15 novembre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du 40ème anniversaire de l'ordonnance instituant un Commissariat à l'énergie atomique, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 15 novembre 1985.

Monsieur le Haut-Commissaire,
- Monsieur l'administrateur général,
- Mesdames et messieurs,
- Je vous remercie pour ces propos et je vous adresse maintenant les voeux que je forme pour la poursuite de votre action, voulant célébrer aussi, à ma façon, en votre compagnie, ce quarantième anniversaire de l'ordonnance qui a institué le Commissariat à l'énergie atomique.
- Vous venez de le rappeler, le Commissariat avait à l'origine pour mission - ce sont les termes mêmes de l'ordonnance, "de poursuivre les recherches en vue de l'utilisation de l'énergie atomique dans les divers domaines de la science, de l'industrie et de la défense nationale".
- La diversité de ses missions répondait aux vues prémonitoires de Frédéric Joliot Curie, le premier Haut-Commissaire, - et vous êtes ici plusieurs à lui avoir succédé, donc à avoir assuré la continuité de cette action - lequel avait très vite imaginé les innombrables retombées de la découverte de la radioactivité artificielle : devrais-je rappeler qu'il avait fait installer, en 1938, au Collège de France, le premier cyclotron à usage biomédical, ou encore qu'il avait déposé, en mai 1939, à l'Académie des Sciences, des brevets sur "des dispositifs de production d'énergie" ?
- Cette diversité se retrouve aujourd'hui dans les activités du Commissariat, vous venez de le souligner, ainsi que dans les très nombreuses coopérations engagées avec l'industrie et des organismes de recherche.
- J'ai pu le constater moi-même sur le terrain quand j'ai inauguré les nouveaux bâtiments du Laboratoire d'électronique et de technologie de l'informatique `LETI` que le Commissariat à l'énergie atomique a implantés à Grenoble, ou lorsque j'ai été au CERN, ou encore au JET - ce très bel anneau d'étude de la fusion nucléaire - où j'ai rencontré certains d'entre vous, où j'ai profité de leurs explications -. Ce dernier a été construit près d'Oxford, et je sais qu'à la conception de ces travaux les chercheurs du Commissariat ont pris une part déterminante.
- Cette ouverture est encore plus évidente ce soir, ici, où se côtoient des représentants de nos grands établissements de recherche, des industriels, tous ceux qui, à des degrés divers de responsabilité, ont aujourd'hui à participer à la décision pour les recherches et pour les applications civiles et militaires conformément aux vues de 1945. Donc des industriels qui prennent le relais des chercheurs afin de constituer la première industrie nucléaire du monde, et aussi des opérateurs comme Electricité de France. Il en est de toute sortes : précisément, je remarquais à l'instant que parmi vous se trouvaient quelques-uns des fondateurs, des créateurs, des responsables, soit au -plan du gouvernement, soit au -plan du Commissariat. Et je suis très heureux de les voir rassemblés pour une cérémonie de ce type qui n'est pas simplement un regard tourné vers le passé, mais qui est beaucoup plus la marque d'une détermination portée sur l'avenir. Je crois que ce type de rassemblement constitue pour la France une grande force.\
Je crois aussi que la France peut être fière de ce que vous avez fait, de son Commissariat à l'énergie atomique. Pourquoi ? Vous en avez vous-même, M. Renon, défini quelques-uns des éléments, je les reprends : d'abord parce que c'est un instrument de notre indépendance. Quand je dis cela je ne pense pas seulement à la défense, bien que j'y pense aussi. On sait le rôle que le Commissariat a joué pour la création de la force de dissuasion, qu'il continue à avoir pour sa modernisation afin de maintenir sa crédébilité en tenant compte des développements des nouveaux systèmes de défense. Cela va vite.
- Mais je pense aussi à notre indépendance énergétique. Nous souffrions, en France, d'une très grande vulnérabilité pour nos approvisionnements. On a réussi à desserrer ce qui était véritablement un étau grâce au programme électronucléaire qui, je crois, bénéficie aujourd'hui d'un large accord de l'opinion politique française, non sans remous, sans sursxaut, non sans incertitude, mais finalement on peut estimer que les Français ont compris, dans leur immense majorité, que c'était dans leur intérêt et pour leur sécurité, et non pas le contraire. Au-delà de notre territoire national, le programme nucléaire est reconnu comme une référence. Par sa qualité, sans doute, il ne serait pas possible de rien faire sans lui, mais aussi parce qu'il contribue, en limitant notre appel au pétrole, à rééquilibrer l'affectation des ressources d'énergie des pays industrialisés, comme le nôtre, vers des pays en développement dont, vous le savez, nous avons grand intérêt à voir l'action couronnée de succès. C'est une des conditions de la domination par notre société de la crise qui la frappe.
- Mme Gandhi, lorsqu'elle saluait le programme nucléaire français devant la Conférence mondiale de l'Energie à New-Delhi en 1983, mettait précisément en avant la nécessaire solidarité entre pays du Nord et pays du Sud face à la consommation des réserves d'énergie non renouvelables.
- Je disais instrument de notre indépendance nationale, ce sont des mots qui raisonnent dans notre esprit et notre coeur. Je crois vraiment que l'outil que vous avez créé est essentiel en plus, mais cela fait partie du sujet, pour la modernisation du pays. C'est un grand organisme de recherche, et nous avons mis l'accent sur la recherche qui reçoit aujourd'hui des crédits comme jamais et qui devrait en recevoir davantage. Vos équipes ont acquis un grand savoir faire, on peut dire même exceptionnel dans beaucoup de domaines qui vont de la biologie à la microélectronique. Certaines applications en sont déjà connues dans les technologies bio-médicales, dans la robotique, les composants électroniques, les matériaux. Bref, le Commissariat s'est doté d'une structure - CEA Industrie - pour développer les interventions industrielles, valoriser le potentiel d'innovation accumulé au fil des temps. Je pense que c'est une voie prometteuse. Le gouvernement la favorisera, notamment par les dispositions du nouveau plan triennal pour la recherche, et je souhaite que le personnel du Commissariat à l'énergie atomique la considère comme une priorité. Je sais qu'ils se mobiliseront pour en assurer le succès.\
Enfin, je voudrais souligner l'atout que nous donne la maîtrise des technologies nucléaires pour la politique de coopération. Dans de nombreux pays, l'accès au nucléaire est un moyen de desserrer la contrainte des approvisionnements. Le texte de l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945, j'y reviens, est là encore très prévoyant, puisqu'il se termine par le voeu que le "génie de la France puisse se manifester dans une oeuvre qui, nous espérons tous, se révèlera favorable au progrès humain" £ telles étaient les explications du moment.
- Nous sommes restés fidèles à cette orientation malgré les difficultés inhérentes au commerce nucléaire, que vous connaissez. Il fallait trouver un bon équilibre entre nos responsabilités internationales et cette volonté de coopération. Notre souci de contribuer au progrès et non pas à la guerre, ce n'est pas toujours facile à démêler, vous le savez bien.
- Alors, nous avons souscrit des engagements pour garantir les utilisations pacifiques de nos exportations nucléaires. Nous soutenons activement l'Agence internationale pour l'énergie atomique. En même temps, dans le respect de nos engagements, nous faciliterons l'accès au nucléaire, pour les applications pacifiques, dans les pays où cet accès est un moyen de développement irremplaçable.\
Rappelez-vous - ceux d'entre vous qui appartiennent à ma génération se souviennent et les autres savent bien - qu'il y a quarante ans notre pays sortait affaibli, très affaibli, de la guerre, que ses chercheurs s'étaient dispersés, que ses laboratoires étaient détruits.
- La création du Commissariat à l'énergie atomique a fait partie, et fait encore partie, des grands actes qui ont marqué l'engagement de l'Etat dans la renaissance du pays. Nous avons tous ensemble refusé la fatalité du retard technologique, nous avons, dans de nombreux secteurs, rattrapé ce retard, il reste du travail, c'est je crois même l'un des thèmes principaux qui aujourd'hui anime les volontés gouvernementales. C'est le projet majeur qui permettra à la fois de former des hommes et de disposer d'un outil, d'un instrument industriel qui réglera beaucoup de problèmes, indépendament du fait que nous serons au niveau dans la concurrence la plus haute et la plus difficile, mais aussi nous disposerons des équipes d'hommes et de femmes, et, enfin, nous fournirons un moyen de travail élaboré, multiplié, indispensable.
- Je crois que votre réussite a été à la hauteur des espérances mûries pendant la guerre. Elle s'est perpétuée pendant ces quarante ans, elle augure bien des grands programmes que nous engageons à l'heure actuelle en Europe dans le domaine spatial comme dans tous les secteurs de haute technologie.
- Je souhaite, mesdames et messieurs, que le Commissariat à l'énergie atomique réponde avec la force et la qualité qu'il a montrées dans le passé, réponde à l'avenir aux grands défis que le progrès technique, que l'évolution du monde et que les systèmes de défense nous opposent, nous proposent.
- Vous poursuivrez votre mission, j'allais dire vos missions, avec acharnement, je pense, avec foi en tout cas. Vous avez hissé notre pays aux premiers rangs parmi les grands pays industrialisés. Là où il y a effort à accomplir, pour justifier cette expression, nous y pourvoirons. Vous pouvez en être assurés. La France est un pays qui le mérite et qui le peut. Ce qui lui faut, c'est une volonté. Qui d'entre vous ne l'aurait pas ? Sachez en tout cas que cette volonté nous habite et que je vous remercie pour la tâche accomplie.\