5 octobre 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'ouverture du XIIIème congrès de la Conférence mondiale de l'énergie à Cannes, notamment sur la situation du marché pétrolier et la nécessité d'une nouvelle coopération Nord-Sud en matière d'énergie, dimanche 5 octobre 1986.

Messieurs les présidents,
- Madame le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Je me réjouis de me trouver parmi vous et dans cette ville. A l'instant où commence, où va commencer le XIIIème congrès de la Conférence mondiale de l'énergie, ma première pensée va vers Indira Gandhi. Elle avait ouvert vos travaux en 1983, avec sa hauteur de vue coutumière, son exceptionnelle lucidité, sa clairvoyance, celle des permanences et des priorités.
- Sa conviction était que l'énergie est au coeur de toutes choses. Telle est aussi la mienne, car l'énergie c'est la vie, la force de la vie, la chaleur de la vie, la cruauté de la vie. Elle modèle nos existences, celle de tous les jours, elle pèse sur l'histoire, elle commande l'espoir ou son contraire, puisqu'elle interdit ou rend possible le développement et le progrès. Les hommes ne s'y sont pas trompés, qui depuis toujours chantent le soleil, guerroient pour le feu, frissonnent sitôt la nuit tombée. De l'énergie procèdent le plus de rêves, de songes, de mythes jamais engendrés par l'imagination humaine. Pour l'énergie peut-être, se sont livrées les plus rudes batailles.
- Oui, c'est bien de l'essentiel, mesdames et messieurs, que vous allez traiter aujourd'hui, comme hier à New Delhi, comme bientôt à Montréal. Est-il meilleure preuve de l'universalité de ces préoccupations que la qualité des délégations venues du monde entier ? On me dit soixante-six. Je leur apporte le salut de la France. Croyez que je mesure l'honneur qui m'est fait et, à travers moi, à mon pays la France, de m'adresser à vous et de vous accueillir à Cannes. Je veux voir dans ce choix l'attention portée à un pays qui, par tradition et par nécessité, a dû planifier, organiser, prévoir son avenir énergétique pour ne pas subir, au-delà de ce qui est acceptable, les contraintes inhérentes à la faiblesse de ses ressources en énergie et aux aléas, insupportables pour son économie et sa sécurité, de la dépendance extérieure. Je veux y voir aussi la reconnaissance du rôle international joué par la France, et particulièrement dans ce domaine.\
Mon pays, vous le savez, ne vit pas replié sur lui-même, il a le souci d'apporter au problème du développement sa propre réponse, et cette réponse est celle de la solidarité entre les nations, de la coopération pour le développement. Tel était déjà le message que j'avais apporté à la Conférence de Cancun, il y a tout juste cinq ans, où j'avais proposé des mesures propres à favoriser la mobilisation des ressources énergétiques des pays en développement, à répartir les moyens sur l'ensemble du monde. Les choses n'ont guère avancé depuis lors, ce n'est pas une raison pour renoncer à l'-entreprise.
- Certes, le contexte actuel est avare de certitudes et nous place devant de nouvelles interrogations, nées d'une situation excédentaire du marché du pétrole, d'une chute erratique de ses prix, nées aussi d'accidents, comme celui, récent, de Tchernobyl. D'une façon générale et sans en tirer des conclusions hâtives, on peut dire, et cela a été déjà précisé à cette tribune, que les prévisions du début des années 70 `1970` sont aujourd'hui remises en cause.\
L'intérêt d'un congrès comme celui-ci est de rassembler les éléments qui permettront de retrouver la perspective, et de confronter les expériences.
- A cet égard, l'expérience française, précisément, n'est pas sans intérêt. Les choix que nous avons faits ont donné des résultats : en peu d'années, au -prix d'un effort d'investissement considérable et d'une forte mobilisation de l'opinion, nous avons appris, d'abord, à économiser £ nous avons diversifié, réduit nos approvisionnements en pétrole, grâce notamment à un recours accru au gaz naturel, et, parallèlement, nous avons développé le nucléaire en même temps que les énergies nouvelles de toutes sortes. Et comme rien n'est jamais acquis, il faut poursuivre dans cette tâche : renoncer à une politique énergétique de ce type pour un pays industrialisé, politique originale et, je le crois, équilibrée, ou seulement relâcher notre effort, serait à terme un affaiblissement désastreux des moyens de mon pays.
- La compétitivité d'une économie, et particulièrement la rentabilité des investissements, repose désormais sur l'assurance de disposer de l'énergie nécessaire dans de bonnes conditions de sûreté et de coût, ce qui doit inciter à la vigilance. Pour notre part, nous poursuivons notre effort de recherche dans le secteur parapétrolier, nous renforçons, si besoin est, la sûreté des installations nucléaires, nous développons de nouvelles filières. Et les problèmes qui se posent à mon pays, s'ils ne sont pas communs à tous les autres, n'en sont pas moins situés dans la réflexion de chacune des délégations. Renforcer la sûreté d'un parc nucléaire, c'est protéger l'environnement de tous, c'est un devoir à l'égard de tous. Limiter l'appel aux combustibles fossiles, c'est diminuer par exemple les pluies acides, c'est prévenir le risque - encore controversé - d'une modification globale du climat liée aux émissions de gaz carbonique. Développer des technologies d'utilisation économes, c'est éviter le gaspillage de ressources qui sont épuisables et qui sont un bien commun à tous les peuples de la terre.\
Depuis longtemps, mesdames et messieurs, les questions liées à l'énergie ont dépassé le -cadre strictement national, et les problèmes doivent se traiter à l'échelle du monde. Voilà pourquoi est grand l'intérêt de travaux tels que ceux que vous menez ici. Et, il faut le reconnaître, depuis 1983, depuis New Delhi, le monde n'a guère progressé vers une meilleure organisation des marchés, qui permettrait à la fois d'éviter les crises cycliques et de satisfaire aux besoins élémentaires des hommes.
- On doit examiner, sans parti pris et sans préjugé, simplement pour tenter de répondre en commun aux questions qui se posent, on doit examiner les conséquences du libre jeu du marché qui se révèle globalement favorable aux pays industrialisés, gros consommateurs, mais qui n'a en rien résolu les problèmes économiques mondiaux, surtout pour les pays les moins pourvus de ressources. Les déséquilibres, il faut le reconnaître, se sont aggravés.
- Que dire d'un marché qui enregistre des transactions tout en ignorant la nécessité de renouveler les réserves ? Pourra-t-on consommer toujours, sans se soucier des évolutions à long terme et des épuisements probables ? Que dire d'un marché où les prix fluctuent au gré des émotions, des événements, des spéculations quotidiennes ? Et les conséquences de l'instabilité, nous ne les connaissons que trop ! Des investissements lourds et coûteux, freinés soudain, voire stoppés, du fait de l'incertitude £ des équipements à peine achevés et pourtant frappés déjà d'obsolescence £ des pays dans l'incapacité d'assurer le service de leur dette. Que dire enfin d'un marché qui ne prend pas en compte d'immenses besoins, ceux de plusieurs milliards d'être humains simplement parce qu'ils n'appartiennent pas à la sphère marchande dès lors qu'il ne correspondent pas à une demande solvable ?
- Stabiliser les prix est difficile, on le sait bien. De nombreuses tentatives ont échoué pour d'autres matières premières. Les accords de produits mis en place il y a dix ans, après la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement `CNUCED` de Nairobi n'ont pas répondu aux espoirs qu'ils avaient soulevés. Et de même les amorces de dialogues entre producteurs et consommateurs de pétrole pour assurer une meilleure prévisibilité des prix n'ont pas été couronnées de succès.
- Malgré ces échecs, une meilleure régulation de ces marchés doit rester l'un de nos objectifs. Laisser l'offre et la demande décider seules et toujours, c'est permettre aux plus forts de régler leurs problèmes au détriment des plus faibles.\
Un forum tel que celui-ci donne précisément l'occasion d'avancer de nouvelles idées pour qu'à une logique de confrontation, succède la logique de coopération.
- Toutes les approches nouvelles en ce sens méritent examen : par exemple favoriser des échanges d'intérêts croisés entre les pays qui disposent de ressources sans avoir de débouchés et les pays consommateurs pauvres en ressources, ou bien accorder des facilités financières au moyen de mécanismes compensatoires à certains pays producteurs de pétrole pour éviter qu'ils ne réagissent à une baisse des prix par le jeu de la production.
- Mieux organiser le marché, vous le savez aussi, n'est pas une fin en soi. Je n'ai pas le goût de l'ordre pour l'ordre ou je ne sais quelle nostalgie cartésienne dont les Français, dit-on, possèdent le secret. Il ne s'agit que de faits que l'on peut constater. La fin de ce désordre est un préalable si l'on veut jeter les bases d'une meilleure affectation des ressources et répondre, en particulier, au besoin des pays en développement, et il n'est pas de quête qui passe avant celle-là. Voilà l'enjeu premier, l'aune à laquelle nous devons mesurer nos politiques nationales, nos actions de coopération bilatérale, celles des organisations internationales. Comment répondre à ces besoins ?
- Sur la carte du monde, les échanges d'énergie dessinent un réseau dense. Il est facile d'y voir l'image de l'interdépendance entre les nations, et pourtant cette image est bien souvent trompeuse. Elle peut être aussi le visage de l'inégalité entre les pays dotés de capacités financières et technologiques et d'autre part, les pays démunis de tout ou incapables, pour l'instant, non par faute de moyens humains mais faute des autres moyens, de s'adapter à des évolutions trop brutales. Les solidarités qui s'organisent ici et là, les programmes internationaux qui se mettent en place, sont encore loin de correspondre à l'urgence des problèmes. Prenons garde que cette tentative ne serve ou n'apparaisse comme servant d'alibi alors que, de toutes parts, le chacun pour soi l'emporte encore sur la solidarité.
- Dans toute l'histoire, les tensions dans le secteur de l'énergie se sont toujours traduites par des menaces contre la paix. L'accès à l'énergie est vital pour tous les peuples. Comment bâtir, sans énergie, le moindre programme de développement économique et social ?
- Une inégalité trop forte dans ce domaine ne peut qu'aggraver jusqu'à la rupture les déséquilibres que j'ai cités et dont la liste s'allonge : dépendance, endettement, pénurie alimentaire, hypertrophie des villes, dégradation de l'environnement, recul des forêts, avancée des déserts, que sais-je encore ?\
Vous avez choisi pour ce congrès un thème universel, mesdames et messieurs, énergie, besoins, espoir £ cela vient de vous être rappelé. Je souhaite profondément que vos travaux apportent un nouvel élan, et cet élan est nécessaire à la réussite de la coopération entre tous nos pays, coopération que je voudrais imaginative, attentive, scrupuleuse.
- La grave crise financière que traversent tant de pays en développement donne un intérêt évident à des politiques plus économes en investissements. Beaucoup de grands équipements engagés dans le passé souvent apparaissent bien lourds à surmonter. La coopération elle aussi, a parfois consisté à ne proposer aux pays dits du Sud que des modèles de production conçus par les pays dits du Nord. Il est temps d'adapter cette démarche aux réalités locales, de privilégier les projets d'utilisation rationnelle de l'énergie, les projets de développement des ressources locales. Alors on pourra mieux satisfaire les besoins élémentaires, renforcer la capacité de chacun à résister le mieux possible aux chocs extérieurs.
- Oui, mesdames et messieurs, montrons-nous fidèles au message d'Indira Gandhi. Vous êtes là, réunis, experts venus du monde entier ! Votre responsabilité est grande, ce que vous direz devra être entendu des gouvernants et beaucoup de peuples attendent beaucoup de vous ! De ce congrès devraient sortir des propositions concrètes, pour transformer une interdépendance de fait en une solidarité active.
- C'est ce que je souhaite de tout coeur, mesdames et messieurs, en ouvrant le XIIIème congrès de la Conférence mondiale de l'énergie.\