12 février 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la signature du Traité franco-britannique sur la liaison Transmanche, Canterbury, mercredi 12 février 1986.

Madame le Premier ministre, mesdames et messieurs,
- Il y a très peu de temps, j'avais l'honneur de voir à Lille Mme le Premier ministre et plusieurs membres du gouvernement britannique, ainsi que les initiateurs du projet, pour célébrer l'événement. Nous scellions notre accord, encore fallait-il, comme on le fait dans nos sociétés civilisées, parfaire cette cérémonie par la signature officielle d'un traité, ce que nous faisons aujourd'hui.
- Madame Thatcher a bien voulu rappeler la très belle journée ensoleillée de Lille. On sentait dans la population, et bien entendu parmi nous, une sorte d'allégresse, une grande satisfaction d'avoir permis l'aboutissement d'un projet très ancien, comme on vient de le voir.
- Et j'ai répondu avec le plus grand plaisir à l'invitation qui m'a été faite d'entreprendre ce deuxième et significatif acte de reconnaissance. Désormais la liaison "Transmanche" va entrer dans les faits et cela s'accomplit dans des conditions particulièrement agréables, à Canterbury, dans ces lieux que l'histoire a marqués.
- J'éprouve, et les Français avec moi, un sentiment particulier d'émotion et de respect. Nous avons pu un instant visiter la cathédrale, nous y avons trouvé beaucoup de traces de notre propre histoire française, mêlée à celle de l'Angleterre, la trace aussi de quelques grands hommes qui ont marqué votre histoire, notre histoire. Je vous remercie, madame, pour l'excellence de votre choix et je veux à mon tour, en termes tout à fait proches des vôtres, madame le Premier ministre, je le crois parce qu'ils expriment des sentiments semblables, à un moment important, vous exprimer toute la signification que mon pays attache à l'événement que nous vivons aujourd'hui.\
Ce traité que nos ministres des relations extérieures ont signé, c'est d'abord un acte de volonté de deux gouvernements, pour le présent et pour les années qui viennent. "Là où il y a une volonté, il y a un chemin", dites-vous en anglais, et je pense qu'il y a peu de maxime aussi bien appropriée à une circonstance comme celle-ci. La volonté de nos gouvernements, celle de nos entrepreneurs, celle des créateurs et des initiateurs du projet, toutes personnes qui ont travaillé pour que leurs dossiers soient prêts à la date du 30 octobre, et quel travail d'imagination, d'invention, de précision ! La volonté des experts, ingénieurs, juristes, diplomates, qui de part et d'autre de la Manche ont analysé ces dossiers, pesé les réponses apportées aux conditions fixées, proposé un choix, enfin rédigé le traité que nous venons de signer. Tout cela a abouti à cette belle, à cette grande cérémonie qui elle-même prélude, bien entendu, à une autre grande -entreprise qui s'inscrira dans le temps qui vient puisque nous aurons ajouté un puissant moyen de communication entre nos deux pays et une infrastructure propre à l'Europe, dans les toutes proches années, on peut dire dans les sept années qui viennent. Voilà un élément supplémentaire de rapidité dans les communications, de régularité, de sécurité.
- On en parlait depuis longtemps, vous venez de le rappeler, madame, de ce tunnel. On le commence enfin, mais parce que, je le disais à l'instant, on l'a voulu avec suffisamment de force et de persévérance. Et puis quand la France et la Grande-Bretagne s'accordent pour travailler ensemble, pour faire appel à leurs immenses ressources humaines et matérielles, elles peuvent faire de grandes choses. Je crois qu'il y a là un modèle qu'il convient de généraliser.
- Je crois qu'on peut dire sans exagérer que ce traité représente un jalon notable dans l'histoire de nos deux peuples. C'est une histoire tout à fait présente à notre esprit, on vient de le dire, trop même parfois, pourrait-on penser en constatant que nos compatriotes respectifs, fidèles à la mémoire de leurs héros nationaux, retiennent souvent plus volontiers les périodes d'affrontement que les heures d'entente cordiale.. On est en -train de réparer cela, au demeurant, il faut être juste. Je viens de voir à l'instant le tombeau de Odet Chatillon Coligny, le frère de l'amiral qui dut se réfugier en France, qui mourut je crois à Westminster, qui tint à être enterré ici même pour sa dernière demeure. La conservatrice qui m'a fait visiter la cathédrale m'a fait remarquer qu'il y avait, sur un des piliers, une peinture qui représente, surprise, Jeanne d'Arc. Cela montre qu'à travers le temps, ceux qui étaient des adversaires savaient reconnaître leurs mérites, leurs qualités. Cette histoire-là, il faut continuer de la faire. J'étais il n'y a pas si longtemps, avec mes compagnons de voyage, à Manston, c'est là que vous nous avez accueillis, dans un petit aéroport. Pour ceux qui comme moi ont vécu la dernière guerre mondiale, on sait ce que cela veut dire Manston, c'est un lieu très significatif où les luttes victorieuses et communes de la dernière guerre mondiale, surtout à un moment où on peut dire que tout le sort de la guerre, et donc de notre liberté, reposait sur la capacité britannique de résistance. Cela je ne l'ai jamais oublié, je ne suis pas le seul, mais enfin personnellement je ne l'ai jamais oublié.\
Enfin à Canterbury, je ne l'apprendrai à personne, ce sont des siècles de relations de toutes sortes que nous pouvons retrouver. A la fois le génie propre de l'Angleterre, oui un génie propre même si ce sont des pierres de France, même si le premier architecte était français, au total c'est une architecture anglaise. Comme quoi l'on peut se servir des mêmes matériaux et cependant le génie humain s'adapte à la terre et à la forme de culture. On me disait à l'instant, que nombreux étaient les visiteurs chaque année, quelques deux millions cette année, visiteurs et pélerins aussi car beaucoup songent à Thomas Becket. Ce meurtre a inspiré toute une littérature, a frappé les imaginations, a marqué un moment important de l'histoire, nos propres dramaturges s'y sont appliqué et quant au souvenir d'Eliott, il est dans nos mémoires.
- A la longue liste des événements qui ont marqué nos histoires nationales entrecroisées, les écoliers britanniques du XXème siècle, ceux dont nous avons traversé les rangs dans cette école, dont on me dit qu'elle a été créée au 7ème siècle, pour être renouvelée par le Roi Henri VIII, mais aussi les écoliers français du XXème siècle, devront ajouter la signature du Traité de Canterbury en ce 12 février 1986. Ils pourront ensuite passer très facilement des deux côtés de la Manche, cela leur paraîtra une chose tout à fait normale et quand on leur rappellera la cérémonie d'aujourd'hui, ils la trouveront singulière, ils diront "mais, comment, il a fallu tant de temps pour y parvenir ?" Il en est ainsi de tous les progrès. Puis enfin je pense que ce lien fixe, comme on dit, pourra servir la cause de l'Europe. Ce qui se passe dans votre pays et de ce qui se passe en France, n'est jamais indifférent au devenir de l'Europe.
- N'ayons pas la vanité de penser que tout commence là, mais beaucoup de choses commencent là, à partir du moment où nos deux pays s'entendent. L'expression habituelle en France c'est dire une première pierre, je ne sais pas si ce sera une pierre, mais bientôt viendra le moment où le lien fixe "Transmanche" prendra réalité dans le paysage géologique de notre terre.
- J'y suis personnellement très sensible, je tiens à vous remercier, madame, des efforts que vous avez faits dans ce sens. Votre rôle a été, c'est vrai, déterminant. Je remercie également les ministres des relations extérieures, du Foreign office, et les ministres spécialisés qui ont suivi tellement bien ce dossier. J'en aurai terminé, madame, en disant que ma pensée va pour célébrer le Royaume-Uni, lui souhaiter tout ce que l'on doit et peut lui souhaiter, de réussite, de chance, en vous disant, au nom de la France, combien cette hospitalité nous séduit.\