25 juillet 1985 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration du barrage de Chamboux (Côte d'Or), jeudi 25 juillet 1985.

Je m'adresserai d'abord au président du syndicat mixte qui vient de prendre la parole et auquel je dirai, cher Pierre Meunier, cher ami, j'ai beaucoup de joie à me trouver à vos côtés en ce moment dont je devine l'importance pour vous, vous qui avez consacré tant d'années, tant de travail, tant d'attentions, pour que ce pays, le vôtre, j'allais dire le nôtre, puisse tirer le meilleur parti de ses richesses naturelles.
- Et voici que vous êtes à un point d'aboutissement, réussi, d'une grande oeuvre. Il n'est pas aisé de rassembler 70 communes, il n'est pas aisé de vaincre les réticences, le refus souvent, de regarder devant soi. Il est difficile de parvenir à l'arrangement lorsqu'il faut convenir des contrastes honnêtes avec des centaines de personnes qui, bien entendu, voyant soudain apparaître la perspective d'une large surface aquatique, sont un peu surpris de constater que leur ancien mode de vie, que le paysage habituel de collines, de prairies, de vallées, en sera définitivement transformé.
- Il faut convaincre. Il faut toujours convaincre et mettre beaucoup de passion pour convaincre lorsqu'on a choisi l'avenir, non pas l'avenir contre le passé, mais l'avenir continuateur, en le transformant et en le valorisant, du passé. C'est ce que vous avez fait. Ce n'est pas d'aujourd'hui que je vous connais. Nous avons même eu l'occasion d'être voisin sur les bancs du Parlement, à l'Assemblée nationale, après que vous ayez rempli le rôle que l'on sait, dans les moments difficiles de la guerre et de l'après-guerre.
- Autour de vous, nombreux sont les élus, et surtout, j'imagine, je n'ai pas fait le compte, les élus de nos deux départements. D'abord le département de la Côte d'Or puisque nous sommes en Côte d'Or, mais je n'ai pas beaucoup de peine à reconnaître, juste à côté, les coteaux de la Nièvre puisqu'il s'agit du canton que j'ai moi-même représenté pendant quelques 32 ans. Ce sera donc tout à fait, oui, dans le voisinage, mais dans un voisinage familier.
- Je me réjouis fortement de constater que les élus, hors de toute nuance politique, sont très attachés dans cette région au progrès, admettent parfaitement que la technique doit être à la disposition des hommes, que toute vie est une conquête et que bien gérer, représenter dignement une population, c'est parfois enseigner difficilement pour parvenir à en emporter l'adhésion, mais c'est aussi un devoir, parce que finalement c'est ce pays qui en tire avantage.
- Depuis quelques temps il m'a été donné, mais c'est une chance, un hasard et une chance, de revenir plusieurs fois dans ce département de la Côte d'Or. Que les élus ne s'inquiètent pas, je ne m'installe pas. Mais j'étais l'autre jour à Semur, aujourd'hui je suis à Saint-Martin-de-la-Mer. Cela souligne simplement l'attachement véritable que je porte à ce département, si beau, si fort, parfois si riche, riche en tout cas par sa terre, pas partout mais avec quelle illustration, riche aussi par sa culture intellectuelle et par les arts qu'il a produits. Vous aviez raison de le dire, monsieur le président, c'est une région qui a beaucoup donné en hommes et en oeuvres.\
Le Morvan, tout à côté, vous en avez parlé avec beaucoup d'équité. Car je n'ignore rien de la vieille rivalité qui a souvent, sinon opposé, parfois séparé, le Morvan et l'Auxois. Je me souviens même qu'on rappelait d'un côté avec un peu de magnité que dans les livres de géographie quand nous étions tout petits, on écrivait : "l'Auxois, dépression du Morvan". Mais, depuis lors, les choses ont été rétablies, et l'Auxois est en même temps une région très forte qui a produit de réelles richesses avec des capacités d'expansion que le Morvan ne connaît pas toujours. Je crois que l'amitié, la solidarité entre ceux qui vivent là, ceux qui servent ces deux petites régions complémentaires, a finalement dominé toutes les anciennes distinctions. Je retrouve, aujourd'hui, je l'ai déjà dit avec un très grand plaisir, les différents élus qui me font l'honneur d'avoir franchi quelques distances pour venir jusqu'ici. On est même venu de Nevers, qui est très loin, on est même venu de Dijon, qui n'est pas si proche, de cette région, le Morvan-l'Auxois qui est le coeur de la Bourgogne, permettez-moi de vous le rappeler, monsieur le président de la Région, oui le coeur de la Bourgogne, c'est ici qu'on peut rassembler toutes les forces éparses de cette belle région. C'est donc une très grande chance pour moi que d'avoir pu prendre part à cette cérémonie, au demeurant fort instructive, car écouter tout à l'heure les spécialistes, les ingénieurs et les experts dans leurs explications, montre à quel point la technique est raffinée, difficile. On aurait pu imaginer qu'on peut traiter l'eau comme cela, en pensant que les sources sont naturellement pures et que nous sommes tout près des sources, et donc qu'il n'y aurait pas de problèmes à se poser. Eh bien non, il y a beaucoup de problèmes, et ces problèmes ont tous été dominés.
- Voilà, mesdames et messieurs, j'espère que j'aurai l'occasion avant de vous quitter, de rencontrer un certain nombre de maires de la région qui se sont déplacés, qui sont autour de nous. Je ne les connais pas tous, et puis quelquefois cela change, mais ceux que je ne connais pas, j'apprendrai à les connaître et j'en serai très content, car ils représentent, par leur fonction, la permanence.\
J'ai vu que vous aviez su ajouter à l'utilité, utilité pratique de ce distributeur d'eau que représente aujourd'hui ce barrage, vous aviez su ajouter une très bonne conception des loisirs. On s'en est quelquefois plaint dans la région, j'ai moi-même assisté à une mise en eau d'un lac-barrage-réservoir plus important que celui-ci, et nous nous sommes aperçus à ce moment-là que les négociations -entreprises, à l'époque avant la guerre de 1939, étaient très loin de prévoir les utilisations possibles. Je me souviens d'avoir été contraint d'intervenir parce que la maréchaussée verbalisait contre les pêcheurs car ils n'avaient pas le droit d'approcher de l'eau, sur une très vaste superficie. Tout cela refoulait naturellement vers Château-Chinon. J'aurais pu dire : "mais laisser cela à l'opposition, non ce n'est pas ça, donc c'est la faute de ceux qui dirigent". Non naturellement, c'est quelquefois la faute de ceux qui dirigent, mais pas toujours. Enseignement à méditer pour les temps présents. Eh bien non, pour les pêcheurs je n'y étais pour rien, personne n'était pour rien non plus, et cependant c'était comme cela. De même, pas de surface de loisirs. Il a fallu arracher petit bout par petit bout pour que la ville de Paris autorise les riverains, puis les visiteurs à organiser quelques plan d'eau où l'on pouvait se promener soit à la voile et même un peu avec le moteur, étant entendu que ceci étant fait, le problème difficile était d'arbitrer la guerre civile entre les pêcheurs et les plaisanciers, enfin bon, passons sur tous ces détails, vous les connaîtrez, ou plutôt vous ne les connaîtrez pas, puisque vous avez déjà fait la part des choses et que monsieur le maire de Saint-Martin-de-la-Mer le disait à l'instant, dans cette petite commune de moins de 300 habitants, on va pouvoir disposer d'un capital touristique tout à fait remarquable. Bref, les gens de l'Auxois et du Morvan sont des gens de progrès ! C'est bon à constater. En tout cas lorsqu'il s'agit de leurs intérêts ! Je vous remercie. Bonne chance à toutes ces communes qui ont eu l'audace de parier sur la réussite, qui ont su s'entendre et créer une nouvelle forme de solidarité entre deux régions, mais surtout dira-t-on entre Français attachés à la réussite de leur pays. C'est donc moi, cher Pierre Meunier, qui dois vous dire merci, car je me trouve parmi vous, sans doute en raison de mes fontions, mais aussi je pense en raison du souvenir amical que nous gardons des heures passées, je suis doublement comblé, merci.\