3 décembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du Conseil européen de Luxembourg, notamment sur l'accord des Dix en faveur du projet de révision du Traité de Rome, mardi 3 décembre 1985.

Mesdames et messieurs,
- Nous venons donc de terminer ce sommet de Luxembourg sur un certain nombre d'accords que j'avais qualifiés moi-même de compromis de progrès, lorsque, au début de l'après-midi, j'ai incité le sommet à aboutir dans sa démarche. En voici l'essentiel :
- Le marché intérieur : l'accord a été fait, notamment par la modification de l'article 100 du Traité et du passage au vote à la majorité, dans la plupart des cas, afin de réaliser un grand marché unique, le processus qui doit être achevé en 1992.
- Volet monétaire : le système monétaire européen `SME` et l'ECU qui existe déjà, sont maintenant dans le Traité. On s'oriente vers l'union économique et monétaire.
- Troisièmement : les droits du Parlement. Je résume, bien entendu. Avec deux réserves de l'Italie et du Danemark : on instaure une navette, le droit d'amendement du Parlement, le vote à la majorité ou à l'unanimité, suivant les cas, pour statuer sur les amendements du Parlement.
- La cohésion, décidée en faveur des pays du Sud de l'Europe, qui sont les moins développés et dans les régions en crise.
- Pour la politique sociale : l'article 118 est complété et certaines décisions sont prises à la majorité qualifiée.
- Des politiques nouvelles non prévues dans le Traité de Rome ont été inscrites : l'environnement et la technologie. Là aussi, certaines décisions sont prises à la majorité qualifiée pour les programmes spécifiques.
- Pour la Cour de Justice : un double degré de juridiction est envisagé.
- Autre sujet : le Traité de coopération politique - politique étrangère, initiative française déposée à Milan - a été adopté. Parmi les points délicats, l'article 8 sur la sécurité, qui a été adopté après avoir été amendé.
- Le projet d'union européenne, également d'origine française, a été renvoyé à l'étude des ministres des affaires étrangères qui se réuniront les 16 et 17 décembre pour en discuter.
- A ce dossier ont été ajoutés quelques autres, qui, en raison de l'heure tardive, n'ont pas pu être examinés à fond. C'est ainsi que les ministres des affaires étrangères devront discuter d'un certain nombre de problèmes du type - je l'ai moi-même demandé - apartheid, questions du Proche-Orient. J'ai d'ailleurs ajouté pour la France le problème du génocide arménien. D'autres questions seront traitées à ce sommet sur la base, évidemment, de discussions qui ont déjà eu lieu. Par exemple, une proposition franco-italienne demandant qu'on élargisse le domaine de la concertation pour établir une véritable politique de lutte contre le cancer, au niveau de l'Europe des Douze. Cela a été accepté, mais pas mis en forme. Elle le sera les 16 et 17 décembre. Voilà pour l'essentiel.
- Voilà mesdames et messieurs, je vous écoute, si vous avez quelques questions à me poser pour compléter votre information.\
QUESTION.- Monsieur le Président, s'agissant de la création d'un grand marché unique, il a été prévu de réviser plusieurs articles du Traité, et non pas l'article 100. Est-ce que vous avez pris la décision d'en réviser d'autres ou est-ce que cette tâche a été renvoyée à ... des ministres des affaires étrangères ?
- LE PRESIDENT.- Il y a une réserve sur les transports, c'est l'article 84. Je préfère que vous me posiez des questions concrètes pour que l'on ne fasse pas de confusion.
- QUESTION.- Par exemple, les problèmes, les décisions nécessaires à la libération des marchés des capitaux, c'est un des articles du Traité, les problèmes de libre accès aux professions libérales, d'enquêtes .. Tous ceux-là ont été renvoyés ou ont été résolus aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Ils ont été résolus dans leur principe. C'est-à-dire l'accord est fait pour que la Communauté règle ses problèmes d'une façon communautaire. Un certain nombre de points ont été obtenus et font l'objet d'un renvoi devant les ministres car le Conseil européen s'est aperçu de ce qui était visible depuis très longtemps : c'est que les chefs d'Etat et de gouvernement s'occupaient de beaucoup de choses qui, après tout, pouvaient l'être au niveau déjà fort honorable des ministres compétents. C'est ce qui fait qu'on vous attarde un peu, comme aujourd'hui. En effet, beaucoup de discussions relevaient d'une étude de texte très minutieuse qui, normalement, dans chacun de nos Etats, n'appartient pas au Conseil des ministres.
- QUESTION.- Monsieur le Président, y a-t-il eu ou y aura-t-il un engagement de la France de parachever la libération des marchés des capitaux et des changes ?
- LE PRESIDENT.- La France n'a pas besoin de donner des engagements. Cela fait longtemps que je l'ai dit. La France veut, en effet, se fondre dans un ensemble dans lequel il y aura une libération des changes et cessation des contrôles. Simplement, la France choisira son heure et les modalités. Mais c'est en tout cas la direction que l'on a prise, et nous avons déjà pris, naguère, un certain nombre d'engagements par -rapports aux délais dans lesquels cela serait terminé. Donc, je n'ai pas besoin de réitérer tout cela, mes partenaires le savent. C'est un élément important mais qui est tout à fait conforme à notre politique intérieure en France. C'est d'ailleurs au titre de la politique intérieure que je l'avais déjà annoncé.
- M. Dumas me souffle que la Commission fera un rapport en 1987 à ce sujet. Il n'y a pas de problème français particulier.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit à l'instant que la libéralisation du marché, de l'espace sans frontière, serait effectuée en 1992. On n'a pas du tout parlé de la libéralisation... de l'harmonisation de la taxation indirecte aujourd'hui. Ce n'était pas une condition sine qua non...
- LE PRESIDENT.- On a beaucoup parlé de fiscalité. Cela occupait même beaucoup de temps. Mais la règle de l'unanimité demeure avec cependant un certain nombre d'éléments qui doivent amener, pan par pan, les fiscalités sinon à s'identifier, du moins à s'harmoniser. Mais l'unanimité reste la règle.\
QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez parlé d'un secrétariat politique, d'un secrétariat pour la coopération politique ?
- LE PRESIDENT.- Nous ne sommes pas revenus sur ce sujet.
- QUESTION.- Monsieur le Président, qu'est-ce qui va se passer si le Parlement européen n'est pas d'accord avec le texte ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas devin.
- QUESTION.- Qu'est-ce qui pourra se passer de la part des gouvernements ?
- LE PRESIDENT.- De quels gouvernements ? Le gouvernement français, par exemple ? Moi, je n'ai engagé que le gouvernement français. Ce que je peux dire c'est que la France, ce n'est un mystère pour personne, fait partie des quelques pays qui ont demandé davantage. Il s'agit d'un compromis qui, finalement, est en progrès sur beaucoup de points. Mais ce n'est pas le projet français. Le projet français serait allé au-delà, de même que le projet de la Commission, de même que le projet de la Présidence du Conseil européen actuel `Bettino Craxi`, de même que quelques pays, tels que ceux du Bénélux.. Mais, enfin, puisque c'est un compromis, souhaitons que navette, amendement, vote à la majorité, etc... puissent permettre au Parlement de garder espoir dans un progrès continu. C'est ce que je souhaite. Je rapporte ici ce qui s'est passé et non pas l'énoncé de mes voeux ou de mes arguments au cours de ces deux journées.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez qualifié, tout au début de votre intervention, ce qui s'est passé pendant ces deux jours, ... d'un compromis de progrès.
- LE PRESIDENT.- C'est l'expression que j'ai employée en début d'après-midi quand j'ai vu que nous avions tendance, finalement, à faire du "sur place". Et j'ai demandé à mes partenaires de bien vouloir considérer que l'objectif c'était de donner à l'Europe des assises plus solides, de développer ses compétences, d'améliorer ses procédures, tout simplement pour que l'Europe, l'Europe des Douze, devienne une entité politique, économique, culturelle, etc... qui prenne le rang qui lui revient dans le monde. Si l'on considérait l'objectif, alors, beaucoup des obstacles rencontrés devaient paraitre plus aisément franchissables. Et j'ai donc recommandé un compromis dit "de progrès", d'où cette expression que j'emploie de nouveau ce soir pour caractériser ce qui a été le résultat de nos travaux. Mais la position de la France, elle est de demander davantage. La France ne se contente pas de cet accord. Elle accepte que la journée d'aujourd'hui se termine par des dispositions indiscutablement positives, mais qui justifieront qu'au cours des réunions des Conseils des ministres et des futurs sommets, nous continuions notre démarche vers une Europe plus cohérente encore.
- QUESTION.- Le mouvement ouvert en juin, à Milan, a-t-il trouvé aujourd'hui son aboutissement ?
- LE PRESIDENT.- Oui ...
- QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement. Non, par -rapport à ce qui était à l'ordre du jour, on doit considérer que le sommet de Luxembourg a, en effet, réalisé une large part de ce qui était demandé à Milan. Il n'empêche qu'un certain nombre de pays, dont la France, continueront de souhaiter davantage et donc de le demander. Cependant, c'est fait. C'est très bien. C'est mieux que de ne pas avoir abouti. Nous ne renions pas l'accord qui vient d'être fait puisque nous venons d'y souscrire.\
QUESTION.- Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que l'accord monétaire bloque un petit peu le développement ultérieur du système monétaire européen ?
- LE PRESIDENT.- Je ne crois pas. Je pense qu'il aurait plutôt tendance à le débloquer. Cela a été une des discussions les plus difficiles.
- QUESTION.- La réserve danoise ne peut-elle pas remettre tout en cause ?
- LE PRESIDENT.- Tout dépend de ce que l'on sent. Je n'en ai pas eu l'impression. J'ai le sentiment que M. Schlutter `Premier ministre danois` avait souhaité très vivement avoir le temps de convaincre son Parlement. Comme vous le savez, ce n'est pas une situation très facile. Il ne peut pas prendre le risque d'un engagement préalable. J'ai l'impression que c'était surtout un problème de politique intérieure. Maintenant, il est tout à fait possible qu'une majorité s'affirme en sens contraire, je n'en sais rien.
- QUESTION.- On a l'impression, monsieur le Président, que vous êtes moyennement satisfait de l'accord d'aujourd'hui ...
- LE PRESIDENT.- Je suis satisfait qu'il y ait un accord et je suis satisfait de bon nombre de dispositions qui sont dans cet accord. Mais, est-ce que c'est une marque de retrait que de rappeler que la France appartient aux quelques pays dont la démarche est plus ambitieuse - je crois d'ailleurs que c'est connu de la plupart d'entre vous - ce n'est pas une déclaration nouvelle.\
QUESTION.- (Inaudible).
- LE PRESIDENT.- Il y a une déclaration sur les relations Est-Ouest, mais enfin, elle est renvoyée aux ministres pour les 16 et 17 décembre. Et il y a quelques questions, comme celles que j'ai citées, Proche-Orient, apartheid. J'ai cité une question non élaborée : le génocide arménien. Il doit y avoir un débat sur un rapport sur la situation économique. Voilà, tel que je m'en souviens, l'énoncé des questions qui, au fond, n'ont pas été examinées au fond par le Conseil alors que la plupart d'entre elles l'avaient été par les ministres. Mais il était tard et l'accord semblait d'ailleurs devoir se faire - non pas sur tout - mais sur l'essentiel sans oublier naturellement la proposition franco-italienne sur le cancer.\
QUESTION.- Monsieur le Président, dans quel esprit abordez-vous demain la rencontre avec le général Jaruzelski ?
- LE PRESIDENT.- Mais, ici, je rapporte ce qui s'est passé au sommet de Luxembourg, sur la construction de l'Europe. Et je ne peux pas me distribuer en une série de conférences de presse ayant une tendance universaliste, à tout moment. J'aurai certainement l'occasion d'en parler après. Vous me demandez surtout mon -état d'esprit, d'ailleurs je ne peux pas faire un compte-rendu de ce qui n'a pas eu lieu. Mon -état d'esprit est que la France doit venir en aide aux Polonais. Mais que le problème qui semble aujourd'hui discuté par une partie de l'opinion c'est : quelle est la meilleure façon ?
- Moi, j'ai conclu que la meilleure façon, c'était en discutant et en proposant plutôt qu'en s'ignorant. Cela dit, je ne suis pas à l'origine de cette rencontre, elle m'a été demandée par le chef de l'Etat de Pologne. Voilà. Merci beaucoup. Bonne nuit.\