14 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur les relations culturelles franco-brésiliennes et l'aide au développement, à l'occasion du dîner offert par M. le Président de la République du Brésil et Mme Sarney, au Palais de l'Itamaraty à Brasilia, lundi 14 octobre 1985.

Monsieur le président,
- Mes premières paroles seront pour vous remercier des appréciations élogieuses que vous venez de porter sur mon pays.
- Je suis venu chez vous, fidèle à une promesse. Cette promesse, je l'avais faite à votre prédécesseur, le président Tancredo Neves, chez moi, dans les Landes, où je l'avais accueilli en janvier.
- Je m'incline devant sa mémoire qui n'est pas près de s'effacer, je le vois bien dans le coeur des Brésiliens, et que je n'oublierai pas moi non plus. A cet hommage, j'associerai la compagne de toute sa vie, Dona Risoletta Neves.
- Mais ce message de la France, c'est à vous, monsieur le président, que je l'apporte, vous, le continuateur du "Père fondateur de la Nouvelle République", vous qui avez à coeur d'en exécuter l'héritage, vous qui l'exécutez avec l'autorité que requiert votre fontion et que marque votre personne.
- Cette tâche est immense, à la mesure de ce pays, un demi continent avec ses quelques 135 millions d'habitants. Mais si j'ai bien lu tout ce que j'ai appris sur vous, vous êtes d'abord un homme du Maranhao, de cette ville de Saint-Louis dont vous venez de parler, fondée jadis par les Français et de cette terre de vieille paysannerie, ce qui me rapproche singulièrement de vous. Puis, vous êtes aussi un écrivain, un poète de talent, l'ami des créateurs que vous avez invités à rêver sur l'avenir. Je vous cite, "votre peuple grandit comme un arbre" et là vous avez repris Bernanos "ou se compose comme un poème", c'est ainsi que notre illustre Français s'exprimait dans sa "Lettre aux Anglais". Il avait vécu chez vous et il vous connaissait bien.
- Moi aussi, je suis heureux de me trouver au Brésil pour vous connaître, mesdames et messieurs, pour vous connaître, madame, monsieur le président et au-delà de vous ce grand peuple. Je suis le premier chef d'Etat, m'avez-vous dit, à me rendre au Brésil depuis l'avènement de votre nouvelle République. Eh bien, j'y vois une heureuse conjonction entre le retour de la démocratie et le retour de la France. L'heure des retrouvailles a sonné entre nos Etats, mais nos peuples, eux, ne s'étaient pas quittés.\
En me rendant chez vous, je me demandais : à quoi donc est due, et de quoi est faite cette sorte de connivence entre Brésiliens et Français ? La réponse me paraissait tenir en deux mots et vous venez de les confirmer dans votre toast il y a un instant : langue et culture.
- Cinq siècles de relations et en tous cas plus de 200 ans d'amitié : voilà qui résume, me semble-t-il, l'histoire de nos pays.
- Vous avez vous-même, monsieur le président, rappelé l'attirance exercée sur votre pays par les écoles littéraires, artistiques, philosophiques de la France. Vous avez cité plusieurs noms fameux : Benjamin Constant, Auguste Comte, dont la devise figure sur votre drapeau, mais j'ajouterai quand même aussi quelque chose. Sait-on que l'Empereur Don Pedro II s'entretenait avec Hugo de l'esclavage, avec Renan des langues sémitiques, avec Pasteur de l'extinction de la fièvre jaune ?
- Etrange et forte histoire que celle qui relie l'homme et la terre. La terre, un paysage, un cours d'eau, une ville inspirent le poète ou bien le romancier. Et voilà que ce qu'écrit ou chante le romancier, ou le poète, devient un autre paysage, un autre fleuve, une autre ville pour ceux qui gagnent, pour ceux qui suivent, et ce dialogue recommence sans cesse : l'homme et la terre. Voilà pourquoi l'homme du Brésil et la terre du Brésil exercent aussi sur nous la même attirance.
- Les preuves de cette attirance sont multiples tout le long de ces derniers siècles. Vous avez cité Montaigne. On peut aller jusqu'à le Corbusier, jusqu'à Louis Jouvet, à Sainte-Beuve, notant l'influence de la littérature du Minas Gerais sur le romantisme français, Blaise Cendrars qui vous appartient à vous et à nous exaltant la magie du Sertao £ Claudel écrivant à Rio la "Messe de là-bas" et glissant dans le "Soulier de satin" une touche de Macumba £ Duhamel prônant le métissage des civilisations, Manet ravivant sa palette après un bref voyage £ Darius Milhaud nous donnant les "Saudades du Brésil", Anatole France devenant la première personnalité étrangère membre de l'Académie brésilienne des lettres £ Bernanos, encore un fois, qui avait fait du Brésil et de Barbacena sa seconde patrie. Devais-je parler de Santos Dumont dont on ne sait s'il fut le plus français des Brésiliens ou le plus brésilien des Français ! Enfin, ne sont ce pas également des professeurs français dont le plus éminent peut-être a bien voulu m'accompagner ici `Claude Lévi-Strauss`, qui ont contribué, dès 1934, à faire de l'Université de Saint-Paul ce qu'elle est aujourd'hui.\
Aujourd'hui, c'est à une véritable renaissance de la langue et de la pensée française que nous assistons au Brésil avec notamment, la décision des Etats de la fédération de réintroduire l'"opinion obligatoire" du Français dans l'enseignement secondaire. De même, que je veillerai pour ma part à ce que votre magnifique langue, longtemps, trop longtemps négligée chez nous, trouve la place à laquelle elle peut légitimement prétendre.
- Le projet "France-Brésil" nous offre à cet égard une occasion précieuse.
- Dans mon esprit, il s'agit moins d'échanger des expositions, des colloques, que de former l'instrument permanent d'une meilleure connaissance mutuelle entre nos peuples, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Certes, nous sommes loin de partir du néant. Notre coopération scientifique et technique avec le Brésil est la plus importante de celle que nous développons hors la tradition française qui s'exprime en Afrique. Le réseau brésilien des alliances françaises demeure le premier du monde. Et, cependant, il nous faut aller plus loin, favoriser toutes relations entre nos peuples. J'ai moi-même vécu au cours de ces dernières années bien d'heureuses occasions à la rencontre de mes amis brésiliens et j'avais beaucoup de joie, il y a peu de temps, à recevoir en une occasion solennelle, l'un des vôtres, Jorge Amado, au palais de l'Elysée auquel je disais : "le Brésil, quand il vient nous voir, il doit se sentir chez lui".\
Huitième puissance économique du monde, le Brésil, on le sait, affronte un terrible défi. Je crois qu'il a besoin, dans cette circonstance, de compter ses amis.
- Je vous le déclare : la France a contribué, contribue et contribuera au développement du Brésil. Usines, mines, barrages, turbines, voies ferrées, métros, aéronefs : rien de ce qui a accompagné le fantastique essor du Brésil au cours des trente dernières années, ne nous est resté étranger. Quant aux entreprises françaises, elles ont, dans leur grande majorité, fait le gros dos durant la crise mais elles ont évité comme l'ont fait tant d'autres, de fermer leurs succursales démontrant ainsi, avec éclat, leur confiance dans l'avenir de votre pays.
- Le Brésil a montré ces derniers temps qu'il était un pays d'une vitalité exceptionnelle. Après trois années de récession, vous avez su retrouver en 1984, le chemin de la croissance et de l'équilibre et même plus de la balance des paiements courants.
- Ces beaux résultats n'ont pas été sans sacrifice et sans douleur pour votre peuple, mais vous avez montré que l'effort est le gage de la sécurité et de la réussite, et comme quelques-uns de vos grands voisins, vous avez su repousser les solutions de facilité. Par ce choix, récemment encore réaffirmé, votre pays, aux réunions de Séoul, manifeste qu'il croit en lui-même et qu'il est conscient de ses responsabilités mondiales.
- Le sort des créanciers et des débiteurs est intimement lié et une solution ne peut être trouvée sans un partage du fardeau entre les uns et les autres. Tous les systèmes internationaux reposent sur la confiance, mais le fardeau des pays endettés est tel qu'il nous faut l'alléger sous peine de rendre impossible à la fois l'assainissement de leurs économies et la survie du système économique et financier dans lequel nous vivons.\
Il n'est pas concevable que des pays en développement puissent avoir pour seul horizon durant les 15 ou 20 années qui viennent, la récession ou même la stagnation. Cela représenterait une trop grave menace non seulement pour le système économique mondial, mais aussi pour la démocratie. Aussi, ne puis-je que redire ici ce que j'ai affirmé à chacun des Sommets des sept grands pays industrialisés : il n'y a pas de solution durable au problème de la dette sans un retour à une croissance élevée et continue de l'économie mondiale, sans une organisation des marchés de matières première, sans un meilleur respect des règles du commerce international, sans une réforme du système monétaire qui garantisse davantage de stabilité aux monnaies.
- Le monde, enfin, prend conscience de la gravité de la situation. J'aperçois qu'au cours de ces trois dernières années, un pays comme les Etats-Unis d'Amérique, évolue dans le sens souhaité. Nul ne prétend plus que la question de la dette puisse être réglée de façon mécanique par l'octroi d'allégement à court terme et par la baisse du niveau de vie dans les pays les plus pauvres.
- Mais, il ne suffit pas d'analyser correctement une situation, encore faut-il se donner les moyens de l'améliorer.
- Pour aider les pays endettés, notamment les plus pauvres afin qu'ils renforcent les structures de leurs économies et qu'ils créent des bases d'un développement soutenu et durable, il faut que les grands organismes financiers mondiaux augmentent leurs aides. Des financements d'origine publique sont indispensables pour compléter, et parfois remplacer, les financements d'origine privée. A cet égard, la France propose depuis plusieurs années une augmentation des ressources de la Banque mondiale, une meilleure articulation entre Banque mondiale et Fonds monétaire international, une augmentation des liquidités internationales sous forme de droits de tirages spéciaux. Un accord se dessine, aujourd'hui même, chez les pays riches jusqu'ici réticents, pour accroître le rôle et augmenter les capacités d'intervention de la Banque. Je me réjouis de cette évolution et j'espère qu'elle se traduira rapidement dans les faits.\
Je constate que les esprits évoluent vers la nécessité de faire baisser les taux d'intérêts et de limiter par des interventions concertées, les variations erratiques du dollar. Je ne saurais oublier le rôle que peut jouer la Communauté européenne dans un pareil domaine et l'appartenance de la France à cette Communauté doit permettre de renforcer les perspectives de coopération.
- S'il est certain que cette Europe a, depuis de nombreuses années, en raison de liens historiques, conclu des accords privilégiés avec des pays d'Afrique, des Caraïbes et Pacifique `pays ACP`, il n'en reste pas moins qu'elle n'ignore pas l'Amérique latine en général, et le Brésil en particulier.
- Au sein de cette Communauté, la France apporte son appui aux accords internationaux sur les produits de base £ lorsqu'on sait pour vous-mêmes que votre pays est le premier producteur de café et le deuxième producteur de cacao dans le monde, on comprend l'importance des enjeux.
- Pour l'avenir, l'élargissement de l'Europe des Dix à l'Espagne et au Portugal représente, sans doute, un gage d'espérance supplémentaire pour le Brésil.
- La création d'un institut latino-américain qui aura pour siège Madrid et Brasilia marque cette volonté de renforcer les liens entre l'Europe et votre continent. J'ai bien noté ce que disait tout à l'heure le président lorsqu'il parlait d'Eureka. Aujourd'hui, 18 pays hors d'Europe m'ont fait savoir qu'ils souhaitaient y prendre part, Canada, Argentine. Bien entendu il nous faudra consulter nos partenaires. Mais, dès maintenant, je peux vous dire que la France se fera l'avocat d'une participation brésilienne, si vous le décidez.\
Monsieur le président, considérant nos rapports politiques, je ne peux que les qualifier en deux phrases : ils étaient déjà bons, les voilà excellents !
- Aucune rivalité, aucun contentieux ne nous séparent. Ce n'est pas un discours qu'on peut tenir à tout le monde. De la "France antarctique" au XVIème siècle, de la "France équinoxiale" au XVIIème, nos relations ont toujours été exemptes de dépendance comme de domination. Elles se placent sous le signe du respect mutuel que se doivent des peuples libres et égaux en droit. A ce titre, je puis dire que nos relations sont exemplaires.
- On peut faire plus. Lorsque le Brésil et la France se rencontrent, il est légitime que toutes les grandes affaires du monde soient abordées. Depuis 1983, nos ministres des affaires étrangères se rencontrent assez souvent, pourquoi ne pas conférer à ces contacts une périodicité régulière ?
- Tous les sujets doivent être traités. Nous allons commencer de le faire. L'équilibre stratégique entre l'Est et l'Ouest, thème que défend partout la France. Le dialogue nécessaire entre les pays du Nord et du Sud, priorité pour la France. Sans oublier les grands conflits régionaux qui constituent une menace constante pour la paix du monde.\
Deux points importants, où nous nous sommes récemment retrouvés, cela figurait dans votre discours, monsieur le président : l'Afrique du Sud et l'Amérique centrale. Par sa condamnation ferme et sans équivoque des pratiques de l'apartheid, votre pays a conforté la position prise par la France devant les Nations-unies. D'autre part, la participation du Brésil au "Groupe de Lima" apporte un appui très utile aux "pays de Contadora" qui, comme on le sait, s'efforcent de rétablir la paix et de maintenir la souveraineté des Etats dans une région particulièrement exposée de votre continent.
- Il faut penser que là où les pays d'une région ne trouvent pas d'eux-mêmes la solution souhaitable, aussi bien en Amérique centrale qu'au Moyen-Orient ou qu'en Afrique australe, sans oublier les autres sujets de querelles, partout la décision échappe aux pays concernés et appartient de plus en plus aux grandes puissances qui se partagent la suprématie dans le monde.
- Nous traiterons des problèmes qui touchent à la paix du monde, à l'armement et au surarmement, aux éventualités de guerre des étoiles, à tout conflit qui pourrait contaminer la sécurité pour vous, pour nous et pour tous.\
Monsieur le président, je voudrais conclure en exprimant un "acte de foi" dans les destinées de votre peuple. Beaucoup plus qu'aux richesses de son sol ou de son sous-sol, il devra sa grandeur à ses qualités, aux qualités de son peuple et ses qualités sont immenses.
- J'espère que cette relation qui s'établit aujourd'hui pourra se poursuivre dans les mois ou les années qui viendront. Aussi, monsieur le président, vous pourriez nous faire le grand honneur, quand vous en trouverez la disponibilité de venir nous voir, en France. Nous vous recevrons du mieux possible, en tout cas avec coeur.
- Et vous, madame, nous pourrons reprendre les conversations aujourd'hui même engagées, de même que les personnalités brésiliennes qui nous ont réservé un accueil si charmant.
- Monsieur le président, la France discutera avec le Brésil. Elle défendra ses intérêts. Elle ne le fera pas au-delà de ce qui compromettrait les chances du Brésil dans sa bataille pour son redressement.
- Monsieur le président,
- Madame,
- Il est temps de lever mon verre à mon tour pour la toast que je vous dois bien. Ce verre, je le lèverai, en pensant d'abord au peuple brésilien sous tous ses aspects, dans sa diversité, partout où il travaille, où il vit. Je veux qu'il entende ce soir, la parole d'un Président de la République française qui lui souhaite bonheur, paix et prospérité.
- Je lève mon verre, monsieur le président, madame, à vos santés, à celles des êtres qui vous sont chers, ceux qui vous accompagnent dans la vie ou qui la continueront. Je lève mon verre à votre santé, mesdames et messieurs, qui représente à nos yeux le Brésil tout entier. Oui, à votre santé.
- Vive le Brésil !
- Vive la France !\