10 décembre 1986 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au journal égyptien "Al Ahram", sur les relations franco-égyptiennes et la situation au Proche et au Moyen-Orient, Paris, mercredi 10 décembre 1986.
QUESTION.- Monsieur le Président, le Président Moubarak est un des chefs d'Etat étrangers non européens avec lesquels vous vous êtes le plus souvent entretenu depuis 1981. Il commence, à partir de demain, une visite d'Etat en France. Pourriez-vous nous faire le point des relations actuelles entre la France et l'Egypte à la veille de cette visite ? Quelles sont les perspectives ouvertes dans un rôle conjoint des deux pays sur le -plan politique ?
- LE PRESIDENT.- Je noterai d'abord qu'il existe d'excellentes relations personnelles entre le Président Moubarak et moi. Alors qu'il était Vice-Président, M. Moubarak a été la première personnalité étrangère que j'ai reçue après mon élection. J'ai toujours eu une certaine facilité d'échange avec lui. Nous nous sommes souvent rencontrés £ nous avons parlé à fond de tous les problèmes qui intéressent, à l'heure actuelle, la vie du monde. Je me suis rendu moi-même en Egypte à diverses reprises soit sur le -plan public, soit sur le -plan privé. C'est dire le plaisir que j'aurai d'accueillir le Président Moubarak. J'en attends de bons résultats dans le -cadre de nos relations d'Etat à Etat.
- Indépendamment de nos personnes, les affinités entre l'Egypte et la France sont, historiquement, réelles et fortes. l'évolution de ces dernières années a montré que nous avions une capacité de dialogue assez exceptionnelle. Je veux enfin profiter de cet entretien pour dire au peuple égyptien la joie que j'ai de recevoir M. et Mme Moubarak et pour lui envoyer mon salut amical et fraternel.
- J'ajoute qu'à la base de nos bonnes relations, il y a des intérêts économiques. Il y a aussi la bonne représentation culturelle de la France dans votre pays même si elle pourrait être améliorée. Mais je ne donnerai pas d'autre explication : tout cela est bien connu. Nous avons également une certaine communauté de vues dans l'approche de quelques problèmes majeurs £ comme celui du Moyen Orient. Nous avons aussi une harmonie de points de vue dans les grands débats qui se déroulent aux Nations unies et dans la façon dont la France aborde les problèmes touchant aux pays non alignés.
- Bref, les terrains d'entente sont multiples et je ne connais pas de terrains de querelles : c'est dire que je me flatte, aujourd'hui, de relations franco - égyptiennes exceptionnelles.
- QUESTION.- Pour un rôle conjoint des deux pays ?
- LE PRESIDENT.- Le rôle conjoint, nous l'avons déjà ! ... Nous avons déposé des textes aux Nations unies pour les problèmes touchant au Proche-Orient £ nous avons fait des analyses communes £ et avant d'être élu Président de la République, j'avais déjà approuvé certaines démarches du Président Sadate. Nous pourrons avoir également une position commune - elle nous est naturelle - dans la Méditerranée. Nous avons une interprétation très proche des événements qui se déroulent en Afrique, dans l'environnement égyptien : Libye, Tchad, Soudan, péninsule arabique. Quant à la conférence internationale pour étudier et tenter de résoudre le problème entre Israël et les pays arabes - le problème palestinien - nous nous trouvons sur la même longueur d'onde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'Egypte traverse actuellement, comme vous le savez, une phase économique délicate. Dans quelle mesure la France peut-elle contribuer, toute seule par ses propres moyens, ou dans le -cadre de la Communauté européenne, à tenter de l'aider ?
- LE PRESIDENT.- Par ses propres moyens la France peut contribuer à faciliter l'action économique de l'Egypte dans un certain nombre de secteurs. Mais son rôle sera plus net encore dans les instances internationales : au sein du Fonds monétaire international, dans les institutions de la Banque mondiale. La France remplit généralement un rôle d'avocat et d'ami de beaucoup de pays dits du tiers monde, notamment à l'égard de l'Egypte.
- QUESTION.- Actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Actuellement, oui. La rencontre de demain permettra de saisir, d'appréhender avec plus de précisions les points sur lesquels l'Egypte souhaite être mieux comprise.
- QUESTION.- Est-ce que vous pourriez nous exposer avec plus de détails le point de vue de la France sur les pourparlers entre l'Egypte et le FMI ?
- LE PRESIDENT.- Le Fonds monétaire international est exigeant dans le domaine des garanties économiques et financières. C'est normal, c'est son rôle. Mais il faut toujours que l'appréciation politique et sociale soit liée à l'appréciation financière. La collectivité internationale n'a pas à gagner à ce que l'instabilité, le désordre et la révolte s'emparent de tel ou tel pays. Il faut donc trouver la juste mesure et aménager, dans certains cas, la rigueur financière nécessaire. Il y a quand même des garanties minima sur lesquelles l'institution internationale ne peut pas transiger. On ne peut pas faire tout et n'importe quoi, la France connaît bien ces problèmes et a souvent pesé utilement pour ses amis.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez toujours adopté une sorte de neutralité positive à l'égard du conflit entre l'Irak et l'Iran. Vos efforts visaient surtout à arrêter cette guerre. Comment envisagez-vous aujourd'hui la solution de ce conflit, alors que tous les efforts régionaux et internationaux se sont heurtés à un échec ?
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'un conflit qui se déroule entre deux puissances souveraines dans une région, pour nous, assez lointaine. Ce qui n'enlève rien à la gravité de ce drame. Quand je suis arrivé à la Présidence de la République, il existait déjà des accords d'armement entre la France et l'Irak. Quand la guerre a éclaté, ces accords ont continué. On ne peut pas renier ces relations simplement parce que l'Iran nous le demanderait. Mais, nous ne sommes pas allés au-delà, c'est-à-dire que nous ne sommes pas devenus des belligérants, nous ne sommes pas partie prenante à ce conflit que nous déplorons. Personne, ni les deux plus grandes puissances, ni l'Organisation des Nations unies, personne n'a pu peser véritablement sur le retour à la paix. On ne peut qu'employer la raison, essayer de faire comprendre aux deux belligérants qu'ils ont tout à y perdre.
- QUESTION.- Vous savez - cela a été dévoilé - que les Etats-Unis ont fourni des armes à l'Iran par l'intermédiaire d'Israël.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à juger les autres pays. La France a vendu des armes à l'Irak. Elle n'en vend pas à l'Iran. C'est tout.
- QUESTION.- Vous ne pensez pas que de telles livraisons d'armes vont contribuer à un déséquilibre des forces en présence dans la région ?
- LE PRESIDENT.- Si l'Irak et l'Iran se battent depuis si longtemps, c'est parce que l'un et l'autre disposent de fournitures d'armes.
- QUESTION.- La France a amorcé une politique de rapprochement avec l'Iran, pouvez-vous nous dire...
- LE PRESIDENT.- C'est un rapprochement qui présente des aspects humains, des aspects financiers, qui peut présenter certains aspects politiques, mais qui ne peut pas présenter des aspects militaires.
- QUESTION.- Oui, mais vous pensez que cela peut aider la France à jouer un rôle plus efficace et plus actif dans la solution de ce conflit ?
- LE PRESIDENT.- La France ne se pose pas en médiatrice.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la vie civile au Liban a toujours été une préoccupation majeure de la France dans la région depuis 1975. La France est plus ou moins impliquée par la présence de ses forces au sein de la FINUL et par les otages qui sont retenus par des groupes ou des groupuscules terroristes au Liban. Quel est le rôle que peut jouer la France individuellement ou en coopération avec les Etats de la région, ou même d'autres Etats, pour aider le peuple libanais et son pouvoir légal, quels sont les efforts actuels ?
- LE PRESIDENT.- Personne n'a fait plus que la France pour aider le Liban. Nous sommes intervenus à diverses reprises. J'ai envoyé un corps - comme on disait "d'interposition" - au moment de l'invasion israélienne. Nous avons essayé de calmer les passions, d'éviter les massacres. Nous avons perdu une centaine de soldats. Oui, nous avons accepté beaucoup de sacrifices pour le Liban.
- Toutes les factions libanaises nous demandaient de rester, toutes : chrétiennes, musulmanes - et à l'intérieur de ces deux communautés, vous savez très bien les rivalités qui existent - toutes, nous ont demandé de rester. Après que l'évacuation eût été ordonnée, nous avons encore maintenu quatre vingt observateurs. Nous sommes restés seuls alors que tous les autres étaient partis.
- D'un autre côté, nous avons une forte présence dans la FINUL. Normalement, nous, les Français, nous ne devrions pas nous y trouver, puisque nous sommes membre du Conseil de Sécurité `ONU`. Mais nous avons accepté parce que c'était le Liban. Je tiens à ce que les soldats français y restent, dans le -cadre de la FINUL. Je regrette même que la mission de la FINUL ne soit pas élargie. La position de la France est très claire.
- QUESTION.- Dans la perspective de l'avenir, monsieur le Président, est-ce que vous pensez que la FINUL doit avoir un rôle élargi ?
- LE PRESIDENT.- Oui...
- QUESTION.- ... plus large de la France ?
- LE PRESIDENT.- La France agit en tant que membre d'un corps militaire qui est sous l'autorité de l'ONU : il n'y a pas d'action spécifique de la France. Quand je dis que je souhaite que la mission de l'ONU soit élargie, c'est parce que je pense que nous pourrions mieux éviter les confrontations ou les occupations étrangères. Et en ce sens, nous rendrions service au Liban.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France a six otages au Liban : est-ce que les efforts qu'elle déploie conditionnent sa politique à l'égard du Liban et de la région ?
- LE PRESIDENT.- Non. Nous avons nos amitiés : rien ne peut les changer.
- Pour les contentieux financiers que nous avons avec l'Iran, il suffit de les examiner d'un point de vue juridique.
- Mais le problème des otages ne peut pas modifier notre politique au Proche et au Moyen-Orient.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a une nouvelle approche de la France à l'égard de l'affaire des otages ? Est-ce qu'il y a une grosse différence, actuellement, avec les étapes et les phases antérieures ?
- LE PRESIDENT.- Non, cela dit, il est très difficile de connaître la situation exacte des otages, en raison des désordres qui règnent au Liban. Nous nous sommes adressés à des Etats, à l'Etat syrien, à l'Etat iranien pour savoir s'ils pourraient jouer de leur influence pour contribuer à la libération des otages.
- QUESTION.- Mais l'approche pour leur libération est la même ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
- QUESTION.- Je pense qu'au début on a essayé de prendre contact avec les groupes ou les groupuscules ?
- LE PRESIDENT.- Non.
- QUESTION.- Jamais ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. Le gouvernement de Laurent Fabius a toujours agi en relation avec les Etats.
- QUESTION.- Avec les Etats seulement ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Le gouvernement français n'a pas refusé le -concours de personnes en qui plusieurs familles d'otages faisaient confiance. Mais il n'a pas traité avec les groupes terroristes.
- QUESTION.- Il y a donc eu continuité : c'est la même approche ?
- LE PRESIDENT.- Je le suppose.\
QUESTION.- Passons à la conférence internationale de paix sur le Moyen-Orient qui recueille de plus en plus d'opinions favorables sur la scène internationale. Monsieur le Président, vous avez lancé l'idée avec M. Gorbatchev d'une commission préparatoire ?
- LE PRESIDENT.- La France a lancé l'idée indépendamment de M. Gorbatchev.
- QUESTION.- Oui, mais au cours de votre sommet à Moscou ?
- LE PRESIDENT.- Nous l'avons confirmée. Je me suis réjoui de voir que l'Union soviétique adoptait une position comparable. Mais ce n'est pas une proposition franco - soviétique.
- QUESTION.- C'est une position française ?
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez ma position : je préfère un accord direct entre les belligérants. Mais puisque cet accord n'est pas possible, il faut bien trouver une autre solution.
- J'avis déjà préconisé que les membres permanents du Conseil de Sécurité pussent se concerter pour préparer une conférence internationale. M. Gorbatchev a défendu une idée proche de celle-là. Quand nous nous sommes rencontrés, nous avons constaté que nous pouvions agir dans ce sens.
- QUESTION.- Proche, mais pas identique ?
- LE PRESIDENT.- Il y a d'un côté une proposition de la France £ d'un autre côté, une proposition soviétique. Il se trouve qu'elles sont proches l'une de l'autre. Sur le fond, le problème ne se règlera pas si les antagonistes ne sont pas mêlés à la décision. De même si les plus grandes puissances n'ont pas la garantie que leurs intérêts propres et que leurs amis seront défendus.
- Il faut donc préparer un forum assez large, avec la présence des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Ainsi, toutes les forces dont nous parlons seront-elles représentées. On ne peut exclure aucun groupe de cette conférence, sinon cela ne marchera pas. D'autant plus qu'à l'intérieur d'un tel forum, rien n'empêcherait les contacts directs de s'établir entre adversaires. Les deux démarches sont tout à fait compatibles.
- QUESTION.- Votre idée a été acceptée par l'ancien Premier ministre israélien, M. Peres, et par le Président Moubarak. Mais les Etats-Unis continuent à émettre des réserves à la tenue d'une telle conférence ? Comment, monsieur le Président, pensez-vous qu'on puisse venir à bout des réticences américaines ?
- LE PRESIDENT.- C'est un Etat souverain £ il se déterminera comme il voudra.
- QUESTION.- Quel est le premier pas qui doit être fait pour la tenue de cette conférence ? Comment cela va se déclencher ?
- LE PRESIDENT.- La France a fait ce qu'elle devait faire : elle a proposé £ elle ne peut rien faire de plus. Elle peut continuer de répéter ce que serait une solution sage £ elle ne manque pas d'influence. Comment voulez-vous procéder autrement ? Si tout le monde était d'accord, on trouverait vite une procédure. Les problèmes de procédure sont toujours l'expression de problèmes de fond. Si on ne trouve pas de procédure, c'est parce qu'il n'y a pas d'accord sur le fond.
- QUESTION.- Quel pourrait être le mode d'organisation de cette conférence ?
- LE PRESIDENT.- Si je vous répondais, je me substituerais aux organismes qui en auraient la charge. Si je commence par vous dire : "voilà ce qu'ils doivent faire", je gêne déjà la future négociation. Il faut que les membres permanents du Conseil de Sécurité se posent la question que vous venez de me poser £ en particulier, comment va-t-on régler le problème de la présence de l'OLP ?
- Vous savez si l'on veut la paix, il faut toujours discuter avec les gens que l'on combat.
- QUESTION.- Il n'est donc pas incompatible qu'il y ait une conférence et une négociation directe entre les adversaires ?
- LE PRESIDENT.- Non, bien entendu.\
QUESTION.- Pouvez-vous nous définir, monsieur le Président, la position actuelle de la France à l'égard de l'OLP ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons des relations constantes.
- QUESTION.- Le ministre des affaires étrangères `Jean-Bernard Raimond` voit M. Arafat très bientôt ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Chaque fois que M. Dumas ou que M. Cheysson sont allés dans un pays où se trouvait M. Arafat, ils l'ont rencontré, le problème du pays d'accueil ne compte pas. Et puis, il y a une antenne de l'OLP à Paris. M. Ibrahim Souss qui la dirige est reçu régulièrement par les autorités constituées.
- QUESTION.- Vous considérez l'OLP comme un représentant du peuple palestinien ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai dit à la tribune de la Knesset en 1982. Pour l'instant, nul ne peut nier que l'OLP soit une force représentative des Palestiniens en guerre.
- QUESTION.- Vous connaissez, monsieur le Président, le problème de l'implantation de nouveaux kibboutz israëliens dans les territoires arabes occupés...
- LE PRESIDENT.- La France a adopté les résolutions des Nations unies. Elle les soutient toujours.
- QUESTION.- ... qui condamnent l'occupation...
- LE PRESIDENT.- ... Elle les a votées.\
QUESTION.- Une partie de la presse française et certains milieux politiques ont fait porter aux Arabes la responsabilité de la vague d'attentats terroristes qui a secoué Paris en septembre dernier ?
- LE PRESIDENT.- Pas aux Arabes, mais à des Arabes. Ce ne sont pas les Arabes qui font du terrorisme en France. Il y a des groupes terroristes qui viennent du monde arabe, mais nous ne disons pas que c'est une agression du monde arabe. Il y a aussi d'autres terroristes qui relèvent d'autres origines.
- QUESTION.- Des Allemands, des Italiens, Action directe...
- LE PRESIDENT.- Oui, des minorités activistes. C'est pour cela que j'estime qu'il ne faut pas s'en prendre au peuple arabe, ce ne serait pas juste.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a de nouveaux indices qui indiquent que tel ou tel Etat arabe ou autre qu'arabe, ont commis ces attentats ?
- LE PRESIDENT.- On en a débattu récemment au sein de la Communauté européenne `CEE`.
- QUESTION.- Les investigations...
- LE PRESIDENT.- Le Premier ministre `Jacques Chirac` français s'est exprimé à ce sujet. Vous avez pu constater qu'il n'avait pas mis en cause les Etats.\
QUESTION.- On prête au Président Hissène Habré du Tchad l'intention de lancer une offensive pour reprendre le Nord du pays qui est actuellement entre les mains des rebelles. Quelle est la position de la France à cet égard ?
- LE PRESIDENT.- La France est tout à fait favorable au retour à l'unité, à la souveraineté, à l'indépendance du Tchad. Le gouvernement légitime de ce pays est parfaitement habilité à rechercher les conditions de cette unité.
- QUESTION.- Est-ce que la France est disposée à soutenir militairement le Tchad s'il y a une nouvelle pression de la part de la Libye ?
- LE PRESIDENT.- La France aide déjà le gouvernement de N'Djamena, elle a même des soldats dans ce pays. Mais la France n'a pas l'intention d'agir militairement au nord du 16ème parallèle.\
QUESTION.- Monsieur le Président vous avez rendu visite à l'Egypte en 1974 en tant que Président du parti socialiste et vous avez assisté à un colloque qui s'est déroulé justement au journal Al Ahram. Vous avez défini deux axes fondamentaux pour la réalisation de l'Europe politique. Il s'agissait de trouver une solution au problème de la sécurité collective vis-à-vis de l'Union soviétique d'une part, et la création d'une alliance entre les pays du bassin méditerranéen en vue de réaliser un équilibre entre les deux grandes puissances : l'Union soviétique et les Etats-Unis. Un tel équilibre, disiez-vous à ce moment-là, ne pourrait se réaliser à travers une alliance militaire, mais par la création d'une puissance nouvelle fondée sur l'unité des liens économiques, commerciaux, culturels et humains qui permettrait aux pays concernés de décider par eux-mêmes du destin de leur région. Comment voyez-vous, monsieur le Président, douze ans après, la situation ?
- LE PRESIDENT.- Les problèmes sont restés à peu près les mêmes.
- QUESTION.- Et les solutions sont les mêmes ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu des progrès sur le -plan de l'unité européenne, des progrès économiques importants. Le vote de l'Acte unique, l'année dernière à Luxembourg, l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, le développement technologique au travers d'un programme-cadre et d'Eurêka...
- Sur le -plan de la sécurité, il y a un resserrement des positions mais nous avons encore beaucoup de progrès à faire. La difficulté tient aux statuts différents de nos pays, statuts hérités de la dernière guerre mondiale. Il y a des pays qui détiennent des armes nucléaires, d'autres qui n'en détiennent pas, d'autres qui ne peuvent pas en détenir. Les situations sont différentes mais la volonté commune de surmonter ces problèmes est réelle.
- Quant à la Méditerranée, j'ai pris l'iniative, en 1983, de demander aux pays riverains - les pays qui ne sont pas en conflit, qui ne sont pas en guerre les uns contre les autres - d'organiser une discussion entre eux. Je pense d'abord aux pays de la Méditerranée occidentale : Maroc, Algérie, Tunisie, Espagne, Italie, France. Mais pourquoi s'en tenir là ?
- M. Craxi vient de reprendre la proposition que j'avais faite et qui n'avait pas abouti pour plusieurs raisons : les idées, vous savez, avancent lentement... On pourrait ne pas s'en tenir à la seule Méditerranée occidentale et convier autour de la table des pays comme l'Egypte et la Yougoslavie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France a une politique d'indépendance que tout le monde connaît. En ce qui concerne la démilitarisation et la coexistence pacifique, quels sont les points d'accord et les points de divergence entre la France, Moscou et Washington ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas nous engager dans une discussion qui serait trop vaste. Disons simplement que nous sommes favorables à une réduction massive des armements nucléaires. Les deux plus grandes puissances ont parlé de 50 %. Il faut savoir qu'elles ont toutes les deux plus de 10000 charges nucléaires chacune. La France et la Grande-Bretagne quelques centaines : on voit la différence !
- Quant à la notion de forces intermédiaires, c'est une définition arbitraire, parce que pour nous, Français, pour nous, Européens, qu'elle soit intermédiaire ou qu'elle soit stratégique si une bombe atomique nous atteignait, elle produirait les mêmes effets.
- Le gros des armes nucléaires françaises est stratégique. Nous sommes un pays indépendant, nous sommes fidèles à nos alliés, mais nous entendons assumer nous-mêmes notre armement nucléaire. Nous ne sommes pas partie prenante aux négociations de Reykjavik, de Genève...
- On parle quelquefois de l'option "zéro", cette idée ne nous choque pas, à condition de la compléter. On ne peut isoler les armes à moyenne portée, il faut aussi parler des armes à courte portée. Il faut même examiner un certain équilibre des forces conventionnelles. Une réduction massive, oui. Une réduction totale me paraît actuellement irréalisable. Parlons de réduction graduelle.
- QUESTION.- Est-ce que l'échec apparent du sommet de Reykjavik aura des répercussions sur l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Mais, c'était une conférence préparatoire !... On a même été surpris qu'il eût été question d'un accord définitif car la conférence n'était pas préparée pour cela... moi, je n'ai pas été surpris du tout qu'il n'y ait pas eu d'accord à Reykjavik... Espérons que l'expérience de Reykjavik permettra de faire avancer maintenant les négociations de Genève.\
- LE PRESIDENT.- Je noterai d'abord qu'il existe d'excellentes relations personnelles entre le Président Moubarak et moi. Alors qu'il était Vice-Président, M. Moubarak a été la première personnalité étrangère que j'ai reçue après mon élection. J'ai toujours eu une certaine facilité d'échange avec lui. Nous nous sommes souvent rencontrés £ nous avons parlé à fond de tous les problèmes qui intéressent, à l'heure actuelle, la vie du monde. Je me suis rendu moi-même en Egypte à diverses reprises soit sur le -plan public, soit sur le -plan privé. C'est dire le plaisir que j'aurai d'accueillir le Président Moubarak. J'en attends de bons résultats dans le -cadre de nos relations d'Etat à Etat.
- Indépendamment de nos personnes, les affinités entre l'Egypte et la France sont, historiquement, réelles et fortes. l'évolution de ces dernières années a montré que nous avions une capacité de dialogue assez exceptionnelle. Je veux enfin profiter de cet entretien pour dire au peuple égyptien la joie que j'ai de recevoir M. et Mme Moubarak et pour lui envoyer mon salut amical et fraternel.
- J'ajoute qu'à la base de nos bonnes relations, il y a des intérêts économiques. Il y a aussi la bonne représentation culturelle de la France dans votre pays même si elle pourrait être améliorée. Mais je ne donnerai pas d'autre explication : tout cela est bien connu. Nous avons également une certaine communauté de vues dans l'approche de quelques problèmes majeurs £ comme celui du Moyen Orient. Nous avons aussi une harmonie de points de vue dans les grands débats qui se déroulent aux Nations unies et dans la façon dont la France aborde les problèmes touchant aux pays non alignés.
- Bref, les terrains d'entente sont multiples et je ne connais pas de terrains de querelles : c'est dire que je me flatte, aujourd'hui, de relations franco - égyptiennes exceptionnelles.
- QUESTION.- Pour un rôle conjoint des deux pays ?
- LE PRESIDENT.- Le rôle conjoint, nous l'avons déjà ! ... Nous avons déposé des textes aux Nations unies pour les problèmes touchant au Proche-Orient £ nous avons fait des analyses communes £ et avant d'être élu Président de la République, j'avais déjà approuvé certaines démarches du Président Sadate. Nous pourrons avoir également une position commune - elle nous est naturelle - dans la Méditerranée. Nous avons une interprétation très proche des événements qui se déroulent en Afrique, dans l'environnement égyptien : Libye, Tchad, Soudan, péninsule arabique. Quant à la conférence internationale pour étudier et tenter de résoudre le problème entre Israël et les pays arabes - le problème palestinien - nous nous trouvons sur la même longueur d'onde.\
QUESTION.- Monsieur le Président, l'Egypte traverse actuellement, comme vous le savez, une phase économique délicate. Dans quelle mesure la France peut-elle contribuer, toute seule par ses propres moyens, ou dans le -cadre de la Communauté européenne, à tenter de l'aider ?
- LE PRESIDENT.- Par ses propres moyens la France peut contribuer à faciliter l'action économique de l'Egypte dans un certain nombre de secteurs. Mais son rôle sera plus net encore dans les instances internationales : au sein du Fonds monétaire international, dans les institutions de la Banque mondiale. La France remplit généralement un rôle d'avocat et d'ami de beaucoup de pays dits du tiers monde, notamment à l'égard de l'Egypte.
- QUESTION.- Actuellement ?
- LE PRESIDENT.- Actuellement, oui. La rencontre de demain permettra de saisir, d'appréhender avec plus de précisions les points sur lesquels l'Egypte souhaite être mieux comprise.
- QUESTION.- Est-ce que vous pourriez nous exposer avec plus de détails le point de vue de la France sur les pourparlers entre l'Egypte et le FMI ?
- LE PRESIDENT.- Le Fonds monétaire international est exigeant dans le domaine des garanties économiques et financières. C'est normal, c'est son rôle. Mais il faut toujours que l'appréciation politique et sociale soit liée à l'appréciation financière. La collectivité internationale n'a pas à gagner à ce que l'instabilité, le désordre et la révolte s'emparent de tel ou tel pays. Il faut donc trouver la juste mesure et aménager, dans certains cas, la rigueur financière nécessaire. Il y a quand même des garanties minima sur lesquelles l'institution internationale ne peut pas transiger. On ne peut pas faire tout et n'importe quoi, la France connaît bien ces problèmes et a souvent pesé utilement pour ses amis.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez toujours adopté une sorte de neutralité positive à l'égard du conflit entre l'Irak et l'Iran. Vos efforts visaient surtout à arrêter cette guerre. Comment envisagez-vous aujourd'hui la solution de ce conflit, alors que tous les efforts régionaux et internationaux se sont heurtés à un échec ?
- LE PRESIDENT.- Il s'agit d'un conflit qui se déroule entre deux puissances souveraines dans une région, pour nous, assez lointaine. Ce qui n'enlève rien à la gravité de ce drame. Quand je suis arrivé à la Présidence de la République, il existait déjà des accords d'armement entre la France et l'Irak. Quand la guerre a éclaté, ces accords ont continué. On ne peut pas renier ces relations simplement parce que l'Iran nous le demanderait. Mais, nous ne sommes pas allés au-delà, c'est-à-dire que nous ne sommes pas devenus des belligérants, nous ne sommes pas partie prenante à ce conflit que nous déplorons. Personne, ni les deux plus grandes puissances, ni l'Organisation des Nations unies, personne n'a pu peser véritablement sur le retour à la paix. On ne peut qu'employer la raison, essayer de faire comprendre aux deux belligérants qu'ils ont tout à y perdre.
- QUESTION.- Vous savez - cela a été dévoilé - que les Etats-Unis ont fourni des armes à l'Iran par l'intermédiaire d'Israël.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas à juger les autres pays. La France a vendu des armes à l'Irak. Elle n'en vend pas à l'Iran. C'est tout.
- QUESTION.- Vous ne pensez pas que de telles livraisons d'armes vont contribuer à un déséquilibre des forces en présence dans la région ?
- LE PRESIDENT.- Si l'Irak et l'Iran se battent depuis si longtemps, c'est parce que l'un et l'autre disposent de fournitures d'armes.
- QUESTION.- La France a amorcé une politique de rapprochement avec l'Iran, pouvez-vous nous dire...
- LE PRESIDENT.- C'est un rapprochement qui présente des aspects humains, des aspects financiers, qui peut présenter certains aspects politiques, mais qui ne peut pas présenter des aspects militaires.
- QUESTION.- Oui, mais vous pensez que cela peut aider la France à jouer un rôle plus efficace et plus actif dans la solution de ce conflit ?
- LE PRESIDENT.- La France ne se pose pas en médiatrice.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la vie civile au Liban a toujours été une préoccupation majeure de la France dans la région depuis 1975. La France est plus ou moins impliquée par la présence de ses forces au sein de la FINUL et par les otages qui sont retenus par des groupes ou des groupuscules terroristes au Liban. Quel est le rôle que peut jouer la France individuellement ou en coopération avec les Etats de la région, ou même d'autres Etats, pour aider le peuple libanais et son pouvoir légal, quels sont les efforts actuels ?
- LE PRESIDENT.- Personne n'a fait plus que la France pour aider le Liban. Nous sommes intervenus à diverses reprises. J'ai envoyé un corps - comme on disait "d'interposition" - au moment de l'invasion israélienne. Nous avons essayé de calmer les passions, d'éviter les massacres. Nous avons perdu une centaine de soldats. Oui, nous avons accepté beaucoup de sacrifices pour le Liban.
- Toutes les factions libanaises nous demandaient de rester, toutes : chrétiennes, musulmanes - et à l'intérieur de ces deux communautés, vous savez très bien les rivalités qui existent - toutes, nous ont demandé de rester. Après que l'évacuation eût été ordonnée, nous avons encore maintenu quatre vingt observateurs. Nous sommes restés seuls alors que tous les autres étaient partis.
- D'un autre côté, nous avons une forte présence dans la FINUL. Normalement, nous, les Français, nous ne devrions pas nous y trouver, puisque nous sommes membre du Conseil de Sécurité `ONU`. Mais nous avons accepté parce que c'était le Liban. Je tiens à ce que les soldats français y restent, dans le -cadre de la FINUL. Je regrette même que la mission de la FINUL ne soit pas élargie. La position de la France est très claire.
- QUESTION.- Dans la perspective de l'avenir, monsieur le Président, est-ce que vous pensez que la FINUL doit avoir un rôle élargi ?
- LE PRESIDENT.- Oui...
- QUESTION.- ... plus large de la France ?
- LE PRESIDENT.- La France agit en tant que membre d'un corps militaire qui est sous l'autorité de l'ONU : il n'y a pas d'action spécifique de la France. Quand je dis que je souhaite que la mission de l'ONU soit élargie, c'est parce que je pense que nous pourrions mieux éviter les confrontations ou les occupations étrangères. Et en ce sens, nous rendrions service au Liban.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France a six otages au Liban : est-ce que les efforts qu'elle déploie conditionnent sa politique à l'égard du Liban et de la région ?
- LE PRESIDENT.- Non. Nous avons nos amitiés : rien ne peut les changer.
- Pour les contentieux financiers que nous avons avec l'Iran, il suffit de les examiner d'un point de vue juridique.
- Mais le problème des otages ne peut pas modifier notre politique au Proche et au Moyen-Orient.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a une nouvelle approche de la France à l'égard de l'affaire des otages ? Est-ce qu'il y a une grosse différence, actuellement, avec les étapes et les phases antérieures ?
- LE PRESIDENT.- Non, cela dit, il est très difficile de connaître la situation exacte des otages, en raison des désordres qui règnent au Liban. Nous nous sommes adressés à des Etats, à l'Etat syrien, à l'Etat iranien pour savoir s'ils pourraient jouer de leur influence pour contribuer à la libération des otages.
- QUESTION.- Mais l'approche pour leur libération est la même ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
- QUESTION.- Je pense qu'au début on a essayé de prendre contact avec les groupes ou les groupuscules ?
- LE PRESIDENT.- Non.
- QUESTION.- Jamais ?
- LE PRESIDENT.- Absolument. Le gouvernement de Laurent Fabius a toujours agi en relation avec les Etats.
- QUESTION.- Avec les Etats seulement ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Le gouvernement français n'a pas refusé le -concours de personnes en qui plusieurs familles d'otages faisaient confiance. Mais il n'a pas traité avec les groupes terroristes.
- QUESTION.- Il y a donc eu continuité : c'est la même approche ?
- LE PRESIDENT.- Je le suppose.\
QUESTION.- Passons à la conférence internationale de paix sur le Moyen-Orient qui recueille de plus en plus d'opinions favorables sur la scène internationale. Monsieur le Président, vous avez lancé l'idée avec M. Gorbatchev d'une commission préparatoire ?
- LE PRESIDENT.- La France a lancé l'idée indépendamment de M. Gorbatchev.
- QUESTION.- Oui, mais au cours de votre sommet à Moscou ?
- LE PRESIDENT.- Nous l'avons confirmée. Je me suis réjoui de voir que l'Union soviétique adoptait une position comparable. Mais ce n'est pas une proposition franco - soviétique.
- QUESTION.- C'est une position française ?
- LE PRESIDENT.- Vous connaissez ma position : je préfère un accord direct entre les belligérants. Mais puisque cet accord n'est pas possible, il faut bien trouver une autre solution.
- J'avis déjà préconisé que les membres permanents du Conseil de Sécurité pussent se concerter pour préparer une conférence internationale. M. Gorbatchev a défendu une idée proche de celle-là. Quand nous nous sommes rencontrés, nous avons constaté que nous pouvions agir dans ce sens.
- QUESTION.- Proche, mais pas identique ?
- LE PRESIDENT.- Il y a d'un côté une proposition de la France £ d'un autre côté, une proposition soviétique. Il se trouve qu'elles sont proches l'une de l'autre. Sur le fond, le problème ne se règlera pas si les antagonistes ne sont pas mêlés à la décision. De même si les plus grandes puissances n'ont pas la garantie que leurs intérêts propres et que leurs amis seront défendus.
- Il faut donc préparer un forum assez large, avec la présence des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Ainsi, toutes les forces dont nous parlons seront-elles représentées. On ne peut exclure aucun groupe de cette conférence, sinon cela ne marchera pas. D'autant plus qu'à l'intérieur d'un tel forum, rien n'empêcherait les contacts directs de s'établir entre adversaires. Les deux démarches sont tout à fait compatibles.
- QUESTION.- Votre idée a été acceptée par l'ancien Premier ministre israélien, M. Peres, et par le Président Moubarak. Mais les Etats-Unis continuent à émettre des réserves à la tenue d'une telle conférence ? Comment, monsieur le Président, pensez-vous qu'on puisse venir à bout des réticences américaines ?
- LE PRESIDENT.- C'est un Etat souverain £ il se déterminera comme il voudra.
- QUESTION.- Quel est le premier pas qui doit être fait pour la tenue de cette conférence ? Comment cela va se déclencher ?
- LE PRESIDENT.- La France a fait ce qu'elle devait faire : elle a proposé £ elle ne peut rien faire de plus. Elle peut continuer de répéter ce que serait une solution sage £ elle ne manque pas d'influence. Comment voulez-vous procéder autrement ? Si tout le monde était d'accord, on trouverait vite une procédure. Les problèmes de procédure sont toujours l'expression de problèmes de fond. Si on ne trouve pas de procédure, c'est parce qu'il n'y a pas d'accord sur le fond.
- QUESTION.- Quel pourrait être le mode d'organisation de cette conférence ?
- LE PRESIDENT.- Si je vous répondais, je me substituerais aux organismes qui en auraient la charge. Si je commence par vous dire : "voilà ce qu'ils doivent faire", je gêne déjà la future négociation. Il faut que les membres permanents du Conseil de Sécurité se posent la question que vous venez de me poser £ en particulier, comment va-t-on régler le problème de la présence de l'OLP ?
- Vous savez si l'on veut la paix, il faut toujours discuter avec les gens que l'on combat.
- QUESTION.- Il n'est donc pas incompatible qu'il y ait une conférence et une négociation directe entre les adversaires ?
- LE PRESIDENT.- Non, bien entendu.\
QUESTION.- Pouvez-vous nous définir, monsieur le Président, la position actuelle de la France à l'égard de l'OLP ?
- LE PRESIDENT.- Nous avons des relations constantes.
- QUESTION.- Le ministre des affaires étrangères `Jean-Bernard Raimond` voit M. Arafat très bientôt ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Chaque fois que M. Dumas ou que M. Cheysson sont allés dans un pays où se trouvait M. Arafat, ils l'ont rencontré, le problème du pays d'accueil ne compte pas. Et puis, il y a une antenne de l'OLP à Paris. M. Ibrahim Souss qui la dirige est reçu régulièrement par les autorités constituées.
- QUESTION.- Vous considérez l'OLP comme un représentant du peuple palestinien ?
- LE PRESIDENT.- Je l'ai dit à la tribune de la Knesset en 1982. Pour l'instant, nul ne peut nier que l'OLP soit une force représentative des Palestiniens en guerre.
- QUESTION.- Vous connaissez, monsieur le Président, le problème de l'implantation de nouveaux kibboutz israëliens dans les territoires arabes occupés...
- LE PRESIDENT.- La France a adopté les résolutions des Nations unies. Elle les soutient toujours.
- QUESTION.- ... qui condamnent l'occupation...
- LE PRESIDENT.- ... Elle les a votées.\
QUESTION.- Une partie de la presse française et certains milieux politiques ont fait porter aux Arabes la responsabilité de la vague d'attentats terroristes qui a secoué Paris en septembre dernier ?
- LE PRESIDENT.- Pas aux Arabes, mais à des Arabes. Ce ne sont pas les Arabes qui font du terrorisme en France. Il y a des groupes terroristes qui viennent du monde arabe, mais nous ne disons pas que c'est une agression du monde arabe. Il y a aussi d'autres terroristes qui relèvent d'autres origines.
- QUESTION.- Des Allemands, des Italiens, Action directe...
- LE PRESIDENT.- Oui, des minorités activistes. C'est pour cela que j'estime qu'il ne faut pas s'en prendre au peuple arabe, ce ne serait pas juste.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y a de nouveaux indices qui indiquent que tel ou tel Etat arabe ou autre qu'arabe, ont commis ces attentats ?
- LE PRESIDENT.- On en a débattu récemment au sein de la Communauté européenne `CEE`.
- QUESTION.- Les investigations...
- LE PRESIDENT.- Le Premier ministre `Jacques Chirac` français s'est exprimé à ce sujet. Vous avez pu constater qu'il n'avait pas mis en cause les Etats.\
QUESTION.- On prête au Président Hissène Habré du Tchad l'intention de lancer une offensive pour reprendre le Nord du pays qui est actuellement entre les mains des rebelles. Quelle est la position de la France à cet égard ?
- LE PRESIDENT.- La France est tout à fait favorable au retour à l'unité, à la souveraineté, à l'indépendance du Tchad. Le gouvernement légitime de ce pays est parfaitement habilité à rechercher les conditions de cette unité.
- QUESTION.- Est-ce que la France est disposée à soutenir militairement le Tchad s'il y a une nouvelle pression de la part de la Libye ?
- LE PRESIDENT.- La France aide déjà le gouvernement de N'Djamena, elle a même des soldats dans ce pays. Mais la France n'a pas l'intention d'agir militairement au nord du 16ème parallèle.\
QUESTION.- Monsieur le Président vous avez rendu visite à l'Egypte en 1974 en tant que Président du parti socialiste et vous avez assisté à un colloque qui s'est déroulé justement au journal Al Ahram. Vous avez défini deux axes fondamentaux pour la réalisation de l'Europe politique. Il s'agissait de trouver une solution au problème de la sécurité collective vis-à-vis de l'Union soviétique d'une part, et la création d'une alliance entre les pays du bassin méditerranéen en vue de réaliser un équilibre entre les deux grandes puissances : l'Union soviétique et les Etats-Unis. Un tel équilibre, disiez-vous à ce moment-là, ne pourrait se réaliser à travers une alliance militaire, mais par la création d'une puissance nouvelle fondée sur l'unité des liens économiques, commerciaux, culturels et humains qui permettrait aux pays concernés de décider par eux-mêmes du destin de leur région. Comment voyez-vous, monsieur le Président, douze ans après, la situation ?
- LE PRESIDENT.- Les problèmes sont restés à peu près les mêmes.
- QUESTION.- Et les solutions sont les mêmes ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu des progrès sur le -plan de l'unité européenne, des progrès économiques importants. Le vote de l'Acte unique, l'année dernière à Luxembourg, l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, le développement technologique au travers d'un programme-cadre et d'Eurêka...
- Sur le -plan de la sécurité, il y a un resserrement des positions mais nous avons encore beaucoup de progrès à faire. La difficulté tient aux statuts différents de nos pays, statuts hérités de la dernière guerre mondiale. Il y a des pays qui détiennent des armes nucléaires, d'autres qui n'en détiennent pas, d'autres qui ne peuvent pas en détenir. Les situations sont différentes mais la volonté commune de surmonter ces problèmes est réelle.
- Quant à la Méditerranée, j'ai pris l'iniative, en 1983, de demander aux pays riverains - les pays qui ne sont pas en conflit, qui ne sont pas en guerre les uns contre les autres - d'organiser une discussion entre eux. Je pense d'abord aux pays de la Méditerranée occidentale : Maroc, Algérie, Tunisie, Espagne, Italie, France. Mais pourquoi s'en tenir là ?
- M. Craxi vient de reprendre la proposition que j'avais faite et qui n'avait pas abouti pour plusieurs raisons : les idées, vous savez, avancent lentement... On pourrait ne pas s'en tenir à la seule Méditerranée occidentale et convier autour de la table des pays comme l'Egypte et la Yougoslavie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France a une politique d'indépendance que tout le monde connaît. En ce qui concerne la démilitarisation et la coexistence pacifique, quels sont les points d'accord et les points de divergence entre la France, Moscou et Washington ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas nous engager dans une discussion qui serait trop vaste. Disons simplement que nous sommes favorables à une réduction massive des armements nucléaires. Les deux plus grandes puissances ont parlé de 50 %. Il faut savoir qu'elles ont toutes les deux plus de 10000 charges nucléaires chacune. La France et la Grande-Bretagne quelques centaines : on voit la différence !
- Quant à la notion de forces intermédiaires, c'est une définition arbitraire, parce que pour nous, Français, pour nous, Européens, qu'elle soit intermédiaire ou qu'elle soit stratégique si une bombe atomique nous atteignait, elle produirait les mêmes effets.
- Le gros des armes nucléaires françaises est stratégique. Nous sommes un pays indépendant, nous sommes fidèles à nos alliés, mais nous entendons assumer nous-mêmes notre armement nucléaire. Nous ne sommes pas partie prenante aux négociations de Reykjavik, de Genève...
- On parle quelquefois de l'option "zéro", cette idée ne nous choque pas, à condition de la compléter. On ne peut isoler les armes à moyenne portée, il faut aussi parler des armes à courte portée. Il faut même examiner un certain équilibre des forces conventionnelles. Une réduction massive, oui. Une réduction totale me paraît actuellement irréalisable. Parlons de réduction graduelle.
- QUESTION.- Est-ce que l'échec apparent du sommet de Reykjavik aura des répercussions sur l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Mais, c'était une conférence préparatoire !... On a même été surpris qu'il eût été question d'un accord définitif car la conférence n'était pas préparée pour cela... moi, je n'ai pas été surpris du tout qu'il n'y ait pas eu d'accord à Reykjavik... Espérons que l'expérience de Reykjavik permettra de faire avancer maintenant les négociations de Genève.\