12 novembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au cours du dîner offert par le Président de la République de Guinée, notamment sur la coopération franco-guinéenne, Conakry, 12 novembre 1986.

Monsieur le président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- En arrivant à Conakry, il y a seulement quelques heures, j'ai dit le plaisir que j'éprouvais à retrouver la Guinée et à reprendre avec elle un dialogue que je me suis toujours efforcé de maintenir jusque dans les heures les plus difficiles de nos relations. L'accueil qui nous a été réservé, la qualité de nos premiers entretiens, monsieur le président, le toast amical, chaleureux que vous venez de porter, me touche profondément, et je tiens à vous en exprimer toute ma reconnaissance.
- Je suis certain de me faire l'interprète du peuple de France tout entier en vous disant ce soir les sentiments de satisfaction, de sympathie, de confiance avec lesquels, au cours des dernières années et tout particulièrement depuis l'avènement de la IIème République guinéenne, il a vu se renouer des liens que ni le temps, ni les hommes, n'avaient pu détruire.
- Ces sentiments sont singulièrement renforcés par la constatation de l'oeuvre accomplie sous votre direction, monsieur le président, pour sortir progressivement mais résolument la Guinée d'une situation souvent bien difficile.
- Avec le Comité militaire de redressement national et le gouvernement, vous vous êtes, avec courage, assigné des objectifs qui seraient apparus, à beaucoup, démesurément ambitieux, il y a deux ans : la réconciliation nationale dans le respect des diversités, le rétablissement des libertés fondamentales, la marche vers une démocratie fondée sur les valeurs de la société africaine, la mise en oeuvre, enfin, dans les domaines économique et monétaire, de décisions qui, si elles peuvent se révéler d'application délicate dans le court terme, n'en sont pas moins riches de promesses pour l'avenir.
- Pour réussir dans cette -entreprise, vous avez su vous assurer la participation de chacun, vous avez su obtenir la coopération de partenaires étrangers parce que nul aujourd'hui, ni vous, ni les autres, ne peut vivre isolé. La France s'honore, vous l'avez dit, monsieur le président, et je vous en remercie, d'être l'un de ces partenaires.\
Là où vous le souhaitez vous-même, la France offre son -concours. Elle l'apporte dans les domaines que vous jugez - je crois à juste titre - prioritaires : la santé, l'éducation, la réforme économique et monétaire, le développement rural, les infrastructures, la décentralisation. Elle le fait suivant les formes que vous avez choisies, avec des coopérants que l'on estime compétents, qui sont passionnés par leur mission, ou par le biais d'experts en mission temporaire, de bourses, de financement d'études et de projets.
- Si la France a choisi d'agir ainsi, c'est qu'elle connaît et qu'elle respecte les impératifs de ses partenaires africains, elle respecte leurs choix, elle respecte leur politique économique. Coopérant avec des Etats souverains, elle se garde de s'ingérer dans leurs affaires, elle n'a pas de leçons à donner, elle n'a d'ailleurs pas de recette pour le développement des autres. Elle s'efforce seulement de trouver avec eux, quand ils font appel à elle, les moyens de l'efficacité. D'autres pays agissent de même et, si la France est un partenaire important de la Guinée, elle n'est pas le seul. Il ne pourrait pas en être autrement : la tâche à laquelle vous vous êtes consacrés reste considérable et, pour l'accomplir, il est nécessaire de mobiliser la solidarité internationale, de demander à chacun et à tous ce qu'il est le mieux préparé à vous apporter.
- La coopération entre la Guinée et la France, je ne m'en étonne pas, fait de-ci, de-là, l'objet d'appréciations nuancées. Après tout - et c'est bien l'essentiel - la Guinée, comme vous aimez à le rappeler, monsieur le président, ce sont les Guinéens qui la tiennent entre leurs mains. On dit que certains trouvent que les Français sont trop présents, d'autres estiment que la France ne fait pas assez : c'est la discussion éternelle que l'on retrouve dans l'appréciation que les Français portent à l'égard de leur propre politique. C'est la vie même d'un pays démocratique. Chacun a son avis, mais, en fait, la France souhaite être à vos côtés, elle souhaite faire davantage.
- Elle doit tenir compte de ses propres obligations à l'égard de son propre peuple, mais elle montre dans beaucoup de domaines qu'elle reste, parmi les pays les plus industrialisés, celui qui témoigne, qui affirme et qui plaide pour le développement, pour le tiers monde et particulièrement pour l'Afrique pour des raisons qui tiennent à l'histoire, à la culture, - et, pourquoi ne pas le dire - aux sentiments.
- Je vous ai déjà dit que notre seule ambition en Guinée était de contribuer au développement - à la mesure de nos moyens - en réalisant en commun des actions aussi exemplaires que possible. C'est la volonté des pouvoirs publics.
- Ils vous apportent le concours du Fonds d'aide et de coopération et de la Caisse centrale de coopération économique. Un certain nombre d'entreprises françaises sont disposées à investir en Guinée, le cas échéant en association avec l'Etat guinéen et avec des entrepreneurs de votre pays. Ces actions sont menées dans le -cadre des orientations définies par vous-même, confirmées en respectant le rythme que votre gouvernement a défini pour la mise en oeuvre des réformes profondes dont vous avez pris l'initiative.
- C'est un des sujets sur lesquels - croyez-le - la volonté générale du peuple français, de son gouvernement, du Président de la République, sont à l'unisson : c'est un devoir qui dépasse chacun d'entre nous, c'est l'histoire que nous faisons. Nous devons rester fidèles au grand passé qui nous a unis, nous devons être fidèles à nos engagements pour construire l'avenir.\
Oui, monsieur le président, la France croit dans le succès de l'action que vous menez à l'intérieur de vos frontières. Elle croit de même que votre pays a un rôle à tenir en Afrique, dans le monde. Elle croit qu'héritier de grands empires de l'Ouest africain, votre pays contribuera, par ses artistes, ses cinéastes, ses écrivains, à la civilisation de l'universel. Et je vous dis que cette espérance est partagée par la communauté internationale tout entière, car nous apprécions le souci d'ouverture, de compréhension, et de réalisme qui est le vôtre.
- Nous partageons votre volonté de dialogue : cela vous a permis de régler au cours de ces dernières années, et avec succès, certains différends régionaux. Vous désirez faire entendre votre voix, celle de la paix : vous venez de l'exprimer à l'instant-même, et comment ne l'aurais-je pas compris ? Chez vous en Afrique, dans toutes les enceintes internationales, où la voix de la Guinée est apte à se faire entendre, vous rappeler, nous rappelons, inlassablement les grands principes qui devraient régir la vie internationale, et parmi eux le refus de la violence, le refus de l'ingérence dans les affaires d'autrui, de la politique du fait accompli, de l'injustice organisée surtout quand elle apparaît sous les traits de l'apartheid.
- Il est donc normal que la Guinée et la France se retrouvent le plus souvent, comme aujourd'hui, comme ce soir, et ce soir dans la joie d'être réunis, côte à côte dans les grands combats politiques de ce temps.\
Vous savez bien, l'injustice, tout particulièrement en Afrique, est souvent d'abord à caractère économique.
- La communauté internationale est loin d'assumer ses responsabilités à l'égard du continent africain. C'est la France - permettez-moi de le rappeler non pas pour vous, mais pour l'opinion africaine tout entière - c'est la France qui a pris ces dernières années des initiatives telles, entre autres, que la création du Fonds spécial pour l'Afrique auquel elle a immédiatement contribué et d'autres d'une grande ampleur comme la Conférence sur l'arbre et la forêt.
- La 13ème session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies consacrée à la situation économique de l'Afrique a soulevé de grands espoirs. Nous en France nous souhaitons très vivement que le problème de l'endettement des pays africains soit examiné d'une façon particulière. Nous espérons que les aspirations suscitées se traduiront en actes, et que seront rapidement réunis les fonds nécessaires pour la mise en oeuvre effective du programme de redressement économique décidé par les gouvernements africains.
- Vous savez que la France, pour sa part, s'est engagé à consacrer - comme le recommandaient les Nations unies - 0,7 % de son Produit national brut à l'aide publique au développement.
- Si elle s'astreint à cette aide, en dépit de ses propres problèmes et de ses propres difficultés - c'est que cela nous apparaît comme un devoir de solidarité envers les Etats dits du Sud, pour que soient épaulés tous ces pays qui s'imposent à eux-mêmes des efforts méritoires. Et c'est le cas de la Guinée où j'ai le bonheur de me retrouver ce soir, avec beaucoup de Français parmi vous, mesdames et messieurs qui représentez la société guinéenne autour de votre Président.
- J'ai le plaisir à redire aux dirigeants de la Guinée qu'ils peuvent compter sur la solidarité des autorités françaises. Je veux dire au peuple qui m'entendra que l'amitié du peuple français lui est acquise.
- Et, puisque nous partageons la même tradition, à mon tour je vais me lever, avec un verre en main, en votre honneur, monsieur le Président, en l'honneur de Mme Lansana Conté, et je suis sensible à sa présence. Je forme des voeux pour votre famille, pour les êtres qui vous sont chers, pour tous vos invités et pour tous ceux qui vous entourent. Je forme des voeux pour que tous ici, sentiez qu'en cette circonstance solennelle, la réunion de la Guinée et de la France suscite mes voeux les plus ardents de succès, de paix et de bonheur.
- Puissent ces rencontres fortifier nos liens, monsieur le président. Oui, vive l'amitié entre la Guinée et la France, oui, vive la Guinée et vive la France.\