15 novembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du sommet franco-africain, notamment sur le conflit du Tchad, les relations franco-africaines et l'aide au développement des pays d'Afrique, Lomé, samedi 15 novembre 1986.

Je dirai tout de suite pour commencer que ce XIIIème sommet franco-africain s'est tenu dans d'excellentes conditions matérielles, psychologiques et politiques, que nous devons cela surtout à la façon dont le Président du Togo `le général Eyadéma` a conçu son rôle de Président de ce Sommet franco-africain. Je lui exprime mes remerciements comme l'a fait tout à l'heure la Conférence elle-même.
- QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Je pense que cette information n'est pas exacte. Il a été effectivement question du Tchad notamment dans la conversation que j'ai eue autour d'un petit-déjeuner hier matin avec le Président Hissène Habré et en présence du Premier ministre `Jacques Chirac` français. Le Président Hissène Habré avait préparé une intervention pour la séance d'hier après-midi, séance plénière, il y a finalement renoncé et c'est simplement ce matin qu'il a fait une communication intéressante au demeurant, mais qui n'a pas donné lieu à un véritable débat, sinon que dans le communiqué il a été noté que cette communication avait eu lieu, ce à quoi j'ajouterai que l'ensemble des participants s'est ému de la situation faite aux populations civiles qui dans le Nord du Tchad sont aujourd'hui victimes d'agression, soit sous la forme de bombardements par l'aviation, soit sous une forme de combats sur le terrain. Donc, on ne peut pas dire que ce Sommet ait été dominé par le problème du Tchad. Ce problème connaît une évolution sensible au moment où nous nous exprimons. C'est donc un événement qui compte mais les données n'ont pas changé véritablement. Ces données intéressent particulièrement la France qui, comme vous le savez, a des troupes au Tchad. C'est important dans la mesure où l'on voit s'estomper le facteur de guerre civile qui pouvait donner des raisons à l'un et l'autre camp. La position de la France était bien connue, elle soutenait le gouvernement légitime reconnu par les nations, mais d'autres Tchadiens vivaient dans la révolte armée. Il semble que ce processus s'achève puisque les principaux responsables des groupes armés tchadiens du Nord condamnent l'action de la Libye et ont établi les bases d'une réconciliation nationale avec le Président Hissène Habré qui y a souscrit. C'est un fait nouveau fort important. Je le répète monsieur, je ne peux pas dire que cela ait véritablement dominé la réunion de ce Sommet même si cela a fait l'objet d'échanges de vues.\
QUESTION.- (Radio néerlandaise) Il semble que depuis un certain nombre de mois vous essayez de faire passer un message qui remette la France dans une autre position par -rapport aux pays africains. Vous semblez dire "nous sommes à côté de vous, mais nous n'avons pas tous les moyens pour vous aider, vous êtes maintenant adultes". Est-ce qu'on doit croire que la France devient pragmatique quant à la politique vis-à-vis des pays africains, c'est-à-dire "papa n'a plus tous les moyens pour aider les enfants, vous n'êtes plus des enfants gâtés".
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas du tout mon mode de raisonnement. Je ne pense pas qu'à un moment quelconque depuis cinq ans et demi, j'aie jamais, ou les gouvernements aient jamais, garanti aux Etats africains de répondre à tous leurs besoins. C'eut été imprudent et eux-mêmes n'ont jamais considéré la chose comme telle, s'ils ne sont pas déraisonnables. Donc le problème est posé dans des termes qui pourraient faire croire qu'il y a un changement dans le comportement de la France £ la France fait un effort continu £ son aide à l'Afrique sur le -plan financier, son aide bilatérale, comme son aide multilatérale sont croissantes. On pourrait dire non pas d'une façon continue de mois en mois, même d'année en année, mais sur les cinq années qui viennent de s'écouler, elles s'acheminent vers les 0,7 % du produit national brut sur lequel la France s'est engagée, vous le savez, à la demande des Nations unies. Nous continuons. Le budget de cette année répond à cette préoccupation. C'est un des trois budgets qui ont été augmentés. Le Fonds d'Aide à la Coopération peut être de 50 %. Cela veut dire que la France continue de se considérer comme ayant des obligations politiques et morales à l'égard des peuples des Etats d'Afrique. Je n'aperçois pas de changement. Mais que la France tienne ce raisonnement : je ne peux pas tout faire, je ne peux pas me substituer aux défaillances des autres pays industrialisés, c'est une question de bon sens. Ce langage a toujours été tenu. Quant aux discours qui consistent à dire à nos amis africains "vous êtes adultes", cela fait déjà longtemps qu'ils le sont. Ils ont acquis leur indépendance, ils se gèrent eux-mêmes, ils exercent leur souveraineté. Ils ont des besoins qu'ils ne peuvent remplir par eux-mêmes. Ils ont besoin d'être compris et aidés par la société internationale. La France qui a une expérience historique des besoins de ces peuples est au premier rang de ceux qui y répondent. Voilà ce que je peux vous dire à ce sujet, monsieur.\
QUESTION.- Monsieur le Président, au début de la Conférence, les ministres des affaires étrangères ont proposé qu'on revoie la périodicité des conférences puisque maintenant on a la Conférence de la francophonie ? En même temps, il était question de revoir s'il n'est pas possible de tenir des conférences une année à Paris et les deux années suivantes en Afrique ?
- LE PRESIDENT.- Cela n'a pas été étudié, si vous me demandez mon avis personnel puisqu'il n'a pas été débattu, je trouve que le rythme une année en France, et une année en Afrique, c'est très bien. Il n'en a pas été question, on n'en a pas délibéré, je ne peux rien dire de plus que mon opinion personnelle.\
QUESTION.- (Paul Amar - Antenne 2) M. Hissène Habré vous a-t-il demandé explicitement de l'aider à reconquérir le Nord ? Si un jour il a cette tentation, quelle sera la position de la France ?
- LE PRESIDENT.- Elle est très clairement définie. La France aide déjà le gouvernement légitime du Tchad à asseoir sa position politiquement par l'unification des différentes forces tchadiennes, hier encore antagonistes £ administrativement et techniquement par la remise en ordre des équipements, des communications, des moyens de production £ militairement, mais c'est déjà plus large encore puisqu'il s'agit d'un problème international.
- La France assiste également le Tchad par la présence de la Mission Epervier, c'est-à-dire la présence de troupes françaises sur le sol du Tchad. La permanence de cette stratégie plus politique que militaire, mais qui pourrait l'être, militaire, consiste à interdire à une invasion venue du Nord le passage du 16ème parallèle. Voilà, la politique de la France n'a pas changé. Ce qui veut dire que nous sommes prêts à soutenir plus encore, dans la mesure toujours de nos moyens, les efforts du Président Hissène Habré qui commence à voir son action récompensée, puisque la réconciliation nationale s'opère sous nos yeux, cruellement sans doute et difficilement pour les populations du Tchad, mais c'est un fait et j'ai le sentiment que le Président Hissène Habré soutient déjà la lutte des éléments tchadiens du Nord pour interdire, empêcher, ralentir les actions libyennes. Le Président Hissène Habré nous demande l'accroissement de nos moyens : c'est ce que nous faisons. S'agit-il d'un encouragement pour que le Président Hissène Habré engage ses forces dans une bataille - vous pardonnerez l'expression qui s'applique mal à ce pays en rase campagne) par une action frontale, d'envergure dans le Nord ? Nous ne la recommandons pas, nous pensons que l'évolution de la situation a permis d'abord l'arrêt de l'invasion, l'affirmation de l'Etat tchadien dans la zone habitée, dans la zone de production. Nous avons le sentiment que cette politique-là, compte tenu du conflit qui se déroule au Nord, de la réconciliation qui est plus qu'amorcée aujourd'hui entre les différentes fractions qui hier se combattaient que cela mûrit la situation. Je ne sais si elle se dénouera d'elle-même, mais on ne l'aurait pas imaginée il y a quelques années.
- La France n'a pas l'intention d'intervenir militairement au nord du 16ème parallèle et elle ne s'y laisserait pas entraîner si des actions imprudentes, de notre point de vue, étaient accomplies. Il n'empêche qu'elle a un large degré de solidarité - je viens de le rappeler - avec le gouvernement légitime du Tchad.
- QUESTION.- Monsieur le Président... une surenchère américaine pourrait-elle faire dégénérer le conflit qui semble se stabiliser ?
- LE PRESIDENT.- La position de la France est exprimée clairement je l'espère. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Le Tchad est un pays souverain. S'il trouve d'autre -concours que le nôtre, qu'il le fasse, cela n'engage pas la France, au-delà de ce que j'ai dit, bien entendu.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le premier sommet africain de la cohabitation semble être une réussite, est-ce que vous êtes d'accord pour retenter la même expérience l'année prochaine ?
- LE PRESIDENT.- Vous parlez des relations franco-françaises, semble-t-il ? Ce n'était pas à l'ordre du jour de la conférence. Mais, il existe en France un système démocratique, les électeurs se sont prononcés à deux reprises et différemment, en 1981 et en 1986. Je suis témoin et acteur de cette double évolution que je vis à ma façon en exerçant les responsabilités qui sont les miennes, celle de chef de l'Etat. Si vous me demandez de vous parler de l'année prochaine, du prochain Sommet qui se déroulera en France, toutes choses étant égales par ailleurs, et j'assumerai cette même responsabilité dans les mêmes conditions, je vous dis oui, assurément. Et je ne fais pas de pronostic.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez déclaré, hier, au cours de la séance solennelle d'ouverture, que l'apartheid doit disparaître, je vous cite. Ce n'est peut-être pas nouveau, cette position française, mais après le vote courageux du Congrès américain, est-ce qu'on peut s'attendre à ce que la France évolue, quand bien même la CEE ne voudrait pas suivre ? A ce que la France évolue vers des moyens plus concrets en vue de la suppression, de la disparition de l'apartheid ?
- LE PRESIDENT.- La France a voté les sanctions dont vous connaissez la liste telle qu'elle est ressortie des accords de La Haye, du sommet européen de La Haye. Quand on compare l'ensemble des mesures prises par la Communauté européenne, par différents groupes de pays, notamment scandinaves, par les Etats-Unis d'Amérique, on s'aperçoit, en effet, qu'il y a des différences. Faut-il aller vers les sanctions les plus rigoureuses dont j'ai le sentiment que ce sont les sanctions décidées par les Etats-Unis d'Amérique ?
- La lecture que j'ai refaite ce matin m'a donné cette indication. La France en discutera avec ses partenaires, je veux dire ses partenaires européens. La dernière décision n'a pas été acquise très aisément, chacun sait que trois pays sur douze n'étaient pas favorables aux sanctions et s'ils se sont ralliés aux décisions prises, c'est par souci d'unité de la Communauté. Nous devons veiller, nous Français, à préserver l'harmonie des Douze. Et, en effet, l'objectif étant la fin de l'apartheid, il nous faut aligner notre attitude sur cet objectif.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la conférence a transcrit des mesures pratiques en relation avec les difficultés économiques que connaissent la plupart des Etats tel que cela a été souligné par le Président Eyadema, hier, et par vous-même ?
- LE PRESIDENT.- Les mesures pratiques prises par la France, j'en ai fait une longue, peut-être trop longue énumération hier matin, lors de la séance solennelle. Et j'en ai rappelé et concrétisé encore certains éléments donc une nouvelle intervention dans la séance plénière de l'après-midi. J'ai rappelé le rôle de la France dans les enceintes internationales. Le rôle de la France pour l'AID, pour que l'AID soit financée aux alentours des 12 milliards, alors qu'on s'était arrêté aux environs de 9 milliards de dollars, bien entendu. J'ai rappelé les interventions constantes de la France servant d'intermédiaire amical à de nombreux Etats africains dans leurs relations avec le Fonds monétaire international pour que l'indispensable rigueur financière ne soit pas finalement à l'origine des désordres sociaux qui nuiraient aux tentatives sérieuses de redressement économique. J'ai rappelé nos interventions auprès de la Banque mondiale pour l'augmentation des ressources. J'ai rappelé la position constante de la France pour que soient soutenus les cours des matières premières, tellement déséquilibrés aujourd'hui qu'il est impossible à un Etat africain d'établir un plan sur deux ans qui lui permettrait de s'organiser en conséquence. J'ai rappelé l'effort particulier de la France dont je répéterai qu'il va vers 0,7 % en général du produit national brut, vers les 0,15 % pour les pays les moins avancés, bien que cette dernière expression soit inexacte, puisque nous avons atteint les 0,15 % en 1985, 1984, soit avec un an d'avance. J'ai déjà dit que notre budget était en progression. Enfin, nous sommes en relation constante avec les Etats qui savent que nous abordons d'une façon très concrète cette question des aides. Je ne peux guère vous dire quelque chose de plus, sinon que si les grands pays industriels faisaient comme nous, la crise serait prêt d'être dominée.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle explication avez-vous donnée aux pays africains sur la visite de Jonas Savimbi `chef de l'UNITA` à Paris ? Et quelles conséquences pensez-vous que cette affaire aura sur les relations franco-angolaises ?
- LE PRESIDENT.- J'ai rencontré précisément, ce matin, les délégations mozambicaine et angolaise. Il m'a été remis une lettre du Président Dos Santos, m'indiquant qu'il souhaitait passer par Paris au début de l'année prochaine et s'enquérant d'un rendez-vous possible qui, bien entendu, est d'avance accepté.
- L'invitation, c'est ce que j'ai précisé, faite à M. Savimbi, émanait du Parlement européen et non pas du gouvernement français. Le Parlement européen siégeant à Strasbourg, M. Savimbi, répondant à cette invitation est naturellement venu sur notre territoire. Et nous n'avions aucune raison de le lui interdire, la France reste un pays ouvert dans le -cadre de ses lois, surtout lorsqu'il s'agit pour une personnalité étrangère de répondre à l'invitation d'une institution internationale. L'UNESCO, tous les jours, invite des personnalités à travers le monde qui ne sont pas forcément en concordance avec la politique étrangère de la France.
- J'ai expliqué cela, comme j'ai expliqué que M. Botha avait parfaitement le droit de venir en France dès lors qu'il s'y rendait pour des raisons privées, qui plus est pour célébrer les souvenirs de soldats qui avaient combattu à nos côtés. Mais que cela n'impliquait pas les gouvernements, la République française dans cette visite. Ayant rappelé ces choses, je n'ai pas aperçu chez mes interlocuteurs que de nouvelles questions se posaient. Et si M. Savimbi a été reçu par diverses personnalités françaises `Jacques Chaban-Delmas, Jacques Toubon, François Léotard`, elles l'ont fait - comment dirais-je - de leur propre mouvement et à leur corps défendant. J'ai d'ailleurs tenu, vous le savez bien, à le rappeler récemment `interview à RFI le 12 novembre 1986`.\
QUESTION.- Monsieur le Président, nous n'avons pas entendu durant votre discours d'hier, parler de terrorisme. C'est un problème qui occupe l'Afrique, surtout l'Afrique sud-saharienne.
- LE PRESIDENT.- La France aussi.
- QUESTION.- Alors, nous aimerions bien, à partir de l'événement que nous avons vécu si tragiquement à Lomé, avoir les certitudes que nous nous sommes engagés dans une lutte constante et permanente contre ce terrorisme. LE PRESIDENT.- Eh bien, monsieur, si je n'en ai parlé, en effet, c'est parce que délibérément j'ai choisi mon sujet. Peut-être auriez-vous désiré que je m'exprime quelque demi-heure de plus. Ce qui me flatte. Mais, personnellement je pensais qu'ayant voulu étudier l'ensemble de la situation économique du tiers monde et n'ayant abordé que trois des conflits régionaux qui s'y déroulent et très succintement, je pensais que cela suffit à un discours. En déborder, finirait par le faire ressembler à une encyclopédie. On ne peut pas réciter l'encyclopédie tous les jours. Le terrorisme n'en est pas moins une préoccupation majeure pour le Président de la République française.
- Puisque vous avez choisi l'exemple du Togo, le Président Eyadema qui se trouve à mes côtés pourrait témoigner que le premier pays à lui répondre par l'assistance, la coopération dans la lutte contre le terrorisme, c'était quand même la France puisque, dans l'heure où je lui ai téléphoné, j'ai eu une relation directe avec le gouvernement de la République française, il a été tout aussitôt décidé d'envoyer des troupes aériennes, parachutistes, troupes françaises qui étaient là dans les 24 heures et qui ne sont reparties qu'une fois que l'alerte était passée. Nous avons démontré notre solidarité, notre amitié par les actes, pas simplement par les paroles, liés d'ailleurs que nous sommes par un accord de défense comme nous en avons avec plusieurs autres Etats d'Afrique.
- Ce matin on a parlé du terrorisme au cours de la séance plénière. Je puis dire que nos Etats sont unanimes à condamner le terrorisme, s'entraider pour lutter contre ce fléau, à échanger leurs informations, à prendre des mesures propres, à prévenir et à punir de telles actions. Le communiqué a fait -état de ce débat.\
QUESTION.- Christine Clerc (Figaro Magazine).- Monsieur le Président, a-t-il été question au cours de ce Sommet, de la montée du fondamentalisme musulman qui semble être une préoccupation majeure du Premier ministre français ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas entendu l'intervenant évoquer cet aspect fort important du débat moderne, particulièrement dans le monde auquel appartient la France par sa vocation méditerranéenne et orientale. Mais, cela n'a pas été évoqué. Dans des conversations particulières sans doute, mais pas dans le débat public, en tout cas pas dans le débat plénier.\
QUESTION.- (Télévision gabonaise).- Monsieur le Président, vous irez bientôt chez Thomas Sankara, qui boude depuis quelque temps les sommets franco-africains. Dans quel esprit aborderez-vous ce voyage ?
- LE PRESIDENT.- Il boude ? Je ne sais pas. Je l'ai vu à Vittel, il y a quelques années. En effet, je ne l'ai pas vu la dernière fois, mais je l'ai rencontré d'autres fois. Ecoutez, il fait ce qu'il veut. Personne n'est contraint de se rendre aux sommets franco-africains. Alors, est-ce qu'on peut dire qu'il boude, en 1986 ? Chacun interprètera à sa guise. Je sais qu'il y a eu un moment des interrogations tournant autour d'un problème - qui est depuis longtemps réglé : est-ce que les Conférences entre les Etats d'Afrique et de France ne prendraient pas l'allure d'une sorte d'OUA bis. Mais les choses ont été tout de suite mises au point. Le noyau des pays qui y participent, ce sont des pays francophones. C'est avec eux déjà depuis trois sommets que se déroule la première journée de travail. Et d'autres pays, qui nous intéressent de près avec lesquels nous entretenons de fortes relations viennent en plus comme observateurs. J'ai la liste sous les yeux, 25 pays sont venus en qualité de membres de la Conférence, pour la plupart francophones, Bénin, Burundi, Cap Vert, République Centrafricaine, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, France, Gabon, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale également, Mali, Maroc, Maurice, Mauritanie, Niger, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, Zaïre, vous voyez que c'est quasiment des pays francophones à l'exception des quelques pays qui sont enclavés dans la zone de l'Afrique occidentale. Alors, les observateurs, eux, sont beaucoup plus divers, puisqu'on relève l'Angola, le Botswana, l'Egypte, le Libéria, le Mozambique, le Nigéria, Sao Tomé et Principe, Sierra Léone, Somalie, Soudan, Tanzanie, Tunisie, Zambie, Zimbabwe. De ce fait, on peut vraiment dire que la Conférence entre les Etats d'Afrique et de France est bien restée ce qu'elle était, sinon qu'elle a élargi son audience, élargi son dialogue. Mais sans modifier son noyau, son principe de base qui est que ce sont les Etats francophones qui se concertent avec quelques pays - je le répète - enclavés type Guinée Bissau, type Guinée équatoriale, type Gambie, et dont les échanges les plus naturels sont avec leurs voisins francophones. Bon, alors, j'ai entendu quelquefois cette objection, elle n'a pas à avoir cours. Et, si il y avait le moindre risque, nous l'éviterions. Mais il se trouve que les deux derniers présidents de l'OUA, le Président Sassou N'Guesso, et le Président Abdou Diouf sont eux-mêmes des francophones.
- Le Président Sankara m'expliquera sans doute, dans peu de temps, ses positions par -rapport à la France, par -rapport à l'Afrique, peut-être par -rapport à cette conférence. Et si vous me faites plaisir de suivre, je vous l'expliquerai quand je le saurai.\
QUESTION.- (Agence de Presse canadienne).- Monsieur le Président, j'aurais une question à double volet. Je voudrais savoir si le prochain Sommet francophone que vous allez présider à Québec, sera un sommet cohabitationiste ? Et la deuxième partie de ma question, c'est un peu la question de mon collègue, que je voudrais compléter. Ne craignez-vous pas qu'un Sommet de francophones ne porte ombrage à l'autre, le franco-africain ?
- LE PRESIDENT.- Pour répondre à la première question, je vais vous dire tout de suite, que je n'y comprends rien. Il y a des institutions en France qui veulent qu'il y ait un Président de la République, élu au suffrage universel. Qu'il y ait d'autre part, un gouvernement, dont le chef est choisi par le Président de la République, mais au sein de la majorité qui se dessine au sein de l'Assemblée nationale. C'est tout, c'est la marche normale d'institutions démocratiques. Je ne vois absolument pas comment cette question peut se poser. Dans l'ensemble des démarches, il y aura continuation de la coexistence que les institutions ont elles-mêmes décidées. Moi je suis un interprète, simplement, d'une situation de droit, et j'applique le droit dans les faits, par souci d'éviter à la France des crises inutiles, par souci ou par respect des choix populaires. Alors, que ce soit au Canada, à Québec, à Lomé ou ailleurs, je ne vois pas pourquoi nous nous écarterions de la volonté démocratique des Français. Tant que cette volonté s'exprimera de cette façon, un peu contradictoire - on devrait dire contraire, puisqu'en terme philosophique, contradictoire voudrait dire que ce serait totalement antagoniste - alors la politique extérieure de la France est une politique qui s'exprime quelle que soit la bouche qui s'ouvre. Il n'y a qu'une politique extérieure de la France.\
`Suite sur les sommets franco-africains et les sommets francophones`
- Vous me parlez maintenant de la francophonie. C'est certain que tous les pays francophones de la liste que j'ai lue ont une vocation naturelle à participer aux sommets francophones. Quarante d'entre eux, ceux-ci et d'autres se sont retrouvés à Paris, lors du premier Sommet francophone. Vous vous en souvenez. Le deuxième aura lieu chez vous. Et nous irons, selon les indications de l'époque, c'est en 1987 - je crois, vers le mois d'octobre-novembre, septembre, dans la deuxième partie de l'année 1987 -, les représentants choisis par les Français représenteront la France. Est-ce qu'il peut y avoir une concurrence ? La préoccupation n'est pas du tout du même ordre. Les pays francophones n'engagent pas de débat politique au fond. Ils veillent simplement à promouvoir leur culture commune et à en mettre en oeuvre les instruments. Estimant que c'est un lien culturel qu'ils engagent et un profit mutuel qu'en tirent les différents pays. Les Français parce que c'est leur langue. Ils en sont fiers £ elle est aujourd'hui parlée par près de 130 millions de personnes dans le monde, et les francophones qui ne sont pas d'origine française, qui ont ajouté à leur culture propre, leur vocabulaire, qui ont enrichi la langue au point qu'un dictionnaire vient de le constater. On s'aperçoit que la langue française évolue sous l'influence des différents francophones. Ca n'a pas le même objet, on ne voit pas pourquoi cela n'aurait pas lieu concurremment.\
QUESTION.- (Presse togolaise).- Monsieur le Président, une proposition importante a été faite hier par notre Président, à savoir la mise en place d'un Marshall en faveur de l'Afrique, pour l'aider à résoudre les difficultés économiques. Cette proposition a été reprise par vous, ce qui semble démontrer l'intérêt que vous portez à une telle proposition. Et vous en avez suggéré les principales idées. Monsieur le Président, quelles initiatives la France entend-elle prendre pour rendre effectif ce plan Marshall.
- LE PRESIDENT.- L'expression "plan Marshall" est commode pour se faire comprendre. Cela veut dire que les pays plus riches, un peu à l'instar des Etats-Unis d'Amérique qui se trouvaient dans cette situation au lendemain de la guerre mondiale, qui avait vu la destruction des économies d'Europe, du continent tout entier, les pays qui en ont le moyen, les pays les plus riches devraient créer un fond qui leur permettrait de promouvoir par des investissements, par des équipements, une relance de la croissance dans des conditions saines. Ne prenons pas l'expression "plan Marshall" à la lettre. Simplement, c'est une référence historique, qui dit bien ce qu'elle veut dire. Là, çà s'arrête, car les modalités du Plan Marshall, qui découlaient des décisions américaines, ne peuvent pas engager l'avenir par -rapport à un fonds de ce type. En effet, hier j'en ai dessiné certaines lignes, nous continuerons de faire ce travail. C'était dans une assemblée internationale, le Sommet entre les Etats d'Afrique et de France. Et, vous l'avez entendu devant la presse, de grandes parties du monde. On recommencera, je recommencerai, les autres chefs d'Etat feront de même. Dans toutes les enceintes internationales, nous avons à nous exprimer, et ce que nous avons proposé, bien entendu, indique que nous avons l'intention de participer financièrement, si ce projet prend corps.\
QUESTION.- (Regards sur l'Afrique).- Vous avez parlé tout à l'heure, je vous cite : "des obligations morales envers les populations d'Afrique", certes, mais a-t-il été question du Soudan lors de cette conférence. Le Soudan qui par sa superficie et sa position géographique a de graves problèmes puisqu'il est perturbé, non seulement par un équilibre précaire dans la corne de l'Afrique, mais également parce que cette situation risque de bouleverser une très grande partie du continent africain.
- LE PRESIDENT.- Non, les problèmes du Soudan ne sont pas venus à l'ordre du jour. Ils n'ont pas été évoqués. Le représentant du Soudan a eu beaucoup de rencontres bilatérales, et je le vois moi-même aussitôt après le repas, tout à l'heure. J'ai reçu, il y a peu de temps, le Premier ministre soudanais. J'ai donc déjà été informé par qui de droit du grave problème posé par ce pays - vous avez raison de le souligner - qui est le plus grand pays d'Afrique, plus étendu, avant même le Zaïre, et dont la situation est assez dramatique. Donc, je réponds non, il n'en a pas été question. Mais je pense que les conversations sous-jacentes ont dû être nombreuses au sujet du Soudan. Mais je généralise un peu votre question. Il faut en effet que les Etats qui se réunissent dans ces Sommets acceptent ou n'acceptent pas que l'on parle d'eux. Mais lorsqu'ils acceptent, ou lorsqu'ils sollicitent, nous ne devons jamais perdre de vue que, au-delà des Etats, il y a des populations.
- Vous avez parlé du Tchad tout à l'heure, pour commencer. J'ai demandé ce matin à ma réunion plénière, que l'ensemble des participants ait une pensée, le cas échéant, qu'ils contribuent à réduire les souffrances des populations tchadiennes du BET, Ennedi, Tibesti. C'est-à-dire les régions du Nord qui pour l'instant - je le répète - sont écrasées. Il peut y avoir déjà sur cette population d'environ 200000 habitants, beaucoup de morts. Nous avons noté cela, et sachant qu'il existe au Soudan des formes de rebellion qui séparent les différentes ethnies du Nord, du Centre et du Sud devant une situation économique rendue très difficile par les circonstances climatiques comme par l'évolution de l'économie mondiale. Oui, c'est un sujet qui nous préoccupe, mais réponse précise, cela n'a pas fait l'objet de l'ordre du jour de la Conférence.
- QUESTION.- (Regards sur l'Afrique).- Est-ce que vous pourrez venir tout à l'heure faire une photo lorsque vous recevrez...
- LE PRESIDENT.- Vous voudriez me photographier avec le représentant du Soudan (...) Votre question n'a rient d'insolite, il y a beaucoup de photographies qui sont prises et d'ailleurs je ne sais pas par qui, mais je dois m'interroger publiquement, je me demande d'ailleurs ce qu'elles deviennent en général ces photographies. Enfin, si c'est pour votre collection personnelle, j'en serais ravi.
- Eh bien, il va falloir qu'on cesse cette conférence de presse.\
QUESTION.- Je voudrais revenir si vous le permettez, au Tchad et vous poser la question suivante. Vous avez dit tout à l'heure que la France va apporter son aide matérielle et technique face au conflit qui oppose le Tchad à la Libye. Le gouvernement tchadien a demandé, on le sait, une couverture aérienne de la France, pouvant permettre la reconquête du Nord. Alors, la population tchadienne ne comprend pas pourquoi la France refuse cette couverture aérienne dans la mesure où c'est une intervention comme celle qui se passe actuellement. La France a-t-elle peur de prendre des risques, de perdre quelques avions au nord du Tchad ?
- LE PRESIDENT.- Mais, permettez-moi de vous faire un reproche amical. Vous ne m'avez pas écouté. Car, j'ai bien dit qu'il n'était pas question que l'armée française intervienne par ses propres moyens directement au nord du Tchad. De ce fait, le risque que vous évoquez n'est pas couru. Alors, maintenant si vous m'avez bien écouté, vous pourrez mettre les choses au point.\
QUESTION (Le Quotidien de Paris).- Est-ce que vous ne pensez pas qu'en abusant du mot "fondamentalisme", on risque parfois de caricaturer des mouvements de protestations finalement légitimes, et peu fanatiques sur le -plan religieux, et je voulais vous demander si vous ne trouvez pas que certaines populations qui ne trouvent à s'exprimer que par la voie du Coran empruntent cette voie.
- LE PRESIDENT.- C'est une question que vous devriez poser à Mme Christine Clerc, qui est d'ailleurs assez proche. Quand vous aurez terminé votre conversation, peut-être pourriez-vous venir tous les deux m'entretenir. C'est pas moi qui ai employé l'expression "fondamentalisme". Mais, ce que je peux vous dire, c'est que le fondamentalisme exigerait vraiment beaucoup plus qu'une conférence de presse et justifierait un entretien entre nous qui durerait l'après-midi. Il y a des questions majeures qui se posent au monde d'aujourd'hui, en particulier dans les zones, dans la région où vit la France, où se déroule une partie de son histoire. Et il conviendrait de distinguer certainement, monsieur. Je ne peux pas vous contredire. Il faut d'ailleurs toujours distinguer. Je pense que vous et moi sommes du pays de Descartes, si une partie de la philosophie tombait en morceaux, il n'en reste quand même pas mal qui se trouve à l'origine de la pensée contemporaine. Il faut toujours distinguer, alors quand on aura procédé à ce distingo, nous pourrons continuer la conversation.\