27 février 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, lors de la remise des prix aux lauréats du Fonds départemental pour l'initiative des jeunes, Paris, Salle Wagram, jeudi 27 février 1986.

Je puis témoigner que ce qui vient de vous être dit est tout à fait exact. Lorsque François Dalle avait 17 ans, 18 ans, je le connaissais déjà. Nous étions étudiants ensemble et j'ai vu son départ dans la vie active, comme vous dites. C'était difficile, d'autant plus que la guerre, la dernière guerre mondiale, s'était chargée de compliquer encore les choses. Il a donc parfaitement expliqué, tout à l'heure, les conditions utiles pour mener sa vie, pour réussir son -entreprise et pour apporter quelque chose de plus à la société à laquelle on appartient.
- Voilà un exemple qui servira d'introduction à cette cérémonie de remise des prix aux lauréats du Fonds pour l'initiative des jeunes, cérémonie qui constitue pour moi un témoignage important.
- Ce témoignage a été apporté par les images qui viennent d'être projetées. J'ai pu voir des représentants de notre jeunesse recèlant vraiment d'immenses possibilités, des capacités d'invention, de création, d'imagination. Moi, je reconnais que je n'aurais pas pensé à peu près à tout ce qu'ils nous ont proposé.
- Les jeunes, c'est à vous, de dire ce que vous pensez de ce qui vous convient £ je ne vais pas le dire à votre place. Mais enfin, il me semble qu'après tout, la requête de la jeunesse qui apparaît comme la plus évidente, ce n'est pas d'en faire moins, ce serait plutôt d'en faire plus.
- En somme, la société ne sollicite pas assez les jeunes. Il ne faut pas croire qu'ils refusent l'effort. Je suis sûr qu'ils y sont prêts. Encore faut-il qu'il n'y ait pas de hiatus, de fossés infranchissables entre les jeunes et les adultes, je veux dire les adultes qui conduisent cette société et qui doivent essayer de comprendre les aspirations des plus jeunes, leur volonté d'entreprendre, leur soif de réussir. Et il faut le reconnaître, par ignorance ou par méfiance, on a souvent oublié qu'une société qui tourne le dos à sa jeunesse est fatalement condamnée au déclin. Alors, les occasions qui sont offertes à la jeunesse, par la société elle-même, de s'exprimer et de créer, c'est forcément une ouverture sur la vie et je pense que l'initiative que nous célébrons aujourd'hui est bien typique de cet effort.
- De notre côté - je veux dire du côté des pouvoirs publics - on s'est attaché à ce que la jeunesse trouve au mieux sa place dans le pays. L'essentiel, c'est à elle de le faire, encore faut-il l'aider. Alors, on a organisé la reconnaissance de formes nouvelles d'expression culturelle, des mesures d'insertion sociale, professionnelle, adaptées au besoin des jeunes et naturellement d'abord aux plus défavorisés d'entre eux.
- Bref, on a tenté un effort de solidarité plus grand qu'auparavant. Dans les cinq dernières années, pour leur insertion, deux millions de contrats de formation ou d'apprentissage, de stages de formation ou de travaux d'utilité collective ont été ouverts aux jeunes.\
Dans le domaine de la création, vous venez d'être témoins à l'instant de l'extraordinaire volonté de vaincre qui caractérise nombre d'entre vous. Et vous représentez bien la France. Grâce à vous et avec vous, notre pays reprend goût à l'entreprise. L'économie française se redresse. Ce que l'on a vu à l'instant n'y est pas pour rien. Sans doute, n'êtes-vous qu'à vos débuts, mais vous avez des aînés, à peine vos aînés, qui vous ont précédé et qui nous ont montré très souvent le chemin.
- Il s'est créé en France, en 1985, plus de 100000 entreprises £ on ignore ce chiffre, on est plus frappé par le nombre des entreprises qui disparaissent. Oui, en 1985, plus de 100000 entreprises ont été créées, un tiers de plus qu'en 1981, parce que nous avons patiemment, constamment encouragé ces créations d'entreprises. On a développé les aides de toutes sortes, comme celles qui s'adressent aux chômeurs qui veulent s'engager dans cette voie, qui veulent créer leur entreprise et pour lesquels des conditions tout à fait particulières ont été accordées.
- Les collectivités publiques ont apporté leur soutien dans le -cadre d'une décentralisation qui est la plus importante que notre pays ait connue - j'allais dire depuis toujours - en tout cas certainement depuis le XVIIème siècle. Nous avons affranchi l'acte d'entreprendre de multiples contraintes bureaucratiques. J'entends tous les jours - la période s'y prête - annoncer que l'on réduira encore ces contraintes. Nous avons fait beaucoup. Nous n'avons pas fait assez £ mais nous aurions eu moins à en faire si cela avait été fait avant. Les contraintes bureaucratiques sont dans le tempérament des Français, de l'administration, c'est comme cela. Il faut donc constamment que le pouvoir exécutif se défende et vous défende contre une tendance naturelle d'un esprit qui est centralisateur et bureaucratique. Cela ne présente pas que des inconvénients. Mais cela en présente certains et il faut s'en prémunir. Bref, il est possible aujourd'hui de créer son entreprise en moins d'un mois. Il fallait plus d'un an. Il est possible aujourd'hui de créer, seul, une société à responsabilité limitée. Il est possible aujourd'hui de préparer le financement de sa future entreprise grâce au livret d'épargne-entreprise.
- Nous avons aussi ouvert les portes de la création à des centaines de jeunes. C'est le cas, c'est l'histoire des fonds départementaux dont nous parlons aujourd'hui, qui sont le motif-même de notre rencontre. Je crois qu'on peut le dire, d'autres en ont témoigné avant moi : ces fonds ont permis que s'épanouissent les formes les plus diverses d'innovation et d'invention. Les exemples sont significatifs et il faut le reconnaître très variés.
- C'est une forme de redressement qui s'opère sous nos yeux, qui dépend strictement de l'esprit d'initiative, qu'il soit individuel ou qu'il soit collectif. C'est un pays en mouvement que le nôtre. A côté de la modernisation des secteurs industriels traditionnels, des grands groupes, nous voyons se multiplier les initiatives de toutes natures. Menées à petite échelle, elles contribuent à l'activité générale.\
Voilà pour le témoignage, mais cette cérémonie est aussi l'occasion d'une rencontre dans le sens exact du terme. Je suis assez sollicité de participer à des manifestations. Je pourrais y occuper mes journées. J'ai aussi mon travail. Il m'occupe pas mal. Pourquoi ai-je voulu me trouver parmi vous ? Précisément parce qu'il m'a semblé que votre action avait plus de signification que certaines autres. Alors, on a organisé cette rencontre ou plutôt je suis venu me joindre à la rencontre organisée autour de l'initiative des jeunes. Rencontre avec les entrepreneurs, ceux d'aujourd'hui, ceux de demain, ceux d'hier qui sont encore d'aujourd'hui, rencontre entre ceux qui créent les richesses et puis la jeunesse elle-même, dont vous êtes tout de même assez typiquement les représentants, qui est en soi une richesse à condition qu'elle soit bien orientée.
- J'ai souhaité aussi cette rencontre parce que la confrontation entre l'imagination et l'expérience me paraît essentielle. Il est bon que des jeunes puissent se lancer dans l'aventure économique mais en même temps, il faut qu'ils puissent mesurer, grâce à ceux qui les ont précédés, les responsabilités qui vont leur incomber.
- Qu'est-ce que l'entreprise ? Elle naît d'une idée et d'une volonté. L'idée sans la volonté, cela ne donne rien. Une volonté qui n'est pas guidée par une idée simple mais essentielle risque de tourner en rond. Cette idée et cette volonté sont celles d'un individu, tout seul, d'un petit groupe. J'ai vu plusieurs de ces débuts d'entreprise où on commence à deux £ puis déjà d'autres viennent collaborer £ bref, cela devient un projet collectif, une communauté humaine. Cela pose des problèmes pour chacun de ceux qui composent cette communauté £ cela impose des droits et des devoirs, des responsabilités sociales qui s'ajoutent aux responsabilités économiques, et donc la nécessité du dialogue, celle de la solidarité, la reconnaissance de ces droits, la reconnaissance de la dignité, des libertés à défendre. Bref, c'est toute une aventure fort complexe. Il faut s'y préparer. Projet économique, projet social, le culturel n'est jamais loin. A partir de l'innovation technologique, c'est aussi une certaine façon de voir et de comprendre les styles, les modes, les besoins esthétiques. C'est à partir de tout cela que cette aventure devient une aventure humaine, totale, globale dans sa complexité.\
Pour moi, cette rencontre a également valeur de symbole. Je voudrais que l'aide apportée à des jeunes par les entreprises ici présentes - et je les en remercie - s'étende à travers tout le pays. Je voudrais que ce qui a valeur d'expérience devienne un fait du temps présent pour des dizaines, des centaines de milliers de jeunes qui en ont besoin, à tous les stades de leur activité. Pour que la France soit plus qu'elle ne l'est aujourd'hui, un pays jeune, il faudra bien entendu, rénover notre système éducatif - on a commencé de le faire - développer la formation professionnelle, créer, multiplier les travaux d'utilité collective. Tout cela, c'est un travail dont nous avons la charge. Nous le menons de notre mieux. C'est forcément et justement critiquable. Disons qu'au moins, on l'a fait. Cela représente un progrès sensible pour beaucoup d'entre vous. On a créé des instruments pour faciliter la rencontre entre la jeunesse et les entreprises. On fait des jumelages écoles-entreprises. Ces jumelages se multiplient. Ils mettent en contact la jeunesse et le monde du travail étant entendu que quand la jeunesse est entrée dans le monde du travail, elle continue d'être la jeunesse mais elle acquiert aussitôt la mentalité, le sens des responsabilités des adultes, car le travail est par soi-même formateur. La formation en alternance offre aussi aux jeunes une première expérience d'activités intéressantes, c'est-à-dire qu'elle apporte les savoirs nécessaires pour les métiers que l'on fera, les vrais métiers et pas simplement les métiers que l'on ne fait plus comme cela existe encore trop souvent.
- Alors, il faut que les entreprises se saisissent de ces moyens nouveaux, qu'elles accueillent et qu'elles forment elles aussi, ces jeunes £ certaines le font, pas toutes, pas assez. Nous sommes, ensemble, responsables des destinées de ce pays. Quand je lis les journaux, j'ai toujours l'impression que c'est moi et moi seul £ je ne le récuse pas. Je ne récuse pas ce que j'ai à faire et j'assume ma responsabilité. Mais en vérité, c'est le pays tout entier qui doit un peu se retourner vers lui-même pour dire : "nous les Français, les Françaises, nous la France, qu'est-ce qu'on fait ?".
- Plus de 120000 contrats de formation en alternance ont été conclus et s'ajoutent au 110000 apprentis accueillis par nos artisans. C'est bien, les artisans ont fait un beau travail. Eh bien, il faut amplifier cet effort.
- Je vous le répète pour terminer, j'ai confiance dans l'esprit d'initiative de la France. Et si cet esprit d'initiative n'était pas d'abord celui des jeunes, alors de qui, je vous le demande ? On projette quand on a l'avenir devant soi. L'avenir plus qu'à d'autres vous appartient.
- Mais enfin, le mouvement est lancé, je suis sûr qu'il ne s'arrêtera pas. Permettez-moi de citer un homme pour lequel j'ai quelques révérances, il s'agit de Jean Jaurès. Voici ce qu'il disait - une phrase très brève - : "l'histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches, la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir". L'espoir, Jaurès l'appelait comme cela, cet espoir, pour lui, était nourri de ce que tout à l'heure j'appelais la liberté, la dignité, la volonté de réussir.
- Alors il faut que vous sachiez que ce sera difficile. Si vous pensez autrement, n'essayez pas. Et sachant que c'est difficile, il faut que vous ayez la conviction que vous en êtes capables, à force d'effort et de ténacité £ à partir de là, le monde vous appartient. Merci.\