13 février 1986 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée au "Courrier de la Nièvre", notamment sur les réalisations en faveur du département de la Nièvre et le bilan depuis 1981, jeudi 13 février 1986.

QUESTION.- Monsieur le Président de la République, merci tout d'abord d'avoir bien voulu répondre à nos questions. Vous vous rendrez dans la Nièvre le 14 février : visite amicale, visite officielle, quel sens donner à ce déplacement ?
- LE PRESIDENT.- Je viens très souvent dans la Nièvre, à titre privé, sans prévenir d'autres personnes que les amis à qui je rends visite. Le 14 février, c'est un peu plus officiel puisque je dois participer à diverses cérémonies et manifestations publiques. Mais cela reste d'abord amical, comme l'ensemble de mes relations avec la Nièvre et les Nivernais.
- QUESTION.- Votre élection à la Présidence de la République a suscité chez les Nivernais beaucoup d'espoirs, ceux même un peu irréalistes de voir la Nièvre se transformer en Silicone Valley.. Si de grands projets sont en très bonne voie, certains esprits chagrins affirment que la Nièvre aurait été oubliée ...." Est-ce votre avis ?
- LE PRESIDENT.- Il ne s'agit pas de faire de la Nièvre une sorte de département à part. Mais il fallait rattraper certains retards antérieurs à 1981. Beaucoup, beaucoup de choses ont été réalisées depuis 5 ans, et ce n'est que justice :
- Mise en oeuvre de l'électrification de la ligne SNCF Paris-Clermont par Nevers, accélération de la mise à deux fois deux voies de la RN 7 avec, notamment, le financement exceptionnel des déviations de la Charité et de Saint-Pierre-le-Moutier, la mise hors-gel du réseau départemental en cours, la réforme de la carte des aides à l'aménagement du territoire, l'informatisation-pilote de toutes les écoles de la Nièvre, l'installation d'un enseignement supérieur à Nevers (Institut du commerce et de l'informatique, antenne de l'Ecole nationale d'électromécanique de Nancy), l'installation de services publics ou para-publics à vocation régionale ou nationale à Nevers (Centre régional informatique de la direction des impôts) ou à Chateau-Chinon (Imprimerie de l'armée de terre), et les exemples sont nombreux.
- Savez-vous que 1,34 milliard de francs ont été affectés pour le logement dans la Nièvre en 5 ans ? Que les crédits affectés à l'éducation nationale, aux voies navigables, aux équipements sociaux avec, en particulier l'humanisation des hôpitaux et hospices, aux équipements culturels ont été considérablement augmentés, parfois même doublés ces dernières années ? Et puis, il y a aussi les projets industriels concrets, l'implantation de la scierie industrielle de Sougy par le Groupe Beghin-Say appelée à devenir la plus grande d'Europe, l'exploitation du gisement houiller de Lucenay-Les-Aix, et récemment, l'implantation du Groupe Kis à Clamecy ou la reconversion du site de Rhône-Poulenc dans cette même ville. Tout cela prouve, en tout cas, que la Nièvre n'a sûrement pas été oubliée depuis 1981.\
QUESTION.- Avant d'accéder aux plus hautes responsabilités de l'Etat, vous avez été durant 35 ans un élu nivernais. Cette expérience a sans aucun doute contribué à la mise en oeuvre d'une réforme aujourd'hui approuvée : la décentralisation. Le nouveau département est né, la région va devenir collectivité territoriale à part entière. Pour autant le débat département-région n'est pas clos. S'il devait à nouveau s'ouvrir, seriez-vous départementaliste ou régionaliste ?
- LE PRESIDENT.- Vous dites "le débat département région n'est pas clos..." Je veux bien, mais les lois de décentralisation ont tout de même tranché et réparti les compétences ! Il faut maintenant qu'elles entrent dans les faits, mieux encore, quantitativement et qualitativement, qu'elles fassent leurs preuves. Cela prendra du temps. Peut-être pourra-t-on les corriger, les améliorer. Toute oeuvre humaine doit être perfectionnée.\
QUESTION.- Depuis 1981, l'action de vos gouvernements a été considérable. Pensez-vous que les Français ont suffisamment conscience de ce bilan pour qu'il soit véritablement déterminant dans le choix des Français le 16 mars prochain ?
- LE PRESIDENT.- Si les Français ne votaient, le 16 mars prochain, que sur les bilans des deux gouvernements qui ont travaillé à mes côtés, je n'aurais pas de doutes sur le résultat de leurs votes ! Vous savez que les votes se déterminent sur bien d'autres choses. Ce bilan mérite d'être un élément déterminant du choix des Français.
- QUESTION.- Au cours de ces cinq années de mandat, vous avez beaucoup oeuvré pour la France, pays des droits de l'homme : solidarité, droits des immigrés, supression de la peine de mort. La réaffirmation constante de ces principes vous a sans doute coûté en popularité et elle laisse parfois à penser que le seul jugement qui compte à vos yeux est celui de l'histoire.
- LE PRESIDENT.- Non, la seule chose qui compte à mes yeux, c'est d'abord l'intérêt du pays, et c'est dans cette optique que je reste fidèle, par-dessus tout, à quelques grands principes. Est-ce que cela peut "coûter en popularité" pour reprendre votre expression ? Je n'en suis pas si sûr, et ça m'est égal si je fais mon devoir.\
QUESTION.- Il est reconnu qu'avec le général de Gaulle, vous êtes le Président qui a le plus agi pour un rayonnement nouveau de la France dans le monde. Après 5 années, quel bilan pouvez-vous dresser de cette action ?
- LE PRESIDENT.- D'abord l'Europe : il fallait apurer tous les contentieux - et ils étaient nombreux ! - et la présidence française l'a permis. Il fallait négocier un bon compromis pour l'élargissement à l'Espagne et au Portugal, et nous l'avons fait en gardant l'équilibre entre les intérêts de la France et ceux de l'Europe. Il fallait, enfin, offrir une grande perspective à l'Europe, tournée vers l'avenir et les technologies les plus sophistiquées. Nous sommes en -train de le réussir avec le projet Eurêka.
- Ensuite, le tiers monde. Nous n'avons cessé d'oeuvrer pour un accroissement de l'aide des pays développés au tiers monde et nous avons donné l'exemple : la part de notre PNB consacrée à l'aide au développement est passée de 0,36 % en 1981 à 0,55 % en 1985. Et sur toutes les scènes internationales, j'ai plaidé pour un dialogue Nord-Sud plus fructueux.
- Enfin, la paix avec le refus de la logique des blocs. Fermeté et dialogue, dans le respect de nos alliances, telle fut notre ligne de conduite.
- Tout cela a contribué, je le crois, au rayonnement de la France dans le monde.\
QUESTION.- Est-ce que le prochain Président de la République sera Nivernais ? Pour 7 ans ou pour 5 ans ?
- LE PRESIDENT.- La Nièvre est riche en hommes de qualité. Ce pourrait être un très bon choix... mais la France est grande !...
- QUESTION.- Pour conclure, monsieur le Président de la République, "Le Courrier de la Nièvre" est un titre qui évoque votre nom tant dans le département qu'en France. Au moment où une consultation importante préoccupe le pays, quel message pourriez-vous lancer tant aux Nivernais qu'aux Français ?
- LE PRESIDENT.- Oh, je tiendrai aux Nivernais le même discours qu'à tous les Français : débattez, discutez librement, c'est la loi de la démocratie. Mais soyez fiers des résultats de vos efforts, faites bloc pour défendre d'abord vos acquis sociaux (retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, diminution du temps de travail, augmentation considérable du montant des diverses allocations), mais aussi vos acquis économiques, notamment cette formidable victoire obtenue collectivement sur l'inflation, la baisse des prélèvements obligatoires enfin enclenchée, l'excédent de notre balance des paiements, l'arrêt de la progression du chômage, etc... Et continuez à regarder l'avenir avec confiance et résolution. Pour ce qui me concerne, là où je suis par la volonté du suffrage universel, je resterai le garant de ce qui est essentiel et qui nous unit.\