7 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à la mairie de Rennes, sur le développement économique de la Bretagne et la politique gouvernementale depuis 1981, lundi 7 octobre 1985.

Il n'était pas souhaitable de recommencer exactement ce qui avait déjà été accompli. Cependant, venir à l'hôtel de ville fait partie des usages républicains, surtout lorsque s'y ajoutent des éléments, disons des relations personnelles, des relations d'amitié qui font que chaque fois qu'il m'est donné de venir ici, je me retrouve avec joie parmi ceux qui ont accompagné ma vie politique depuis déjà longemps.
- Depuis ce matin j'ai parcouru les Côtes-du-Nord, avec une rapide pointe dans votre département, mais j'ai déjà accumulé les impressions des communes rurales, des capitales comme Saint-Brieuc, du monde industriel du Trégor, du monde de l'agriculture, à Plessala et en d'autres lieux, et j'ai pu, au travers de mes observations, constater une fois de plus à quel point la Bretagne se situait à la pointe des réussites françaises depuis déjà quelques décennies.
- Quand on a connu, comme c'est le cas de quelques-uns d'entre vous, le point très bas d'où vous veniez, on s'aperçoit que cet effort a dû être deux fois plus rude qu'on ne le suppose à la lecture des simples statistiques.
- Des équipes bretonnes, chaleureuses, actives, ayant la foi dans le destin de cette région, ont été capables de réaliser dans tous les domaines, comme dans celui de la culture, un travail qui mérite l'éloge et qui me paraît l'un des plus remarquables du moment présent. Je vous le dis à vous, élus Rennais, et ce n'est pas pour vous faire plaisir, c'est ce qui est vrai.\
Naturellement, il y a des failles, il y a des endroits où le tissu se déchire. Il y a les progrès technologiques qui n'ont pas été bien préparés, qui n'ont pas été accompagnés, et qui provoquent la perte de l'emploi, à Lannion et autres lieux. Il y a le fait que, en plus des décisions gouvernementales, interviennent un certain nombre de personnages dans l'agriculture qui s'appelle le soleil, la pluie, le vent, le froid, le chaud, la nuit, le jour, enfin tous éléments qui jusqu'alors ne se sont pas encore décidés à obéir à mes injonctions. Bien que ... j'ai remarqué que lorsque les choses allaient bien, c'était "vive le soleil", mais lorsque les choses allaient mal, c'étaient : "que faisait donc le Président de la République ?".
- Une certaine tendance pousse à ce genre de considération. Mais seulement, voilà ici en Bretagne, que ce soit la coopérative COOPERL, que ce soit dans des grandes entreprises à partir du lait et du beurre, que ce soit dans les entreprises très performantes de l'industrie que j'ai visitées, avec les responsables des organisations agricoles, ça c'est du sérieux. Et on ne perd pas beaucoup de temps, j'ai pu le constater avec joie, on ne perd pas beaucoup de temps à des considérations oiseuses, on réalise.
- Vous avez là une jeunesse, ou bien ceux qui sont déjà un peu moins jeunes qui étaient jeunes il y a vingt ans, qui ont acquis une science étonnante des courants commerciaux mondiaux, des nécessités d'évolution technologique, qui n'ont peur de rien, qui vont partout, qui s'estiment assez forts pour supporter la comparaison. Vraiment je termine cette journée avec un sentiment d'espoir très grand dans la Bretagne. Et j'espère que ce que je verrai demain confirmera les impressions du premier jour, l'accueil très sympathique. On plaint un peu ceux qui font tant d'efforts pour organiser des manifestations, qui ont de si maigres résultats, on voudrait leur prêter du monde. Bon, naturellement la pratique du commando, cela ne va pas loin, du tout. L'ensemble des gens que nous avons vu, ils ne demande qu'à faire confiance parce qu'ils ont confiance en eux. Au fond le vrai malheur c'est le chômage. C'est cela le vrai malheur.
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La France, je le disais il y a un instant, fait partie du monde occidental de l'Europe, celui qui est pris par la fièvre, le chômage. Encore, nous portons-nous mieux que la plupart des autres, parce que nous avons fait une politique plus adaptée aux besoins du moment. Les fameuses expériences conservatrices d'Angleterre, d'Allemagne, allez-y donc et vous verrez.
- Je crois que nous sommes arrivés au moment où, grâce à la modernisation de notre instrument industriel et grâce à la formation des femmes et des hommes qui utiliseront les machines de demain qui sont déjà celles d'aujourd'hui, nous sommes en train d'en franchir la passe comme le disent les marins. Vraiment je le crois et je crois que ceux qui ont bien voulu avec moi mettre la main à la pâte en 1981 se trouveront plus tôt qu'ils ne le croient validés dans leur action. Pourquoi ? Parce qu'ils le méritent. Il ne faut pas raconter d'histoire : la crise était finalement plus grave que nous-mêmes ne le supposions ! L'instrument industriel était beaucoup plus mal formé que nous ne le pensions, moins adapté aux tâches actuelles : les experts et les spécialistes, les grands sages, ceux qui savent tout, s'étaient trompés. En 1981, Nous n'étions pas à 18 mois de la crise, comme tous l'annonçaient de quelques bords qu'ils étaient.
- Nous avons, nous, réalisés, dans les deux premières années l'essentiel des réformes sur lesquelles nous nous étions engagés et qui représentent les plus grandes transformations économiques, sociales et structurelles que la République eût connues, oui, les plus importantes ! Et nous avons en même temps, car c'était le même effort et c'était la même politique, en dépit de cette obligation que nous devions au peuple de France, sevré pendant trop longtemps de justice sociale, commencé de rétablir les équilibres mis à mal par les gestions précédentes.
- C'est pourquoi il faut aborder l'opinion publique avec la fierté de soi et de ce que l'on a accompli, en ayant toujours le sentiment qu'on n'a pas fait encore assez et que nous sommes encore débiteurs à l'égard du peuple français qui nous a fait confiance. Oui, mais nous avons accompli une tâche qui portera longtemps sa marque devant la société française. Et pour ceux qui sont depuis tant, j'allais dire de siècles, en tout cas depuis le début de la société industrielle, les éternels opprimés, nous avons fait ce qu'il fallait, sans pour pouvoir obtenir tout ce que nous aurions aimé.\
Nous avons finalement servi les travailleurs que l'on essaie de dresser contre nous en leur montrant que l'instrument de leur travail devait être adapté pour que toute notre industrie ne parte pas en débris, balayée par la vague qui viendra de l'extérieur marchandises japonaises, marchandises américaines, marchandises allemandes. Nous avons renversé la tendance. Vous avez des industriels ici, des paysans qui vont vendre leurs produits en Italie, en Angleterre, en Extrême-Orient, en Afrique : partout, nous avons inversé la tendance. Et nous voulons que les Français aient une juste idée de ce qu'ils valent, qu'ils aient confiance en eux. Voilà ce que vous voulez. Quand on entend les responsables de tout ce qui fut manqué, prétendre incarner l'avenir, on a comme un sentiment de dérision.
- J'ai toujours agi pour que l'ensemble des Français se reconnaissent dans notre action, l'ensemble des Français... Je n'ai pas travaillé pour une fraction. Je n'ai pas travaillé pour ceux qui m'étaient le plus proches qui me restent les plus chers. J'ai travaillé pour l'ensemble des Français. Et en faisant ce que nous avons fait, en mettant un holà aux démagogies finalement inintelligentes, en refusant de se détourner du devoir qui nous était fixé, en faisant peu à peu de la France un pays capable d'affronter sur tous les terrains les grands pays du monde. Je crois, l'histoire nous rendra justice, ça c'est sûr, mais nos contemporains, plus encore, ceux qui auront à juger de notre action, demain, après-demain et les années suivantes.\
Oui, je porte témoignage, rien n'est possible sans courage. Je le répète sans cesse sans effort. Prétendre le contraire c'est trahir le peuple de France et moi j'entends le servir et je le dirai partout. Et on verra bien si nous serons ou nous serons pas entendus ! Un exemple de ce qui est fait dans une ville comme la vôtre : votre équipe est arrivée là, il y a quelques années. Ce n'était pas son milieu naturel initial. Il a fallu conquérir, il a fallu gérer, il a fallu accepter les risques de l'impopularité, au début. Comment faire autrement si l'on veut changer l'ordre des choses ? Et puis, il est arrivé le moment où l'on reconnait chez le Maire de la ville, dans le Conseil municipal, des gens de bon service qui font ce qu'ils doivent faire. On les aime et on les respecte. Ils sont soumis comme les autres à la critique, nous sommes en démocratie. Est-ce que j'y échappe moi-même ? Mais je n'y suis guère sensible... J'ai le sentiment d'avoir fait ce que je devais faire et j'ai bien l'intention de continuer.
- Mesdames et messieurs, me retrouver à l'hôtel de ville de Rennes, c'est mettre mes pas dans mes pas, passer quelques heures comme cela le soir, échanger des conversations, c'est un climat, une façon d'être, un écho, un échange intellectuel, spirituel, affectif. Bref, je suis très content, monsieur le maire `Edmond Hervé`, d'être à Rennes ce soir, à la fin de cette première journée bretonne. Et c'est avec une entière disponibilités, en bon -état, en bon -état de mon esprit d'abord, mais aussi avec l'allégresse d'avoir à accomplir ma tâche, que demain matin, très tôt, je recommencerai. Avant d'aller plus loin : car ma vie est ainsi, je l'ai d'abord voulu, le peuple français l'a voulu comme moi, nous nous sommes rencontrés, je continuerai de faire ce que je dois.
- Monsieur le maire et cher ami, puisque je vous vois au gouvernement plus souvent que les autres qui sont ici et je sais le travail que vous accomplissez, laissez-moi vous dire mes remerciements pour votre accueil si chaleureux. Merci.\