25 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'installation du Haut conseil de la population et de la famille, Paris, Palais de l'Élysée, vendredi 25 octobre 1985.

Je vous remercie d'avoir bien voulu, mesdames et messieurs, prendre part, non pas particulièrement à cette cérémonie, mais à la tâche qui s'annonce, pour laquelle je suppose que vous avez beaucoup d'ambitions. Encore cela dépendra-t-il de l'action qui sera menée.
- Je vais donc dès maintenant confier à M. le président Laroque le soin de commencer et nous resterons quelques instants ensemble, après quoi nous pourrons parler entre nous, une fois la séance levée, et avant que vous ne commenciez réellement alors à mettre en oeuvre et à faire vivre ce Haut Conseil.
- (Allocution du Président Pierre Laroque)
- Je vous remercie.
- Je vais dire quelques mots en vous rappelant que la Constitution même de la République, fait du Président de la République le garant des intérêts vitaux de la nation. Quelle est la définition des intérêts vitaux ? On sait déjà qu'à ce titre, je préside le Conseil de défense, le Conseil supérieur de la magistrature. Et si la défense et la justice sont d'anciennes fonctions de l'Etat, aujourd'hui j'en suis convaincu, l'évolution de la population française requiert de nous le même souci. C'est pourquoi j'ai décidé de créer, mais aussi de présider, ce Haut Conseil de la population et de la famille.
- Le président Laroque vient de définir notre horizon, celui de l'an 2000 et les années suivantes. Il a rappelé les mérites de l'école démographique française en particulier d'Alfred Sauvy que je salu à mon tour. Nous ne sommes pas pour la plupart des démographes. Mais vous êtes ici, mesdames et messieurs, pour aider à concevoir une politique au sens le plus élevé du mot, pour la population et la famille.
- Le président Laroque à l'instant a fait le constat de la nouveauté radicale des problèmes de population. Il a souligné que depuis les origines de l'humanité, on acceptait l'enfant alors qu'aujourd'hui avoir des enfants devient pour les parents un choix volontaire. La décision de donner la vie est du domaine de leur conscience. Et le pouvoir de l'Etat s'arrête là, là où commence la liberté irréductible de chaque être humain.
- Mais en même temps, ces décisions libres des citoyens posent à la nation des problèmes collectifs. Par exemple, si un jour prochain, des découvertes scientifiques permettent aux parents de choisir le sexe de leur enfant, qui pourrait nier que la collectivité devrait être attentive aux conséquences qui pourraient en résulter.\
La politique familiale est certes une tradition dans notre pays, en tout cas depuis un certain nombre de décennies. Elle a été définie, elle existait déjà, par le Front populaire en 1936, reprise par le Code de la famille en 1939, confirmée et menée avec énergie par les gouvernements issus de la Résistance. Comme tout ne vient pas de l'Etat, loin de là et c'est heureux, je pense à tous les efforts menés par les associations familiales qui ont proposé des idées, suggéré des méthodes et soutenu les gouvernements chaque fois qu'ils sont allés dans ce sens.
- Je pense que les résultats sont là et qu'une certaine vitalité démographique, loin d'être suffisante, s'explique par la conjonction de ces efforts depuis 30 ans, 40 ans. Cependant depuis quelques temps, même si notre taux de fécondité est le plus élevé des grandes nations industrielles, même s'il naît encore plus d'enfants qu'il n'y a de décès chaque année, la France ne remplace plus ses générations. Et je le dis, mesdames et messieurs, sans vouloir exagérément dramatiser bien qu'il s'agisse d'un drame, sans un nombre suffisant de jeunes, une société n'est plus incitée, (indépendamment de son renouvellement, question fondamentale) à la création, au mouvement, au changement £ elle ne pourvoit même plus à sa propre sécurité.
- Certes, le chiffre total d'une population ne peut pas être l'objet d'un concours. Ce n'est pas un élément nécessairement décisif. Moins de 1 %, un peu plus de 1 %, les données générales n'en sont pas fondamentalement changées car la démographie dans beaucoup d'autres pays, vous le savez, est, elle, galopante.
- On pourrait dire que la France serait encore la France avec moins d'habitants ou même un peu plus mais ce qui compte en vérité c'est l'équilibre profond d'une nation. L'équilibre entre le nombre des jeunes, celui des adultes, celui des anciens, c'est comme je le remarquais il y a un instant, la capacité d'une société à se renouveler, non seulement par l'arrivée parmi nous de jeunes enfants mais par la charge d'idées, de projets, d'énergie, de vitalité qu'elle représente.\
Devant un tel problème, trois pistes se proposent. D'abord nous devons réfléchir au rôle présent et à venir de la famille. On sait qu'elle est en pleine mutation £ le président Laroque vient de le remarquer £ et de plus les femmes travaillent : progrès significatif, progrès souhaitable mais avec bien des conséquences qui n'ont pas toujours été examinées directement.
- Je suis de ceux qui pensent qu'une société se définit par la place qu'elle donne aux femmes ou que les femmes y prennent, et sur ce point, on conviendra que nous avons du chemin à faire. Il me semble que Mme Yvette Roudy ne cesse de le rappeller. Mais il est vrai que l'arrivée du troisième enfant, si nécessaire socialement, semble obliger la mère, très souvent, à cesser son activité professionnelle. A cette question, que de réponses diverses. Le conflit entre le métier et les enfants se résoud trop souvent en termes financiers. On aperçoit l'injustice d'une telle réponse. La croissance du pouvoir d'achat, des prestations familiales en particulier depuis ces quatre dernières années, je me permets de le dire, l'allocation du jeune enfant, l'institution de l'allocation parentale contribue à l'apaiser sans y répondre absolument.
- Il faut penser aussi aux crèches, à l'accueil des familles dans les logements, dans les équipements collectifs, aux conditions mêmes de travail. Il y a aussi le chômage qui ronge l'équilibre individuel et familial, particulièrement chez les jeunes, qui affecte la vitalité de chacun, qui brise l'espoir du lendemain.
- Précisément Alfred Sauvy, que nous avons salué et il le fallait bien, a expliqué il y a déjà longtemps que le chômage a peu à voir avec le nombre des travailleurs, qu'il dépendait beaucoup plus de leur qualification, d'où la nécessité d'une politique de formation, et de la compétitivité des entreprises, tous éléments qui commandent notre effort de modernisation.
- Oui, femmes et hommes, ceux qui acceptent d'appeler des êtres à l'existence, qui les élèvent, qui les aiment, ceux-là ne font pas seulement un acte de foi dans l'avenir, ils remplissent une tâche que la société se doit de reconnaître. Il nous faut comme nous y invite Mme Georgina Dufoix, instaurer un -état d'esprit favorable à l'enfant, créer partout des espaces pour lui, le faire accepter pas seulement dans les lieux où on le destine mais aussi dans notre environnement naturel, dans nos villes, partout. Bref, le faire désirer. Et je me souviens de bien d'allocutions, de conversations avec M. le président de l'Union nationale des associations familiales qui développait le même thème auquel se consacrent tant d'entre vous.
- Et puis d'autres mutations affectent la famille. On l'a constaté, on l'a dit, on se marie moins si l'on vit tout autant en couple, on divorce davantage, les relations entre hommes et femmes, entre enfants et parents se transforment et cependant la famille reste tout à fait essentielle pour les Français comme l'expérience le montre, toutes les enquêtes aussi. Et puis enfin, chacun d'entre nous le sait bien.\
Le deuxième axe de réflexion porte sur la place des personnes âgées sur notre société. Dans les trente ans qui viennent, la population française vieillira, son âge moyen augmentera, la diminution de la natalité, sans doute, et aussi l'allongement de la vie humaine en changent la structure. En outre la cessation d'activité intervient plus tôt avec les pré-retraites, les garanties de ressources, la généralisation de la retraite à 60 ans.
- Donc, il faut donner leur place à ce que j'appellerai les jeunes retraités dont l'activité, comme l'expérience, ne cherchent qu'à se déployer. Combien de sexagénaires actifs, dynamiques et qui sont pour notre pays un puissant gisement, comme on dit maintenant, d'expérience, de créativité, de développement, surtout pour la vie associative. La commission présidée par M. Tabah au Commissariat général au plan, versera ses travaux à notre dossier dans quelques semaines. Il nous appartiendra d'en relever les conclusions.
- Mais, je tiens à dire, dès maintenant, que le rôle de ces retraités, de ceux qu'on appelle les anciens, sera décisif pour l'équilibre de notre société.\
Le troisième enjeu me paraît être celui des communautés étrangères installées sur notre sol. Ce qui est en question ici, ce n'est pas exactement l'importance numérique de l'immigration en France. Il s'agit de bien davantage de l'ouverture de notre société, à ce qu'on appelle la différence. Certains parlent de préférence nationale, je crains qu'une préférence de ce type ne soit celle d'une fermeture, d'un repli sur soi, et du repli sur soi le plus sommaire.
- Depuis des siècles notre pays est une nation, une société plurielle, elle est aujourd'hui très riche de cette diversité. Il faut bien l'assumer £ et à bien l'assumer, la société française démontrera sa capacité à affronter comme il convient l'avenir. Elle maintiendra, en même temps, vis-à-vis de tous les pays de migrations, des relations politiques, économiques, sociales plus confiantes et cela contribuera à notre rayonnement. En tout cas c'est un fait. On vit avec ce problème, mieux vaut le résoudre avec un esprit d'ouverture, de générosité et avec le sentiment bien compris de notre intérêt national.
- Dans cette perspective, le Haut Conseil aura à débattre de mesures essentielles. Au-delà des décisions déjà prises, comme l'-institution d'un titre unique de dix ans, comment mieux insérer les communautés immigrées en France dans le respect des droits et des devoirs de tous ?
- Comment mieux former ensemble et dès le plus jeune âge, les générations montantes ? Comment consolider notre droit de la nationalité ?\
Et je souhaite que le Haut Conseil de la population et de la famille symbolise la capacité de la Frane à préparer cet avenir £ faire vivre l'espoir, entretenir la volonté profonde de notre peuple dont les capacités de projetion sont immenses. Ce peuple le montre depuis tant de siècles. Il n'épuisera pas ses chances. Et nous apercevons, vous et moi, chaque moment, dans les domaines scientifiques, de l'art, toutes les formes de la culture, de la littérature, de la technique, dans le domaine de l'invention pratique et quotidienne, on voit bien combien ce peuple continue d'être riche.
- Cette capacité de la France, elle ne peut s'affermir, s'assurer que par le respect des libertés et particulièrement de la liberté fondamentale de chacun dans sa vie personnelle, dans sa vie familiale, dans sa vie professionnelle et cela ne sera possible que dans un pays, dans le -cadre d'un pays qui garde confiance en lui-même. On sait bien à quel point sont liés les phénomènes individuels ou familiaux dans le nombre des enfants, la manière dont ils sont accueillis, avec un -état d'esprit général qui déborde les frontières d'un seul pays : les menaces de guerre, de destruction, la terreur. Même si cela n'est pas clairement perçu dans l'esprit de chacun, une humanité qui sent le péril peser sur elle, plus lourd que l'espérance, a tendance à diminuer sa propre vitalité.
- Les enfants qui naissent cette année auront, faut-il le dire, 15 ans en l'an 2000. Alors, ils entreront dans un monde dont les outils, les produits, les modes, les rythmes de vie seront très profondément différents des nôtres. On pourrait le dire chaque fois ! non on ne peut pas le dire chaque fois. On a vu l'accélération de la première révolution industrielle, puis la deuxième, nous abordons aujourd'hui la troisième. Toutes les études le montrent clairement. Dans cinq ans, dans dix ans, la part des objets que nous pratiquerons, que nous ne connaissons pas encore, sera plus importante que celle des objets que nous connaissons et que nous pratiquons.
- Le monde sera plus petit, parce que les communications sont plus faciles, le monde sera plus grand parce que les techniques et les sciences ouvrent des perspectives nouvelles, des perspectives encore imprévisibles\
Une politique de la population, mesdames et messieurs, c'est d'abord une politique qui propose à tous les Français - puisqu'il s'agit de la France - qui propose un avenir. Le mot aventure venait dans mon esprit, mais il serait trop faible, ce n'est pas simplement une aventure, c'est aussi affaire de volonté, de conception. C'est communier avec le besoin profond d'une société d'avoir à se perpétuer en même temps qu'à se renouveler. Mais en tout cas, aventure, s'il y a aventure, -entreprise, certainement, accomplissement, plus encore. Imaginez, mesdames et messieurs, si vous l'imaginez, c'est bien aussi parce que étant là, vous avez fait un choix, un choix de votre vie, combien le destin de ces enfants-là pourrait être exaltant ! Chacun connaît ses difficultés, ses peines, ses chagrins. Chacun sait combien la vie est limitée et en même temps, chacun sait bien la force de l'amour, de la tendresse et de l'amitié, par les sentiments et les liens qu'ils créent. Chacun sait que se perpétuer par le meilleur de soi-même, c'est aussi la seule façon de s'accomplir réellement.
- Mesdames et messieurs, vous avez bien voulu accepter de participer à des travaux, dont vous connaissez les éléments de base pour les avoir vécus, pratiqués dans vos associations, dans votre profession, par vos choix personnels.
- Mais enfin cela vous prendra du temps, je ne pense pas que vous en ayez tellement de disponible, donc un effort, un sacrifice. Soyez-en remerciés. J'ai le sentiment qu'il s'agit d'une grande oeuvre. Vous aurez été à l'origine d'une nouvelle étape dans la construction d'une politique de la population et de la famille en France. Nous sommes d'accord pour penser que c'était nécessaire, encore fallait-il que quelqu'un se mît à l'ouvrage. C'est ce que vous faites et je vous en remercie. Voilà, cette cérémonie d'ouverture, si l'on peut l'appeler cérémonie, s'arrête là. C'est-à-dire que l'on n'a encore rien fait, pas grand chose. Une excellente introduction, un relais et maintenant, c'est à vous que le reste incombe. Mais, chaque fois qu'il paraîtra nécessaire, je présiderai ces travaux, pour bien montrer qu'il s'agit, je l'ai dit pour commencer, qu'il s'agit d'un intérêt vital de la nation dont j'ai moi aussi la responsabilité.\