11 octobre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion des cérémonies organisées aux Invalides en l'honneur du premier rapatriement des corps de combattants morts en Indochine, samedi 11 octobre 1986.

Pendant les neuf années qu'a duré la Guerre d'Indochine, à laquelle mirent fin les accords d'armistice du 20 juillet 1954, 80000 de nos soldats, marins, aviateurs ont trouvé la mort au combat.
- Nombre d'entre eux reposent en terre vietnamienne. Après cinq ans de pourparlers, le rapatriement de leurs cendres, ardemment souhaité depuis plus de trente ans, aboutit enfin aujourd'hui.
- Recueillons-nous, dans le deuil et le souvenir d'une grande peine nationale devant cette avant-garde de l'ultime retour.
- Bientôt, les combattants d'Indochine inconnus et ceux qui n'auront pas rejoint leurs sépultures familiales seront inhumés dans une nécropole nationale, qui sera édifiée sur le territoire de la ville de Fréjus, naturellement désignée, avec son mémorial aux morts de l'Indochine, pour abriter les restes de ceux qu'elle avait vu partir.
- Alors reposeront au bord de la Méditerranée les soldats français, africains d'Afrique noire et du Maghreb, vietnamiens, d'autres encore, tombés là-bas, sur les rivages du Pacifique. Les dix cercueils que voici annoncent un long cortège. La France qu'ils ont si bien servie leur doit bien ce dernier repos.
- Ainsi se clôt un chapitre de notre histoire. Sans revenir sur les causes et le déroulement du conflit et ne souhaitant pas raviver ici les controverses, je rappellerai simplement que nos troupes ont assumé avec abnégation les missions qu'elles avaient reçues de la République, missions qu'elles n'ont pas eu à définir, mais à exécuter.\
On se souvient qu'à la suite des bouleversements provoqués par la deuxième guerre mondiale, le corps expéditionnaire français a débarqué en Indochine en 1945.
- Les opérations qu'il eut à conduire s'étendirent au fil des mois et des années à toute la péninsule. On se battit dans les rizières du Delta, dans les postes isolés de la Haute Région lors d'affrontement anonymes, ou devenus légendaires, sur la RC4, à Dong-Khe, Cao-Bang, dans les calcaires de Coc-Xa et, plus tard, à Vinh-Yen, Dong-Trieu et Hoa-Binh, noms qui restent gravés dans nos mémoires.
- Les combats de Nghia-Lo et de Na-San laissaient présager des batailles plus rudes encore. Et, le 7 mai 1954, après plus de 60 jours de luttes acharnées, les 16000 défenseurs du camp retranché de Dien-Bien-Phu succombaient devant une armée puissamment équipée, supérieure en nombre, héroïque elle aussi, et qu'une volonté farouche d'indépendance nationale inspirait.
- Que de courage, que de constance, que de talent prodigué face aux résistances de l'histoire par les soldats et par les chefs ! Citerai-je Leclerc de Hauteclocque, de Lattre de Tassigny, et bien d'autres aussi, qui s'inscrivent dans la mémoire de notre histoire, soldats et chefs de notre armée française ?\
Ce matin, en présence des familles, des associations et des anciens du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, rendons hommage, dans l'union des pensées, aux combattants d'Indochine. Ils ont montré les vertus du soldat, ils ont connu les vicissitudes de la guerre.
- L'armée, c'"est une grande chose que l'on meut et qui tue, mais c'est aussi une chose qui souffre", écrivait Alfred de Vigny.
- Souffrances dues à l'âpreté des combats, attestées par l'ampleur des pertes.
- Souffrances provoquées par les conditions de détention dans les camps de prisonniers et qui ont entraîné, chez les survivants, des séquelles durables.
- Souffrance devant tant de désintéressement parfois incompris. Souffrance des proches, des familles, des amis déchirés, souffrance de la France.
- Au nom de la République et de la nation française, j'affirme que nos combattants d'Indochine méritent la reconnaissance de la patrie. Veillons au souvenir et pensons à la France dans la longue chaine des temps : c'est elle qu'il faut encore, c'est elle qu'il faut toujours servir.\