17 janvier 1986 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le bilan des grandes réformes sociales, économiques et l'action pour les libertés, Le Grand-Quevilly, vendredi 17 janvier 1986.

Mesdames,
- Messieurs,
- Chers amis,
- En vous voyant si nombreux, si forts, les premiers mots qui me viennent instinctivement à l'esprit sont pour vous dire : je suis heureux d'être avec vous. Je suis heureux de vous retrouver.
- Mais "nous retrouver", après tout, nous ne nous sommes jamais quittés ! Quels qu'aient été les événements, souvent difficiles, les risques, les obstacles, vous avez été là, présents, fidèles au rendez-vous de la France avec les autres, avec elle-même. Et c'est encore par vous que je m'adresse, ce soir, aux Français, à tous les Français, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, et ceux - voyons, comment dit-on ? - "P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non " Tous ensemble, ils sont la France £ avec les uns, avec les autres, je parlerai le même langage.
- Mesdames, messieurs, chers amis, si je voulais, d'une formule, résumer notre effort depuis bientôt cinq ans, les responsabilités qui sont nôtres, les problèmes de gouvernement, les débats de société, si je voulais résumer d'une formule tout cela, je vous dirais, le mot a déjà été employé à bon escient : oui, grandes réformes, et bonne gestion. Et les grandes réformes, souvent dénoncées comme facteur de trouble ou de déséquilibre, croyez-moi, les grandes réformes, elles ont été la condition nécessaire de la bonne gestion. Et c'est la bonne gestion qui permet aujourd'hui de mesurer à quel point ces réformes sont désormais assimilées par le peuple français, au point qu'il ne désire pas les changer.
- Une bonne économie ? Après tout, une bonne économie ne peut reposer - combien de fois l'ai-je dit pendant toutes ces années ? - ne peut reposer que sur un sentiment de justice sociale, de paix sociale. Et la justice et la paix sociales, elles ne peuvent être simplement le cadeau du hasard. Il faut que l'immense majorité de notre peuple, et d'abord le peuple qui travaille, le peuple de ceux qui produisent, sente que les réformes si longtemps attendues sont maintenant entrées dans les faits, dans nos moeurs, dans l'histoire.
- C'est de cela que je vais maintenant vous parler, en commençant par les grandes réformes sociales £ ensuite, je parlerai des grandes réformes de liberté, et puis des réformes économiques, avant de passer à d'autres sujets pour conclure.\
Les réformes sociales : elles ont été critiquées, il faut le dire, dénoncées constamment, présentées comme si, en vérité, elles avaient pesé si lourd sur les finances de la France qu'elles auraient été inutiles, sinon même dangereuses !
- Or, je tiens à vous rappeler que ce que l'on a appelé la relance de 1981 a été moitié moindre que celle de 1975, et qu'en vérité aussi, les réformes de 1981 ont été faites pour servir à quelque chose. Tandis que celles de 1975, il faut le dire, sans tomber dans la polémique, n'ont strictement servi qu'à alourdir le poids de nos endettements et de nos déficits.
- Alors à quoi, dans le concret - certains s'interrogeaient déjà et, bien entendu, je leur répondrai - ont servi ces réformes dont je parlerai un peu plus loin ?
- Les données simples, oh, je ne vais pas vous fatiguer avec des pourcentages et des chiffres : tous ces débats où l'on s'oppose des données abstraites ont quelque chose d'insupportable. Mais quand même le SMIC, une augmentation de 15 % en valeur réelle, il ne le fallait pas ? On a eu tort ?
- On a été dénoncé pour cela. Aujourd'hui encore, on nous montre du doigt en disant : "Oh ! cette première année qui a été si lourde ". Il ne fallait pas augmenter les plus bas salaires ? La preuve en est aujourd'hui on murmure que d'autres s'empresseraient d'y toucher, mais ils n'osent pas le dire !
- Les allocations familiales pour deux enfants, plus de 46 %, les enfants handicapés, plus de 57 %, les adultes handicapés, plus de 25 %, le minimum vieillesse, plus de 25 %, l'allocation logement, plus de 30 %. Alors, pour ceux qui disent à quoi bon, fallait-il renoncer ?
- Si longtemps on avait attendu ce moment qui permettrait à une majorité de progrès de réaliser un certain nombre d'engagements qui étaient dans la conscience populaire et qui ne pouvaient être réalisés ... Le faire ou ne pas le faire ? Aujourd'hui on nous dit : "Mais il n'est pas question de toucher désormais à ces acquis sociaux ". Je pense que c'est une heureuse réponse à l'interrogation que je formulais récemment, y compris dans les voeux de Nouvel An que je vous adressais. Oui, c'est vrai, on n'ose pas y toucher, du moins on n'ose pas menacer. Mais nous, avons-nous eu raison ou tort d'aider les catégories les moins favorisées ?
- Et pour quoi faire ? L'énumération est dans toutes les têtes : c'est la cinquième semaine de congés payés £ c'est la retraite à 60 ans £ c'est le livret rose £ c'est l'épargne populaire valorisée... La liste est si longue ! Mais je ne vais pas récapituler tout cela, j'ai bien d'autres choses à vous dire. Simplement, j'ai constaté qu'un certain nombre de responsables ont, à l'époque, jugé bon d'être contre chacune de ces mesures. C'est une victoire, non pas sur eux - je ne cherche pas de victoire sur d'autres Français - mais c'est une victoire du bon sens, du sens de la justice, et peut-être aussi de la volonté populaire, le fait qu'aujourd'hui, au fond, plus personne n'ose dire carrément : tout cela, on va le balayer.
- Et pourtant, c'est bien à cause de cela qu'on nous poursuit depuis près de cinq ans d'une critique ou bien violente ou bien insidieuse, c'est bien à cause de cela que l'on prétend que désormais tous nos efforts seraient employés à réparer nos erreurs du début, alors que nous avons assez à faire, croyez-moi, pour réparer les erreurs d'avant !
- Or, ils étaient contre £ cela se pardonne £ ils étaient contre, on était pour. Oh ! Ils étaient contre, "p'têt ben que oui, p'têt ben que non " Qui le saura ? J'espère bien qu'on ne le saura jamais.\
Mais là ne se sont pas arrêtées les réformes sociales : je citerai les droits des travailleurs, ce qu'on appelle les lois Auroux, auxquelles on commence à s'habituer dans les entreprises £ elles sont de plus en plus nombreuses à mettre en oeuvre ce moyen donné aux travailleurs de s'informer, de discuter, de dialoguer, de prendre part, mais de prendre part de la meilleure façon, en restant ce qu'ils sont, en étant considérés comme des citoyens dans l'entreprise.
- Cela, ce sont de bonnes réformes sociales, de grandes réformes sociales. L'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, depuis combien de temps évoquait-on cette idée ? Et nous ne sommes pas parvenus au terme, on le sait bien, mais malgré tout, aujourd'hui, on peut prétendre que cette égalité est en marche, qu'elle a fait d'ailleurs beaucoup de progrès et que ce qui reste à faire, nous nous en croyons capables, peut-être plus que d'autres.
- Ces réformes sociales, elles ont une valeur d'indication. Cette majorité de progrès, voulue par le peuple en 1981, elle a tout de suite voulu justifier l'espérance, remplir ses engagements, faire son devoir à l'égard du peuple. Aurait-il fallu, pour répondre aux conseils de quelques sages, très peu de sages, tourner le dos tout aussitôt à ce qui représentait le meilleur de l'espérance populaire ? Il n'en était pas question ! Et j'ai chaque fois répondu - Président de la République comptable des actes principaux accomplis depuis ces cinq années - j'ai constamment dit que nous resterions logiques avec nous-mêmes au service du peuple. Et s'il est des points sur lesquels nous sentons bien que nous n'avons pas abouti, ou bien qui ont semé le doute ou l'inquiétude, particulièrement dans les milieux populaires, c'est le moment de s'en expliquer.\
Et puis je pense à un aspect, non pas mineur, mais qui ne sera pas assimilé aux grandes réformes, la matière fiscale.
- Tout de même, 98 % des Français paieront en 1986 moins d'impôt sur le revenu qu'avant 1981 £ 500000 foyers en ont été exemptés £ l'impôt sur les grandes fortunes a été adopté £ la taxe professionnelle a été aménagée, et nous n'en étions pas les auteurs, car nous avions voté contre quand cette loi a été soumise à l'attention du Parlement £ la tranche à 65 % pour les revenus les plus importants, qui frappe 130000 familles, à partir d'un salaire qui atteint 55000 F par mois, cela est supportable.
- Et pourtant, que de protestations, que de colères, que de campagnes puissamment orchestrées ont tenté de nous frapper, de vous frapper vous tous, de frapper les Français ! Nous étions, nous, coupables d'avoir imposé des réformes de justice. Et même, je pense que nous n'étions pas encore allés assez loin !
- Mais que nous opposait-on ? Oh... Je ne voudrais pas être trop dur dans mon expression, mais je pense que beaucoup de Français qui se sentent pencher du côté de la droite, du côté conservateur - ils en ont bien le droit, c'est aussi une des grandes traditions de la société française - beaucoup d'entre eux sont généreux et n'approuvent pas tous les excès que l'on veut commettre en leur nom. Eh bien, je le dis : il serait tout à fait triste, pour la France, qu'à tout ce que nous voulons faire s'oppose le programme des riches contre les pauvres, le programme des privilèges contre le peuple, celui des privilèges contre les travailleurs !
- Je vais prendre quelques exemples, c'est très simple. Supprimer l'impôt sur les grandes fortunes. Bon, cela fait 5 à 6 milliards de moins, il faudra les prendre ailleurs. C'est pour cela que mon expression n'était pas simplement "le programme des riches contre les pauvres", mais aussi le programme des riches contre cette masse de gens moyens, depuis les cadres jusqu'aux petits commerçants, aux petits paysans qui, malgré tout, ont été épargnés, d'une certaine façon par l'augmentation des impôts, même s'ils n'en ont pas toujours pleine conscience, et qui n'acceptent pas que pour les plus fortunés - et, parmi ces plus fortunés, il en est qui pensent comme moi, j'en suis sûr - il y ait comme une sorte de mouvement de revanche des riches contre les pauvres !\
Tenez, toute loi qui viendrait, demain, faciliter le licenciement des travailleurs abrogerait une loi qui remonte à beaucoup plus loin que la gauche, qui a donc paru nécessaire à ceux qui étaient issus des rangs de la Résistance, ou qui avaient vécu en pleine communauté avec notre peuple dans la peine et dans la douleur, qui étaient restés fidèles à cet engagement. Faciliter le licenciement, qui déjà obéit à des lois, à des contrôles corrects dont on peut accélérer certaines procédures, songer à abroger des lois de cette sorte, oui, c'est aussi les forts contre les faibles ! C'est encore les riches contre les pauvres ! Qui subira ces conséquences ?
- Je pense aux lois que je rappelais tout à l'heure, les lois dites Auroux. Va-t-on ou pourrait-on supprimer cet acquis d'hommes et de femmes qui, dans l'entreprise, ont désormais acquis un droit, un droit juste, un droit conforme à la tradition de notre pays, qui ne bouleverse pas les rapports à l'intérieur de l'entreprise ? Il y a celui qui dirige, il y a ceux qui travaillent en exécutant, il y a ceux qui remplissent un rôle intermédiaire : nous n'avons pas transformé cette donnée.
- Cela fait longtemps que nous avons dit que nous travaillons à une société d'économie mixte en connaissant fort bien ce que cela pouvait représenter... Mais demain, ces travailleurs, dans les entreprises, et particulièrement dans les entreprises nationales, qui pourraient ne plus l'être, ils vont être privés de ces droits ?
- Je pense aux dénationalisations, et je n'aborde pas ce problème sous l'aspect, disons, purement économique, j'en dirai un mot dans un instant. Mais, à cet endroit-même de mon exposé, si on dénationalise de grandes entreprises, nécesaires à la nation, qui pour la plupart étaient déficitaires en 1981, qui pour la plupart deviennent bénéficiaires - c'est intéressant d'acquérir une entreprise qui marche bien, ce n'est pas très intéressant d'acquérir une entreprise qui marche mal... - on peut imaginer qu'une entreprise qui marche bien va se trouver au marché des enchères ... Et qui peut acheter ? Le plus riche ou le moins riche ?
- On va jeter l'encan, comme cela, toute une série d'entreprises que nous avons jugées - et que l'opinion juge - nécessaires à la vie de la nation parce qu'elles touchent à sa sécurité, parce qu'elles permettent à la France de disposer d'un moyen de concurrencer les pays étrangers ? Alors, est-ce qu'on va donner aux plus forts, aux plus riches de France, ou d'ailleurs, le moyen de conquérir ces places fortes dans l'économie française ?
- Je pense, par exemple, aux télévisions. Songez que si plusieurs chaînes de télévision étaient rendues au secteur privé, ces sociétés privées ne rempliraient pas les obligations d'un service public. Un service public est obligé de répandre partout les images, même si cela ne lui rapporte rien - mais enfin, il a d'autres sources de financement - Il faut qu'il implante ses moyens de communication sur le sommet des hautes collines, dans la profondeur des vallées. Bref, il faut qu'il remplisse la surface de la France. Une mesure de dénationalisation comme celle-ci fera que 20 % des Français n'auront plus les images de la télévision. Cela parait absurde, et c'est pourtant comme cela !\
Alors, comme je n'ai pas l'intention, dans ma qualité présente, de dresser les Français les uns contre les autres, je me contenterai de m'adresser aux femmes et aux hommes qui n'approuvent pas notre politique en leur demandant de se donner encore le temps de préciser leur pensée, de mesurer ce qui est un juste acquis, un progrès, quelque chose qui sert le plus grand nombre, et en leur demandant de corriger ou de réduire des exigences qui, rapidement, se révèleraient insupportables.
- Je suis sûr qu'il existe assez de Français, dans tous les camps, pour considérer avec la plus grande gravité l'importance des deux mois qui nous séparent des élections législatives, c'est-à-dire qui nous séparent de choix déterminants.
- Je ne me suis jamais senti l'ennemi de personne, à plus forte raison depuis que j'ai la responsabilité de tout le monde. A l'égard d'aucun Français je ne voudrais être contraint de refuser la main. Même si parfois j'en ai l'envie, je m'en garde. Il faut prendre sur soi, dans l'intérêt de la France, de la communauté nationale, pour considérer les autres et pour les respecter. Et je dis à l'actuelle majorité : veillez-y vous-mêmes, évitez tout excès, évitez d'accroître les incompréhensions qui sont déjà le fond de notre histoire depuis si longtemps. Comprenez les besoins des autres, leur pensée, leur idéal - car ils en ont, pour la plupart - et retournez-vous de leur côté pour leur dire : faites-en autant !
- Voyons, nous sommes d'honnêtes gens ! Depuis bientôt cinq ans, la France a accordé sa confiance. On a fait le meilleur de ce qu'on pouvait faire. Alors, respectez-nous ! Et si ma voix peut être entendue jusqu'au moindre village, je souhaite qu'à la fin de cette épreuve démocratique et nécessaire, la France, quel que soit son choix - c'est son affaire et je le dis, je le répète ici - se sente encore heureuse. Et je souhaite que non pas par des arrangements, non pas par des compromissions non pas par des compromis de "dessous de table", chacun étant ce qu'il est, le restant, s'affirmant, il reste quelques domaines dans lesquels les uns et les autres se retrouveront en France.\
Et s'il y a eu de grandes réformes sociales, de grandes réformes de liberté, faut-il encore évoquer ici - elles sont contestées, mais raison de plus - les grandes réformes judiciaires ? Oui, l'abrogation de la peine de mort, je sais bien qu'une majorité de Français est réservée, même hostile. J'avais prévenu, nous n'avons pris personne par détour. Notre devoir est d'avancer le front haut et la parole libre. Nous ne pouvons pas prétendre plaire à tous, et lorsque nous avons une conviction profonde, alors, notre devoir, c'est de la respecter. Eh bien ! Je pense que les grandes réformes de liberté qui ont touché à la matière judiciaire, qui ont mis de côté toutes les juridictions d'exception, qui ont modifié certains aspects très graves de la législation dans ce domaine, je pense que c'est quelque chose qui restera comme un point d'orgue et que les générations suivantes diront : après tout, ceux-là, ils ont eu le courage de le faire !\
Voyez l'audiovisuel. On la connaît bien, la tentation des gouvernements : il suffit de tendre la main, il y a les télévisions et les radios £ elles étaient entièrement sous la coupe de l'Etat. Ah ! il faut une grande vertu pour résister. Qui disait qu'on résistait à tout, sauf à la tentation ? Eh bien, nous avons voulu nous prémunir contre ce défaut que je n'appellerai pas démocratique, c'est le contraire, mais qui était entré dans nos moeurs.
- Nous avons créé la Haute Autorité de l'audiovisuel, nous avons donné la liberté aux radios. Il y en a aujourd'hui - je le disais il n'y a pas si longtemps - il y a 1400 radios privées. On me disait cet après-midi : mais non, il y en a déjà 1600. Je me demande même si elles ne finiront pas par s'embrouiller !...
- Les télévisions, quel combat ! Quelles dénonciations à propos de cette fameuse cinquième chaine ! Mais enfin, la cinquième chaine, elle ne retire rien aux quatre autres ! Et sur les quatre autres, il y en a une qui s'appelle Canal Plus, que nous avons aussi autorisée. Il y en avait trois, il y en a cinq, il va y en avoir une sixième, et puis, il y en aura une septième l'année prochaine, à la même époque. Il y en aura sept. Et puis, quand il y aura le cablage un peu partout, comme c'est déjà le cas dans une commune des environs de Paris, on pourra recevoir les images de quinze, seize, vingt télévisions du monde. Faut-il s'en plaindre ?
- Bien entendu, ceux qui ont dans la tête que l'Etat doit dominer les réactions, les opinions et les former, ceux qui n'ont pas abandonné l'idée que le peuple devait être conduit d'une main ferme et qu'il devait aller, le cas échéant, là où il ne le voudrait pas, mais là où le veulent ceux qui gouvernent, bien entendu, dans ce cas on s'en plaint : il ne faut pas de radio, il ne faut pas de télé ! Maintenant, bientôt nous aurons trop de chaines, dira-t-on. Où est le risque ? Le seul risque, mes chers amis, est celui qui peut atteindre une liberté !\
Les grandes réformes de liberté, qui ne sont pas toujours considérées comme de grandes réformes, mais ce sont des mesures difficiles, des mesures importantes, comme celles qui ont été prises pour protéger les immigrés lorsque ces immigrés se sont soumis aux lois : une polémique s'est engagée à leur propos et nous avons dit des choses simples. Ceux qui ont eu recours à l'hospitalité de la France pour y apporter en échange le concours de leur travail, ceux qui sont en conformité avec nos lois et nos règlements, ils sont les bienvenus. J'ai même dit une fois, rappelez-vous : ils sont ici chez eux !
- Les autres, eh bien ! Les autres, comme les citoyens français qui ne respectent pas la loi, ils sont passibles de mesures, naturellement. Et ces mesures, lorsqu'on est étranger, qu'on vient en France sans y être autorisé, cela consiste tout simplement à revenir à son point de départ. Qu'y a-t-il d'anormal à tout cela ? Et on se demande comment il a été possible que, dans des esprits assez torturés, on ait fait de ce sujet-là un objet de polémique électorale, un conflit politique, une chance de croître dans les suffrages, une exploitation de la misère, une volonté de rompre ou d'araser dès le point de départ les fraternités futures.\
Nous avons élargi l'espace de liberté. Croyez-vous qu'on n'élargit pas les libertés, l'espace de liberté, par le savoir en facilitant l'accès au savoir, en donnant l'égalité des chances à tous les enfants par toutes les mesures prises pour l'instruction ?
- On a quelquefois, dans certains milieux, tendance à brocarder l'action très remarquable, à mes yeux, de Jean-Pierre Chevènement en disant : "Mais l'instruction civique à l'école .... la Marseillaise à l'école...." ! Mais nous sommes un vieux peuple, mesdames et messieurs. Nous baignons dans l'histoire, nous avons encore la tête farcie de souvenirs héroïques ou grandioses, de grandes douleurs. Notre histoire, c'est aussi une part de notre vie ! Frapper l'enfance ou la jeunesse d'une sorte d'interdit de connaître son histoire, et aussi ce qui l'a fait, les vertus qui ont fait cette histoire, oui, les vertus civiques, c'est une sorte d'atteinte à la nation.
- Et je crois qu'on a bien fait de restituer, d'une génération à une autre, cette chaîne indispensable des grandes traditions, mais d'une façon beaucoup plus pratique, qui paraîtra plus moderne. Après tout, ce n'est pas rien que le plan de l'informatique pour tous. Le fait qu'aujourd'hui, dans chaque école - et ceux du village ou du quartier qui veulent également s'instruire à ces nouvelles disciplines le peuvent - que dans chaque école désormais, on puisse commencer à accéder à une connaissance de nouvelles matières, à une certaine façon de les aborder, à un nouveau langage, peut-être à une nouvelle culture, et que dès l'âge de 6 ans, 7 ans, 8 ans, jusqu'au jour où ayant gravi tous les échelons scolaires, eh bien, le fait qu'aujourd'hui dans chaque école on se trouvera en mesure, étudiant dans un collège ou un lycée technique, d'avoir un métier dans la tête, un métier dans les mains, ça, c'est une des plus grandes réformes.
- De même la loi sur l'enseignement technique. Nous avons rendu sa pleine valeur au travail des mains que dirige naturellement l'esprit. Et l'esprit, qu'est-il lui-même si les mains ne le servent pas ?\
Quant aux grandes réformes économiques, elles sont nombreuses, mais je préfère les ramasser, dans une vue aussi simple que possible, autour de la notion de bonne gestion. J'ai dit : grandes réformes, bonne gestion, et je n'ai pas dit : "Il y a eu un premier gouvernement qui était celui de Pierre Mauroy qui a fait de grandes réformes mais une mauvaise gestion, puis un gouvernement de Laurent Fabius qui a fait une bonne gestion, mais pas de réformes".
- On voit très bien l'esprit critique. Après tout, l'esprit critique est souvent salutaire. Mais je suis là quand même pour que les choses soient comprises du bon côté.
- En vérité, les grandes réformes ont permis la bonne gestion et c'est la bonne gestion qui justifie les grandes réformes. Il y a donc eu continuité d'un gouvernement à l'autre.
- L'exemple le plus significatif de cette bonne gestion, je le vois dans la victoire - il faut le dire, le mot peut paraître un peu fort - j'ai failli dire "succès", mais je crois que c'est une victoire, une grande victoire - la victoire sur l'inflation. Et je veux vous en faire saisir l'importance. Vous savez où on en est ? Depuis maintenant six mois, le rythme de l'inflation, c'est-à-dire de la hausse des prix, est de 2,5 % l'an.
- Et nous avons fixé comme objectif pour 1986, raisonnablement, puisque c'est déjà là, 2,5 %. Il faut se souvenir que nous avons hérité de près de 14 % en 1981, et qu'en dépit de nos dépenses sociales de 1981 - 82 `1982`, celles qu'on a tant critiquées, l'inflation a constamment baissé d'une année sur l'autre : un peu plus de 9 %, un peu plus de 6, et voilà que nous en sommes aujourd'hui au chiffre que j'ai dit. C'est le meilleur résultat, vous a dit le ministre de l'économie et des finances `Pierre Bérégovoy`, atteint depuis 1967, c'est-à-dire depuis 18 ans.
- Depuis quatre mois, c'est un résultat comparable à celui de l'Allemagne, toujours représentée comme un modèle et elle le mérite. Le même résultat que l'Allemagne fédérale depuis 4 mois. Vous savez bien que ce qu'on appelle le différentiel ou la différence de l'inflation avec nos principaux concurrents a été l'une des causes de nos plus grandes difficultés économiques.\
Je vais vous énumérer, mais très rapidement, la série de conséquences surprenantes que peut nous amener la victoire sur l'inflation.
- Parce que l'inflation baisse, le pouvoir d'achat peut enfin augmenter. En 1985, c'est déjà 1 %. En vérité, le pouvoir d'achat sur 5 ans, au total, et en moyenne, n'a pas baissé, mais c'est une notion mal perçue par l'opinion publique qui a surtout remarqué, au cours des deux dernières années, avant 1985, qu'il y avait eu une légère chute de ce pouvoir d'achat et qui n'a pas toujours saisi l'importance que représentait la chute de l'inflation. Car, après tout, faut-il avoir beaucoup de billets dans sa poche, en les amputant chaque année de 14 % comme en 1981, ou bien en avoir disons le même nombre mais ne s'en faire reprendre que 2,5 % ? La différence sensible entre le pouvoir réel, la valeur réelle de cet argent, de ce salaire, et les prix, n'est pas encore assimilée tant on a souffert, et pendant si longtemps, de cette lèpre qu'est l'inflation.
- Parce que, quand l'inflation recule, l'épargne populaire peut enfin rapporter. En 1981, on était rémunéré, je crois, à 7,5 %. Oui, mais l'inflation vous en prenait 14. On y perdait. Nous avons ramené le livret A à 6 % £ oui, mais l'inflation pour 1986, c'est 2,5 %, si l'on tient la route et nous la tiendrons. Le livret rose à 7 %, c'est un gain réel pour l'épargne populaire. Voyez l'importance de la chute de l'inflation sur le pouvoir d'achat des salaires et sur l'épargne populaire. C'est la même chose pour les loyers.
- Parce que l'inflation baisse, les loyers cessent d'augmenter ou du moins, alors qu'ils augmentaient de 15 % avant que nous ne soyons là, ils augmenteront cette année de combien ? D'environ 2,5 %, c'est-à-dire du taux de l'inflation elle-même.
- Parce que l'inflation recule, la Sécurité sociale, pour la première fois, enfin à ma connaissance, se trouve dotée d'un excédent qui atteint 29 milliards en 1985. Et ceux qui voudraient s'en prendre à la Sécurité sociale, qui cherchent à la démanteler, au bénéfice des assurances individuelles ou privées, doivent bien comprendre que, par une bonne gestion, le système de Sécurité sociale adopté par la France en 1945 reste un des piliers de notre paix sociale.\
`Suite sur les conséquences de la baisse de l'inflation`
- Parce que l'inflation baisse, les taux d'intérêt de l'argent baissent aussi. Nous les avons pris très hauts. Ils sont aujourd'hui raisonnables et ils pourraient être encore plus raisonnables si nous n'avions pas à subir la rude conséquence des taux d'intérêt, en particulier aux Etats-Unis d'Amérique qui, comme vous le savez, sont une des causes de la crise dont nous souffrons.
- Parce que l'inflation baisse, dans un domaine - je veux parler du commerce extérieur - où nous avons encore des ratés parce que notre appareil industriel n'est pas encore au point, c'est une affaire de longue haleine : quand même, 60 à 70 milliards de francs de déficit en 1980, 20 à 24 milliards de francs en 1985 £ parce que l'inflation baisse on vend plus de marchandises... car on commence à vendre moins cher. Et il faut maintenant, et je compte sur eux, que les industriels, que les entrepreneurs, les grands et les petits, les petits plus nombreux, avec la bonne qualité de leurs travaux, la bonne qualité de leurs travailleurs, et donc la bonne qualité de leurs produits, aillent à l'extérieur, qu'ils bâtissent - nous les aiderons - les systèmes commerciaux qui leur permettront enfin de bénéficier des marchés qui leur ont été jusqu'ici refusés. Mais nous sommes obligés de compter sur eux, nous ne pouvons pas nous substituer à la masse des entrepreneurs, qui ont déjà donné à la France tant d'éclatantes réussites mais qui doivent comprendre qu'il ne suffit pas de produire et qu'il faut aussi vendre.
- Parce que l'inflation baisse, l'investissement industriel augmente, de plus de 10 %. On a connu de longues années, bien avant nous, de stagnation : forcément, on n'investissait plus, c'est-à-dire qu'on ne prévoyait plus de mettre de l'argent dans une entreprise pour la moderniser, pour l'adapter aux concurrences alentour. Mais maintenant, parce que l'inflation a baissé, parce que les prix sont moins chers, la demande se fait plus forte, les crédits sont plus faciles et on va pouvoir repartir du bon pied.
- Parce que l'inflation baisse, - et j'y viendrai dans un moment - nous aurons plus d'emplois.
- Le franc supportait il y a peu d'années, souvenez-vous de 1980, les conséquences d'une lourde inflation, 8 points d'écart, par -rapport au mark, monnaie il faut le dire puissante qui appartient au même système européen. Parce que l'inflation baisse, aujourd'hui, le franc à l'intérieur de ce système, a fort bien résisté aux agressions récentes, pétrole, dollar, les fluctuations, les variations. Pour un ministre de l'économie et des finances, pour un chef de gouvernement, ce n'est pas toujours très aisé de préserver la monnaie. Ils y sont parvenus, parce qu'ils ont tout d'abord maîtrisé l'inflation.
- Parce que l'inflation baisse, la croissance - je veux parler d'une croissance saine - peut reprendre, les impôts peuvent diminuer d'une façon raisonnable. Ne jetons pas 70 à 80 milliards de ressources prises sur les plus faibles, sur les plus pauvres, ne les jetons pas comme cela par la fenêtre. Il faudra bien que quelqu'un paye et je crains que ce ne soient les réformes sociales dont j'ai parlé tout à l'heure. Cette année encore, 3 % de baisse de l'impôt sur le revenu, qui passe au chiffre le plus faible, en tout cas depuis 1981.\
`Suite sur les conséquences de la baisse de l'inflation`
- Si je voulais prendre une image, mesdames, messieurs, chers amis, je vous dirais que tous ces efforts pour vaincre l'inflation ne doivent pas être considérés seulement comme une sorte d'art pour l'art. Il faut chercher à quoi ça sert. Un arc, des flèches, à quoi sert l'arc, à quoi sert la flèche, sinon à atteindre une cible ? Sans arc, et sans flèche, vous n'aurez pas la cible, mais l'arc et la flèche, s'il n'y a pas de cible, risquent de nous embarrasser. Il faut donc considérer que l'arc et la flèche sont essentiellement les moyens dont nous disposons, grâce à la chute de l'inflation, pour atteindre les cibles dont la première - j'y viens - est l'emploi.
- Tout à l'heure une autre comparaison me permettra de mieux le faire comprendre.
- Voyez-vous, si aujourd'hui la majorité de progrès n'est pas encore parvenue à dominer la crise de l'emploi, c'est d'une part parce que l'instrument qui nous a été laissé était plus délabré que nous ne le pensions. Ensuite parce que la politique d'assainissement n'est pas terminée. Avant de terminer, moi, cet exposé, je vous parlerai du temps qu'il faut pour conduire un pays.
- Le chômage d'aujourd'hui ce sont les carences d'hier. Il faut donc corriger ces carences. Nous nous sommes attaqués aux racines du mal : pas d'industrie moderne, pas d'hommes, pas de femmes formés aux métiers d'aujourd'hui, aux métiers du futur. Le chômage s'étendra si nous n'avons pas le courage de passer d'un stade industriel à un autre, j'allais dire d'une époque à une autre, si nous n'avons pas le courage d'affronter ce passage difficile, qui veut que nous sortions d'une société industrielle avec ce qu'on appelait les industries lourdes, avec des métiers de dizaines de milliers de travailleurs, mais pour fabriquer des produits qui aujourd'hui ne supportent pas la concurrence qui vient de l'extérieur, si nous n'avons pas le courage de passer au nouveau stade industriel c'est-à-dire de moderniser et de servir cette industrie par des filles et des garçons qui ont été formés pour ces nouvelles disciplines. Dans ce cas, ce serait une bataille perdue. Et nous avons considéré que nous n'avions pas le droit de perdre cette bataille et qu'il valait mieux courir le risque dans nos rangs de l'impopularité ou bien du désavoeu plutôt que de manquer à ce devoir fondamental.
- Moderniser, former, aménager le travail, c'est un débat très actuel, me semble-t-il. Ce n'est pas facile, dans la mesure où, d'un côté et de l'autre, on cherche, par souci politique, à interdire à la classe ouvrière de vivre mieux demain. Mais enfin, si je voulais encore énumérer, je citerais la loi sur le cumul des emplois et des retraites qui a gêné un certain nombre de gens bien que nous ayons pris des précautions. Elle correspond à cette action que je crois courageuse et nécessaire si l'on veut atteindre la cible que nous nous sommes fixée.
- Ce sont ainsi les TUC, ces jeunes gens qui travaillent pour des travaux d'utilité collective, ce qui allège, il est vrai, le nombre des chômeurs, comme le fait l'Allemagne en retenant dans ses écoles et dans ses formations quelques centaines de milliers de jeunes gens qui ne sont ainsi plus chômeurs.\
Alors, on nous attaque, on attaque le pouvoir politique et le Président de la République, premier responsable de ces choses. On dit : "mais vos chiffres, ils mériteraient d'être examinés de plus près". Mais ce ne sont pas nos chiffres ! Ils viennent d'instituts autonomes, indépendants, créés bien longtemps avant nous, qui obéissent aux mêmes critères qu'avant 1981, qui sont dirigés par les mêmes personnes d'une façon générale. Les Travaux d'utilité collective ont valu une consultation du gouvernement français auprès du Bureau international du travail pour savoir si, dans les calculs d'aujourd'hui, il était honnête et concevable d'intégrer ces jeunes gens dans le décompte des travailleurs, ou plutôt dans celui des chômeurs, ou bien dans celui des stagiaires. Nous avons pris toutes nos précautions et, vraiment, il est difficile d'accepter cette contestation de tout résultat garanti par les organismes nationaux comme l'INSEE, ou internationaux comme l'OCDE, qui disent ce que je suis en train de vous dire. Au moins que, dans le débat politique, on puisse retrouver l'honnêteté naturelle de ceux qui, dans leur vie privée, s'efforceraient toujours de tenir parole, de ne jamais tromper leurs enfants et qui, dans la vie publique, oublient ces préceptes d'éducation, celle qu'on disait à l'école communale, puérile et honnête.
- Nous avons 84000 chômeurs de moins en 1985 qu'en 1984. Nous n'en tirons pas gloire, car nous savons qu'il y a un peu plus de 2300000 chômeurs à l'heure où je m'exprime. Mais enfin, il est très important pour nous de savoir que depuis 1969, c'est la première fois que la courbe s'inverse. C'est la première fois qu'il n'y a pas malheurs répétitifs, malheurs additionnés, aggravation de la crise, aggravation de la misère. C'est la première fois ! Ce qui veut dire que nous parvenons, au bout de quelques années, à maîtriser un attelage dont on sait bien qu'il en a conduit beaucoup d'autres vers les pires désastres.
- Et puis, le chômage, nous sommes le seul grand pays industriel européen, le seul, à avoir réussi à inverser sa tendance. Tous les autres grands pays industriels européens ont vu augmenter leur chômage £ c'est un mal européen, parce que l'Europe n'a pas su, en temps utile, moderniser son industrie.
- Mais en même temps, c'est la première fois que l'inflation et le chômage se retrouvent sur cette courbe descendante, alors même que le pouvoir d'achat tend à se relever. C'est une conjonction sur laquelle je me permets d'insister.\
Et puis, la politique économique, dès les premiers jours le plan Dreyfus pour sauver l'industrie textile £ puis le plan sur la sidérurgie, si difficile à mener à son terme, aussi bien avec Pierre Mauroy qu'avec Laurent Fabius, avec aussi quelques hommes et quelques femmes de bonne volonté, en Lorraine et dans le Nord en particulier, qui s'acharnent à restituer à ces régions leur chance de développement. Et ils y réussissent.
- Bref, nous avions à relever l'économie française, ce n'était pas facile. Je ne dis pas que nous y soyons parvenus dans tous les domaines. Il y a ce qui va, il y a ce qui ne va pas, il y a ce qui va moins bien, il y a ce qui pourrait être mieux fait, il y a ce qui pourrait être fait autrement. Je ne suis pas ici pour tenter de dire je ne sais quoi, n'importe quoi, à l'opinion publique et pour tenter de blanchir ou de dissimuler tout ce qui reste à faire. Mais parvenir à moderniser sans récession économique, je crois que nous sommes parmi les rares à y être parvenus. Car il n'y a pas eu récession. Le produit national s'est accru chaque année, en dépit de la lutte sauvage contre l'inflation que nous avons menée, oui, sauvage et dure, car elle a été payée de peines. Combien des nôtres qui croyaient et qui croiront en nous ont été victimes de cette lutte ? Mais quel courage aussi chez la plupart, quel courage ! Car il suffit de vous voir ici tous assemblés pour comprendre que, parmi vous, il en est qui ont vécu cette bataille et qui en ont été les victimes, qui en sont encore les victimes et cependant, ils sont là parce qu'ils croient que seuls le courage, l'énergie, la volonté, la capacité de résistance permettront à la France de retrouver la place qui lui revient...\
Le mot d'ordre que je lance aux Français est celui-ci : produire, réussir et partager.
- Produire mieux que les autres, les battre sur tous les terrains, c'est la modernisation et c'est la formation surtout.
- Réussir, c'est former les esprits, c'est ouvrir les compétences aux technologies nouvelles. Réussir, c'est rendre aux Français - et nous y parvenons - la confiance en demain, la fierté. Et moi je vous dis, ici même au Grand-Quevilly, et je dis à toute la France qui nous écoutera, moi je suis fier de vous, car ce n'était pas facile, cela reste dur. La rigueur, c'est un mot qui passe mal, mais la chose est pire encore. Nous n'en avons pas fait notre philosophie, c'est une méthode pour le temps et nous commençons d'en sortir, puisque nous voyons désormais l'autre rivage qui se profile.
- Partager, parce qu'il ne serait pas concevable, et d'ailleurs ce serait impossible, qu'un grand peuple pût dominer ses démons, triompher des concurrences, vaincre l'adversité, devenir plus grand, plus fort encore, s'il manquait à la base le sentiment que la réussite commune sera justement partagée, si l'on en écartait comme on l'a fait tout au long du XIXème siècle et pendant une partie du XXème, une partie de la population, et d'abord ceux qui ont forgé de leurs mains, ceux qui ont travaillé sur le tas, sur le terrain, devant l'établi, devant les hauts fourneaux, qui ont parfois payé de leur vie, qui ont toujours payé de leur peine, dont les statistiques montrent toujours qu'ils meurent avant les autres, parce qu'ils souffrent.
- Alors, va-t'on dire à la France : "travaillez, réussissez, conquérez les marchés, soyez les meilleurs" et quand ce sera fait, ceux qui l'auront fait, on les écartera ? Moi, je ne veux pas, je ne veux pas d'une France - et quand je dis je ne veux pas, c'est parce que je pense que notre peuple parlera comme moi - je ne veux pas d'une France où les plus forts parce que les plus riches, pourront écraser les plus faibles parce que les plus pauvres.
- Alors, nous entendons d'autres refrains, on nous dit : "mais la France se traîne, les traîne-patins, la France elle est toujours là, au bord de la route". Quelle description ! Pour parvenir à je ne sais quel résultat politique, on s'en prend en réalité à la capacité des Français, alors qu'il existe dans un pays comme le nôtre une somme d'inventions, de créations, de talents, de gens courageux qui se battent et qui gagnent.
- La France est à l'heure où je m'exprime, et elle progresse encore, la troisième puissance militaire et spatiale du monde, elle est le quatrième exportateur de produits industriels du monde, elle est la cinquième puissance économique du monde. C'est un rang qu'elle a acquis à travers les générations, que nous avons préservé. Nous avons mis la France en mesure de gagner du terrain.
- La France, oui, même si c'est européen, c'est Ariane, c'est Airbus, c'est Rita, choisi pour les transmissions de l'armée américaine £ c'est Eurêka, 18 pays aujourd'hui qui concourent à préparer les plus hautes technologies, afin d'être en mesure de redistribuer la science, la technique et, finalement, la préhension des richesses nouvelles.
- La France, c'est le TGV. La France, c'est le programme Esprit, parce que nous l'avons proposé. Demain, avec la Grande-Bretagne, ce sera Transmanche. Et ce n'est pas nous - nous c'est-à-dire ceux qui gouvernent depuis quatre ans qui ont fait cela - c'est la France.\
`Suite sur les réussites industrielles de la France`
- Nos prédécesseurs ont leur part du mérite. Pourquoi est-ce que nous serions injustes à l'égard des autres, comme trop souvent ils sont injustes à notre égard ?
- C'est un effort qui est venu des profondeurs du peuple. Pourquoi est-ce que, dans cette grande bataille industrielle pour la survie, la sauvegarde, pour la grandeur de notre pays, pourquoi est-ce que nous n'aurions pas les réflexes de la Résistance, que j'ai connue dans ma jeunesse, et je ne suis pas le seul ici, même si très naturellement nous apparaissons déjà un peu comme de vieilles lunes aux plus jeunes ? Mais ils ont en eux le même ressort et la même énergie. A ce moment-là, dans cette Résistance comme dans les guerres que nous avons dû supporter, avons-nous demandé qui es-tu, toi ? A quel dieu crois-tu ? Comment votes-tu ? Dans quelle école as-tu été élevé ? Quel est le niveau de revenu de ta famille ? Dans quel quartier habites-tu ?" Non ! Dans le moment où il faut rassembler les Français, parce que c'est la vie, c'est la mort qui sont désormais en cause, alors on doit les retrouver tous ensemble ! Et moi je veux rendre justice aux autres quand ils ont bien travaillé pour la France, et ils ont parfois bien travaillé pour la France. Nous aussi ! Nous avec eux ! Nous après eux !
- Pourquoi irait-on défaire ce que nous avons entrepris, ce que nous sommes en train de réussir ? Pourquoi est-ce que ces équipes qui se sont succédées, qui ont dû réparer, l'une après l'autre, les dommages des autres - mais quand même, la France a avancé - pourquoi nous, après quatre ans seulement, serions-nous empêchés de mener à son terme - oui, jusqu'à la cible ! - la politique dont on aperçoit maintenant les bienfaits ?
- Oui, chers amis, la France bouge, et pas seulement dans cette salle. Elle bouge là, en dehors, tout à fait à côté. Il y a des milliers de nos concitoyens qui sont là, qui écoutent. Et puis le Grand-Quevilly, et puis Rouen. Et puis la Normandie, et puis la France, elles bougent ! Elles y croient ! Elles en veulent !
- J'ai dit tout à l'heure : moi, je suis fier de vous. Mais soyons fiers de la France ! Celle qui bouge par l'éducation, par l'industrie, par la culture aussi, la culture qui nous apporte peut-être la signification la plus profonde de nos efforts. Et puis, même sous ses aspects qui apparaîtraient, le cas échéant, les plus dérisoires, ou les plus légers, c'est important que ces gouvernements - et je les en remercie - aient été capables de faire qu'un peu partout surgissent, ici ou là, des sculptures modernistes, des établissements culturels, des salles de rock, et puis le design comme on dit, et puis les bandes dessinées, comme dans mon pays d'Angoulême. Je ne le reconnais plus, mon pays d'Angoulême ! Il ne s'y passait rien dans ma jeunesse - c'est ce qui en faisait l'agrément... Il s'y passe beaucoup de choses aujourd'hui. Il paraît que ce n'est pas si mal !
- A la France qui bouge, je forme tous mes voeux pour qu'elle sache se réunir et se rassembler, ne pas se dissiper dans une campagne électorale, voir plus loin, permettre à ceux qui, quels qu'ils soient, sont capables de bâtir £ à ceux qui ont le courage dans le sang, leur permettre, à ceux-ci ou à ceux-là, de servir la France, mais en veillant à préserver l'élan, à ne pas couper les jarrets des équipes qui gagnent !\
Ce que je vous dis, mes chers amis, c'est vrai aussi de la présence de la France dans le monde, dans la relation de la France et des autres.
- C'est vrai que la France a continué d'être celle qui fut annoncée à l'aurore de la grande Révolution. Oui, on dit souvent - quelquefois même on s'en gargarise plus qu'il ne conviendrait - la France des droits de l'homme... Depuis la Révolution, la France y a parfois manqué, mais la direction, l'élan dont je parlais, le mouvement, la vision historique, la civilisation, l'amour, oui, c'est la France des droits de l'homme.
- Et nous, nous n'avons cédé sur aucun terrain ! Nulle part dans le monde, aux antipodes comme près d'ici, chaque fois que les droits de l'homme ont été menacés, même lorsqu'il y a eu malentendu, il faut savoir que les droits de l'homme ont toujours été l'objet principal des démarches du Président de la République.\
Il n'est pas de pays industriel du Nord, comme on dit, qui soit aujourd'hui aussi prestigieux, je dirais aussi populaire, que la France dans l'ensemble du tiers monde.
- Je me souviens de cette invitation qui m'a été faite un jour, à l'Organisation des Nations unies, par Mme Gandhi, pour participer - seule puissance industrielle du Nord - à la rencontre, organisée par ses soins, des pays du tiers monde.
- Je me souviens de cette première conférence, tenue à Paris, peu après mon élection, qui était la Conférence des pays les moins avancés, et qui désigna pour Président Jean-Pierre Cot.
- Je me souviens de cette rencontre à Mexico, avec un peuple immense, alors que je venais leur dire "oui, arrière les tyrannies et l'oppression ! Vive la liberté ! Vive la responsabilité ! Vive la dignité, comme nous avons nous-mêmes voulu conquérir la nôtre, toutes proportions gardées, chaque fois que l'essentiel était en jeu ".
- En Afrique, d'où est venu Lomé - le fameux Lomé I, puis Lomé II, puis Lomé III, c'est-à-dire le contrat entre l'Europe, la communauté de l'Europe, et les pays d'Afrique, des Caraïbes, et même de la lointaine Océanie - d'où est venue cette convention sinon de deux Français ? Le premier s'appelle Cheysson, et le deuxième Pisani.
- Qui a vraiment inspiré les démarches communautaires au point qu'aujourd'hui nous sommes tous associés au continent africain ? Y a-t-il famine ? Sécheresse ? Désastre ? Faut-il équiper ? Faut-il sauvegarder les matières premières ? Faut-il bâtir un pont ? Faut-il créer une usine ? C'est l'Europe qui est là, et c'est la France qui inspire.\
Oui, moi, je suis très fier de la place qu'occupe aujourd'hui la France dans l'Europe. Je crois à l'Europe de toutes mes forces, pour beaucoup de raisons, mais aussi parce que je pense que c'est une façon - peut-être la meilleure - de donner à la France la dimension qui est la sienne, à une civilisation de garder ce qui fut son rang, de le reconquérir.
- On va dire : "Oui, toutes ces vieilles nations fatiguées..." Non ! Elles ne sont pas fatiguées et si elles le sont, il faut qu'elles récupèrent ! Et pour récupérer, je pense que la France, en bonne santé, sera le meilleur remède pour que l'Europe retrouve elle-même sa bonne santé !
- Ne croyez pas que j'exagère. Je vois bien les mérites des autres, le travail allemand, le sérieux allemand, et puis - je ne vais pas énumérer - je vois l'Italie, je vois la Grande-Bretagne, je vois ceux qui viennent d'arriver, et puis nos amis, du côté du Bénélux, et puis l'Espagne, et puis le Portugal, et puis l'Irlande, et puis la Grèce, le Danemark aussi... Ils sont différents. Chacun a ses défauts, chacun a ses besoins mais nous sommes amis et nous sommes parvenus, jusqu'alors, à dominer toutes les difficultés qui n'étaient pas minces, croyez-moi.
- Et je ne veux pas manquer à la modestie, mais je dirai que la France, et pas simplement moi, mais aussi les ministres responsables, les Premiers ministres qui veillent au grain, et avec le concours de grands Européens dans d'autres pays que le nôtre, est en train de bâtir l'Europe. Nous savons bien que les obstacles sont immenses. Encore faut-il vouloir les surmonter.
- Et puis, tout simplement, la paix. Oh ! je ne vais pas entonner le chant de la paix à l'heure qu'il est. Je dirai seulement que, si j'ai pu débattre avec Ronald Reagan à Washington ou bien si j'ai pu débattre à la tribune de l'Organisation des Nations unies, si j'ai pu, premier européen à pouvoir le faire, discuter avec Gorbatchev, désireux de voir reprendre le dialogue à Genève - sans illusions excessives, mais enfin ne faut-il pas jouer toutes les chances de la détente et de la paix ? - c'est parce que la France joue son rôle.\
De toutes parts, on tente de me ramener - oui, moi particulièrement, je parle de moi, pas longtemps - on tente de me ramener toujours - comment dirais-je ? - à mes années d'études lorsque j'étais sur les bancs de la Faculté de Droit ! On me fait quotidiennement des cours de droit constitutionnel, assortis de quelques travaux pratiques électoraux. Vous savez ce que je pense ? Il ne faut pas trop se laisser impressionner par cela. Il faut aborder cette lutte saine et démocratique qui s'appelle les élections, avec le sentiment qu'on a fait son devoir et que le peuple s'en rend compte. J'ai donc toujours refusé d'examiner les hypothèses dans lesquelles on a essayé finalement de me noyer.
- Non, je n'en parlerai pas davantage ce soir, même si cela ne fait pas plaisir à ceux qui aimeraient commenter mon propos à ce sujet. Juste une toute petite phrase. J'adore les petites phrases. Après tout, selon le résultat, mon rôle pourrait varier... Mais selon les résultats, ma fonction, mes devoirs et mes droits seront les mêmes, dans tous les cas.
- Oh ! j'ai dit cela parce que, moi aussi, je me suis laissé séduire par le petit bout constitutionnel. Mais après tout, ces débats ne m'intéressent pas beaucoup, ne m'impressionnent aucunement, et je laisse maintenant les Français décider.\
Je suis ici, comme vous, avec vous, dans une commune où le maire, un vieil ami, Tony Larue, nous reçoit bien, avec un coeur gros comme ça ! C'est l'un des plus anciens maires de France. Ma foi, on l'a chaque fois repris. Bon exemple ! Il est aujourd'hui Sénateur. Comment ça va le Sénat ? Il a pour adjoint - Premier adjoint je crois - Laurent Fabius. La presse l'a remarqué, elle fait son travail : le 17 janvier Fabius, le 7 février Mauroy. Pourquoi ? Je ne fais pas, à proprement parler, une campagne électorale. Je n'ai pas de fausses pudeurs, et je n'ai pas de fausses prudences. Je fais ce que je dois, rien ne me l'interdira et ce n'est pas fini.
- J'entends bien dire que les deux Premier ministres que j'ai choisis pour le bien de la République, aussi différents qu'ils soient, mais aussi semblables par l'idéal qui les habite, et le Président de la République forment un tout. Et nous pouvons proclamer, au nom du gouvernement de la France et au nom de la République, que nous avons, en toutes circonstances, placé l'unité avant l'esprit de division et l'esprit de concurrence, que nous sommes restés étroitement ensemble avant tant d'autres pour montrer la continuité d'une majorité de progrès.
- Personnellement, je trouve que ce sont d'excellentes images et je conseille à mon prédécesseur d'en faire autant. Il aura comme cela des photos de famille ! Mais voyons les choses d'une façon plus grave.\
J'assume, mesdames et messieurs, chers amis, je l'ai dit à la télévision, la responsabilité de ce qui a été accompli. J'estime qu'il va de la dignité du chef de l'Etat d'être profondément solidaire des grandes actions, de l'essentiel, qu'elles aient réussi, qu'elles aient moins réussi. Qu'il y ait la part de l'échec, j'en suis le premier responsable, mais j'aborde les temps qui viennent avec - je le dis et je le répète - la conscience tranquille. Voyez-vous, il faut du temps. Ceux-là de mes amis qui tout à l'heure me disaient "mais un enfant qui entre à l'école, il a devant lui une longue suite, 10ème, 6ème, 3ème, terminale, baccalauréat". S'il a la chance de devenir étudiant, deux ans, trois ans, quatre ans. Il ne sera ce qu'il est, c'est-à-dire qu'il ne sera devenu ce qu'il était au fond de lui-même avec ses qualités, ses talents, qu'au bout du compte. Or, de la 6ème au baccalauréat, cela doit bien faire un certain nombre d'années qui dépasse largement la durée du mandat qui m'a été donné. Non, je n'en demande pas tant. C'est simplement pour faire comprendre que, vraiment, celui qui se met à l'ouvrage, celui qui commence quelque chose un peu contre tout, contre les éléments - nous, c'était face à la crise, la bourrasque ou la tempête, et souvent, autour de nous, le refus, quand ce n'était pas ... non, je ne prononcerai pas le mot ... le contraire de l'amour, une sorte de refus du pouvoir choisi par le peuple en 1981 - celui qui commence quelque chose dans ce contexte, il lui faut du temps. On n'en demande pas tellement : on a besoin du temps qu'il faut pour que les fruits mûrissent. Il y a les saisons de la politique, il y a l'hiver. Il est nécessaire, l'hiver, pour qu'il y ait un printemps, et le printemps prépare l'été, on le sait bien. Quoi ! la durée serait-elle interdite aux responsables de la France qui ont été, au fond, les premiers à engager la reconquête des temps modernes ? Et l'on voudrait qu'en quatre ans, on apporte déjà toutes les moissons, les moissons engrangées ? J'ai dit celles qui l'étaient. Il en est qui ne sont encore qu'à l'-état de promesses, il en est qui n'ont pas mûri. Il passe, de temps à autres, de mauvais vents £ et le froid, la pluie et le soleil ne sont pas au service de l'homme, mais du temps.
- Voilà pourquoi je pense parler vraiment en conscience lorsque je dis aux Français ce qui a été entrepris. Il est dans l'intérêt de tous que ce qui a été entrepris soit encore poursuivi.\
On me racontait une sorte d'apologue : un voyageur près d'un chantier. Il y a un grand remue-ménage. Tous les corps de métier s'affairaient. Le quartier est embouteillé. Qu'est-ce qu'on fait là ? Que faites-vous là, demande le voyageur à deux ouvriers ? Et le premier lui dit : "Voyez ce que je fais, je mets une pierre sur l'autre". - "Et vous ?" - "Moi, je bâtis une cathédrale".
- Nous ne nous séparerons pas sans que soient dites les paroles rituelles. Je m'adresse ici à une assemblée dont je sais l'amitié, dont je sais la confiance, mais je ne suis moi-même associé à aucune formation, groupe ou faction. On dira : ce sont les socialistes. Et les socialistes, je les aime. Mais c'est bien au-delà, la France c'est plus grand. Nous ne sommes que les ouvriers sur le chantier, et tous ceux qui viendront pour bâtir la cathédrale seront les bienvenus. Et quand elle sera finie, ce ne sera pas la nôtre, la cathédrale. Elle sera celle qui exprimera l'espérance et la force d'un peuple tout entier.
- Voilà pourquoi, je peux vous dire, à vous tous, dans toute la France, du fond de moi-même, parce que j'y crois :
- Vive la République,
- Vive la France.\