12 juin 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la réception marquant la clôture de l'année de l'Inde, Paris, le 12 juin 1986.

Monsieur le Président,
- Mesdames,
- Messieurs,
- Vous vous en souvenez, c'était il y a juste un an, le 7 juin 1985, quand s'ouvrait l'Année de l'Inde en France et j'ai eu le plaisir d'en donner le signal aux côtés du Premier ministre de l'Union indienne, M. Rajiv Gandhi. Et nous voici de nouveau réunis, ce soir, dans ce Palais de l'Elysée. Je suis heureux de vous accueillir, monsieur le Président. Nous sommes réunis en cette fin de printemps pour célébrer l'achèvement du cycle de manifestations qui ont illustré cette Année.
- Pour célébrer comme il convient cet accomplissement, le meilleur symbole n'est-il pas cette autre année qui se prépare. L'Année de la France en Inde ?
- Madame Indira Gandhi, alors Premier ministre, m'avait parlé de ce projet, en 1982. Un festival de l'Inde en France. Elle avait le souci de donner au monde entier une image aussi exacte que possible de l'extraordinaire diversité du pays qu'elle dirigeait. Et c'est ainsi que la France a été le second pays qui a eu l'honneur, la chance d'être visité par les artistes et par les oeuvres de l'Union indienne de la façon que vous savez. Ce 7 juin de l'an dernier que j'évoquais, on a vu se dérouler, au Trocadéro, une de ces fêtes qui, chez vous, s'appelle "Mela". Hélas, Mme Gandhi n'était plus là avec nous pour inaugurer ce grand festival qui avait été son idée et qui était devenue la nôtre. Je me souviens que ce soir-là, alors que des centaines de milliers de Parisiens découvraient les couleurs, les sons, les senteurs de l'Inde, deux absences étaient comme les esprits de ces lieux, leur âme véritable : Indira Gandhi et Jean Riboud, qui de sa chambre d'hôpital regardait sur le petit écran de télévision la réunion de ses deux patries, sa mère spirituelle, l'Inde, pays de son épouse Krishna et la France.
- Nous ne sommes pas guéris de ces absences, mais telle est la loi de la vie, elle se nourrit de tout. Le nouveau Premier ministre de l'Union indienne est donc venu et en présence de Rajiv Gandhi, la fête a commencé à la mesure de l'immensité indienne, multiple, débordante de vitalité, de beauté.\
Il n'y avait pas que le pittoresque, celui de ces éléphants couverts de l'or du Rajasthan, de la présence de deux cent dix artistes de village qui, pour la plupart, n'étaient jamais sortis de leur pays. Tout cela illuminait nos jardins, nos fontaines d'une grâce, d'une force inoubliables, la force et la grâce de vos mythes qui, soudain, prenaient possession de nos mains.
- Chants, danses, expositions, colloques, festivals de cinéma, rencontres poétiques, l'année qui s'achève n'a pas connu de jour sans présence indienne. Je ne parle pas seulement des manifestations officielles, des centaines de manifestations spontanées, des manifestations spirituelles, commerciales et même culinaires, naïves ou savantes ont habité les villes et parfois les villages de France.
- Bref, nous n'oublierons pas cette visite, à la fois traditionnelle et tout-à-fait contemporaine : les grandes divinités sont venues à nous, les Ganesh, les Krishna gracieux, les terribles Kâli, sous leur forme de pierre sculptée, sous leur figure dansée. Les empereurs moghols avec leurs raffinements de cour, ils ont livré leurs miniatures, leurs musiques et l'admirable danse qu'est le Katnak.
- Et de l'Inde moderne, nous avons appris à approcher la maîtrise scientifique, l'art du film, celui du textile, de l'architecture. Tout cela qu'avait connu Le Corbusier et qui a marqué aussi notre propre culture : la pensée, la recherche, les technologies étaient là, probantes. Bref, les graines étaient semées, tout cela germe.
- Et c'est bien, vous vous en souviendrez, vous qui étiez là, ce que chantait dans la nuit le chanteur Babu Bay Ranpuhra du haut de la Tour Eiffel, quand s'achevait le "Mela", je le cite :
- "Mais voici le moment où je dois repartir
- Vers ma propre ville, laissant derrière moi
- Toute ma tendresse, tout mon amour, avec vous,
- Entre vos mains, dans vos mémoires".
- C'est à notre tour, et j'espère qu'en 1988, la France sera en Inde. Et nous nous efforcerons de vous apporter le meilleur de nous.
- En déclarant close l'Année de l'Inde, nous ne refermons pas un livre. Nous continuons d'en feuilleter les pages. Dans votre pays où l'on a si fort le sens du temps et des valeurs que le Mahatma Gandhi a pu élever le chant de Bankim Chandra Chatterjee "Vande Mataram" consacré à la Mère Patrie, à la dignité d'hymne de résistance, dans ce pays-là nous nous sentirons proches de vous.
- Pour conclure, je citerai quelques phrases ou quelques vers de ce beau chant :
- "Je salue la Mère
- Elle est le flot bienfaisant et le fruit délicieux rafraîchie par les vents du Sud
- Celle qui brunit quand mûrit la moisson
- Elle dont les nuits tressaillent à la splendeur des clairs de Lune.
- Son rire est heureux et sa parole est douce".
- Voilà une belle conclusion, enfin, elle nous est fournie par votre littérature. Voilà aussi une bonne façon de commencer l'année qui vient.
- Merci.\