15 juin 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la cérémonie nationale du 70ème anniversaire de la bataille de Verdun, notamment sur la construction européenne et l'unité nationale, Douaumont, dimanche 15 juin 1986.

Mesdames,
- Messieurs,
- A vous, anciens combattants de 1914 à 1918, venus pour vous souvenir, vous recueillir et porter témoignage, témoignage pour l'histoire, j'apporte le salut de la France.
- Je vous salue, vous qui célébrez, ici à Verdun, ce jour anniversaire, et je salue ceux qui n'ayant pu se joindre à nous repensent au passé, meurtris encore et cependant fiers d'avoir servi quand il fallait, et à quel -prix, notre patrie.
- Je salue les familles de France. Rares sont celles qui n'ont pas eu l'un des leurs engagé dans cette guerre, rares encore sont celles qui n'ont pas payé de la mort d'un être cher le sacrifice consenti.
- Salut à ceux qui, dans le monde entier, ont pris part au combat : Français d'Outre-mer, combattants des peuples d'Afrique du Nord, d'Afrique noire, d'Indochine, dont la contribution fut immense à la défense de notre liberté, de notre indépendance. J'en rencontre à l'occasion de voyages dans leurs pays. Ils y vivent entourés du respect des leurs. Je sais leur attachement à cette époque où le sang se mêlait sans que nul ne songeât à distinguer la différence et j'ai lu dans leurs yeux la fierté gardée du temps où ils luttaient dans nos rangs. Et je n'oublie pas nos alliés dont la présence sur d'autres fronts, fut également déterminante.\
Président de la République, me voici parmi vous, pour ce 70ème anniversaire de la bataille de Verdun, comme étaient venus mes prédécesseurs, il y a dix ans, il y a vingt ans. Cette continuité montre à quel point Verdun appartient à notre patrimoine, à notre communauté nationale. Beaucoup, l'essentiel sans doute, a dépendu du drame vécu en ces lieux, dans le sang et les larmes, de la résistance opiniâtre sans laquelle il n'y aurait pas eu la victoire ni la paix.
- Verdun, c'est le symbole de la grande guerre, même s'il y eut tant et tant d'autres combats, tant et tant d'autres drames sur cette ligne de front qui traversait la France de part en part, et qui devait bientôt, par les mers et les continents, tracer les tragiques frontières de la première guerre mondiale, dont l'Europe, quant à elle, ne s'est pas encore relevée. Je ne décrirai pas ce que fut la bataille qui, de février 1916 à septembre 1917, vit deux peuples s'affronter. Le récit en a été fait, replacé dans le mouvement d'ensemble et le déroulement général de la guerre, notamment par le Président de Gaulle, en 1966.
- Mais vous, anciens combattants, savez combien chaque mètre carré de cette terre a été disputé. Pas un coin, pas un recoin qui n'ait été le théâtre d'une lutte, jamais vraiment gagnée, toujours recommencée. Douaumont, fort de Douaumont, enjeu suprême de deux armées, tour à tour perdu, conquis, reperdu, reconquis, Vaux, Mort-Homme, côte 304, bois de Cumières, ferme de Thiaumont, Vaux-Régnier, Fleury, crête de Souville, tunnel de Tavannes, ravin des Fontaines et de la Carrière, bois d'Avocourt, massif de l'Oie... j'en passe, on n'en finirait pas d'égrener ces noms devenus synonymes du courage et de la peine des hommes, synonymes de la grandeur que peut atteindre un peuple quand il croit en lui-même et à ses raisons d'être.
- Comment imaginer, lorsqu'on mesure l'ampleur de l'enjeu, que le sort du monde, en tout cas de l'Europe, s'est décidé sur un terrain aussi étroit, aussi exigu, aussi rassemblé ?
- Rien ne peut rendre compte du calvaire vécu par les soldats de cette bataille-là, l'attente dans les tranchées, les multitudes clouées au sol, puis arrachées à elles-mêmes, les vagues d'assaut vite rompues, et dans le fracas des armes, la solitude, soudain, l'éternelle solitude de l'homme devant la mort.
- Oui, je vous salue, anciens combattants et je vous dis, sans élever la voix, que la France se souvient, que la France vous aime.\
Mesdames et messieurs, de ces événements, je voudrais en ce jour tirer au moins deux leçons.
- La première est que la paix demande, elle aussi, du courage. Je pense à Robert Schuman, dont on rappelle ce mois-ci la vie et l'oeuvre à l'occasion du centenaire de sa naissance. Il redoutait toujours d'avoir tort tant il était scrupuleux et pourtant, pour avoir avec Jean Monnet et d'autres illustres européens cru à l'Europe, c'est lui qui a eu raison. On le sait désormais, par-delà les difficultés qui s'attachent à toute ambition humaine, surtout si elle est grande : point de salut pour nos peuples hors de l'Europe, obligation de notre temps.
- Je me réjouis à cet égard que la réconciliation franco-allemande soit devenue réalité, qu'elle soit aujourd'hui la poutre maîtresse de notre politique en Europe.
- Habitants de Verdun, vous qui avez écrit sur vos murs : "Verdun capitale de la paix". C'est ce que j'ai voulu signifier, à mon tour, lorsque représentant de la nation, je me suis incliné en 1984 devant ce mémorial, d'un même mouvement que le chancelier de la République fédérale allemande.
- En ce 15 juin 1986, à Verdun, à Douaumont, m'adressant aux responsables des pays d'aujourd'hui associés dans la Communauté, je leur dis, je leur crie : "Faites l'Europe, parachevez l'oeuvre -entreprise. Il en va du sort de chacun de nos peuples. Nos patries sont capables d'être fidèles à leur histoire et d'exprimer leur vérité, tout en s'accomplissant dans cet autre patriotisme. Oui, faites l'Europe. Ne perdez pas un instant. L'histoire attend. La paix aussi".\
L'autre leçon est que Verdun ne fût possible et la victoire en même temps, que parce que la France a su, une fois de plus, se rassembler à l'heure du plus grand péril. Est-il donc nécessaire qu'il n'y ait plus d'autre choix que celui-là, la patrie ou la mort, quand la patrie devrait pouvoir être porteuse des espérances de la vie ? Que la France ne se rassemble-t-elle pas quand il est encore temps de bâtir sa grandeur et la démocratie ? Cela implique de la part des citoyens et plus encore des dirigeants, de tous les dirigeants, qu'ils aient conscience de leur devoir et qu'ils aient la pensée constante, au-delà des divergences et des oppositions légitimes, je dirais même nécessaires, de respecter les diversités et les minorités, le droit à la différence, de préférer toujours l'unité à la division, tout en recherchant, selon leurs convictions, ce qu'ils croient utile aux intérêts généraux du pays.
- Mesdames et messieurs, comment mieux méditer sur ces données de l'histoire de la France, comment mieux méditer qu'ici et tous ensemble en présence, devant et par le témoignage des anciens combattants de 14-18 `1914 - 1918` ? Oui, mesdames et messieurs, ces mots revêtent ici, une signification particulière, c'est leur grandeur, leur dimension :
- Vive la République !
- Vive la France !\