9 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la presse brésilienne, notamment sur l'endettement des pays du tiers monde, le commerce international et les relations franco-brésiliennes, Paris le 9 octobre 1985.

QUESTION.- Monsieur le Président, votre voyage au Brésil est le premier voyage d'un chef d'Etat étranger depuis l'installation du gouvernement Sarney. A votre avis quel est le contenu politique de cette visite ?
- LE PRESIDENT.- Il y a je crois, longtemps que le Brésil et la France entretiennent des relations qui politiquement ont été variables, mais qui culturellement et historiquement ont toujours été intenses. Une relation qui n'a jamais été brisée.
- Alors, bien entendu, lorsque politiquement, il est plus aisé de parler parce qu'on s'inspire des mêmes valeurs, cela donne un voyage comme celui-ci, une signification plus grande. J'ajoute même, que c'est parce que le Brésil a fait preuve de cette maturité que cette rencontre a été rendue plus facile.
- Je lui accorde aussi une signification importante par rapport aux problèmes modernes, actuels, qui se posent à nous aujourd'hui. Et l'on sait que de grands débats se déroulent entre les pays dits industrialisés ou riches et les pays qui ne le sont pas, parmi lesquels on pourrait établir beaucoup de distinction. Car le Brésil a d'immenses potentialités, mais il connaît une crise. Et l'on ne pourra pas aborder la solution de cette crise, s'il n'y a pas de part et d'autre, en particulier du côté des pays industriels, une autre compréhension du problème. On en parlera sans doute tout à l'heure. Eh bien l'occasion qui me sera donnée d'en parler au Président du Brésil, me paraît pouvoir d'être comme un signal pour que l'ensemble des pays intéressés puissent choisir une autre route.\
QUESTION.- Dans ce contexte, monsieur le Président, quel est spécifiquement le soutien que la France espère accorder au Brésil en ce qui concerne la dette extérieure, surtout après le plan américain, présenté il y a deux jours à Séoul, de renégocier cette dette donc d'augmenter les fonds d'aide aux pays du tiers monde ?
- LE PRESIDENT.- Là, vous allez vite. On est déjà à la deuxième question à ce sujet, il est vrai, délicat. Comment voulez-vous que je ne me réjouisse pas de voir les Etats-Unis d'Amérique, après trois ans de discussion, en arriver au point que j'avais exprimé au Sommet industriel de Versailles, en 1982 : des taux d'intérêts plus bas, moins de fluctuation du dollar, des facilités ou des liquidités plus nombreuses, notamment par le canal de la Banque mondiale et un examen sérieux pouvant toucher à l'échelonnement des dettes ?
- C'est ce que j'avais développé - je ne me pose pas ici en prophète. Disons simplement qu'une analyse stricte des besoins de ce qu'on appelle le tiers monde, terme un peu vague, de la relation nord-sud en tout cas, devait conduire nécessairement à ce type de conclusion. Donc, je me réjouis de voir que l'on y va quand même. Peut-être pas autant qu'il le faudrait, peut-être pas aussi vite qu'il le faudrait, mais c'est dans cette direction que l'on va.
- QUESTION.- Monsieur le Président, anti-protectionnisme, croissance économique, prix des matières premières, nouvel ordre monétaire international, voilà des points où l'on constate une coïncidence entre les discours du gouvernement français et du gouvernement brésilien. Est-ce qu'on pourrait penser qu'il y aurait une entente entre vous et le président Sarney sur ce point précis ?
- LE PRESIDENT.- Sur certains d'entre eux, sûrement, mais j'aurais besoin d'avoir plus de précisions pour pouvoir m'exprimer en terme très précis. Ce qui est vrai c'est que l'on doit rechercher à fonder un nouvel ordre monétaire international. C'est le "b a ba".
- Il faut aussi que l'on puisse sortir de l'impasse où l'on se trouve entre des débiteurs très lourdement chargés et qui cependant ont l'obligation morale et politique de régler ce qu'ils doivent, et des créanciers à la fois exigeants et fragiles car le sort de l'un commande finalement le sort de l'autre. Si l'on devait s'enfoncer davantage encore dans la crise, elle serait pour tout le monde. Donc un peu de sagesse devrait normalement conduire à ce que l'on découvre le moyen d'une entente.
- De ce point de vue je crois que la France peut remplir un rôle utile et que les conversations que j'aurai avec le Président Sarney devraient nous permettre d'avancer. Il s'agit de deux grands pays, le Brésil et la France, de deux grands pays qui ont leur mot à dire dans les affaires du monde - et leur bon accord sur quelques points solides et sérieux ne pourra pas être ignoré par les autres.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la France essaie d'équilibrer la balance commerciale avec le Brésil, déficitaire pour la France. Dans quels secteurs on pourrait voir une accélération des relations commerciales entre les deux pays ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas à moi qu'il faut poser cette question. Le gouvernement de la République française en a la charge, et particulièrement les ministres compétents. Moi, je n'entreprends jamais de négociations commerciales directement. Bien entendu je ne suis pas indifférent au commerce extérieur de la France que j'ai reçu il y a 4 ans en très mauvais -état, puiqu'il y avait plus de 60 milliards de déficit dans le commerce extérieur, que nous avons ramené, commerce extérieur - marchandises, à moins de 20 milliards. Mais en équilibrant la balance des paiements, nous, non plus de notre côté, nous n'alourdissons pas notre dette. Et même nous avons maintenant, je le crois, assaini l'essentiel de notre économie.
- Voilà, c'est le travail que nous faisons. Quand à la négociation commerciale, je souhaite que le Brésil s'intéresse davantage aux réussites technologiques françaises. Il y a la réussite agro-alimentaire, la réussite dans les moyens de transport, aéronautique, ferroviaire, automobile. Vous avez aussi vos succès, et puis, nous avons, nous, quelques industries de pointe qui se situent parmi les meilleures du monde, dans le domaines des télécommunications, de l'énergie nucléaire, dans bien d'autres secteurs encore. Il suffirait de parler du logiciel dans le domaine des ordinateurs où vraiment la recherche française est très avancée. On ne fabrique peut-être pas les meilleures boites, mais on y met ce qu'il y a de mieux dedans, ma foi, ce n'est pas indifférent.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais savoir comment vous pouvez définir votre voyage, parce qu'il a été deux ou trois fois ajourné. Est-ce que le régime militaire de l'Amérique latine, soit au Brésil, ou d'autres pays comme l'Argentine ou le Pérou...
- LE PRESIDENT.- Non, il a été retardé uniquement par le hasard malheureux des temps récents.
- En effet, il était convenu, avec M. Tancredo Neves, que j'irai, ce qui s'est produit, sa mort qui a été tragique, pour tout le monde, a naturellement retardé cette rencontre. Il fallait bien laisser le temps au Brésil de retrouver le mouvement normal de ses institutions.
- Avant même l'élection de M. Tancredo Neves, nous avions beaucoup de respect, d'estime pour lui en France. C'était un homme illustre à nos yeux, avant même qu'il ne fut élu, et aussi pendant la longue période où je ne voulais pas venir en raison de la campagne présidentielle. C'est un peu le déroulement interne du retour à la démocratie au Brésil qui a conditionné la date du rendez-vous.
- QUESTION.- Monsieur le Président, vous allez arriver dans un pays qui a débuté son processus de démocratisation, mais qui fait face à une crise économique et sociale assez grave. Je voudrais savoir comment vous interprétez, comment vous analysez l'attitude et les efforts du Président Sarney pour essayer de rembourser la dette extérieure brésilienne tout en évitant la récession sociale, la récession économique et la crise sociale ?
- LE PRESIDENT.- Vous me demandez une appréciation sur la politique intérieure brésilienne. En principe je me méfie de ce genre de question. Quand je vais visiter un pays, un pays ami qui plus est, je m'efforce de ne pas me mêler des problèmes de politique intérieure. Mais, ce que vous venez de dire à l'instant, assainir la situation économique tout en améliorant l'-état social, c'est tout à fait louable, je ne peux qu'encourager le Brésil à aller dans cette voie. Nous essayons tous de faire cela avec des moyens différents, dans des situations différentes, à des points d'évolution différents. Mais dans la société industrielle où nous sommes, comment voulez-vous chercher le développement économique sans assurer l'équilibre social, c'est-à-dire la justice sociale entre les éléments qui participent à la production ? Vous ne pouvez pas enrichir un pays pour n'accorder le bénéfice du profit national qu'à des groupes sociaux déterminés ou à des classes sociales les plus aisées. Donc, il faut savoir autant que possible équilibrer, répartir l'injustice sociale et le complément indispensable du redressement économique. Il ne peut pas y avoir de redressement économique si les travailleurs ne se sentent pas eux-mêmes directement concernés. Je souhaite que le Brésil y parvienne.\
QUESTION.- Monsieur le Président, que pensez-vous sur le nouveau dialogue de l'Amérique latine pour résoudre le problème du paiement des salaires de Storea, cela veut dire "les fronts latino-américains veulent une discussion politique et globale", quelle est votre opinion sur cela ?
- LE PRESIDENT.- Je vous l'ai déjà dit plusieurs fois. Je pense que les pays d'Amérique latine ont raison de se concerter. Ils représentent une très grande force tous ensemble. Non pas pour dire "nous sommes débiteurs, alors on ne paiera pas", ce qu'ils n'ont pas dit, mais pour dire "nous sommes débiteurs, c'est une situation difficile, ce ne sera pas toujours comme cela, nous avons nous aussi nos qualités de travail, d'intelligence et de production, il faut qu'on reprenne le dessus £ unissons nos efforts et adoptons une attitude commune devant les éventuelles exigences de nos créanciers". C'est parfaitement licite et légitime. Je ne peux pas y trouver à redire, d'autant plus que je pense que l'Amérique latine aura toujours intérêt, surtout avec son retour à la démocratie, à harmoniser ses efforts. Donc, quand j'ai vu, en effet, plusieurs de ces pays se réunir, discuter, proposer en commun, j'ai pensé que c'était une bonne méthode, comme c'en est une bonne d'en voir certains aborder aussi les problèmes politiques, notamment de l'Amérique centrale avec une vue commune sur le devenir de cette région. Je crois à l'avenir de l'Amérique latine. Je me souviens d'avoir écrit il y a déjà longtemps, répondant à une enquête, un article dans lequel je disais, enfin, on me posait la question : "au siècle prochain, quel sera l'événement majeur ?". Je disais : "l'avènement au plus haut niveau de l'Amérique latine". Naturellement, elle seule peut le faire.\
QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander sur les problèmes d'investissements français au Brésil, malgré l'énorme poids culturel que la France exerce depuis longtemps au Brésil, les investissements français représentaient à la fin 1983 seulement 3,5 % des investissements étrangers au Brésil. Pensez-vous qu'avec votre voyage, il est possible d'améliorer les investissements français au Brésil ou pensez-vous continuer à rester derrière vos partenaires du Marché commun ?
- LE PRESIDENT.- Je ne peux pas dire. Simplement, comme on fait peu, on n'aura pas beaucoup de peine à faire plus. C'est déjà un signe encourageant. Ensuite, je pense qu'il faudrait faire plus. Ce sont des pays immenses qui ont de grandes richesses, mais qui ont besoin de puissants équipements. Pourquoi un pays comme la France qui en a le moyen n'irait-elle pas faire ses investissements là-bas ? L'élément psychologique, peut-être même affectif, que représente une rencontre, peut contribuer à placer le Brésil au premier rang des préoccupations des Français. Ils ont des traditions qui les tournent davantage, soit vers l'Afrique, soit vers l'Europe du Marché commun. Ces traditions sont fortes, les chemins commerciaux, cela s'établit à travers les siècles. La France a eu au-delà des mers un certain nombre de relations privilégiées par l'histoire. Vous avez raison de le dire, si culturellement nous sommes particulièrement proches du Brésil, comme nous le sommes de la culture et de la civilisation portugaises depuis déjà tant de siècles, c'est vrai que nous ne l'avons pas transformé en réalisations économiques suffisantes. Moi, je crois qu'un voyage comme celui-ci doit donner un élan. En tout cas ce n'est pas que pour cela que je le fais, mais c'est aussi pour cela.\
QUESTION.- Monsieur le Président, lors de la récente visite du ministre des sciences technologiques du Brésil, M. Archer, en France, le ministre des sciences technologiques français lui a dit la possibilité de la participation du Brésil au projet EUREKA. Est-ce que vous aborderez ce problème lors de votre visite au Brésil ?
- LE PRESIDENT.- Si le Président Sarney m'en parle, oui, autrement je n'ai pas de raison de la solliciter. Non pas par amour propre. Vous savez il y a déjà 18 pays européens. Des pays comme le Canada ou l'Argentine ont déjà fait savoir qu'ils s'y intéressaient. Je ne fais pas de propagande, d'autant plus que je ne suis pas chargé d'être le négociateur d'Eureka. Mais, si vous me demandez mon avis personnel, tout ce qui permettra à Eureka de trouver des concours extérieurs, des concours de l'intelligence, de la connaissance, du savoir, scientifique, d'une part, et d'autre part le concours industriel d'entreprises performantes qui se trouvent, par définition, dans les technologies de pointe, ce sera une bonne chose. Je souhaite vivement que Eureka et les Européens aient des relations multiples avec les pays extérieurs à l'Europe qui le désireront et qui en seront capables.\
QUESTION.- Je voudrais savoir monsieur le Président ce que vous pouvez nous dire à propos du projet France - Brésil ? C'est un immense projet de collaboration dont on parle beaucoup.
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas de proposition spéciale à faire. Je vous rappelle que je ne suis pas là comme un commis voyageur bien qu'après tout cela ne serait en rien méprisable. J'aurai avec moi quelques ministres et puis beaucoup de représentants de notre haute administration. Chacun fera son travail. D'abord, je voudrais que la relation politique entre le Brésil et la France gagne un cran dans l'efficacité sur le -plan de la politique mondiale. Le Brésil est un partenaire naturel de la France pour les raisons que nous avons déjà dites : l'histoire, la culture. Et maintenant que le monde se réduit, la planète se rapetisse à mesure que le temps passe. Nous ne sommes plus tellement loin des uns et des autres. Alors il faut que les échanges se multiplient. J'attends du Brésil qu'il soit un grand acteur sur la scène mondiale sur quelques points primordiaux. Comme nous l'avons déjà dit, pour la relation Nord-Sud, il faut absolument que quelques pays prennent la tête d'un mouvement dans le nouveau circuit des échanges avec tout ce support que représente le système bancaire et spécialement les institutions internationales, en particulier la Banque mondiale. Et sur la relation Nord-Sud, sur l'évolution des échanges, le Brésil et la France, s'ils témoignent ensemble, s'ils prennent position ensemble, pas spécialement pendant mon voyage mais si mon voyage permet qu'ensuite de façon régulière on se consulte et qu'avant certaines grandes conférences internationales, on se rencontre pour dire "Eh bien voilà comme nous allons intervenir" peut-être même en suscitant avec quelques grands pays du type de l'Inde par exemple, d'autres qui ont leur mot à dire qui se trouvent à la charnière de l'industrialisation, si ces pays et la France acceptaient de définir quelques objectifs simples, cela pèserait lourd dans la suite des choses. Si je peux amorcer cela avec le président du Brésil, je n'y manquerai pas.\
QUESTION.- Je voudrais vous demander en revenant, un tout petit peu, en revenant à Séoul, si vous croyez que c'est vraiment un changement de fond de la part des Etats-Unis ou si vous pensez qu'ils peuvent à la limite demander après quelques concessions aux réunions du GATT ? Et entre temps je voudrais savoir quelle est la position de la France vis-à-vis du GATT dans la mesure où on veut maintenant faire rentrer dans le -cadre du GATT les services, l'informatique, etc.
- LE PRESIDENT.- Sur le premier point, vous me demandez d'analyser les intentions américaines. Moi, je ne les connais pas. Ce que je peux vous dire c'est qu'entre le refus obstiné d'il y a quelques années, puis l'acceptation avec un sourire un peu ironique des années qui ont suivis, puis les prises de position actuelles des Etats-Unis d'Amérique sur les problèmes posés par la France sur le système monétaire et ses conséquences commerciales, j'observe un changement certain, une évolution favorable. Et je n'ai pas lieu de soupçonner les américains de je ne sais quel machiavélisme. Je pense que s'ils évoluent dans ce sens, c'est parce que cela leur est utile aussi. Et si cela leur est utile, si c'est leur intérêt, c'est un bon argument, il faut penser qu'ils persévèreront.\
`Suite réponse sur l'évolution du GATT`
- Ensuite vous me posez la question : est-ce que c'est une façon de séduire des pays réticents pour une réunion rapide du GATT, comme c'est le cas de la France, du Brésil et comme c'était le cas de l'Inde ? Peut-être bien. Je n'en sais rien. Je ne suis pas soupçonneux de -nature. Si vous parlez au Président de la République française, je vous dirai que nous sommes contre le protectionnisme et que nous sommes donc pour une réunion du GATT. Mais il ne faut pas confondre. Nous sommes contre une réunion du GATT qui ne s'attaquerait qu'au protectionnisme qui gêne les Etats-Unis d'Amérique en évitant de parler du protectionnisme qu'ils pratiquent. De même pour le Japon, et ils ne sont pas les seuls. Alors, il faut tout mettre sur la table. Or dans la proposition qui était faite à Bonn, on ne mettait pas tout sur la table. J'étais informé qu'au GATT un seul dossier était réellement prêt : celui de l'agriculture. Entre deux réunions, dites au "Sommet" des Pays industrialisés, j'entends toujours les Européens et parfois les Américains gémir sur l'impossibilité de pénétrer le marché japonais. Et dans les réunions, on ne pose jamais les questions au Japon qui avec beaucoup de politesse et d'efficacité se contente de sourire en écoutant les autres. Et il a raison de sourire. Alors ne pas discuter au GATT des services, ne pas parler des normes industrielles, ne pas parler de tout ce qui est un peu invisible mais qui en réalité offre le plus de résistance à la pénétration des marchandises : c'est se moquer du monde ! C'est risquer d'aboutir à un échec et il ne vaut pas mieux engager de négociations si elles doivent échouer. L'échec est pire que le non être. Mais comme nous sommes tous des gens raisonnables ou supposés tels, nous avons la possibilité de nous organiser, comme finalement je suis contre tous les protectionnismes, je ne refuse pas le GATT. Je veux que lorsque le GATT sera réuni, il puisse aborder dès le début, dès la première année, l'ensemble des problèmes particulièrement sensibles. Pour expliquer mon refus du mois de mai, j'ai trouvé un peu déplaisant que sept pays, quatre d'Europe, deux d'Amérique, un d'Asie, décident pour tout le monde comme si c'était le directoire des affaires mondiales. Non, ces sommets ne sont pas les directoires des affaires mondiales. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai refusé de m'associer à la réunion qui doit se tenir le 24 octobre à New York. Il n'y a pas de directoire mondial et s'il devait y avoir un directoire mondial comme celui-ci, la France n'en serait pas, car ce n'est pas tenir assez compte de la réalité du tiers monde. Nous sommes déjà, un certain nombre de pays, les Etats-Unis et la France et trois autres, nous sommes déjà cinq pays membres du Conseil de sécurité `ONU` donc membres permanents du Conseil de sécurité. C'est déjà un magistère de forte importance, issu de la dernière guerre mondiale. Il se trouve que ce sont ces pays-là qui précisément disposent de l'arme nucléaire. Cela leur confère une responsabilité particulière aujourd'hui. Mais en demander davantage, s'installer en directoire, je ne crois pas que cela soit raisonnable. Alors il faut que le GATT soit convoqué après consultation des pays - je ne sais pas combien ils sont, en tout cas plus de 90 - qui participent au GATT, que l'égalité entre ces pays soit respectée, que l'on élargisse l'ordre du jour, que les dossiers soient préparés. Si l'on m'apporte cela comme réponse, la France, je le dis tout de suite et en particulier à mes amis américains, et à mon ami le Président Reagan, la France dira tout de suite oui ! et prendra le rendez-vous le plus rapide.\
QUESTION.- Monsieur le Président, parmi les partis politiques brésiliens on dit toujours qu'il y a des courants socialistes. Je voudrais savoir parmi tous les partis politiques brésiliens, lesquels ont les idées les plus proches du Parti socialiste français ?
- LE PRESIDENT.- Cela fait partie des questions très intéressantes que je ne prétends pas du tout trancher. Quel est le meilleur socialistes ? D'ailleurs en France cela occupe assez. Si je devais me mêler d'aller chez les autres... Moi, j'ai de bons amis au Brésil qui appartiennent à l'Internationale socialiste. J'ai connu d'ailleurs, grâce à cette Internationale, et j'entretiens avec eux des relations vraiment fidèles d'amitié. C'est vrai que j'ai une tendance personnelle à me sentir plus à l'aise avec les formations politiques qui représentent les intérêts des couches sociales des travailleurs qui depuis le début de l'ère industrielle, c'est-à-dire depuis la fin du 18ème siècle ou le début du 19ème ont représenté la classe des gens opprimés, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas eu de part véritable, la part suffisante d'un formidable épanouissement autour de trois révolutions industrielles de la production mondiale. Tout le monde le sait, ce n'est pas un mystère, je peux le dire. Mais il existe beaucoup d'autres systèmes dans lesquels précisément des gens de grande valeur ont le sens de la démocratie, respectent les autres, cherchent la justice sociale. Je ne prétends pas enfermer les uns et les autres dans des définitions, des catégories qui seraient trop étroites et qui risqueraient d'être arbitraires. Alors je n'en dirai pas plus.
- Je voudrais profiter de cette conversation avec des journalistes pour dire au peuple brésilien la joie que j'ai d'être son hôte bientôt, la semaine prochaine, la joie que j'éprouve en même temps que je ressens l'honneur qui m'est fait. Je serai également très heureux de connaître les actuels dirigeants brésiliens, et particulièrement le Président Sarney. C'est pour moi un voyage qui représente beaucoup. Ce sera aussi mon premier voyage en tant que Président de la République française non pas en Amérique latine, je suis déjà allé au Mexique, mais enfin dans le continent de l'Amérique du Sud de formation et de culture latine. C'est donc pour moi une grande première £ comme je me sens beaucoup d'affinités avec ce mode de pensée, ce mode de sentir, cette forme intellectuelle que j'ai pu éprouver au travers de ma connaissance encore assez superficielle tout de même de la littérature et des arts brésiliens, c'est pour moi un voyage parmi les plus attractifs. C'est un salut d'amitié et d'union que je veux adresser à tous les brésiliens.\
QUESTION.- C'est une question qui dépasse un peu le -cadre du Brésil puisque vous allez aussi en Colombie je pense et en ce moment le groupe de Contadora se réunit pour négocier un traité de paix. Est-ce que la France a décidé d'apporter son soutien politique et même financier à ce traité ?
- LE PRESIDENT.- J'ai commencé par faire une déclaration commune il y a quelques années avec le Mexique sur les problèmes de l'Amérique centrale et un certain nombre de pays d'Amérique latine, et même des pays du groupe de Contadora, l'ont montré du doigt en disant : il se mêle de ce qui ne le regarde pas. Vous voyez tout s'arrange. Le groupe de Contadora a pris des positions courageuses et utiles et la France a constamment appuyé ces propositions qui paraissent raisonnables et justes. On va continuer. Et au-delà même du groupe de Contadora vous avez pu constater qu'il y avait des conférences entre les pays d'Amérique latine, nous continuons nous la France de considérer que c'est cela qu'il faut faire et nous encourageons des pays d'Amérique latine à défendre les intérêts de leurs frères d'Amérique centrale en sachant raison garder, en ne disant pas tout et n'importe quoi, ils sont d'ailleurs suffisamment prudents, il ne s'agit pas de désigner les Etats-Unis d'Amérique comme des ennemis, il s'agit simplement de trouver le point d'équilibre pour éviter que ne se déchire tout le tissu politique, social et économique de ces régions.\
QUESTION.- ... l'inclusion de la visite ...
- LE PRESIDENT.- Dans le voyage qui était préparé par les protocoles, c'est-à-dire par les fonctionnaires qui sont très utiles, mais il y avait cet élément un peu sensible, personnel puisque j'avais eu la chance de connaître M. Tancredo Neves qui était venu me voir aussitôt après son élection, en France chez moi, et avec lequel j'avais des relations antérieurement. On s'était écrit, on s'était préparé à faire du bon travail pour nos pays ensemble. Puisque c'est la première fois que je viens au Brésil depuis sa mort, que c'est un homme qui a une grande signification dans mon esprit et je crois aussi dans l'esprit des Brésiliens, je souhaite vraiment m'incliner sur sa tombe et qu'une pensée lui soit réservée.\
QUESTION.- Vous allez finir votre voyage au Brésil à Recife. Accordez-vous une importance particulière à ces passages au Nordeste ?
- LE PRESIDENT.- Mais monsieur je vais dans quelques villes. Il y a beaucoup plus encore de villes où je ne vais pas et si vous me demandez pourquoi je ne vais pas ici où là je ne saurai pas quoi vous répondre. C'est qu'en l'espace de peu de jours il n'est pas facile d'aller partout, alors il faut choisir. Il y a des commodités d'itinéraire, il y a des opportunités. Mais Recife a pour moi cette signification de Nordeste, de valeur historique. De Recife sont partis beaucoup de messages qui me plaisent pour la lutte contre la pauvreté, contre l'égalité entre les hommes. Disons que j'ai lu beaucoup, pas mal, de livres, que cela a pour moi une sorte de réalité imaginative, poétique. Et puis il y a la réalité qui est souvent cruelle, qui est très dure. Recife, cela m'intéresse. En plus Recife a pris sa place dans l'histoire du Brésil et même au-delà du Brésil : c'est une ville, c'est un lieu géographique dont la signification en Europe est très bien ressentie mais à côté de cela il y a beaucoup d'autres villes où je suis très triste de ne pas aller.
- Est-ce que je reviendrai ? Je ne sais pas ce qui se passera. La vie est courte. Vraiment ce serait triste pour moi de finir ma vie sans avoir vu vos villes. Je connais déjà le Brésil mais il y a tellement longtemps ! Il y a exactement trente neuf ans. C'était un voyage de tourisme d'une certaine façon, disons de curiosité de trente neuf ans plus jeune. J'avais un peu moins de trente ans, je suis surtout resté dans le Sud, je suis allé à Rio dans l'Etat de Saint-Paul. Santos, Saint-Paul, beaucoup Saint-Paul parce que j'avais un beau-frère, le frère de ma femme, qui dirigeait l'Alliance française de Sao-Paulo. Donc j'étais là dans un foyer familial et là j'ai connu un certain nombre de responsables de l'époque. J'ai toujours continué de m'intéresser à cette ville qui grandissait tous les jours. Il y avait encore des vallées d'arbres presque inexplorées en pleine ville. Et puis maintenant, d'année en année, cela s'étend partout. C'est un exemple extraordinaire de la progression, de surgissement de toutes les forces dans un pays comme le vôtre. D'abord je serai content de revoir cela. Ensuite je serai content de retrouver les pas de ma jeunesse. Après j'y suis retourné comme cela, un peu en transit. Vous savez, les escales que l'on fait, un peu prolongées, pendant une journée, deux journées, ce n'est pas une façon de connaître un pays. Donc je peux dire que depuis 39 ans, je ne connais plus le Brésil que de loin. Cela va changer la semaine prochaine.\