5 octobre 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Morlaix, mardi 5 octobre 1985.

Monsieur le maire,
- Mesdames et messieurs,
- Certes il m'était très difficile de m'arrêter, comme je l'aurais souhaité, dans beaucoup de cités bretonnes. Il a donc fallu faire un choix. Ce choix n'implique pas que ceux qui ont été hors de l'itinéraire soient pour autant oubliés. Mais la commodité des transports, la proximité des cités, enfin tout ce qui convenait dans l'organisation d'un voyage de deux jours a permis ceci et empêche cela. Mais je tenais à faire cet arrêt à Morlaix.
- J'ai moi-même connu Morlaix dans des circonstances sur lesquelles je ne m'attarderai pas : c'était pendant la guerre. C'est à partir de Morlaix que j'ai pu rentrer à Paris, après un voyage de quelques mois en Angleterre et en Algérie et j'avais gardé quelques attaches avec les Bretons de l'époque qui avaient contribué à cette action parmi tant d'autres.
- J'ai gardé de cette époque, de cette relation, avec quelques uns de vos compatriotes, le sentiment qu'il s'agissait là d'une agglomération où à travers les siècles, on avait su vivre, créer, inventer. Vous venez de dire, rappeler vous-même, en quelques mots qui étaient très intéressants, une fraction de l'histoire de Morlaix, en montrant fort bien la diversité de ses occupations, de ses ambitions, de ses aspirations et un aspect, l'environnement agricole, de la réalité industrielle ce qui fut autrefois une importante activité portuaire et maritime et qui reste quand même une grande tradition. Le développement culturel, cette présence de l'imprimerie qui a représenté, non seulement, dans l'histoire de la civilisation, l'un des principaux acquis, mais aussi, dans l'histoire des luttes ouvrières du XIXème siècle, l'une des étapes les plus importantes dans la libération du prolétariat. Tout cela marque une ville et cette ville, en même temps a su marquer son époque et sa région. Morlaix, cela existe en Bretagne.
- Je suis très sensible à votre accueil, mesdames et messieurs, et j'ai pu tout à l'heure rencontrer une fraction de la population qui marque à quel point elle est restée vivante, ce dont je la félicite. C'est une bonne chose, qu'on aime vivre, penser, s'exprimer. Et c'est une bonne chose en même temps que nous disposions d'une République, d'une démocratie à laquelle vous êtes tant attachés ici particulièrement à Morlaix et qui permettent, en effet, dans les limites raisonnables, à chacun de dire ce qu'il pense. Je veille avec la plus grande vigilance à ce que tout cela soit préservé. C'est sans doute le meilleur de nous-mêmes - c'est tout à fait conforme aussi au tempéramment de notre pays - et il serait tout à fait surprenant qu'une tradition de deux mille ans s'arrêtât soudain, simplement parce que je passe par Morlaix.\
Ainsi, mesdames et messieurs, trouve-t-on ici le témoignage d'une vitalité profonde. On dira c'est la vitalité de la France. Bien entendu, mais c'est quand même la vitalité de la Bretagne. C'est un endroit typique, on est vraiment breton par ici, je ne veux pas dire par là que lorsqu'on se trouve aux franges du côté de l'Ille-et-Vilaine, on ne le soit moins, parce que c'est ce que l'on me dirait, n'est-ce pas monsieur le maire de Rennes. Mais, enfin, tout de même Morlaix cela signifie vraiment quelque chose. Je suis sensible à ses traditions, surtout lorque les traditions savent s'épanouir à l'époque moderne. C'est très bien une tradition, mais quand elle est morte, elle n'est plus qu'objet d'anthomologie, on la regarde comme on examine des insectes, on insectes, on s'intéresse à la science. Mais tout cela est dépassé, tandis que là, vous, vous vivez, vous travaillez, vous produisez, vous vous inquiétez de tous les manques de toutes les défaillances, de toutes les déchirures, notamment celle de l'emploi. Vous veillez aussi à ce que cela puisse cesser. Vous demandez au pouvoir central d'y contribuer - c'est bien son rôle - car, c'est vrai que du pouvoir central dépendent les grands courants, les grandes initiatives. Mais le pouvoir local, l'initiative locale restent quand même le secret de tout progrès.
- J'ai pu au cours de la journée d'hier, - je continuerai aujourd'hui - observer de quelle façon vos élus locaux et régionaux savaient prévoir, organiser, ne faire mettre aucune issue, ouvraient toutes les voies de l'avenir. C'est la preuve même, comme je l'ai répété tout le long de la journée d'hier - je le répèterai bien souvent par la suite - que la Bretagne a su se situer, - on dit que c'est fragile, mais enfin c'est réel - comme la première region d'Europe par son développement depuis la dernière guerre mondiale, la première. Et quand on sait ce que c'était que la Bretagne avant, c'était déjà un beau pays historique qui avait déjà les qualités de ces hommes, de ces femmes, ses capacités de travail, mais enfin le rendement n'était pas évident.\
Aujourd'hui, je crois que nous en parlerions plus longuement ailleurs, je crois qu'il y a des pistes que l'on peut suivre, qui permettront à la Bretagne de disposer des équipements modernes dont elle a besoin, je veux dire surtout des équipements modernes en matière industrielle pour être compétitive là où il le faut et non pas là où il ne le faut plus. Il faut quand même comprendre et accepter que tout cela c'est le résultat de l'esprit humain. Parce qu'il y a des gens qui inventent, il y a des savants, il y a des techniciens qui transforment. Et on ne peut pas s'accrocher simplement aux formes désuètes du travail et de la production. On peut regretter, certes : cela provoque des traumatismes dans combien de familles ? Et dans combien d'agglomérations, de petites sociétés ouvrières ? C'est certain que c'est souvent dramatique humainement, individuellement.
- Mais sur le -plan du développement du pays, c'est notre capacité d'adaption, de développement et de transformation qui fera la permanence et la grandeur de la France. Ceux qui ne veulent pas le comprendre seront écartés par la rigueur tout simplement, par la rigueur de l'histoire, par la rigueur des temps et nul n'y pourra rien étant entendu que la responsabilité de la puissance publique et de l'Etat c'est de veiller chaque fois où l'irréparable est accompli, à ce que la solidarité nationale protège chaque vie humaine, protège chaque famille, protège, le cas échéant, chaque collectivité.
- Mais si l'on veut bâtir l'avenir, alors il faut aborder hardiment les techniques, les sciences et les méthodes de ce qui sera bientôt le XXIème siècle. Tout le reste, c'est se moquer du monde et enraciner le pays dans un déclin dont il ne sortira plus par la suite. On le sait que ce n'est pas facile de dire cela, mais moi je le répèterai partout.
- Qu'est-ce que j'ai donc à protéger ou à préserver ? J'ai à faire mon devoir et c'est en montrant où se trouve l'avenir et l'avenir il est dans le présent. C'est tout de suite l'avenir, il commence dans la minute qui vient. C'est là qu'il faut que les Françaises et que les Français - d'ailleurs ils l'ont compris, ils le savent fort bien - appréhendent absolument tous les domaines où il leur sera permis, où il leur sera possible, d'affronter la production japonaise, la production américaine, la production allemande et bien d'autres encore, pour être chaque fois que ce sera possible les meilleurs. Et si l'on n'est pas les meilleurs, on perdra.
- Or vous, en Bretagne, vous avez la preuve que c'était possible. Vous êtes actuellement le plus bel exemple français. Eh bien alors, moi je viens vous voir, je viens regarder comment cela se passe. Je vois aussi ce qui se passe mal. Bien entendu, je ne suis pas aveugle, je vois ce qui se passe mal, qu'il faut corriger. Et le devoir du gouvernement et des élus c'est de corriger tout cela. Ils le savent eux aussi. Il faut aussi parfois une grande patience pour parvenir aux résultats.
- Voilà toutes les leçons que me donne Morlaix au cours d'un passage trop bref.
- Je vous remercie, monsieur le maire, mesdames et messieurs, de votre accueil.
- Vive Morlaix,
- Vive la Bretagne,
- Vive la République.
- Vive la France !\