17 décembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration à la presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue de son entretien à Paris avec le Chancelier Kohl, sur la coopération militaire franco-allemande dans le cadre du Traité de l'Élysée, Palais de l'Élysée, mardi 17 décembre 1985.

Mesdames et messieurs,
- Nous nous étions donné rendez-vous, le chancelier Kohl et moi-même, au fond, comme nous avons coutume de le faire, plusieurs fois par an, généralement sur un sujet particulier déterminé à l'avance et cette fois nous avions décidé de parler du problème de sécurité.
- C'est pourquoi le chancelier était accompagné de l'inspecteur général des forces armées allemandes et moi-même du chef d'état-major des armées, ainsi que de mon directeur de cabinet militaire.
- Nous avons eu un long entretien, le chancelier Kohl et moi-même, pendant une heure et demie peut-être. Nous avons été rejoints par nos collaborateurs. Après avoir terminé cette première partie de nos travaux, nous nous sommes retrouvés pour dîner, dîner qui vient de s'achever et qui a été également un dîner de travail.
- Nous avons fait le tour des problèmes de sécurité, présents et à venir, du moins tels qu'on peut les imaginer. Nous avons particulièrement étudié les degrés d'application actuelle du Traité de l'Elysée que nous avons, pour ce qui touche à certains articles essentiels, mis en vigueur, le chancelier et moi-même, rappelez-vous, alors que ces dispositions dormaient depuis vingt ans. Je vous ai parlé là du Traité de l'Elysée signé entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer.
- J'ai précisément sous les yeux deux paragraphes qui vous montreront bien l'objet de nos conversations. Le premier de ces paragraphes dit - je cite - : "Sur le -plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux parties s'attacheront à rapprocher leur doctrine en vue d'aboutir à des conceptions communes".
- Et le deuxième paragraphe - je cite - : "Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés. Ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d'état-major. Ils pourront comporter des détachements temporaires d'unités entières."
- Déjà ces dispositions ont été appliquées dans certains domaines £ j'ai là une liste d'échanges d'unités d'officiers, d'exercices bilatéraux, d'activités multiples, des visites d'escales de bâtiments. Le groupe franco-allemand de coopération militaire s'est réuni plusieurs fois : tout cela a commencé d'entrer dans la pratique.
- Mais nous avons décidé de donner un nouvel élan à ces dispositions que nous avons déjà nous-mêmes rappelées à la vie. Et nous allons prévoir de multiplier les échanges de cet ordre et de les institutionnaliser davantage. Par exemple, de faire que des officiers d'un certain niveau, correspondant à la définition qui en est donnée dans le Traité de l'Elysée, puissent travailler en commun, étudier en commun, peut-être dans des institutions prévues à cet effet, pour la durée de plusieurs mois, on a même parlé d'une année. Ce qui aura l'avantage d'initier à fond les officiers des deux armées aux problèmes qui leur sont communs.
- Voilà pour ce qui touche à l'application du Traité de l'Elysée, sans oublier les autres données que j'ai ici indiquées sur le rapprochement - c'est l'expression - des doctrines, en vue d'aboutir aux conceptions communes. Nous avons donc approfondi nos conceptions pour examiner dans quelle mesure elles étaient communes. Cette conversation sera poursuivie au mois de janvier puisque j'aurai l'occasion de rencontrer le chancelier Kohl à Baden-Baden où je me rends pour un autre motif : pour aller voir les éléments de notre armée qui se trouvent là-bas.
- Bien entendu, notre conversation s'est élargie aux problèmes de sécurité et de défense sur tous les plans concevables ou réalisables. Mais je n'ai pas besoin d'en dire plus pour l'instant et je laisse au chancelier Kohl le soin de dire son mot, à son tour.
- Je tiens, en tout cas, à le remercier de sa venue à Paris. Nous avons pris l'habitude de travailler utilement. Ce nouveau rendez-vous m'a confirmé dans l'impression que la relation franco-allemande est saine et solide et qu'elle se poursuit harmonieusement.\
LE CHANCELIER KOHL.- Merci, monsieur le Président. En quelques traits, le Président de la République vous a montré l'essentiel de nos discussions de ce soir.
- Effectivement, c'est une chose curieuse de voir que depuis des décennies c'est la première fois que nous deux, nous soyons en train maintenant d'activer le Traité de l'Elysée. Bien sûr, il faut également prendre les circonstances en compte. Je crois, pour ma part, qu'il est très important qu'entre la République fédérale d'Allemagne et la République française, il y ait maintenant cette réactivation d'un sujet qui touche nos deux armées.
- Et je dois dire que personnellement cela me satisfait tout particulièrement de voir qu'enfin des officiers français et allemands, des officiers d'état-major français et allemands, à une époque importante de leur carrière, vont avoir cet échange. Et vous pouvez comprendre toute la dimension de ce changement si vous réalisez que des jeunes officiers qui, en fait, deviendront des généraux à la fin de ce siècle, se trouveront donc à la fin du 20ème siècle, dans une situation telle, surtout à la fin de ce siècle qui a connu beaucoup d'expériences douloureuses et particulèrement qui ont touché nos peuples - que ces officiers donc - ces officiers d'état-major - se trouveront avoir une formation commune.
- C'est un signe modeste, mais un signe significatif de la vitalité des relations entre nos peuples et nos pays. Bien sûr, nous avons parlé de tas d'autres perspectives qui vont plus loin : de la sécurité entre nos pays. Mais vous comprendrez que cette partie-là de nos discussions n'est pas forcément un bon sujet à discuter pour une conférence de presse.\
LE PRESIDENT.- Voilà. Je crois que l'essentiel a été dit. On va vous dire "bonsoir". On vous a conviés bien tard à venir nous rencontrer. Le chancelier rentre maintenant à Bonn. On va lui souhaiter "bon voyage" et merci à la presse. Vous voulez poser des questions...
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous aviez indiqué, lors de votre intervention sur TF1 dimanche que vous parleriez au chancelier Kohl d'Hermes ?
- LE PRESIDENT.- Nous en avions dit un mot en effet. Le dossier reste ouvert : vous savez que les intentions de la France ont été déjà, depuis longtemps, annoncées. La relation franco-allemande doit être étudiée à fond et le dossier reste ouvert.
- QUESTION.- Est-ce que vous avez l'impression qu'il y a une évolution... allemande ?
- LE PRESIDENT.- Nous le saurons bientôt.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez parlé, avec le chancelier Kohl, de la position respective de la France et de l'Allemagne fédérale, en ce qui concerne l'initiative de défense stratégique du président Reagan ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout. Ces initiales ne sont pas venues sur nos lèvres, bien qu'elles soient présentes à notre esprit. Nous n'avons pas à en délibérer ensemble, sinon, bien entendu, on peut très bien le faire puisque nous pratiquons l'information mutuelle. Mais il ne s'agit pas d'organisation d'Etat - enfin, moi, je ne veux pas répondre à la place du chancelier Kohl. C'est bien la pensée allemande qui avait été exprimée plusieurs fois.
- LE CHANCELIER KOHL.- Oui, chez nous, c'est une chose qui concerne les entreprises allemandes qui agissent à l'invitation de l'état américain. Et puis nous avons une base juridique différente de la vôtre. Aucune des entreprises concernées n'a de participation de l'Etat dans son capital. Nous n'utiliserons pas non plus de fonds publics. En fait, ce dont nous avons besoin, nous en parlerons : ce sont certains accords qui concernent le brevet et les retombées technologiques. Et d'ailleurs demain, nous prendrons des décisions à ce sujet-là au conseil des ministres.\