12 juin 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, au Conseil général des landes, notamment sur les compétences du département dans le cadre de la décentralisation, Mont-de-Marsan, samedi 14 juin 1986.

Mesdames et messieurs,
- Vous me pardonnerez mais vous me comprendrez j'en suis sûr si je vous dis que je me sens ici chez moi. Chez moi, chez vous, c'est une relation de voisinage £ chacun d'entre nous ici a pris racine. Je pourrais le dire dans toute la France, mais comment n'aurais-je pas un accent particulier lorsqu'il s'agit des Landes ? Vos paysages, vos habitudes, votre langage, vos visages, j'en reconnais ici beaucoup dans cette foule et j'ai grand plaisir à reconnaître aussi bien des élus dont je sais l'application, le dévouement et l'expérience. C'est avec eux qu'on fait la France, chaque jour, car il faut bien qu'ils connaissent tout du pays pour pouvoir répondre à ses aspirations. Et la plupart d'entre eux, vous le savez bien, sont reçus par la population comme ceux qui savent et ceux qui veulent même quand ils ne peuvent pas toujours. On sait qu'ils sont là, qu'ils aiment ce qu'ils font et qu'ils tentent pour le mieux de servir notre pays.
- Je m'efforce d'agir de même là où je suis. Je fais ce que je crois devoir faire pour le temps où j'ai à le faire. Est-il possible d'avoir une autre devise lorsque l'on a le privilège de disposer du suffrage populaire qui vous a confié une tâche ? Elle présente des aspects très agréables, je ne vous parlerai pas des autres. Et parmi ces tâches très agréables il y a celle-là : inaugurer un local nouveau joint aux anciens, sans déparer l'ensemble d'un quartier, tout en reconnaissant la marque de la modernité, des styles, des techniques qui naturellement varient d'une époque à l'autre, un immeuble où siègeront, où travailleront plus commodément les conseillers généraux du département des Landes, c'est-à-dire aussi où pourront venir les élus et les citoyens, pouvant venir parler avec une chance d'être entendus, une grande chance, de ceux qui dirigent le Conseil général des Landes et particulièrement du Président Emmanuelli.\
Vous avez eu raison de le rappeler cher ami `Henri Emmanuelli`, tout à l'heure : décentralisation, nom un peu barbare, marque tout simplement cette nouvelle responsabilité, forme supérieure de la liberté, acquise ou conquise par les élus locaux, essentiellement les élus régionaux et départementaux mais aussi les maires qui peuvent au travers de cette réforme, trouver à qui parler sans être perdus dans les méandres de l'administration parisienne. Et vous avez eu également raison de souligner que c'est la première réforme qui va dans ce sens, j'allais dire depuis toujours : le mouvement a été continu, à travers la monarchie qui s'est elle-même centralisée, aux travers des grands commis de l'Etat, dont le plus célèbre d'entre eux qui marque plus que d'autres cette tendance, portait eh bien le nom de Colbert, mais tradition tout aussitôt reprise par les révolutionnaires, les Jacobins qui donnèrent le ton à la Révolution, amplifiée par Napoléon Bonaparte et perpétuée par tous les régimes qui se sont succédés jusqu'à ce que, en 1981, il eût été enfin possible d'allier et la volonté politique des dirigeants élus et la volonté populaire.
- Je disais tout à l'heure, c'est une responsabilité nouvelle, elle n'est pas suffisante. Il faudrait poursuivre cette tâche et assurer de plus en plus dans un pays moderne le moyen, donné par les dirigeants mais en réalité ordonné par les citoyens, que chacun fût de plus en plus responsable dans son travail et dans sa vie. Après tout vous n'avez pas besoin de faire appel ni à Bordeaux ni à Paris pour tout ce qui touche à votre vie quotidienne, sur le -plan économique, social, culturel, et dans bien d'autres domaines. Et quand vous en avez besoin, vous le faites, et il est bon aussi, que, à Bordeaux, il y ait une assemblée régionale. Seulement voilà, le tempérament français, modelé à travers les siècles et la tentation normale de ceux qui, sortis des écoles pour cela, administrent et gèrent le pays. C'est au-delà de tous les discours, une volonté de rattraper tous les fils perdus et de récupérer un pouvoir qui sans doute doit rester en fin de compte à l'Etat, représentant et expression de la nation, mais qui, pour l'essentiel, doit rester à la disposition eh bien tout simplement de ceux qui fabriquent, créent, inventent, assurent par leur travail quotidien, la vie d'un département.\
`Suite à propos à la décentralisation`
- Enfin c'est fait. C'est fait et ça marche. Et c'est vrai que personne n'y pourra plus rien. Tant mieux, d'ailleurs : je ne pense pas que quiconque cherche à transformer ce nouveau pouvoir qui n'avait pas d'objectif politique partisan. Il a d'ailleurs profité, dans une première phase, à ceux qui s'étaient déclarés adversaires de cette réforme. Ils y ont donc pris goût, j'allais dire heureusement. Ce n'est pas une réforme politique dans le petit sens du terme, mais dans le vrai sens du terme : c'est une réforme essentiellement politique puisqu'elle organise autrement et mieux, je le crois, la cité, la cité où nous vivons, je veux dire la République, la République française. Je me réjouis donc de pouvoir par un acte sensible, aujourd'hui, de cette tribune et devant vous, célébrer la réussite d'une réforme qui marquera notre époque. Plusieurs d'entre elles qui continueront de marquer, ont été adoptées au cours de ces dernières années, ce n'est pas la seule, et là encore, nul n'y pourra rien. Mais celle-là, qui vous appartient, qui appartient à tous sans distinction, qui fait confiance à la capacité démocratique d'un peuple, qui dit à chacune, à chacun : voilà ce que vous pouvez faire vous-même, à partir de l'éducation, qui vous est donnée par les enseignants, dans vos écoles, avec une éducation généralisée, soit de caractère général, soit de caractère technique mais les deux se rejoignent, avec le développement des moyens dans tous les domaines universitaires et puis la grande connaissance sans passer par des études supérieures qu'acquièrent celles et ceux qui travaillent, et dont les mains sont une façon de marquer leur intelligence.\
Il n'y a pas non plus d'intelligence sans moyen de faire et d'agir : eh bien, que chacun de celles et de ceux dont je parle soit en mesure de dire sans mot, de décider tout simplement et croyez-moi plus ils décideront et moins ce sera ceux qui se trouvent à la tête, dont je suis, mieux cela vaudra. Etant bien entendu qu'il est un certain nombre de domaines qui touchent à la vie de la nation, à sa sécurité, à sa pérennité, à son harmonie, à son équilibre, et qui dépendent alors essentiellement de l'accord permanent entre le chef de l'Etat, les élus et le peuple, j'aurais pu dire tout autrement le peuple, ses élus et d'abord le chef de l'Etat.
- C'est ainsi que je conçois mon rôle : rien n'est plus important que d'assurer, dans les périodes troublées en particulier, - et la France n'en est pas économe, à quelque époque que ce soit - les capacités de rassemblement sur les grands objectifs dont dépendent la prospérité, les chances et la fraternité. Tout cela ne serait pas possible sans ce ciment de toute démocratie qui s'appelle la liberté. Alors, de ce point de vue comme des autres, croyez-moi, mesdames et messieurs, chers amis, je me sens investi par vous tous de la mission supérieure et inaliénable, celle qui consiste à veiller sur les libertés.
- Ici, dans cet immeuble, voilà c'est ce que vous aurez aussi à faire dans le domaine qui vous appartient, la gestion du département des Landes.\
`Landes`
- Ce département, si je ne l'avais pas aimé, je l'aurais sans doute moins fréquenté et lorsqu'il m'arrive une pensée de temps à autre de repos, de réflexion, de distance avec les fureurs de la vie quotidienne pour retrouver ou rencontrer à nouveau la beauté de la nature, sa force, - non pas sa sérénité, il y a des violences partout - mais l'enseignement des choses et l'amitié de l'homme, c'est là que je viens.
- En ce samedi 14 juin, une fois de plus, je serai donc venu parmi vous, demain je serai à Verdun pour célébrer le 70ème anniversaire de la bataille de Verdun. Un souvenir que je rappellerai, je suis moi-même né pendant la bataille de Verdun, et d'autre part quelques années plus tard, le temps d'une adolescence, c'est le 14 juin devant Verdun 1940 que j'ai été moi-même blessé et que j'ai connu à partir de là les grandes douleurs et le grand drame dont la France n'est pas encore sortie et que la France n'a pas suffisamment dominé pour comprendre dans la totalité de sa représentation qu'elle avait pour devoir d'élargir son horizon, c'est-à-dire d'aller hardiment vers l'Europe. Enfin on en parlera d'autres fois.
- Merci à vous toutes et à vous tous d'être venus me dire bonjour. Cela ne durera pas longtemps, je vais maintenant après quelques quarts d'heure, faire un tour en Chalosse. Je m'y plais, et puis je rentrerai coucher chez moi, tout simplement, là, du côté de l'océan, avant de reprendre demain matin la route où j'aurai bien besoin que votre pensée m'accompagne. Merci.\