23 juin 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en l'honneur de M. Seyni Kountché, Président du Niger, notamment sur l'aide au développement et le rôle du Niger dans les relations inter africaines, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 23 juin 1986.

Monsieur le Président,
- Madame,
- En vous disant le plaisir que nous avons à vous recevoir, ce soir parmi nous, je suis certain de me faire l'interprète du peuple français tout entier. L'amitié qui unit le Niger et la France a déjà une longue existence. Elle s'est forgée dans une histoire commune où nous avons partagé bien des peines mais aussi de grandes joies. Mais ces liens tissés dans le passé, ces affinités multiples, culturelles, sentimentales, trouvent aujourd'hui une force nouvelle dans le combat que nous menons ensemble pour construire autour de vous, en Afrique particulièrement, mais un peu partout, un monde plus juste et mieux équilibré. Le Niger et la France savent que sans développement véritable, il n'est pas de paix durable.
- De cette amitié profonde, chaleureuse, qui rassemble nos deux pays, j'ai pour ma part reçu un témoignage inoubliable, c'était à Niamey, il y a quatre ans, lorsque j'étais venu vous voir monsieur le Président. Et je souhaite que votre visite se déroule sous des auspices aussi favorables.
- Je suis déjà certain que chacune des étapes de votre voyage vous apportera la preuve de l'estime que nous inspire l'action menée par vous-même, pour l'indépendance de votre pays, pour le mieux être de ses habitants, pour la paix en Afrique.
- Votre pays dont tant de voyageurs ont célébré la beauté - nous sommes quelques-uns ici à l'avoir bien souvent parcouru - est aussi un territoire immense, chacun le sait, mais marqué par d'immenses étendues désertiques et privé d'accès naturels à la mer, subissant les aléas d'un climat souvent cruel. Et voilà en quelques années, monsieur le Président, vous en avez fait un Etat respecté, où chaque habitant a conscience d'appartenir à une même communauté. Cette oeuvre d'unité, vous l'avez accomplie avec pragmatisme, par la persuasion dans l'ordre sans doute, mais dans le respect des diversités ethniques et culturelles.\
En même temps, vous vous êtes attaqué avec résolution au sous-développement. L'urgence était là, puisqu'au moment même où déclinaient les cours de l'uranium, les pluies se faisaient rares. Vous perdiez les devises au moment même où elles auraient été plus que jamais nécessaires. D'autres auraient baissé les bras devant tant d'adversité et vous avez choisi la voie courageuse, celle de l'effort dans une rude conjoncture.
- Contre la menace de famine, vous avez fait appel à toutes les forces vives, vous avez pris des mesures novatrices, encouragé les cultures de contre saison qui ont permis de combler le déficit vivrier. Sous votre impulsion, s'est organisée dans chaque village une véritable mobilisation pour arrêter l'avancée du désert qui gagne encore beaucoup de terrain d'année en année, et parvenir peu à peu à l'autosuffisance alimentaire. Vous avez insuflé à vos compatriotes l'énergie qui leur a permis de vaincre l'épreuve d'une manière qui force l'admiration.
- Mais cela va plus loin. Grâce à vous, les pays confrontés aux mêmes difficultés savent que des solutions existent puisque vous l'avez prouvé. Ils pensent qu'il est possible de mobiliser, comme vous l'avez fait, les solidarités.\
Votre réussite prend une dimension particulière à un moment où la communauté internationale commence à prendre conscience de ses responsabilités vis-à-vis de l'Afrique. Responsabilités qui sont au demeurant des intérêts bien compris, car le monde industrialisé a tout à redouter d'un continent qui s'enfoncerait peu à peu dans la misère, menace fondamentale pour la paix. Et quel gâchis pour la croissance et pour les espérances ! Quelles atteintes à notre vision du développement de l'homme ! Certains progrès sont à noter, comme la mise en place du nouveau Fonds européen de développement, la création du Fonds spécial sur l'Afrique de la Banque mondiale, la huitième reconstitution de l'Association internationale de développement à hauteur de douze milliards de dollars. Ou même, si elle n'a pas répondu à tous les espoirs, la treizième session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, vous savez le rôle que la France y a joué pour l'Afrique et de quelle façon elle a été représentée par notre ministre de la coopération.
- Et voilà que maintenant, une priorité accordée à l'Afrique est désormais reconnue. C'est un immense progrès. Bien entendu, il convient de le traduire en acte, il convient de réunir les fonds nécessaires, il convient d'avancer hardiment au cours des années prochaines pour répondre à vos besoins.
- Pour ce qui nous concerne, vous le savez, nous nous sommes engagés à accroître la part que nous consacrons à l'Aide publique au développement, notre pourcentage est actuellement de 0,52 % de notre produit intérieur brut. Il est appelé à croître encore malgré nos propres difficultés auxquelles nous devons consacrer nos efforts, jusqu'au niveau de 0,7 % - recommandé par les Nations unies - que j'ai fixé à notre pays et dont je souhaite qu'il soit atteint dans des délais aussi rapprochés que possible.
- D'autre part, pour permettre aux pays africains endettés de faire face aux frais financiers qui étouffent leurs économies, la France s'est toujours déclarée prête, bien qu'elle soit, vis-à-vis de l'Afrique, un pays largement créditeur, la France ne refusera pas son aide ni son conseil, en tout cas sa solidarité. C'est ainsi qu'au sommet de Tokyo, elle a demandé une baisse des taux d'intérêts réels et la stabilité des taux de change afin que diminuent les pressions qui s'exercent sur les balances des paiements, afin aussi que les spéculations dont souffrent tant de pays du tiers monde ne puissent pas, en l'espace de quelques semaines, détruire les efforts de plusieurs années.
- Nous poursuivrons nos initiatives à l'OCDE, au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, dans toutes les instances où il existe une chance, en coordonnant les efforts du monde industrialisé et des Etats Africains, de démontrer que le sous-développement n'est pas un phénomène irréversible.\
Monsieur le président, dans une région où la nature se montre - je l'ai déjà souligné, mais, vous la vivez tous les jours - très austère, où les turbulences se forment sans cesse à ses frontières, le Niger, sous votre direction éclairée, apparaît comme une terre de stabilité et de sécurité.
- C'est sans doute la raison pour laquelle votre voix est l'une des plus écoutées au sein des organisations inter-africaines. Je veux, à cet égard, m'associer à l'hommage que vous a rendu l'Afrique lorsqu'elle a choisi pour Secrétaire général de l'Organisation unitaire africaine votre ministre des affaires étrangères. Bien peu de pays pouvaient espérer réaliser la synthèse, entre des aspirations contraires, parfois même contradictoires. Etait-il possible de mieux montrer l'attachement que porte l'Afrique au Niger et surtout la confiance dans sa sagesse et dans l'expérience de ses dirigeants ? Cette détermination, je le répète, vous la mettez au service de l'Afrique, vous êtes un homme de dialogue, vous travaillez au renforcement des solidarités régionales, au règlement pacifique des conflits. Sous votre présidence, le comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel a trouvé un souffle nouveau. Avec vos pairs de l'ANAD - nous savons qu'il s'agit de l'Accord de non agression et d'assistance en matière de défense - vous avez multiplié les démarches et les conseils, et finalement favorisé le dénouement heureux de l'affrontement armé entre le Mali et le Burkina Faso, deux pays qui nous sont également chers. Et nous souhaitons très vivement que, s'ils devaient reprendre les tensions, vos efforts puissent de nouveau être couronnés de succès.
- Cette préférence, qui est la vôtre, pour la conciliation, ne vous empêche pas de dénoncer avec vigueur les oppressions et les injustices dont votre continent est si souvent la victime.
- Je n'évoquerai pas l'ensemble des problèmes, je pense à l'Afrique du Sud, comment accepter l'apartheid ? Aucun d'entre nous ne l'accepte. Alors nous souhaitons, avec l'ensemble des pays d'Afrique noire et particulièrement de l'Afrique francophone, dans le -cadre des institutions et dans l'intérêt général, favoriser l'instauration d'une situation où les communautés de ces pays pourront enfin élaborer le dialogue nécessaire et mettre en place un système respectueux des droits de l'homme.\
Monsieur le Président, une relation privilégiée, comme celle qui unit nos deux pays, constitue je le crois, un atout de poids dans les compétitions et les tensions du monde moderne. Eh bien, et votre voyage en est le témoignage, travaillons à tisser des liens plus étroits encore, des solidarités plus fortes. Cela fait maintenant longtemps, des années et des années, que j'ai pu apprendre à vous connaître et prouver votre amitié, sa fidélité discrète mais intransigeante. Le Niger est un pays cher à nos coeurs, un grand nombre des personnes invitées ce soir autour de cette table sont venues avec joie parce qu'ils connaissent votre pays, parce qu'ils aiment ses habitants et parce qu'ils veulent servir les intérêts de la France, de même que les personnalités qui vous accompagnent entendent servir les intérêts du Niger en passant par cette amitié fondamentale avec la France.
- Monsieur le Président, madame, c'est le moment, maintenant, selon les traditions, que vous connaissez bien, de lever notre verre pour célébrer la santé de nos hôtes, de votre famille, des êtres qui sont auprès de vous ce soir avec nous, chacune et chacun d'entre vous, nos chers invités, vous avez des racines dans ce peuple nigérien. C'est à lui, en fin de compte, que j'adresse mes souhaits les plus chaleureux de paix, de bonheur et de progrès en reportant, madame, et vous, monsieur le Président, ces voeux sur vos personnes.\