12 novembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la télévision malienne, sur l'aide au développement et les relations franco-maliennes, Paris, Palais de l'Élysée, mercredi 12 novembre 1986.

QUESTION.- Monsieur le Président de la République, vous entamez, le 15 novembre prochain, votre première visite officielle au Mali. Quelle signification donnez-vous à cette visite et en ce moment précis ?
- LE PRESIDENT.- La signification est d'abord celle de l'amitié, de l'amitié entre les peuples, de l'amitié entre les pays, et je crois pouvoir ajouter, de l'amitié personnelle que j'entretiens avec les principaux dirigeants et avec beaucoup d'autres Maliens.
- La deuxième raison est d'intérêt politique. La France a le plus grand intérêt - et j'espère qu'il en va de même pour le Mali - à ce que se perpétuent de fortes relations qui plongent dans le passé et qui sont actuellement des relations utiles, fécondes. Tout ce qui ne va pas doit être corrigé et tout ce qui pourrait être mieux fait doit être mieux fait. J'ai donc besoin d'avoir l'avis du Président Traoré et l'avis des dirigeants maliens que je rencontrerai.
- Enfin, si vous me le permettez, je profiterai de l'occasion que vous m'offrez pour adresser au peuple malien mon salut fraternel.\
QUESTION.- Monsieur le Président, il y a juste quelques semaines le gouvernement français expulsait de son territoire 101 de nos compatriotes. Les conditions et le caractère des expulsions ont semé le désarroi au sein de la communauté malienne vivant en France et une certaine stupéfaction au Mali. Auriez-vous, monsieur le Président, quelques mots à adresser à ces immigrés dont les droits ne sont malheureusement pas toujours respectés ?
- LE PRESIDENT.- Pour se prononcer sur cette affaire, il faudrait connaître les raisons de police ou de sécurité qui ont présidé au choix des personnes visées et à la décision d'expulsion collective. Ceci relève de l'autorité et de la compétence du gouvernement et non pas directement de la mienne. Comme Président de la République, j'ai, bien entendu, à m'assurer que les principes-mêmes de notre Constitution et de notre République ont été parfaitement respectés - ce que je fais bien entendu -. De toute façon, je crois que le Premier ministre `Jacques Chirac` s'est déjà exprimé à ce sujet. Il ne serait pas sain que, même pour des raisons de sécurité, des mesures collectives contraires au droit puissent être répétées.
- Quant aux personnes visées qui se trouvent aujourd'hui au Mali, pour celles d'entre elles qui se trouvaient parfaitement à l'abri de toute suspicion, de toute recherche de police, j'espère que leur situation pourra trouver compensation, qu'elles pourront de nouveau définir leur avenir dans le -cadre des relations entre la France et le Mali. J'espère qu'elles savent que si elles veulent me saisir de tel ou tel cas, je serai l'interprète de ce qui me paraît être leur droit.\
QUESTION.- Monsieur le Président, les pays en voie de développement, singulièrement ceux de l'Afrique, ont toujours trouvé en vous un défenseur ardent de leurs problèmes économiques. Vous avez notamment insisté sur une juste rétribution de leurs matières premières. Pensez-vous que cette justice économique puisse être assurée par un quelconque organisme mondial ?
- LE PRESIDENT.- Je crois d'abord, que c'est une nécessité. Et quand dans toutes les enceintes internationales, je me fais l'avocat, le défenseur des intérêts de mes amis Africains, ce n'est pas simplement par souci humanitaire ou réflexe amical. C'est aussi dans notre intérêt à nous, pays industriels. Nous subissons, nous aussi, les effets d'une crise grave. Nous avons besoin de multiplier les échanges, nous avons besoin d'avoir pour partenaires des gens et des collectivités capables de produire, mais aussi capables d'échanger et de consommer. Si l'on veut ranimer les courants universels, il faut savoir que ce n'est pas en écrasant les peuples d'Afrique et particulièrement d'Afrique noire, sous des charges nouvelles, sous l'endettement insupportable, sous l'extraordinaire et injuste variation des cours des matières premières que nous y arriverons : une spéculation à Londres, à Chicago, ou à New York fait que s'effondrent des plans de deux ans, de cinq ans établis par quelques-uns de ces pays pour le développement d'une production. Plus rien ne peut être planifié, dès lors qu'il suffit d'une humeur, d'un intérêt de profit immédiat quelque part dans le monde pour bousculer ces prévisions.
- Je crois donc qu'une organisation internationale - je ne vois pas autrement qui pourrait le faire -, ou qu'un plan international (après tout, au lendemain de la dernière guerre mondiale il y a eu un certain plan Marshall, qui a contribué à redresser l'Europe) permettrait à la Banque mondiale, aux grandes institutions, aux Nations unies, à l'OUA, etc..., de faire bénéficier ces pays d'aides multilatérales, de ressources et aussi de spécialistes capables de concevoir le développement de l'Afrique. Mais il faut bien se dire qu'aucune institution, aucun mouvement international ne peut se substituer aux pays qui sont des pays souverains, et qui doivent eux-mêmes débattre de ce qui leur paraît bon, et de ce qui leur paraît devoir être rejeté. Il faut faire très attention à ce que la souveraineté de ces pays soit véritablement affirmée et préservée.
- D'un certain point de vue, il faut reconnaître que la seule institution qui ait vraiment compris ce besoin, c'est avec la France, la Communauté européenne des Douze, qui indiscutablement remplit un rôle extrêmement intéressant dans le développement de l'Afrique. Vous avez pu voir Lomé I, Lomé II, Lomé III, tout un système extrêmement productif qui permet d'espérer l'amélioration de la situation africaine. Mais cela ne suffira pas encore, c'est un débat mondial qu'il faut entreprendre. J'ai vu toutes les autres puissances industrielles se replier sur soi, diminuer les ressources qu'ils concentrent pour l'entraide mondiale. En somme, s'abstraire de ce -plan que je réclame pour éviter la spéculation sur les matières premières produites par ces pays, pour permettre l'autosuffisance alimentaire de l'Afrique ou de chacun des Etats d'Afrique, pour que l'on puisse produire de l'énergie là où il n'y a pas de pétrole. Tout cela doit être organisé d'une façon intelligente, sans quoi l'Afrique - en dépit de tous les progrès qu'elle a accomplis, de la formation de ses peuples, des élites qui s'affirment et qui sont parfaitement capables - subira un sort de plus en plus difficile à supporter, à la merci des grandes famines, c'est-à-dire des grandes sécheresses, à la merci de tous les grands mouvements de la nature qui sont particulièrement sévères dans des régions tropicales et équatoriales.
- Le rôle de la France, c'est partout où elle va, de le dire aux autres et de parvenir à les convaincre, ce qui n'est pas toujours fait.\