décembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'inauguration du musée Champollion, Figeac, vendredi 19 décembre 1986.

Monsieur le maire,
- Mesdames,
- Messieurs,
- Vous avez bien voulu rappeler le précédent voyage que j'ai fait dans l'exercice de mes fonctions dans votre ville. J'en garde un fidèle souvenir. J'avais eu l'occasion d'y prononcer une allocution qui souhaitait réveiller chez nos compatriotes un certain goût de l'entreprise, l'ouverture, la création, qui invitait l'Etat à soutenir sans étouffer et qui devait servir de base par la suite à quelques références pour montrer quelle était la véritable orientation des gouvernements du moment. Le maître mot reste celui que vous savez, que je répète presque chaque jour, puisque hier encore, j'étais dans le département de l'Ain, à l'ouverture d'une autoroute qui permettra de faire se rejoindre la région Bourgogne et la Suisse avant que cet axe n'aille jusqu'à l'Atlantique. Je disais à quel point il me paraissait nécessaire d'organiser la solidarité entre les régions, car ce que nous appliquons aux individus lorsque nous souhaitons que les inégalités s'effacent et que l'entraide s'organise est aussi vrai des régions et des départements. La nature n'a pas distribué ses richesses de la même façon. Il appartient à l'organisation sociale d'y pourvoir.\
Monsieur le maire `Martin Malvy`, vous m'avez accueilli donc pour la deuxième fois, à ce titre puisque je suis venu d'autres fois à Figeac. Je vous en remercie. J'ai beaucoup de plaisir à vous rencontrer ainsi qu'un certain nombre de personnalités figeacoises, et je n'oublie pas l'objet qui m'a valu d'être invité. Il s'agit du musée Champollion.
- C'est bien entendu surtout à ce grand savant que je consacrerai les quelques lignes qui suivront. Il n'est pas si commun de voir une ville qui reste tout de même une ville d'importance moyenne, peuplée de quelques 10000 habitants, organisée à ce point autour de la mémoire d'un savant de très grande envergure, un musée qui requiert beaucoup de soucis, la collaboration d'hommes de culture et de science. Vous avez pu drainer l'ensemble de ces bonnes volontés et de ces compétences jusqu'à vous. C'est déjà une réussite.
- Je rappellerai, parce qu'il faut le dire, que c'est le 23 décembre 1790, que Figeac a donné naissance à l'un des plus grands esprits de notre temps, qui a rendu à l'humanité plus de trois millénaires de son histoire : il s'agit bien de Jean-François Champollion.
- Cette aventure du déchiffrement a commencé à la fin de ce siècle, du XVIIIème siècle. A cette date la clef des hiéroglyphes égyptiens était perdue depuis quinze siècles, depuis qu'on avait fermé les temples, dispersé les scribes. Depuis quinze siècles, plus personne ne comprenait le langage des frontons et des tables : l'Egypte ancienne restait muette. Et l'écriture des pharaons, celle qui leur avait permis de communiquer, d'ordonner, d'administrer et d'abord naturellement de tirer au mieux partie des crues du Nil, cette écriture-là, l'une des plus anciennes du monde et des plus nobles, paraissait morte à jamais.
- C'est alors que les membres de l'expédition de Bonaparte découvrent à Rosette, dans le Delta, au bord de la mer, un bloc de basalte, dont il y a la reproduction ici-même dans ce musée, qui portait un texte gravé en trois écritures différentes. C'est là que se trouve tout à coup le miracle qui envahit l'esprit des savants. Je dis des savants parce que plusieurs y ont contribué. Ces trois écritures, l'une était grecque, les deux autres étaient égyptiennes, on les appelle hiéroglyphique et démotique. On pouvait penser que ces textes égyptiens n'étaient qu'une simple traduction du texte grec. C'était, je crois, un décret de Ptolémée V Epiphane en 196 avant JC. Alors, on pouvait partir du texte connu pour décrypter les écritures inconnues.
- Thomas Young, médecin et physicien anglais, s'est lancé dans l'aventure, sans succès. Enfin, sans succès final. Il ne parvient pas à établir une véritable correspondance entre les signes égyptiens et les lettres grecques.
- Jean-François Champollion, votre compatriote, a repris le problème là où Young l'avait abandonné. Il a réussi à lire dans le texte le nom des pharaons, des souverains.
- Le problème n'était pas résolu pour autant, car on pouvait se poser la question, et on se l'est posée. Qu'est-ce que c'est que cette écriture ? Qu'est-ce que c'est que ces signes ? Est-ce que c'est une écriture symbolique où chaque signe représente une idée, comme on le croyait depuis toujours, en tout cas depuis les Grecs ? Ou bien s'agissait-il d'une écriture phonétique, dans laquelle les signes correspondaient à des sons, comme dans nos langues modernes.\
A force de patience, d'érudition, on dira de génie, Champollion a découvert la vérité. Il a compris que l'écriture égyptienne était essentiellement, comme on dit, pictographique, c'est-à-dire que chacun des signes représentait l'objet qu'il signifiait et pour écrire des mots comme "arc", "oie", "sandale", eh bien le scribe dessinait tout simplement un arc, une oie ou une sandale. C'étaient des signes-mots, comme on dit des idéogrammes qui retracent la forme des choses. Les enfants traduisent de cette façon leur première émotion.
- Ce principe resta inchangé jusqu'à la fin de la civilisation égyptienne. Lorsqu'au cours des siècles, l'Egypte eut connaissance d'animaux ou d'objets étrangers à sa civilisation, - comment faire ? -, elle se contenta de dessiner les nouveaux venus, comme un char de guerre ou comme un cheval. Même les actions étaient représentées en image. Car, pour signifier l'action de courir, pour nager, un nageur, c'est bien simple. C'était si simple, qu'il a fallu un siècle pour parvenir à cette très simple vérité.
- Si ingénieux qu'il fût, l'homme cependant pouvait difficilement traduire des abstractions, par exemple, comment traduire "se souvenir", ou bien "aimer" ? Pour exprimer ces conceptions, sans pour autant renoncer à la pictographie, les égyptiens utilisaient des méthodes dont la plus connue, vous l'avez pratiquée, est celle du rébus.
- Ainsi se comprenait la puissance magique que la mentalité égyptienne attribuait à l'image (les biens de ce monde, les animaux nuisibles) et aux couleurs (le noir, symbole de la renaissance, et le rouge, couleur néfaste).
- Une science nouvelle était créée, qu'on a appelée, plus tard, je crois, l'égyptologie, puisqu'au Collège de France, la première chaire où l'on s'est occupé d'égyptologie, était une chaire d'archéologie - m'avez-vous rappelé monsieur le proffesseur - mais on a restitué, ensuite, les vocables qui convenaient.
- Si le nom de Champollion reste étroitement lié à l'écriture et à la langue égyptienne, il ne faut pas oublier que celle-ci n'était pour lui qu'une clé qui ouvrait beaucoup d'autres choses. Le moyen de comprendre, et du dedans, une civilisation.
- Car à 16 ans déjà, Champollion avait entrepris un traité de "l'Egypte sous les pharaons" dont seule, je crois, la première partie est parue. Donc, il s'intéressait déjà à ces choses.\
J'ai reçu une petite note de Jean Lacouture qui commence à écrire un ouvrage sur Champollion, et qui s'excuse de ne pouvoir être avec nous cet après-midi, retenu par la maladie. Il me note que Champollion, oui ce petit garçon né là, dans la maison et la rue étroite que je viens de visiter, chez vous, au centre tout à fait historique de Figeac, était surdoué. Il avait des capacités d'apprendre aussi évidentes que celles-ci, il parlait le syriaque à l'âge de 9 ans, le syrien à 10 ans, l'arabe vers 12 ans, l'hébreux vers 11 ans, le copte vers 13 ans. Sans doute eut-il la chance d'avoir des maîtres qui tout de suite éveillèrent son intelligence. Mais tout de même, quelle aptitude extraordinaire !
- La précocité, la profondeur de cette intelligence sera récompensée par le hasard. Il n'y a jamais de hasard. Le hasard, c'est un événement qui vient à la rencontre d'une intelligence et d'une recherche qui doit être le plus scientifique possible. Car lors d'un voyage en Italie, Champollion, dans les combles d'un musée turinois, découvrit et identifia un "papyrus royal", "le papyrus royal" qui contenait le nom de tous les rois d'Egypte jusqu'à la XIXème dynastie. Document essentiel pour établir la chronologie. A partir des pharaons on pouvait reconstituer une large part de l'histoire. Et ce qu'il écrivait est assez émouvant, je le cite : "J'ai vu rouler dans ma main des noms d'années dont l'histoire avait totalement perdu le souvenir, des noms de dieux qui n'ont plus d'autels depuis quinze siècles, et j'ai recueilli en respirant à peine, craignant de le réduire en poudre tel petit morceau de papyrus, dernier et unique refuge de la mémoire d'un roi qui de son vivant se trouvait peut-être à l'étroit dans l'immense palais de Karnak ".
- Quand fut accomplie l'oeuvre de déchiffrement, Champollion se jeta dans l'étude des texte et des figurations religieuses. Il voulut faire connaître l'ensemble du culte égyptien, qui était "source de toutes les religions païennes de l'Occident" et voulut montrer les nombreux emprunts que la religion des grecs avait faits à celle de l'Egypte.
- Dès 1823, il entreprit d'écrire un traité sur la religion égyptienne, le "Panthéon égyptien", où il identifiait les dieux égyptiens et reconstituait leur famille. 1823, il est né - je le répète - en 1790.
- Champollion ne relâcha jamais son effort : archéologue, conservateur du Louvre, chargé de multiples cours, il termina sa carrière universitaire, Professeur au Collège de France, dans la chaire archéologique que j'ai évoquée tout à l'heure, créée spécialement pour lui par le roi Louis-Philippe.\
Voilà, je ne me pose pas du tout en spécialiste. J'ai simplement ramassé les éléments qui me paraissaient nécessaires pour éclairer la signification de cette cérémonie, de cette rencontre. Pourquoi suis-je venu à Figeac ? D'abord, parce que je connais Figeac. J'aime bien Figeac. Je connais ceux qui l'administrent. J'ai avec eux des relations d'amitié. Cela fait déjà d'excellentes raisons. Elles ne seraient peut-être pas suffisantes, parce qu'il m'arrive de connaître quelques autres personnes en France. Mais, quand on pense à la conjonction que représente un tel trésor de culture, de science, d'intelligence, une telle volonté de découvrir, on s'interroge sur le sens des racines. Cet enfant, d'origine dauphinoise, est né à Figeac et y a passé une partie de son enfance. M. Martin Malvy vient de rappeler à l'instant qu'il y est revenu à diverses époques de sa vie, lorsqu'il a été exilé, c'est-à-dire une sorte de - je cherche le mot - "exilé en France", c'est-à-dire rejeté par les pouvoirs, et, lorsqu'à la fin de sa vie, aux approches de la mort, il a voulu préparer ses derniers jours. Pourquoi s'intéresser tant à Champollion, à Figeac sinon parce que cela représente pour les habitants de cette région une formidable projection dans la connaissance de l'esprit humain. Et vous devez être, mesdames et messieurs, très fiers d'être les compatriotes directs ou un peu plus lointains d'un homme tel que lui.
- Champollion est né dans la belle demeure où nous étions, il y a un instant. Cette maison nous parle de Champollion même si elle a dû être reconstituée, puisque le temps avait fait son oeuvre. On a rappelé que son père, qui s'appelait Jacques, exerçait la profession de libraire colporteur. Quatre frères et soeurs l'avait précédé, parmi eux Jacques-Joseph, que l'on cite toujours. Il avait 12 ans de plus que son cadet, mais il a joué un rôle décisif dans l'éducation et la carrière de Jean-François. Je crois que c'est lui qui, pour qu'on les distinguât, préféra s'inventer un autre nom que celui de Champollion, le jeune, le cadet, en prenant le nom qui a duré plusieurs générations de Champollion-Figeac. C'est donc véritablement une signature, l'authentification de l'attachement au terroir.
- Bon, à cette époque, Figeac vivait dans les heures de la Révolution. Beaucoup de personnalités venaient chez le père, soit des personnalités engagées dans les combats du moment - je crois que le père Champollion fut conseiller municipal de Figeac pendant la Convention - mais aussi les autres, car il était de ceux qui avaient l'esprit ouvert (comme on souhaiterait davantage), par exemple deux Bénédictins qui étaient pourchassés, mais qui remplirent un rôle tout-à-fait décisif, car ils prirent en charge l'éducation des enfants : un chanoine, Seycy, et Dom Calmet. Ce qui explique pourquoi Jean-François fut si tôt initié à la connaissance de quelques langues anciennes.\
C'est également dans cette maison que Jean-François Champollion a passé ses premières années, et qu'à l'âge de cinq ans, il apprit à lire, tout seul, dans un missel.
- C'est en 1798, donc il avait 8 ans, 7 à 8 ans, que l'Egypte fait son entrée dans la maison de Figeac. Car, son frère Jacques-Joseph, - M. Malvy l'a rappelé - avait nourri l'espoir de rejoindre l'armée de Bonaparte par l'entremise d'un cousin. Il faut se souvenir de l'extraordinaire engouement qui accompagna l'expédition de Bonaparte en Egypte, la qualité des savants, et puis surtout l'extraordinaire malle d'informations et de renseignements, qu'ils rapportèrent en France. Ce qui fut véritablement comme une nouvelle naissance. On parle toujours de la renaissance du XVIème siècle. C'est une véritable renaissance à l'égard d'une grande civilisation complètement ignorée.
- Bon, alors, l'Egypte, cela représentait une féérie. Comment voulez-vous que l'esprit des enfants, leur imagination y échappât ? Et voilà Jean-François désormais décidé à pénétrer ce monde inconnu. Et pourtant Champollion, dans les écoles traditionnelles, a plutôt échoué. Ce qui reste un encouragement quand même, pour quelques autres. Car le vieux Dom Calmet le prend sous sa protection, l'initie aux sciences naturelles, herborise, classe ceci et celà... Champollion est éloigné de ses camarades d'enfance. Il n'en partage pas les jeux. Il manie très bien le latin et le grec, il se nourrit de Virgile et d'Homère parce qu'il en a trouvé des livres à la maison. Il mime des scènes dramatiques. Mais, il n'a encore que 8 ans.
- Les années passeront, il n'aura pas, jusqu'à ce qu'il entre, naturellement, dans les études supérieures et surtout devienne professeur, il n'aura pas un cursus universitaire extraordinaire, parce que son intelligence s'était fixée, non pas sur une spécialité, sur quelque chose d'universel, mais par une porte par laquelle il convenait de pénétrer et cette porte était fermée.\
Politiquement, il s'agissait de gens engagés. Ils étaient républicains. L'aîné devint bonapartiste, le passage était coutumier. Le cadet resta républicain, tout en s'accommodant fort bien, pour perpétuer son étude, des faveurs qui lui furent réservées sur le -plan scientifique et sur le -plan professionnel. J'entends, par la Restauration d'abord, puis par le roi Louis-Philippe.
- Figeac est une petite ville paisible, sans ultras ni fanatismes. Je ne saurais que l'apprécier. Cela doit bien exister ici comme ailleurs. Et, ici comme ailleurs, il faut savoir que c'est à partir de là que les sociétés se corrompent. Il faut avoir beaucoup de fermeté dans les conceptions que l'on a, dans l'idéal que l'on sert, dans l'explication sociale, politique de son choix. Mais il faut se garder de reporter sur les autres, qui ne partagent pas cette opinion, une sorte d'intolérance qui serait source de destruction de toute société. Il faut des gens résolus, croyants et engagés, s'ils le désirent, bien entendu. Mais il ne faut pas se fermer sur les autres. Et d'une certaine manière, c'est bien ce qui caractérisait cette famille Champollion. Car, lorsqu'elle fut exilée pendant un certain temps à Figeac, aussitôt elle créa un cercle musical. On chantait les poèmes que Jean-François Champollion créait lui-même. Jean-François Champollion, égyptologue, était aussi poète. On se passionne pour l'archéologie locale. On serait certainement allé visiter le musée de Cahors. On fouille des monticules de terre près de Reilhac. On réfléchit à une pédagogie nouvelle. On se prépare même à ouvrir une école élémentaire d'enseignement mutuel, méthode dite "lancastre". C'est dire que c'étaient des intelligences qui bouillonnaient sans cesse.
- Et Champollion a écrit, à cette occasion, trois petits essais sur le libre arbitre, très en avance sur son époque. Il s'est penché sur l'histoire de la ville. Il a songé à écrire une histoire de Figeac.
- Mais la loi de 1817 lui a rendu sa liberté de circulation. Attiré par d'autres paysages, il n'a pas mené l'oeuvre à bien.
- C'est en 1831 qu'il est revenu, miné par la maladie. Pourtant tout de suite, à l'air natal, il retrouve ses forces et il écrit : "Je suis heureux de respirer un air moins imprégné par les miasmes de la civilisation, mes poumons s'en trouvent mieux et mon travail aussi".
- Mais enfin, il faut qu'il rentre à Paris, il y a le Louvre, il est conservateur. Il y a le Collège de France où il enseigne. Il écrit à l'un de ses amis "la mort me guette à Babel", c'est-à-dire dans la ville lointaine, où l'on parle toutes les langues, où l'on ne se comprend pas toujours non plus. Il écrit cela à l'un de ses amis, Chandruc de Crazannes, avant de quitter Figeac. Il reprend la diligence Paris-Toulouse en novembre 1831 et il meurt à 41 ans, le 4 mars 1832.
- Voilà bien des raisons, mesdames et messieurs, pour marquer ce jour de façon solennelle. Ce n'est pas le seul génie qu'ait produit la France. Mais c'est un des plus grands. Et le fait que votre ville soit son lieu de naissance, le lieu de son enfance, le lieu de son épanouissement intellectuel et culturel, c'est pour vous tous, un signe que vous ne devez pas oublier.\
Et j'ai tenu à inaugurer ce musée parce que mon rôle n'est pas seulement un rôle politique, s'attachant aux grands problèmes de la nation. Et parmi ces grands problèmes, si je voulais être plus précis, je dirais que les éléments de la culture m'apparaissent comme essentiels. Ils sont liés à tous les autres, et de plus en plus. C'est au travers de l'approche culturelle que les Français s'épanouiront dans la société du XXIème siècle. J'ai vu dans les mouvements de la jeunesse de ces dernières semaines comme une sorte de volonté d'acquérir et d'apprendre, de façon que rien ne leur soit fermé dès le premier jour et qu'ensuite ils exercent leur capacité. Je veux dire que la sélection, cela peut se concevoir à la fin d'une carrière, non au début. Qui pourrait, dans ce cas-là, choisir, sinon les moyens de la fortune, les inégalités sociales, ou bien le désavantage géographique, le fait d'être éloigné des grands centres où se développent les grandes universités. Il faut bien songer que l'école, tous les degrés de cette école jusqu'au niveau supérieur, et le plus élevé, restent le creuset où se forge une nation. Et le premier devoir de ceux qui gouvernent, comme de ceux qui enseignent, n'est-il pas d'offrir à tout enfant de France des chances égales à celles des autres ?\
Jean-François Champollion est donc un personnage exceptionnel qui échappe au commun, mais qui ne s'est jamais séparé des problèmes de la société dans laquelle il vivait. En tout cas, l'oeuvre accomplie, qui en fait l'un des noms les plus illustres du monde, méritait bien que, 196 ans après sa naissance, une sorte de reconnaissance autour de l'ouverture de ce musée pût avoir lieu.
- J'ai déjà dit tout-à-l'heure que la maison tombait en ruine. Je félicite vraiment la ville et le conseil municipal aidé par le conseil général du Lot et, j'imagine, par beaucoup d'autres organismes ou institutions. Vraiment je suis très heureux, je pense que la région, que l'Etat ont contribué à cette oeuvre. Mais, s'il n'y avait pas eu l'initiative, le déclic, la volonté d'aboutir et la continuité dans cette volonté, il n'y aurait pas de musée Champollion à Figeac. Je tiens à le dire au maire de cette ville, Martin Malvy, qui a dans cette affaire bien des mérites. J'ai été témoin de ses efforts. Cela fait déjà quelques temps que vous m'en avez parlé. J'ai vu de quelle façon vous vous êtes passionné pour cette oeuvre dont vous connaissez tous les aspects. Eh bien, je crois que désormais, à Figeac, un haut lieu de réflexions, d'études, de souvenirs et de projections sur l'avenir permettra aux habitants du Lot de se sentir concernés par les faits et gestes de leur compatriote et par l'ouverture sur une civilisation très ancienne et redevenue nouvelle.\
Je ne passe pas mon temps à inaugurer des musées. Mais enfin, j'étais, il n'y a pas si longtemps, au musée d'Orsay. Je n'étais d'ailleurs pas seul. Moins d'un mois après, je suis à Figeac pour l'ouverture du musée Champollion.
- Les dimensions n'ont aucun -rapport. Mais, chacun à sa manière, chacun avec ses moyens, oeuvre pour la culture française, pour la culture tout court. Et j'attache beaucoup d'importance aux musées des régions ou des départements. Cela présente un inconvénient parce qu'il faut beaucoup de continuité au sein d'un conseil municipal pour entretenir ce qui a été construit et imaginé, inauguré. Et, quelquefois, il y a des municipalités qui manquent de constance. Du moins les municipalités changent, elles n'ont pas toujours les mêmes sources d'intérêt. Et dans ce sens, cela risque d'exposer à l'oubli des documents qui, comme il en est ici, ne méritent pas cet oubli et qu'il serait tout-à-fait choquant de perdre vue. Mais tout de même, un pays comme la France, ne doit-il pas mettre à la disposition de chaque région, de chaque département, parfois même de chaque petit pays, le moyen de connaître sa propre histoire, le moyen de développer sa forme de culture.
- J'insiste beaucoup sur ce -plan et dans ce domaine parce que, voyez-vous, et je reprends le thème que j'avais abordé il y a un moment, c'est au travers de toutes les richesses de l'esprit et du coeur - comment distinguer ? -, c'est au travers de ces richesses-là que l'on peut mieux comprendre, organiser, orienter la société des hommes. Peut-on imaginer que cette société ira vers ces achèvements, vers ces épanouissements, par de simples mécanismes, par une sorte d'automatisme qui voudrait qu'il y ait des causes et des conséquences sans aucune aventure entre les unes et les autres. Tout est toujours à faire et à refaire. Rien n'est jamais acquis disait le poète, rien n'est jamais tout-à-fait établi.
- Et pour que la France devienne - selon l'expression du beau poète Walt Whitman - devienne ce qu'elle est, il lui faudra, à travers les années qui viennent, et puis toutes celles qui suivront, dans le siècle prochain avec les fils et les fils de nos fils, qu'il y ait assez de citoyennes et de citoyens, de femmes et d'hommes qui aiment ce qu'ils font, qui aiment leur pays, qui aiment les autres, qui refusent des disparités lorsqu'elles sont inutiles, les inégalités lorsqu'elles sont injustes et qui contribuent du même effort à faire de ce pays, la France, dans une Europe qui reste également à construire, une oeuvre dont on restera fier beaucoup plus tard, comme nous sommes fiers nous-mêmes de l'oeuvre de nos pères. Merci.\