11 décembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur du Président de la République arabe d'Egypte et de Mme Hosni Moubarak, sur la coopération franco-égyptienne et les conflits du Proche et Moyen-Orient, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 11 décembre 1986.

Monsieur le président,
- Madame,
- C'est pour nous une joie, un honneur que de vous accueillir ce soir, au Palais de l'Elysée, vous-même et la délégation égyptienne qui vous accompagne. Certes, monsieur le président, vous êtes un familier de la France, l'un des chefs d'Etat avec qui j'ai eu le plus d'occasions de m'entretenir au cours de ces dernières années, puisque, on en a fait le compte par curiosité, nous nous sommes rencontrés quelques quatorze fois. Cette capacité de dialogue, assez exceptionnelle, repose sur des liens personnels, ceux que nous avons noués entre nous, mais aussi bien sûr, sur les affinités profondes, anciennes, entre l'Egypte et la France, sur une commune appréciation des grands problèmes d'aujourd'hui, sur une volonté partagée de travailler et d'oeuvrer aux deux extrémités de la Méditerranée pour la paix des nations et le bien être de nos peuples. Voilà pourquoi j'ai tenu à consacrer par la solennité d'une visite d'Etat - la première qu'accomplisse en France un Président de la République arabe d'Egypte - l'excellence de nos relations et la vigueur de notre amitié.
- Monsieur le président,
- Madame, Mesdames et Messieurs,
- A l'origine de cette relation exemplaire, il y a sans doute le pouvoir d'attraction que n'ont cessé d'exercer l'une sur l'autre deux des plus anciennes nations et des plus brillantes civilisations de cette partie du monde, également attachées, à travers les vicissitudes d'une longue histoire à leur unité, à leur indépendance, à leur identité.
- Mais aussi, et c'est peu banal, une tradition de coopération qui date de plus d'un siècle. L'Egypte et la France, on le sait bien et nombreux sont ici les experts, les savants, ceux qui ont consacré une vie de recherche à la connaissance de l'Egypte, ont inventé en quelque sorte la notion de coopération quand le mot n'existait pas encore ou du moins n'était pas appliqué à ce qu'il représente aujourd'hui. Mon pays peut légitimement s'enorgueillir d'avoir apporté, au XIXème siècle, sa contribution à l'édification de l'Egypte moderne. Animés d'une volonté de paix, nos savants, nos juristes, nos ingénieurs ont accompagné l'essor de votre pays qui, sous la conduite de Mehemet Ali et de ses successeurs, s'est ouvert au grand mouvement de développement industriel et technique que traversait alors l'Europe.
- Est-il besoin de rappeler les noms de Champollion - dont je visiterai la semaine prochaine la maison natale à Figeac-de-Mariette, qui, en déchiffrant les énigmes de votre civilisation, l'ont rendue familière à tant des nôtres £ celui de Ferdinand de Lesseps lié à cette grande -entreprise des temps modernes que fut le canal de Suez ? Evoquerai-je aussi, la cohorte des écrivains qui poussés par le goût romantique d'un certain exotisme sont venus aux rives du Nil nourrir leurs rêves et leurs créations : Chateaubriand, Nerval, Flaubert, Théophile Gautier, mon compatriote Pierre Loti et bien d'autres encore...
- Il y a bien des raisons actuelles pour que cette fascination mutuelle se perpétue et féconde nos relations. Car, en évoquant votre histoire six fois millénaire, je n'oublie pas que je m'adresse au président d'une Egypte fière, indépendante, résolument tournée vers l'avenir, forte d'une jeunesse abondante et active, et qui avance à grands pas vers la modernité.
- Autour de cette table, vos amis Français sont nombreux à avoir souhaité mieux connaître l'Egypte et ils perpétuent à leur façon et selon les modes du temps, ce qui fut entrepris par les grands noms que j'ai cités.\
Monsieur le président, depuis votre accession à la magistrature suprême en octobre 1981, dans les circonstances tragiques que nous n'avons pas oubliées `assassinat d'Anouar el Sadate", vous avez su faire face aux responsabilités les plus lourdes et donner un nouvel élan aux réussites de votre pays.
- Ces efforts, menés avec persévérance, en dépit de lourdes contraintes économiques, démographiques, financières, font que l'Egypte dispose maintenant des infrastructures industrielles et des équipements productifs parmi les plus importants de la région.
- Mais, la chute des prix du pétrole est venue contrarier récemment le cours d'une action destinée à améliorer le niveau de vie de la population. L'Egypte cherche, depuis lors, à surmonter cette crise avec le concours des instances monétaires internationales. Je souhaite que ces dernières fassent la juste part de la nécessaire rigueur financière et des non moins indispensables considérations politiques et sociales qui doivent éclairer leurs décisions.
- J'avais écrit : "mon pays est prêt à intervenir le moment venu, pour faciliter un accord entre l'Egypte et les instances monétaires concernées pour examiner, avec les autres partenaires européens, les arrangements bilatéraux qui pourraient le compléter". Mais que dis-je, mon pays est intervenu. Je sais le -prix qu'ont attaché à la réussite de leurs efforts, le ministre français des affaires étrangères, le ministre d'Etat chargé de l'économie et des finances et, naturellement, monsieur le Premier ministre, c'est-à-dire ceux qui ont véritablement, dans la pratique des choses, le désir et le moyen de conduire jusqu'au terme souhaité cette négociation internationale dont on peut penser aujourd'hui qu'elle dispose d'auspices favorables. J'espère bien que l'intervention de la France y est pour quelque chose.\
Dans le domaine culturel, nombreux sont les étudiants et les chercheurs français qui se passionnent pour le monde arabe en général et pour l'Egypte en particulier qui en est le centre. Près de 120000 touristes français ont visité cette année votre pays. Ils sont les plus nombreux actuellement à y séjourner, attirés par la découverte d'un incomparable patrimoine. Votre littérature, votre musique, ici représentées, sont de mieux en mieux connues et appréciées, de même que votre cinéma. Le dernier film de Youssef Chahine, -fruit comme le précédent d'une coproduction franco-égyptienne, - il en est ici des témoins et des acteurs - suscite ces jours-ci un vif intérêt à Paris. La francophonie reste, en Egypte, une réalité vivante qui se renouvelle sans cesse et qui s'ouvre à l'économie et aux techniques dans le domaine industriel.
- Notre coopération est également active. Les entreprises françaises - nombreux sont, ici, leurs dirigeants ou leurs représentants - fortes de leur expérience et de leur savoir-faire, certaines d'entres elles un savoir-faire plus que centenaire, apportent leur contribution aux grands projets d'infrastructure et de développement. Qu'il s'agisse de la réalisation du métro ou de la construction de ports, d'hôpitaux, d'usines, l'Egypte sait qu'elle peut compter sur la participation de la France à l'effort de modernisation et à la diversification de ses productions agricoles et industrielles.
- Croyez, monsieur le président, que la France est bien décidée à se tenir aux côtés de l'Egypte, notamment dans la période difficile qu'elle traverse.\
Dans les affaires du monde, nombreux sont les terrains d'entente entre nos pays. Le vôtre est riverain, comme nous, de la Méditerranée, à la charnière entre deux continents. Oui, vous avez à jouer un rôle majeur sur la scène internationale.
- La sagesse et la pondération qui sont la marque de votre politique confèrent ainsi à l'Egypte un poids particulier sur le continent africain. Vous faites entendre votre voix au sein de l'Organisation de l'unité africaine, et je pense qu'en raison de nos liens avec tant de pays d'Afrique, c'est encore un terrain sur lequel peuvent se développer les mille domaines de la concertation.
- L'Egypte est aussi présente dans l'ensemble du monde arabe, du Maghreb au Golfe, non seulement pas son prestige, sa culture, son cinéma, sa presse mais aussi par ses millions d'émigrés, ingénieurs, techniciens, professeurs, médecins qui contribuent tous puissamment au développement et au savoir des pays d'accueil.
- Prolongeant la détermination du président Sadate, dont je veux évoquer le souvenir, vous avez assumé la difficile responsabilité de diriger l'Egypte dans la mise en oeuvre de la paix avec Israël. Le traité de 1979 a apporté à votre pays la restauration de son intégrité nationale, ce qui n'était que justice.\
Mais il reste tant à faire pour que la paix s'instaure au Proche-Orient.
- Est-il moins nécessaire qu'en 1982, lorsque je le déclarais solennellement devant la Knesset de donner au peuple palestinien les moyens de mettre en oeuvre les droits qui sont les siens, y compris le droit à l'autodétermination, avec tout ce qu'il comporte ? Et de garantir le droit à l'existence d'Israël dans les frontières, selon la formule consacrée, sûres et reconnues ? Et d'entreprendre la reconstruction du Liban, de lui restituer, encore faut-il qu'il le veuille lui-même, souveraineté et intégrité ?
- Chacun de ces objectifs, chacun de ces principes reste vrai et le temps qui passe ne fait que rendre plus insupportables les souffrances endurées.
- Oui, nous souhaitons, nous Français que soit écartée la tentation du découragement, nous souhaitons qu'une solution continue d'être recherchée. Le droit et la justice, la tranquillité, le développement de votre région, l'équilibre du monde, particulièrement au Proche et au Moyen-Orient, tout cela est un grand objectif qui reste à atteindre et qui semble parfois reculer au moment-même où l'on en approche. Rien ne doit être fait, en tout cas, pour rendre ce problème irrémédiable, notamment pour ce concerne la situation de droit et de fait des territoires en litige à propos desquels l'Organisation des Nations unies a adopté les résolutions 242 et 338 auxquelles la France a souscrit. De même, nous souhaitons que le mouvement palestinien acquière la capacité de souscrire les engagements indispensables à tout règlement international.
- Je sais, monsieur le président, que vous travaillez en étroite liaison avec plusieurs pays de la région, avec le Roi Hussein de Jordanie, en particulier, à renouer les fils d'un processus de paix. Nous suivons avec la plus grande sympathie votre action et nous ne vous ménagerons pas notre soutien s'il est demandé.
- Faute de contacts directs entre les parties intéressées, qui paraissent nécessaires si l'on veut la paix (il faut bien négocier avec les gens que l'on combat), j'ai préconisé que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité puissent se concerter pour préparer une conférence internationale, envisager des procédures, examiner les modalités de la participation des uns et des autres, en liaison assurément avec le Secrétaire général des Nations unies.
- Si l'on veut un résultat, il ne faut exclure aucun pays, bien entendu, aucun groupe, c'est le cas qui se pose pour l'OLP dont il ne m'appartient pas de définir de quelle manière il pourrait y trouver sa place. En tout cas, je le répète, la France usera de son influence pour que les choses avancent, et je le répète aussi, pour ceux-ci comme pour ceux-là, il faut que les premiers intéressés, auxquels nul ne peut se substituer, fassent preuve de bonne volonté, de volonté tout court, et du courage politique sans lesquels votre région ne sortira jamais de l'engrenage des exclusions, de la violence et du malheur. Ce n'est pas bien entendu, à un pays comme la France et il n'y songe pas, à faire comme s'il dictait des solutions préfabriquées. Nous sommes à l'écoute de ce que vous, peuples de ces régions, vous entendez préconiser mais s'il s'agit de préparer, d'accompagner, de soutenir tout ce qui ira dans le sens du dialogue, de la raison, de l'acceptation mutuelle et plus tard, je l'espère, de la paix, cela vous sera accordé.\
Dans cette région qui attire toujours nos regards, la France a pris vraiment beaucoup de responsabilités, beaucoup de risques. Personne n'a fait plus qu'elle au Liban lorsqu'elle a répondu aux demandes des autorités, maintenu une coopération très forte, organisé le dialogue avec toutes les communautés. Nous sommes intervenus à différentes reprises, à leur demande, pour évacuer par milliers les gens menacés, pour faciliter les échanges de prisonniers. Nous nous sommes interposés entre les belligérants et nous y avons perdu nos soldats. Nous avions et nous avons le plus fort contingent au sein de la FINUL. Dans la nouvelle répartition décidée par M. Perez de Cuellar, compte tenu de la situation présente et de la nécessité de répartir les efforts, notre présence demeure très importante. J'espère que cette mission, celle de la FINUL, pourra un jour être élargie afin de remplir l'intégralité de sa tâche. Alors qu'elle n'était animée que par le seul objectif d'aider un pays si proche et si cher à restaurer sa souveraineté, son intégrité et une coexistence pacifique entre ceux qui la composent ou qui y vivent, la France a payé un lourd tribut en vies humaines. Et pourtant que ceux qui espèrent, sachent que la France, malgré tout, ne manquera pas à son devoir.
- Cette politique de la France n'est pas dictée par des considérations conjoncturelles, particulières. Elle ne change pas de cap au gré des vents contraires. Elle s'inscrit dans une tradition séculaire de présence, d'amitié, sans exclusive, et elle n'est à la remorque de personne. Elle se manifeste pas des engagements clairs que tous peuvent vérifier, par un même langage parlé et aux uns et aux autres.\
Monsieur le président, vous êtes un homme de fidélité, vous êtes un homme de courage et vous comprenez ce propos. Nous sommes animés par un même souci : la paix, toujours la paix. Je rends hommage aux initiatives que vous avez prises à diverses reprises, à diverses époques, mais notamment celle que vous avez prise au Caire après le détournement de l'Achille Lauro pour condamner le terrorisme et faire partager par d'autres cette condamnation, ainsi qu'à votre proposition d'une conférence internationale contre le terrorisme, présentée l'an dernier au Conseil de l'Europe. Vous savez quel point la France est engagée dans cette lutte qu'elle entend mener jusqu'au terme, c'est-à-dire jusqu'au moment où chacun pourra vivre en sécurité.
- Votre pays est profondément pacifique. Sa voix est de plus en plus entendue. Je pense en particulier à la Conférence islamique du Koweit, le mois prochain. La présence de l'Egypte est toujours signe de bonne volonté et de capacité d'accords. Que la communauté des peuples arabes s'exprime de concert en faveur du dialogue et de la paix, que tous les pays en conflit, y compris Israël, sachent l'entendre, voilà le voeu que nous formons ce soir.
- Je m'en suis tenu à l'examen de quelques problèmes, mais ils sont si graves, qui occupent directement notre voisinage. Encore aurais-je pu évoquer le conflit, pour être complet, la guerre ouverte entre l'Irak et l'Iran, ou faire part de nos inquiétudes devant les agissements d'un certain nombre de responsables qui ne le sont pas toujours, dans votre immédiate mitoyenneté.
- J'aurai pu plus encore évoquer ici-même et en cette circonstance les grands intérêts du monde auxquels vous avez part en tant que grand pays souverain. Mais j'ai voulu limiter mon propos à ce qui me paraissait le plus urgent.
- Pour terminer, monsieur le président, madame, je vous serais reconnaissant de bien vouloir transmettre au peuple égyptien si digne, si accueillant, si noble, mon salut fraternel. Que ce peuple sache que le peuple français, et ses dirigeants, lui vouent l'estime, et je le crois, l'amitié qu'il mérite. Je peux vous dire solennellement que l'Egypte est, et restera, un partenaire essentiel pour la France. De même, monsieur le président, que je vous considère comme l'un de nos amis les plus proches.
- Voilà donc le moment d'élever mon verre et de porter un toast à la santé de monsieur le président, de madame Moubarak, nos hôtes et nos amis. A la santé de celles et ceux qui les accompagnent, à la santé du peuple égyptien que nous respectons et que nous aimons. A la santé des vôtres, mesdames et messieurs,
- Vive l'Egypte !.\