17 septembre 1986 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à la fin de son voyage en Indonésie, notamment sur les essais nucléaires dans le Pacifique Sud, les mesures anti-terroristes, les échanges commerciaux franco-indonésiens, Djakarta, hôtel Borobudur, mercredi 17 septembre 1986.

Mesdames et messieurs,
- Je suis heureux de vous rencontrer ce soir, à Djakarta, vous, les journalistes français, venus de loin, comme moi, les journalistes européens, et les journalistes indonésiens avec lesquels je serai heureux de m'entretenir.
- Je n'ai pas de déclaration préliminaire à faire : ceux d'entre vous qui ont suivi de près ce voyage savent que s'achève maintenant le deuxième jour de la présence de la délégation française en Indonésie, que notre itinéraire nous conduira jusqu'à vendredi matin dans ce pays et, que sur la route du retour, deux étapes sont prévues, non seulement pour les nécessités du vol et du ravitaillement mais aussi pour l'utilité politique : je rencontrerai le Premier ministre de Singapour lors de l'escale, puis je m'arrêterai quelques heures à Koweit.
- La journée d'hier s'est déroulée selon un processus, un rythme et un programme qui avaient été fixés depuis longtemps. L'élément important en était l'entretien que j'ai eu avec le Président de la République d'Indonésie `M. Soeharto` tandis que les membres du gouvernement français ici présents - ils sont au nombre de quatre - s'entretenaient avec leurs homologues. Je pense que vous aurez quelques questions à poser sur le contenu de ces conversations et les conséquences à en retirer. Voilà pour l'essentiel.\
LE PRESIDENT `suite`.- Je pense que maintenant vous pourriez me poser les questions de votre choix. Je ne sais comment fonctionne votre écoute : avez-vous une traduction immédiate et concomitante ? ... Oui, dans ce cas-là nous n'aurons pas à faire de traduction et on me traduira les questions qui me seront posées en indonésien. Voilà, je répondrai à chaque question l'une après l'autre. Vous avez la parole. Voulez-vous dire au nom de quel organe de presse vous vous exprimez ? Madame ?
- QUESTION.- BBC, (inaudible). Au sujet des points de divergence avec le Président Soeharto sur la politique française (Mururoa, Nouvelle-Calédonie).
- LE PRESIDENT.- J'ai entendu qu'il était question de Mururoa, de Nouvelle-Calédonie, il semblait que vous aviez dit qu'il se posait pour vous trois questions £ je n'ai pas compris la troisième...
- QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Nous sommes d'accord. Je tiens d'abord à préciser que si effectivement il a été question des essais nucléaires, il n'a pas été question de la Nouvelle-Calédonie dans notre conversation avec le Président Soeharto. Je me dispenserai donc de commentaire à ce sujet puisque vous souhaitez connaître les points de divergence entre le Président Soeharto et la politique française. Eh bien ! J'ai expliqué au Président Soeharto que, pour ce qui touchait à Mururoa, la France avait l'intention de continuer ses expérimentations, et qu'elle ne se laisserait pas détourner par les protestations émises ici et là. Voilà ! C'est très simple : très simple à dire et très simple à comprendre. Maintenant, si on veut bien expliquer on ajoutera qu'il y a quatre pays et même cinq - j'allais dire la Chine en plus des pays que sont l'Union soviétique, les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne et la France - cinq pays qui ont un armement nucléaire et qui font donc des essais, des expériences. Les deux faits sont liés : on ne peut pas avoir un armement nucléaire et se dispenser de l'entretenir ou de l'adapter puisqu'il s'agit là d'armements qui sont en compétition éventuelle £ il faudrait alors demander à la France de renoncer à son armement nucléaire, donc à sa dissuasion, c'est-à-dire à sa stratégie.\
`Suite sur les expérimentations nucléaires`
- Quant aux essais eux-mêmes, j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer que Mururoa est une île, un atoll très lointain £ je veux dire lointain de toute grande densité humaine.
- Il y avait naguère des expériences dans l'atmosphère £ c'était à l'époque où la Grande-Bretagne exerçait ses expérimentations atmosphériques en Australie, avec l'autorisation du gouvernement australien, dans un désert sans doute, mais en l'air, avec des vents qui pouvaient reporter les différentes conséquences, les miasmes vers les villes australiennes. Et pourtant cela s'est fait ! Et la France l'a fait aussi à Mururoa, mais elle avait pris la précaution de vérifier qu'il n'y avait pas de populations.
- Quand les expérimentations sont devenues souterraines, toutes les précautions ont été prises par la France, de telle sorte qu'à 700 mètres de profondeur, dans la roche basaltique, on peut estimer qu'il y a vitrification des cavités qui sont produites et qui sont accrues par l'explosion, mais on n'a pas constaté d'infiltration, puisqu'à l'heure actuelle le taux de radioactivité de Mururoa est plus faible que celui de Paris. La preuve, c'est que depuis que les expériences sont souterraines, la population polynésienne vient, de plus en plus, habiter là : il y a plus d'un millier de polynésiens auprès des deux à trois mille représentants de la France, qu'ils soient militaires, experts, savants ou ingénieurs. On n'a jamais constaté mort d'homme, ni diffusion de germes, de virus, de maladies. Nous avons fait - j'ai fait - vérifier ces choses par une Commission internationale présidée par un des plus grands experts néo-zélandais `le Professeur Atkinson`. Vous pouvez vous faire communiquer son rapport, il conclut à l'inocuité des expériences.
- Maintenant, s'il s'agit de faire des comparaisons, moi je supporte très mal qu'on fasse ce reproche à la France alors qu'on est si poli avec les Etats-Unis d'Amérique, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique £ si poli ou si prudent, je ne sais ... Alors, il ne faut pas se placer sur le -plan moral, si c'est la prudence qui commande pour l'inégalité dans la condamnation.
- Les expériences de Mururoa s'exercent dans un cercle qui, à mille kilomètres, pourrait atteindre - mais il n'atteint pas - cinq mille personnes : cinq mille car c'est une région, bien entendu, peu peuplée £ d'ailleurs les terres sont peu nombreuses et, en tout cas les superficies très étroites.
- En Union soviétique, là où se déroulent les expérimentations, il y a quinze millions d'habitants dans les mille kilomètres. Aux Etats-Unis d'Amérique, où se déroulent à la fois les expériences américaines et les expériences britanniques, il y a trente-sept millions de personnes dans un rayon de mille kilomètres. J'ajoute que Mururoa est plus éloigné de la Nouvelle-Zélande, à plus forte raison de l'Australie, que nous ne le sommes, nous, à Paris, du centre d'expériences soviétique.
- Alors qu'est-ce que c'est que cette campagne ? Je comprends bien que, pour qui a fait le choix de refuser tout armement nucléaire, c'est logique que de refuser également les expérimentations. De ce point de vue - tout à fait estimable - il est des pays qui maintiennent leur hostilité à tout ce qui est nucléaire et d'autres qui l'acceptent £ mais parmi ceux qui ont un armement nucléaire, et qui l'expérimentent, ne faites pas un sort particulier à la France si vous le voulez bien.\
`Suite sur l'armement nucléaire`
- La France est prête à se défaire de tout armement nucléaire £ elle y est prête dès lors que les plus armés dans le monde - je pense spécialement aux Etats-Unis d'Amérique et à l'Union soviétique - y renonceraient. Combien la France a-t-elle de charges nucléaires ? Cela va en augmentant : de cent cinquante charges nucléaires à trois cents, trois cent cinquante, à mesure sur les années passent. A l'heure actuelle, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union soviétique ont, chacun de leur côté, dix mille charges nucléaires ! Quand ils se seront rapprochés des cent cinquante ou deux cents, on pourra discuter. Bien entendu, on en est fort loin ! Et que ceux qui combattent, non pas spécialement les essais nucléaires mais les expériences de la France, reprennent un peu de raison et le sens de l'équité. Voilà ce que je peux dire à ce sujet.
- Le Président Soeharto ne s'est pas du tout situé de ce point de vue-là et sa position est connue, et celle de son pays aussi. Au demeurant, l'ensemble des pays du tiers monde - et l'on sait le grand rôle que joue l'Indonésie parmi ces peuples - non seulement ne souhaite pas, mais est hostile au développement de toute arme nucléaire. Cette position de principe, je le répète, est respectable. Mais ce n'est pas la nôtre. Je comprends bien que les pays qui ne possèdent pas cette arme et qui ne souhaitent pas la posséder, désirent en même temps élargir les zones de dénucléarisation : cette logique-là, je la comprends très bien et je demande que l'on comprenne la mienne.
- J'ai répondu longuement parce que je suppose que cette question recouvre beaucoup d'autres interrogations. Quant à la Nouvelle-Calédonie, il n'en a pas été question. Il s'agit d'un problème interne : cela vise des populations qui se trouvent sur le -plan du droit et de la souveraineté dans la mouvance française. Ce n'est pas ici que je traiterai cette question.
- QUESTION.- (inaudible). Concernant la présence de la France dans le Pacifique Sud.
- LE PRESIDENT.- Je la suppose et je l'espère. Ils n'ont pas contesté sa présence, hors la question qui vient d'être traitée. La France est dans le Pacifique Sud. Voilà, c'est un fait. Elle n'a pas l'intention d'y renoncer. C'est un autre fait. Donc, puissance présente dans le Pacifique Sud, la France entend bien prendre part à la vie de cette région du monde, autrement que par des problèmes d'armement. Elle a déjà montré sa volonté de contribuer sur le -plan scientifique, sur le -plan culturel, sur le -plan universitaire, sur le -plan de la coopération, à toute une série d'actions propres à l'ensemble des pays de cette région. En tout cas, la question n'a pas été posée.\
QUESTION.- (inaudible) Antenne 2 - Dominique Laury. Au sujet des discussions sur les taux de crédit.
- LE PRESIDENT.- Vous savez, dans la vie, on piétine toujours : c'est ça la vie ! On ne passe pas son temps à décider chaque matin en se levant... Quand un dossier est soumis, surtout à l'attention de deux pays, cela exige beaucoup d'attention, d'étude, et l'on piétine £ mais cela a abouti déjà sur de nombreux points. Pour l'instant il en reste un particulèrement sensible, celui des taux de crédit.
- L'Indonésie souhaiterait que la France pût lui consentir des crédits à un taux inférieur à celui qui est aujourd'hui pratiqué. Le chiffre qui est généralement cité dans les discussions du côté indonésien, c'est un taux de 3,5 %. On cite à cet égard des exemples d'autres pays qui y consentent, mais généralement les systèmes financiers et aides monétaires répondent à de nombreuses conditions. Au total les propositions de la France ne sont pas inférieures, mais enfin sur cette question-là, il est vrai que l'Indonésie insiste.
- La France met en avant des questions qui touchent au même domaine. Elle est prête à faire des concessions dans la discussion sur le volume des crédits. Elle est également prête à discuter de la durée du prêt : prêt pour six mois, pour quinze ans ou pour une durée intermédiaire ? Là-dessus la France a fait des propositions que je crois très positives. Quant à ce fameux taux, on en discute, il y a déjà eu des variations dans la pratique des négociations qui ont été menées par les membres du gouvernement mais pas par moi-même. Bien entendu, j'en ai parlé mais enfin la discussion technique a été conduite par des membres du gouvernement qui en ont la charge. Moi, je ne pense pas que l'on puisse en terminer en si peu de temps £ il ne s'agit pas de conclure aujourd'hui, je ne suis pas venu faire un voyage commercial mais enfin, si je peux contribuer au règlement de ces problèmes, tant mieux. Je pense qu'on devrait aller vers un accord. Un accord suppose toujours une bonne volonté, des concessions réciproques.\
QUESTION.- Avez-vous évoqué avec le Président Soeharto les problèmes des droits de l'homme, et notamment celui de trois communistes et deux musulmans qui sont actuellement en prison qui attendent d'être exécutés, leur appel ayant été rejeté ?
- LE PRESIDENT.- Monsieur, je ne fais jamais de voyage à l'étranger sans évoquer les questions qui se posent. Je le fais à ma façon - et j'évite souvent de rendre publiques les questions et les réponses lorsque cela n'est pas nécessaire - l'objectif étant d'atteindre le résultat souhaité.
- C'est l'un d'entre vous - je m'adresse ici aux journalistes français - qui évoquait une anecdote, il me pardonnera si je lui retourne ce que j'ai appris de lui : il s'agissait d'un dialogue entre Churchill et Staline - c'est un fait réel - Churchill était intervenu pour la réunion d'un foyer : un homme, une femme, séparés, et à bout d'argument. Churchil a dit à Staline : "Eh bien, ce sont des gens qui s'aiment, c'est important l'amour". Quelques heures plus tard, la presse interrogeait Churchill : "Avez-vous parlé des droits de l'homme" ? Il a répondu : "J'ai parlé de l'amour..." Eh bien moi, je vous dirai : je parle chaque fois des familles séparées, déchirées, des enfants sans parents, et des hommes et des femmes en peine d'une patrie, ou bien menacés dans leur vie. Mais je ne veux pas non plus poser la France en donneur de leçons. Nous ne nous promenons pas dans le monde en distribuant la leçon de morale, les autres pays ont leur raison d'être, leur spiritualité, leurs conditions, leur présence, leur système politique, nous ne voulons pas nous en faire juge, en tout cas ce n'est pas l'objet d'un voyage comme celui-là, et vous me permettrez d'être discret. Ce que je peux vous dire, c'est que je n'effectue jamais un voyage sans évoquer ce type de problème. Et j'accepte qu'on me pose la même question quand on vient me voir à Paris si des problèmes de ce genre devaient se poser.
- QUESTION.- Monsieur le Président, excusez-moi d'insister sur cette question dont je sais, je suppose, qu'elle vous tient à coeur mais il se trouve que vous-même ou le gouvernement français intervient publiquement sur la question des droits de l'homme en particulier dans les pays socialistes, en Union soviétique, en Pologne ou ailleurs. Comment se fait-il que vous choisissez d'être discret et de ne pas agir publiquement dans les autres pays où les droits de l'homme se posent tout aussi cruellement ?
- LE PRESIDENT.- Est-ce que vous rangez le Chili, l'Argentine il y a quelque temps, l'Uruguay il y a quelque temps, le Paraguay, l'Afrique du Sud parmi les régimes socialistes ?
- LE JOURNALISTE.- Certainement pas.
- LE PRESIDENT.- Or, il m'est arrivé de traiter de ce sujet à l'égard de ces pays, de ces régimes, pour le moins aussi souvent publiquement - je n'ai pas fait le compte - qu'à l'égard de tel ou tel régime communiste, je pense à l'Union soviétique. Donc, je ne pense pas avoir une sorte de défense sélective des droits de l'homme. Je connais, peut-être moins bien qu'un certain nombre d'entre vous, mais enfin je connais l'histoire de l'Indonésie. Je sais quelles sont les affres que suppose cette longue lutte, d'abord pour l'indépendance, ensuite pour l'installation d'un système pour sortir d'une ère coloniale. Mais je ne veux pas m'en faire juge, je me contente simplement de vous répondre que lorsqu'il se pose des problèmes - il s'en pose un à l'égard du Timor, tout le monde le sait puisque les autres pays qui y participent doivent régulièrement s'exprimer par un vote à l'Organisation des Nations unies - la France n'a jamais manqué de faire ses propres observations. Donc, je n'observe pas de discrétion particulière, je dis : les cas particuliers, permettez-moi de les réserver.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quand vous êtes parti de France, un certain nombre d'attentats terroristes a endeuillé la capitale. Alors, ne craignez-vous pas qu'en ayant engagé un tel voyage, un certain nombre de vos citoyens vous reprochent d'avoir quitté le territoire national au moment où la France traverse une épreuve ?
- LE PRESIDENT.- Je ne sais pas si l'on ne me ferait pas également des reproches si, dès qu'une bombe éclate quelque part et qu'une menace s'exerce contre la France et les Français, le chef de l'Etat abandonnait ou modifiait ses obligations. Quel succès pour le terrorisme que de voir tout aussitôt le chef de l'Etat - le cas échéant le chef du gouvernement, ceux qui ont la charge du pays - transformer, changer leurs itinéraires ! Non. C'était fixé, ce voyage était déjà déterminé depuis deux ans. Il est venu à son heure, vous avez raison de le dire, à un moment douloureux pour la France. Je pense que mon devoir était de faire, comme il a déjà été dit, mon métier, et devant le terrorisme, face à ces menaces, il faut que chaque Français continue d'exercer son métier, ses activités. La France n'est pas paralysée - elle ne le sera pas - par le terrorisme. Je serai de retour vendredi soir et je continuerai ma tâche, dans d'autres lieux, d'une autre façon, mais quant à ce qui touche au terrorisme, vous savez bien que j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un combat sans merci.\
QUESTION.- Monsieur le Président, votre visite historique a été accueillie par le gouvernement indonésien avec la dévaluation de roupies à 45 %. Je voudrais savoir quelle est la conséquence immédiate avec la balance commerciale entre les deux pays qui est maintenant très déficitaire en faveur de la France ?
- LE PRESIDENT.- La dévaluation de la monnaie indonésienne relève d'une considération politique dont le gouvernement indonésien est juge. Il est évident que la situation de ce pays s'est trouvée affectée par certaines conjonctures, notamment celle qui a touché au prix du pétrole. Je n'ai pas à entrer, en tout cas, à l'intérieur de cette discussion. Je constate que, bien entendu, cela a des répercussions pour tout commerce avec l'étranger - en particulier avec la France - à l'avantage ou au détriment, selon les décisions qui sont prises, de l'un ou de l'autre. La France prend les choses comme elles sont, elle persévère et ne se plaindrait pas ou ne se plaindra pas si sa balance est positive. Mais nous n'entendons pas améliorer notre commerce extérieur sur le dos des autres et sur leurs difficultés. Nous prenons les choses comme elles sont et je n'ai pas de considérations à faire sur cette dévaluation.
- Vous l'avez vu tout de suite : il s'agit d'une visite historique. Je pense qu'il faut ménager l'expression historique parce que depuis quelque quarante ans que je suis dans la vie publique de mon pays, j'ai entendu parler de beaucoup de dates historiques dont certaines sont oubliées, mais celle-là, j'espère qu'elle restera puisque c'est la première fois qu'un chef d'Etat, Président de la République française, vient dans ce pays et je voudrais que cela ait une signification historique, quarante et un ans après la proclamation de l'indépendance de l'Indonésie par ses propres citoyens. Et j'apporte vraiment, je crois, le message de la France toute entière : nous souhaitons que l'Indonésie réussisse dans toutes les tâches qu'elle a entreprises, et nous voulons que la France, selon ses moyens, prenne la plus large part possible, au développement de ce pays.
- Voilà tout ce que je voulais vous dire car depuis quarante-huit heures, nous Français qui sommes ici, nous sommes tout à fait heureux d'être venus dans un pays aussi intéressant, d'ancienne culture et dont on peut voir l'effort de modernisation. Il faut que le peuple indonésien sache que les représentants du peuple français sont heureux de se trouver chez lui.\
QUESTION.- (Au sujet du rétablissement des visas.)
- LE PRESIDENT.- Non, non. Le fait de demander un visa ne doit pas porter à conclure que le visa est refusé. Le visa existe dans beaucoup de pays, notamment aux Etats-Unis d'Amérique où nous sommes nombreux à nous rendre en acceptant ce petit inconvénient.
- Mais la politique de la France n'est pas le visa. Nous avons constamment, au cours de ces années, et déjà depuis longtemps, réduit la part des visas, seuls encore quelques pays se trouvaient sous le coup du visa. Des mesures de libéralisation ont été prises dans les deux dernières années, mais voilà, le terrorisme est un fait nouveau, nous en avons déjà souffert bien entendu, mais devant cette pression insistante, cette méthode et cette multiplication des attentats, le gouvernement estime qu'il convient de veiller à nos frontières avec une plus grande vigilance encore. C'est quand même un souci légitime !
- Je crois avoir entendu le Premier ministre français `Jacques Chirac` dire et me dire qu'il s'agissait de mesures dérogatoires, de mesures provisoires. Nous n'entendons pas nous installer dans ce système de visas là où ils avaient été supprimés. Cette observation est particulièrement vraie pour tout ce qui touche l'Afrique du Nord, et c'est vrai pour l'ensemble des pays d'Europe occidentale qui se trouvaient déjà délivrés de toute paperasserie administrative pour l'entrée en France. Mais quand on est dans une période où il faut serrer les dents, où il faut faire face à une multitude de périls, on peut admettre que des mesures restrictives, dérogatoires et provisoires soient prises. Donc je ne crois pas que nous puissions tirer la conclusion qu'il s'agit de fermeture de frontières. S'il s'agissait de fermer les frontières, on les aurait fermées. On ne les a pas fermées, on a rendu un peu plus difficile leur passage et nous espérons bien que cela ne durera pas £ mais ce n'est pas à la France de prendre cette initiative, c'est à ceux qui, usant de cette disposition libérale de la France, en profitent ou en ont profité pour rendre dangereuse la vie de nombreux Français, pour attenter à des vies françaises.
- Est-ce que cette mesure est la réponse à tout ? Ne nous faisons pas d'illusions, nous savons bien qu'il y a bien des gens qui viennent en France sans nous demander la permission. Nous savons aussi qu'il y a des relais en France. Mais c'est une mesure, c'est une arme dans une panoplie, vous n'en tirerez pas d'autres conséquences.\
QUESTION.- Est-ce que vous avez encore l'espoir de vendre, disons un, deux, ou plusieurs Mirage 2000 ?
- LE PRESIDENT.- Je ne saurai l'affirmer. Il y a de grands contrats actuellement en discussion : sur les télécommunications, les faisceaux hertziens entre Java et Bali, la rénovation des réseaux ferroviaires de l'agglomération de Djakarta, une deuxième tranche pour l'aéroport de Soekarno-Hatta à Djakarta. Ce sont de gros contrats et il y en a bien d'autres encore.. Je ne serai pas aussi affirmatif pour les avions en question mais bien entendu nous n'abandonnons jamais tout ce qui nous permettrait de récolter un contrat pour une marchandise aussi performante. En matière aéronautique nous y sommes prêts.\
QUESTION.- La délégation qui vous accompagne en Indonésie est composée d'industriels, d'hommes d'affaires et de banquiers, mais pas d'écrivain ou de grands intellectuels, contrairement à la coutume. Pourquoi cette décision, et ne pensez-vous pas que cette présence, la présence d'écrivains, ici, aurait pu être utile dans un pays où les oeuvres du plus grand romancier Indonesia Viva Ramadia sont encore entièrement totalement interdites ?
- LE PRESIDENT.- C'est une juste question. A vrai dire on a beaucoup réduit la participation à ce voyage pour des questions d'avions, de places. J'ai moi-même fait l'observation, j'ai regretté qu'il n'y ait pas davantage d'écrivains - je ne dirai pas d'intellectuels parce que tous ceux qui sont venus, ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas écrivains qu'ils ne seraient pas des intellectuels £ il y a en a même au gouvernement -, mais je n'ai pas du tout décidé d'interdits sur la littérature. Je vous ferai observer cependant que nous avons ici deux interprètes judicieusement choisis, qui tous les deux sont des écrivains. L'un d'entre eux est d'ailleurs, je le crois, très connu en Indonésie par ses oeuvres, et l'autre qui a été ici-même à l'université de Bandung, a écrit des ouvrages sur l'Indonésie, traduits en indonésien. Je vous prie de bien vouloir juger avec un peu plus de bienveillance le contenu intellectuel de la délégation. C'est vrai, il n'y a pas d'écrivains patentés - poètes, écrivains, romanciers - du rang de ceux qui parfois m'ont accompagné £ il s'agit davantage de sociologues, de politologues, de connaisseurs de la langue, de linguistes. Et je ne sais pas s'il est arrivé aux hommes d'affaires et aux industriels qui nous accompagnent de commettre ici ou là, un poème, non ils n'ont pas cette réputation. La prochaine fois, j'essaierai de faire mieux.
- Quant au fait précis qui était, je le pense, l'essentiel de votre question, bien que ce soit venu comme par hasard, c'est un problème qui touche en effet un homme d'une très grande réputation internationale, un indonésien, un écrivain mais par délicatesse pour le régime politique, je n'ai pas dans les circonstances présentes à m'exprimer à ce sujet.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je sais que la France et le Portugal ont de bonnes relations parce que le Portugal est membre du comité européen. Par contre, entre l'Indonésie et le Portugal, il n'y a pas de bonnes relations à cause de la question du Timor. Ma question est : est-ce que vous voulez jouer un rôle comme médiateur entre les deux pays ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'avons pas cette ambition. Il m'est arrivé depuis bientôt six ans, de recevoir quelques sollicitations pour exercer une médiation dans tel ou tel conflit. J'ai généralement rejeté cet honneur car une médiation doit réussir et pour qu'elle réussisse, il faut que les partenaires aient déjà eux-mêmes suffisamment avancé pour avoir préparé une solution commune que seuls des éléments d'amour propre, ou d'intérêts ultimes à défendre, leur interdisent de régler eux-mêmes.
- En l'occurrence, cela ne nous a pas été demandé. Un médiateur qui ne serait pas réclamé par les deux parties aurait une drôle de figure. C'est donc une question que je n'ai pas posée et il ne semble pas, si j'en juge par les débats de l'Organisation des Nations unies, que cette question soit malheureusement déjà mûre puisqu'il y a des oppositions de principes.
- Le problème du Timor a été posé dans des termes que vous connaissez puisque vous me posez la question : il est vrai que la société internationale a fixé une règle d'autodétermination qui se trouve opposée à des considérations nationales en Indonésie. Très bien ! La France, comprenant les points de vue, et en raison des bonnes relations qu'elle entretient avec les deux parties, s'est abstenue aux Nations unies sur ce sujet. Voilà tout ce que je peux vous dire, nous ne sommes pas en situation du tout d'obligation.\
QUESTION.- (Au sujet de l'escale à Singapour).
- LE PRESIDENT.- Eh bien je crois qu'il faut de l'essence, enfin du carburant, on peut en trouver ici certes, mais je crois qu'avec le Concorde il faut un certain nombre d'escales, il faut calculer des distances. A partir de Singapour, ce sera plus commode - si nous partons de Bali, cela suppose l'arrêt à Singapour - si nous étions partis de Bandung, nous n'aurions pas eu besoin de le faire. Vous poserez la question au pilote. Cela n'a pas une signification politique profonde et puisqu'on s'y arrête un peu plus d'une heure, je rencontre le Premier ministre `Lee Kuan Yen` qui a bien voulu me le proposer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, à propos de l'escale au Koweit, il se trouve que ce pays a aussi quelques détenus un peu encombrants, comme nous, vous allez aborder ce problème là-bas et en gros, le problème du terrorisme international.
- LE PRESIDENT.- Je crois qu'il est toujours bon d'établir un contact étroit et de maintenir une relation de travail et de discussion avec tous les pays du Proche et du Moyen-Orient et celui-là présente un certain nombre de singularités immédiatement visibles : sa proximité géographique du conflit entre l'Iran et l'Irak, le fait que ce pays arabe est mêlé à toutes les discussions, délibérations et débats qui se déroulent dans cette région troublée, les bonnes relations qu'entretient le Koweit avec la France. Et comme il fallait bien s'arrêter quelque part, puisque je vais au Koweit je m'y arrêterai plus que prévu afin d'avoir, en compagnie de M. le ministre des affaires étrangères `Jean-Bernard Raimond`, des conversations politiques avec le responsable de ce pays.
- Vous faisiez allusion, je pense, au point de départ de votre question, au fait que le Koweit ait été mêlé, il y a quelques mois, au débat qui nous occupe actuellement sur le terrorisme et particulièrement au débat sur les otages français lorsque la libération de prisonniers `militants du Djihad arrêtés aprés les attentats du 12 décembre 1983 à Koweit` qui se trouvent au Koweit avait été réclamée. Nous avons toujours dit que cela n'était pas de notre ressort, il suffit d'énoncer la proposition pour la comprendre aussitôt : le Koweit détient des personnes sur lesquelles la France n'a pas autorité, elles sont passées en juridiction, ce ne sont pas ses lois qui ont conduit à la condamnation ou à la détention de ces personnes. C'était donc de la part des preneurs d'otages une question absurde, ce qui a été indiqué, non pas aux preneurs d'otages - avec lesquels le contact n'a pas été pris - mais aux chefs d'Etat, premiers ministres ou gouvernants des pays de la région qui ont bien voulu tenter de nous aider à résoudre ce problème. Donc je ne vais pas au Koweit pour traiter cette affaire.\
QUESTION.- Avec le Président indonésien, est-ce que vous avez évoqué la situation du Cambodge ? Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette partie des entretiens et si il y a un petit espoir à l'horizon ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien ! nous avons parlé de l'ensemble des conflits régionaux en insistant, ce qui se comprend tout de suite, sur les conflits qui se déroulent en Asie, au Cambodge et en Afghanistan, sur le conflit autour du problème palestinien, et sur la guerre entre l'Irak et l'Iran. Mais, en effet, nous nous sommes attardés sur le problème du Cambodge parce que, dans cette affaire, interviennent les principaux pays de l'Asie du Sud-Est qui ont leur mot à dire puisqu'il s'agit de leur voisinage. Quant à nous, Français, nous avons notre mot à dire, en raison des relations particulières et historiquement très fortes qui nous unissent au Cambodge. Et puis, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, constamment sollicité sur ces types de problèmes, nous donnons une opinion et cette opinion nous l'exprimons. Nous dénions à quiconque le droit de manquer à la règle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et donc nous désapprouvons l'intervention militaire ou l'occupation. Cela ne nous conduit pas à défendre les gouvernements précédents, dont l'action répressive a dépassé les limites de ce que l'on pouvait connaître. Cela ne consiste pas du tout, de notre part, à justifier après coup l'action de ces gouvernements cambodgiens mais à reconnaître qu'il appartient aux cambodgiens de régler leurs affaires.
- Alors des propositions sont faites, elles sont faites au sein des Nations unies, elles sont faites par l'ANSEA et nous Français qui, à la fois, condamnons cette présence étrangère au Cambodge et qui n'avons pas reconnu le gouvernement en raison d'un certain nombre de personnes peu désirables, nous n'en entretenons pas moins des relations constantes avec les Cambodgiens. Je reçois la semaine prochaine le Prince Sihanouk que je rencontre assez souvent et toute personnalité qui lutte pour la souveraineté du Cambodge est la vienvenue. Alors, la difficulté de notre position tient au fait que nous tenons à préserver nos liens avec le Vietnam. C'est simple et nous ne faisons rien qui puisse compliquer les relations avec ce pays après tant d'événements qui n'ont pas altéré cependant les intérêts communs entre le Vietnam et la France. Mais il y a le droit international qui doit être respecté avec scrupule.
- Quant à vous dire que l'on soit près d'une solution, je ne pourrai pas m'avancer jusque là. Il y a des combats armés qui se déroulent sur ce territoire entre plusieurs résistances réunies par les fils un peu ténus d'un comité commun en face du gouvernement, installé sous la protection du Vietnam et des troupes vietnamiennes. Elles-mêmes, le sort des armes et le sort de la paix, et le sort de l'unification cambodgienne, dépendent de trop d'éléments pour que je puisse me prononcer imprudemment dans ma réponse.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais revenir, si vous le permettez, sur le terrorisme. Vous avez déclaré, tout à l'heure : contre le terrorisme, c'est une lutte sans merci. Alors, je voudrais vous demander jusqu'où un pays démocratique, un pays de droit, peut aller pour lutter contre le terrorisme ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez tout dit dans votre question. Dans tout pays civilisé, dans toute démocratie, menacée, agressée par le terrorisme, l'acte le plus vil, surtout en France - quelle responsabilité avons-nous ? Pour peu d'ailleurs, que le terrorisme soit jamais justifiable, ce que je ne pense pas ! -, il y a des règles, des règles absolues qui doivent inspirer toute action : la première, c'est que le terrorisme doit être combattu sans merci, permettez-moi de me répéter. La deuxième se place sur le même -plan, c'est que les règles de la pratique démocratique doivent être respectées. Si la deuxième règle n'était pas observée, ce serait déjà une victoire du terrorisme. Mais si le terrorisme n'était pas combattu sans merci, ce serait une démission intolérable pour ceux qui ont la charge de la sécurité, de la vie des Français et des Françaises. Aucune faiblesse ne peut être permise. La question d'ailleurs ne se pose pas en France car c'est un grand pays qui n'est pas à la disposition de quelques bandes de terroristes. Même s'ils sont bien organisés, on le voit bien, la France n'est pas à la merci de ces gens-là, et ils ne menaceront en rien le souci que nous avons de préserver le fondement même de notre système politique et de la démocratie. Seulement, chaque mesure particulière fait supposer une foule de question : est-ce qu'on est encore à l'intérieur de cette définition, celle des principes ? Est-ce que telle mesure, en particulier, risque de déborder ? Ce sont des questions très utiles dans un pays civilisé, mais vous pouvez faire confiance - tout de même, vous êtes Français - au sens de la tradition, à la conviction personnelle et au souci qu'ont les dirigeants de la France de préserver ce qui fait la grandeur de notre peuple. D'abord vivre, donc lutter contre le terrorisme, mais aussi vivre selon les lois qu'on s'est fixées : le respect de la démocratie.
- QUESTION.- La question du terrorisme en France n'a pas été évoquée entre vous et le Président Soeharto ?
- LE PRESIDENT.- Non. Le terrorisme n'est pas un problème français puisqu'il vient de l'étranger, puisqu'il vient de l'extérieur. Mais je n'ai pas à en débattre, je veux dire que je n'ai pas à débattre des mesures internes, qui sont prises pour lutter contre le terrorisme, avec un chef d'Etat étranger. Le terrorisme apparaît quand même sous certains aspects dans nos conversations comme le moyen de pression découlant de multitudes de conflits, ayant, généralement mais pas tous, leur origine dans le Proche et le Moyen-Orient. On peut comprendre que sur le -plan international, cela intéresse les pays comme l'Indonésie et la France. Mais je n'ai pas eu à en traiter particulièrement, en tout cas en la circonstance.\
QUESTION.- (Au sujet des sanctions vis-à-vis de l'Afrique du Sud.)
- LE PRESIDENT.- Vis-à-vis de l'Afrique du Sud ? Vous avez eu une discussion très récente, pendant que nous étions d'ailleurs en Indonésie, au sein de la Communauté économique européenne. Une décision a été prise, il y a quelque temps, préparée par les ministres des affaires étrangères, mise au net lors du Sommet européen de La Haye, reprise, rediscutée, réaffirmée par les ministres des affaires étrangères : il s'agit des sanctions £ des mesures difficiles à prendre parce que l'unanimité est difficile à réaliser entre douze pays intéressés.
- Quant au calendrier de ces mesures, quant à la façon de les mettre en oeuvre, il semble qu'au cours de ces derniers jours de nouvelles objections inattendues aient été faites essentiellement du côté de la République fédérale allemande et du Portugal. C'est ce que j'ai lu dans la presse, mais je ne sais pas si la presse est toujours exacte.
- La France a maintenu sa position. Il s'agissait de l'or, il s'agissait du charbon. La France ne cherche pas à nuire à l'Afrique du Sud, l'Afrique du Sud qui comprend des ethnies tout à fait différentes, multiples et en l'occurence adverses. La France souhaite que l'ensemble de ces populations progresse mais cela suppose aussi le respect des droits civiques, de chaque individu, et de chaque groupe. Si cela n'est pas respecté, c'est une source de troubles pour toute la région, et même de troubles politiques, de trouble moral pour toute l'humanité qui se préoccupe de ce type de problèmes : ne pas accepter la ségrégation comme loi !
- La France n'a donc pas changé sa position, elle n'avait pas de raison d'en changer. Selon ce que j'ai entendu dire des discussions actuelles au sein de la Communauté européenne, nous ne sommes pas revenus sur les principes et le ministre des affaires étrangères `Jean-Bernard Raimond` qui a reçu les dernières dépêches, le confirme : les discussions ont porté sur la mise en application de certaines de ces mesures. La France n'a pas changé de position. Elle n'a pas de raison d'en changer.
- Voilà, mesdames et messieurs, vous avez bien voulu me poser de nombreuses questions, je crois y avoir répondu. Les journalistes français qui me suivent peuvent avoir l'occasion de continuer des conversations pendant le temps qui nous reste. Merci à tous. A plus tard.\