25 juin 1985 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, Place Carnot à Carcassonne le mardi 25 juin 1985, sur l'élargissement de la CEE et l'unité nationale.

Mesdames et messieurs,
- Chers amis,
- Me voici à la fin de ce séjour dans la région Languedoc-Roussillon, itinéraire qui m'a conduit depuis le Gard jusqu'à l'Aude en passant par la Lozère, l'Hérault et les Pyrénées-Orientales. J'ai l'intention, pour cette dernière rencontre, de vous parler de quelques sujets qui, je l'imagine, vous intéressent beaucoup, en particulier l'élargissement de la Communauté à l'Espagne et au Portugal. Ceux que cela n'intéresse pas laisseront, je suppose, les viticulteurs et les producteurs de vin, de fruits et légumes, connaître les explications du Président de la République. D'ailleurs, vous imaginez bien que rien ne m'empêchera d'aller au terme de mon propos.
- Oui, j'ai vu, dans le Languedoc-Roussillon, la réalité d'un mal qui ronge, la destruction de nombreuses entreprises, le chômage, l'angoisse des milieux ruraux et, par voie de conséquence, l'inquiétude du négoce.
- Oui, j'ai vu la même chose tout à l'heure, dans les environs de Perpignan : des femmes, des hommes, des familles qui se battent et qui gagnent.
- J'ai vu des industries, comme à Alès, industries traditionnelles, industries lourdes en voie de destruction à cause de la carence et de l'impéritie de dizaines et de dizaines d'années où l'on n'a pas su prévoir les transferts indispensables pour que ce pays survive.
- J'ai vu et j'ai entendu là-bas ceux qui associés au gouvernement de l'union de la gauche, n'ont rien dit pendant tout le temps où les décisions ont été prises.. Pardon, je me trompe : non seulement ils ont parlé pour approuver la politique qui continue aujourd'hui et les -fruits des décisions prises en commun. Mais les uns ont assumé leurs responsabilités jusqu'au bout et ils représentaient le Parti du courage au vrai service des travailleurs, ouvriers et paysans, tandis que les autres se sont enfuis dès qu'il s'est agi d'affronter le peuple de France pour dire nos raisons, notre vérité.
- Les travailleurs, les ouvriers, les paysans on ne peut dire qu'on les sert lorsqu'on leur raconte tout et n'importe quoi, plutôt que de s'attaquer à la modernisation d'un instrument qui seul sera en mesure de créer des entreprises et donc des emplois. On les trompe quand on dit que la lutte principale n'est pas celle qui doit nous conduire à vaincre l'inflation, c'est-à-dire une hausse des prix qui interdit à nos entreprises de vendre leurs produits à l'étranger. Et, si l'on ne vend pas les produits que l'on fabrique, comment voulez-vous que vivent les entreprises, comment voulez-vous que les travailleurs gardent leur emploi ?
- C'est contre cette façon de faire et ce refus d'aborder avec courage l'avenir de la France, que je me dresse et me dresserai partout, face aux uns et aux autres, sans précaution, assuré que seuls la persévérance, le courage et la volonté permettront à la France d'aborder le futur, en guérissant dès maintenant les maladies du présent.\
L'on m'a dit : en signant l'élargissement de la Communauté à l'Espagne et au Portugal, vous allez compliquer la tâche des producteurs, agriculteurs, paysans de ces régions potentiellement riches de leurs fruits et légumes et de son vignoble. Expliquons-nous. Qui refusera l'explication ? Dans chaque commune où je me suis rendu, la question m'a été posée et je vais y répondre ce soir clairement.
- Mesdames et messieurs, contestez ou approuvez, mais celui qui a voulu l'élargissement, il est là.. J'en prends l'entière responsabilité. Je n'ai pas agi comme ceux qui, avant moi, avaient dit que c'était nécessaire et qui ont reculé devant l'obstacle parce qu'ils avaient peur de perdre des suffrages. Et croyez-vous que j'ignore que les citoyens de cette région ont soutenu et continueront de soutenir les forces de progrès qui ont élu le Président de la République française en 1981 ? Je les ai pris de front lorsque je leur ai dit, à mes amis, - à eux aussi ! - qu'il fallait accepter les risques de la concurrence et accepter dans des conditions de loyauté et de sérieux l'affrontement commercial avec les pays voisins.\
Je vais maintenant vous donner mes raisons car il est aussi un autre argument souvent cité. On me dit : mais nous serions peut-être favorables à l'élargissement si vous aviez obtenu les garanties que vous nous aviez promises.
- Eh bien je vous dis, citoyennes et citoyens, vous toutes et vous tous qui êtes là, sur cette place, en si grand nombre, que les garanties, nous avons mis trois ans à les discuter et nous les avons obtenues ! Et si vous en doutez, je vais m'expliquer davantage. Que craignez-vous des producteurs d'Espagne ? Vous redoutez tout simplement, et c'est normal, ce sont des soucis légitimes, que l'Espagne, qui dispose de législations sociales et fiscales moins rigoureuses que la législation française, ne puisse inonder le marché français, et d'autres encore avec des vins acquis à bas prix de revient, et que de ce fait nos producteurs non seulement ne puissent plus vendre, exporter leurs produits, mais encore se voient chassés de chez eux, et qu'ils ne puissent même pas tenir leur marché français. Voilà la question sérieuse que vous m'avez posée.
- Or les accords signés et qui seront ratifiés, et qui feront que le marché commun sera élargi le 1er janvier 1986, comportent pour l'Espagne, mais aussi pour l'Italie, les obligations suivantes : la limitation des sols désormais réservés à la culture de la vigne. Les mécanismes sont prévus, la production espagnole est limitée à 23 millions d'hectolitres, alors que ce vignoble, vous le savez bien, aurait pu doubler sa production dans les années prochaines. Et s'il n'y avait pas l'élargissement du marché commun, qu'est-ce qui empêcherait les Espagnols d'agir de même ? De toute manière, le commerce est libre, et vous auriez à supporter cette concurrence déloyale. Nous avons créé les conditions de la loyauté dans les relations internationales avec l'Espagne et le Portugal.
- J'ajoute que désormais il sera nécessaire pour les viticulteurs de distiller dès lors que la production nationale aura dépassé un certain seuil. A partir de ce niveau la distillation sera automatique, et les producteurs recevront la rémunération qui leur est due.\
Jamais jusqu'ici, jamais jusqu'en 1983, il n'a été possible d'obtenir que la Communauté européenne s'intéresse aux vins, ni qu'elle s'intéresse aux fruits et légumes.
- Nous avons vécu, depuis 1957, au sein de l'Europe du marché commun, à 6, puis à 10. Nous avons vécu avec des gouvernements qui se sont succédé et pas un n'a obtenu jusqu'en 1983 une distillation obligatoire. Pas un n'a obtenu que les fruits et légumes puissent bénéficier, dans le -cadre de la Communauté, d'une protection particulière.
- C'est simplement à partir de 1983, en janvier pour les pêcheurs, en octobre pour les producteurs de fruits et légumes, et en 1984 pour le vin, c'est la première fois depuis 1957, qu'il est possible, à l'intérieur de notre Europe, de défendre vraiment les producteurs français, les producteurs de cette région.
- On me dira : "Mais dans combien de temps seront appliqués ces accords ?", et je réponds : "Ils seront appliqués dans les dix ans". Ces dix ans seront divisés en deux périodes. Pendant la première, qui durera quatre ans, les choses continueront comme elles sont, à cela près - mais ce n'est pas un détail pour ceux qui connaissent ces questions - qu'un mécanisme compensateur permettra la mise à niveau de nos prix avec la production espagnole. C'est-à-dire qu'il ne pourra pas y avoir de dumping, ni de pression, ni d'action illégale pendant ces quatre premières années. Vous le savez, ces détournements se seraient produits si aucune précaution n'avait été prise.
- Je dirai la même chose aux producteurs de fruits et de légumes. L'ensemble de ce secteur - et pour la première fois, il s'agit de tous les fruits et de tous les légumes - est protégé maintenant pendant dix ans. Dix ans ... est-ce que vraiment il ne sera pas possible au peuple français d'avoir la capacité d'énergie, d'imagination, d'audace ? Est-ce qu'il ne sera pas possible, en dix ans de fabriquer l'instrument de la victoire de la France sur les marchés du monde ?
- Et pendant cette première période, les Espagnols devront appliquer le règlement communautaire que la France avait adopté en 1983 et ils devront démanteler, car leur situation n'est pas la même que la nôtre dans ce domaine - écoutez-moi viticulteurs, écoutez-moi négociants - ils devront démanteler leur monopole d'Etat.\
Oui, nous avons dix ans, il y en a qui ont des doutes, il y en a qui ne croient pas en la France, parce qu'ils ne croient pas en eux-mêmes. Moi, je fais partie - je ne suis pas le seul ici - de ceux qui croient que notre pays a d'immenses réserves. Bien entendu il en est qui, manquant à leur devoir élémentaire, s'acharnent à retarder l'heure du renouveau. Ceux-là je ne demande pas qu'on les rejette, ils sont Français, comme nous, je demande qu'on ne les écoute pas, qu'ils viennent d'un pôle ou d'un autre. Et pour qu'on ait plus de chances de ne pas les écouter, je vous demande, lorsque le peuple aura à s'affirmer par le suffrage universel, de vous rassembler encore une fois, pour donner au pouvoir politique les moyens renouvelés de gagner la bataille de l'économie.
- Alors quoi, amis de l'Aude, ou des Pyrénées-Orientales, vous n'êtes pas bien placés pour vendre vos produits à l'Espagne ? On m'a déjà signalé des exportations de cerises vers Barcelone, c'était la première fois. Il est un certain nombre d'entrepreneurs, y compris du bâtiment, qui me disaient au déjeuner à Céret qu'ils avaient déjà des commandes en Espagne. Et avez-vous pensé aux autres ? Est-ce que la France c'est seulement vous, vous à qui je dis que les garanties sont données ? Est-ce qu'il n'y a pas à travers tout le pays des professions et des productions qui vont trouver un vaste champ d'exportation et de profit dans les deux pays nouveaux que nous venons de faire entrer dans la Communauté ?
- Et trouvez-vous plus difficile d'être demain cinq pays méditerranéens, ou quasiment tels, je veux dire l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce et la France, qui produisent du vin, des fruits, des légumes, des fleurs, de l'huile végétale, tous produits qui n'avaient, je le répète, aucune garantie, aucune structure, aucune défense, abandonnés par l'Europe, jusqu'au jour où nous, nous nous en sommes occupés.\
Je vous répète ma conviction, la conviction qui occupera le reste de mon discours et qui sera entendue, ma conviction qu'il faut parier sur les chances du pays, un pays qui a traversé, ici plus encore qu'ailleurs, tant de drames, de séparations, de guerres civiles, de guerres de religions, de guerres étrangères, tant de guerres pour le "pré carré", tant d'épreuves pour composer ensemble ce qui est aujourd'hui la nation française. Je crois dans la France, dans la nation qui est la nôtre, et je sais qu'un département comme celui-ci, qu'une région comme le Languedoc-Roussillon disposent d'atouts majeurs, qu'il vous suffit de saisir en accord avec l'Etat.
- Oui la France est en mesure de relever le défi, malgré ceux qui doutent de notre histoire, ceux qui n'ont pas vu que nous avions triomphé de tous nos malheurs, de nos déchirements, que nous avions toujours été capables finalement de recoudre le tissu national déchiré. A mon appel, les Français se rassembleront pour défendre leur juste cause qui ne doit pas être confondue avec tel ou tel choix politique dont je suis cependant comptable. Ils comprendront la nécessité pour l'immense -majorité des Français de se rassembler autour de la modernisation du pays, autour d'une politique de courage, autour de l'esprit d'invention et de création, pour défendre notre place au sein de l'Europe où nous nous trouvons.\
Défendre notre place, croyez-vous que cela soit si facile, dans un monde divisé en deux blocs hostiles, où le plus grand pays de notre alliance `Etats-Unis`, celui qui a tant contribué à nos libérations, nous livre sur le -plan de l'économie un combat sans merci ? Avais-je tort en votre nom, du moins je pensais parler en votre nom, avais-je tort dans la capitale de l'Allemagne fédérale, à Bonn `Sommet des pays industrialisés`, avais-je tort de dire "non" et "non" à une négociation commerciale sans préparation aucune qui aurait été conclue par le démantèlement de notre profession agricole et l'envahissement des productions américaines ? Et dire aussi "non" à je ne sais quelle stratégie de guerre dans l'espace `IDS` qui n'assure en rien notre sécurité ?
- Il faut donner à l'Europe, au-delà de son unité économique récente, une unité technologique que nous allons bâtir à la fin de la semaine à Milan `Conseil européen` et l'unité politique indispensable qui grandira chacun de nos peuples et permettra à ce continent d'affronter la concurrence internationale et sur le -plan du pouvoir politique et sur le -plan de la défense, de la sérucité, et sur le -plan de nos intérêts les plus légitimes.
- Oui, je suis venu dire à Carcassonne, et bien au-delà de Carcassonne, je suis venu dire à la France, qu'il fallait choisir le parti de l'Europe, qu'il fallait bâtir l'Europe, qu'il fallait y défendre avec force et détermination l'intérêt de la France. Vous imaginez le poids qu'aurait la France dans une Europe première puissance commerciale du monde, et plus peuplée que les Etats-Unis d'Amérique ou que l'Union soviétique, investissant presqu'autant pour la recherche scientifique que les Etats-Unis, deux fois plus que le Japon ? Si nous étions capables dans cette Europe de rapprocher les points de vue et de prendre, lorsque c'est nécessaire, les décisions qui nous engagent tous, alors vous seriez fiers d'avoir été du premier jour dans votre vieille ville, ici-même. Tels sont les bâtisseurs de civilisation, les maîtres d'un langage, qui ont percé tous les secrets du monde ancien, du monde moderne, qui ont toujours été au premier rang de la pensée des hommes libres, qui ont créé, bâti et défendu la démocratie contre ceux un peu partout qui n'ont jamais compris que la démocratie c'était la liberté.\
La liberté, combien d'entre nous ont vécu pour elle, combien de nos frères sont morts pour elle, dans les combats civiques, dans les combats de la guerre contre l'oppression, la torture, la barbarie, la tyrannie, contre ceux qui prétendaient détenir une sorte de vérité intellectuelle absolue, contre la domination des forces qui prétendent effacer les différences, celles qui ne veulent que la puissance. Eh bien, nous, notre puissance a été plusieurs fois victorieuse, elle ne le sera à aucun moment si nous lâchons pied, elle le sera toujours si nous nous unissons sur le sens de notre combat.
- Oui, la liberté, c'est cela qui fonde notre contrat moral national et social. Et je suis ici, Président de la République, garant de ces libertés. Il n'existe pas en France de délit d'opinion, il n'est personne qui soit victime des rigueurs de la loi, dès lors qu'il se soumet à la loi adoptée par la -majorité des Français. Nous sommes l'un des peuples les plus libres de la terre, et si nous sommes adversaires politiques, nous n'en restons pas moins - oui, je le dis de toutes mes forces, parce que j'en suis convaincu - dans le malheur ou l'inquiétude, des frères, dès lors qu'il s'agit de défendre notre terre et ce qui fait le suc, la substance, le meilleur de cette terre, la liberté des hommes libres.
- J'aborde avec vous la période qui commence, et dont on voit bien qu'elle est un peu contrastée... j'aborde la période qui commence avec la volonté moi-même de m'adresser aux Français, de les faire juges. Oui, j'ai l'orgueil de ce qui a été accompli sur le -plan social, sur le -plan économique, sur le -plan culturel et sur le -plan international depuis quatre ans. Je m'en réclame. Je n'ai rien derrière mon dos. Je ne cache rien, et je dis que c'est à visage découvert que ceux qui croient dans les mêmes vérités doivent désormais porter l'explication. Ils communiqueront leur conviction. Nous avons voulu servir le pays et son peuple. Nous avons le sentiment d'avoir réalisé en peu de temps, plus encore que ne l'avait fait la grande époque du Front populaire sur le -plan social, et d'avoir fait davantage sur le -plan des libertés que la grande époque de la libération. Car les espaces de liberté y compris pour l'information et le droit d'expression, n'ont d'autre limite que ce qui peut nuire à l'expression d'autrui, exacte définition de la liberté dans une démocratie.\
Mesdames et messieurs, j'aimerais que nous puissions encore pendant quelque moment poursuivre ce que vous n'appellerez pas un dialogue, puisque, si l'on peut dire, je suis le seul à parler, mais ce qui est tout de même une façon de communiquer selon nos meilleures traditions, et moi cela ne me fâche pas du tout que l'on pense autrement, et même qu'on le dise.. Si on le dit en même temps que moi, cela peut légèrement compliquer la compréhension qu'on en a, mais c'est un inconvénient mineur auprès de celui qui consisterait à empêcher l'expression.
- Tout cela a été et sera respecté. Je m'adresse à vous, parce que vous êtes ici, du moins pour le plus grand nombre, l'apport du Languedoc-Roussillon, l'apport de l'Aude, dans tous les domaines, dans les rues de cette ville, l'écrivain, le poète, le musicien, le travailleur dans la campagne qui a donné aux champs leurs couleurs et leur vie. Et lorsqu'on a la chance de pouvoir survoler ces champs, comment ne pas être émerveillé par cette oeuvre d'art que représente la terre cultivée. Quels artistes sont ceux qui nous l'ont faite, mais aussi quel labeur et quelle souffrance cela suppose. On ne crée pas dans la facilité. Tout effort est peine, et ceux qui l'oublieraient sont destinés à disparaître. Tout est effort, mais la récompense individuelle, familiale, civique, la récompense nationale est réelle en cet effort.
- Ceux qui se sont battus au cours des deux guerres mondiales ont tellement souffert et la récompense n'a pas toujours été pour eux directement, vous le savez bien. Deux millions de morts en deux guerres, mais la récompense de l'effort a été pour leurs filles, pour leurs fils, qui ont pu accéder librement au chant de la vie, et qui ont pu à leur tour bâtir, créer, espérer, aimer, jusqu'à ce que les années passant, la crise cette fois-ci, la crise venue de l'extérieur envahisse l'Europe. La maladie dont nous souffrons n'est pas une maladie du Languedoc, elle n'est pas une maladie française, elle est aujourd'hui une maladie européenne, maladie par contagion. L'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Belgique, l'Italie et les autres doivent se battre à poings fermés pour empêcher la crise de les détruire.\
Mais j'aperçois, je vous le disais pour commencer, un peu partout dans nos villages et dans nos villes les énergies et les intelligences se rassembler, relever le défi et préparer la France d'aujourd'hui pour le temps qui vient. On en verra les résultats dans les années qui viennent, dans les toutes prochaines années, et l'on vivra sur cette base avant la fin de ce siècle. C'est à notre portée.
- Alors, le voulez-vous ? Vous sentez-vous capables de le faire ? Avez-vous parmi vous des filles et des garçons d'intelligence et de volonté ? C'est évident !
- Avez-vous une idée de ce qu'est le monde d'aujourd'hui ? La planète s'est rétrécie : on en fait le tour avec des fusées à toute allure. On est désormais les uns sur les autres, les produits japonais envahissent tous nos marchés, les produits américains pour l'alimentation du bétail envahissent toutes vos exploitations. Les émigrations de toutes sortes vont vers les régions où l'on a su préserver les chances de la prospérité. La planète s'est rétrécie au point que vous devez savoir - mais vous le savez - que désormais la France n'est plus celle du XVème ou du XVIIème siècle, qu'elle est une France différente qui, après avoir réalisé, réussi son unité, doit se servir de cette victoire pour en gagner d'autres, sans quoi ce sera l'échec dont nous souffrirons tous. Mais cela, vous le savez aussi, n'est-ce pas ?
- Parce que vous seriez des paysans, vous seriez ignorants ? C'est ce que pensent ceux qui ne vous connaissent pas. Parce que vous seriez des ouvriers, des employés, des "petites gens", vous ne sauriez pas ? C'est ce que pensent ceux qui ont de notre peuple une idée fausse, relevant simplement d'une sorte de vanité ou d'insolence de classe qui n'a pas cours chez nous et que nous refusons !
- Et les élus qui sont ici, qui me font l'honneur d'être si nombreux, vous croyez qu'ils ne connaissent pas la gestion de leurs communes ? Il n'y a pas de pays au monde qui, comme la France, dispose d'une pléiade multipliée par cent, multipliée par mille, d'administrateurs, capables de gérer la situation là où ils se trouvent et là où le peuple les a choisis.
- Voilà nos atouts, et nous avons nos pauvretés, nous avons nos décadences.\
On se demande pourquoi notre système industriel est allé en se dégradant jusqu'à ce que nous décidions d'arrêter cette sinistre aventure, pourquoi on a laissé pendant tant d'années, dix ans, vingt ans, planer l'illusion d'une croissance indéfinie, pourquoi on a laissé tomber la sidérurgie. Plus de 100 milliards de francs actuels dont 70 ont été versés à des propriétaires privés qui, lorsqu'ils ont reçu cet argent, n'en ont pas pour autant modernisé leur entreprise, mais sont partis se reposer ?
- Le textile ? Il a fallu attendre un homme qui s'appelle Pierre Dreyfus, qui était ministre de l'industrie du deuxième gouvernement que j'ai constitué après les élections du 21 juin 1981, et qui par son plan textile a évité la destruction définitive de cette grande industrie française.
- Nous nous sommes attaqués à tous les terrains. Sur le -plan de l'agriculture, j'ai entendu beaucoup de lamentations, et je sais qu'il est bien des misères. Mais ce ne sont pas toujours ceux qui souffrent de la misère qui parlent haut. Ceux qui souffrent de la misère parce que leur terre n'est pas assez grande, ou bien parce qu'elle n'est pas assez féconde, ceux-là savent bien que seules les forces de progrès sont capables de les défendre, sans quoi ils subiraient le sort qu'ont connu leurs ancêtres, celui d'être soumis au plus fort. Mais à partir d'un certain degré dans la prospérité individuelle, on assiste en effet trop souvent à un refus de prendre part à l'effort de rassemblement national, comme si le combat pour la République et pour la France devait s'identifier aux yeux de certains à un combat pour leurs privilèges, et c'est précisément ce que nous refusons.
- J'ai répété partout que la France en tant que telle restait par -rapport à la plupart des autres pays un pays riche, mais que cette richesse n'était pas assez justement répartie, et que l'on ne peut concevoir le retour à la prospérité, le retour à la croissance suffisamment forte, qu'une fois que nous aurons accompli la modernisation de l'agriculture - c'est largement commencé -, de l'industrie - allez donc voir Crouzet à Alès, vous comprendrez ce que c'est, et ce n'est pas le seul exemple qu'on pourrait trouver dans la région -, une fois admise cette modernisation, payée par les souffrances d'aujourd'hui : c'est le temps de la mutation, le creux, le fossé, disais-je à Montpellier, le milieu du gué £ d'un côté le rivage du siècle dernier et de l'autre le rivage du siècle prochain.\
Et pendant ce temps, la troisième révolution industrielle, après la vapeur, après l'électricité : l'électronique, tandis qu'apparaissent au-delà de l'électronique, et par l'électronique - chaque révolution s'emboîte dans la précédente - ces machines qui désormais n'auront plus besoin d'être maîtrisées tout le long de leur vie par l'homme, puisqu'elles auront été créées, dès le point de départ, pour assurer leur service sans recourir à la présence humaine.
- Alors direz-vous, c'est cette civilisation-là qui va nous mécaniser, et vous avez raison de vous inquiéter, d'où la nécessité de protéger les valeurs qui nous font vivre. Mais en même temps, lorsqu'on me dit : c'est parce qu'il y a cette mutation, c'est parce qu'il y a cette robotisation, que le chômage s'accroît, je dis : regardez les pays aujourd'hui les plus en avance sur le -plan de la technologie, Japon, Etats-Unis d'Amérique, je pourrais ajouter Corée, Taïwan, je pourrais ajouter tel ou tel pays sur les bords du Pacifique £ en vérité, quels qu'ils soient, ils sont ceux-là qui sont aujourd'hui à la tête du progrès, et qui ont fait, soit reculer le chômage, ou ne l'ont pas connu. La route nous est tracée, il ne faut pas avoir peur.
- Si l'on constate, et on le constate, qu'il est un seul vrai malheur qui s'appelle le chOmage, pendant tout le temps où nous n'aurons pas réuni les moyens économiques : commerce extérieur cessant d'être déficitaire, instruments industriels rénovés, agriculture conquérante, filles et garçons formés aux technologies du métier qu'ils feront, alors que ce n'est pas encore le cas suffisamment : je vous le dis, tant que cela ne sera pas accompli - et c'est notre tâche - les souffrances n'auront pas cessé.
- C'est pourquoi un gouvernement qui représente les forces populaires doit compenser le manque à gagner par une solidarité nationale à laquelle je vous appellerai sans cesse.\
Si les Français, individuellement, ne veulent pas se dépasser eux-mêmes, s'ils refusent ce grand rassemblement, ce grand mouvement qui nous est nécessaire, alors ils auront scellé eux-mêmes leur destin. Au-delà de vous, mesdames, messieurs, et chers amis, au-delà de vous ici présents, au-delà de ceux qui, par les moyens audiovisuels, nous entendent ou nous voient, au-delà de ceux qui, dans la soirée, demain sauront ce que nous avons dit, et qui approuveront - plus nombreux qu'on ne le croit - il y a ceux qui ne nous suivent pas, il y a ceux qui nous combattent. Mon rôle, à moi, Président de la République, est d'être Président de tous les Français, quoi que disent et veuillent certains d'entre eux, Président de la République élu pour le temps qui m'est donné, ce temps, est-il long, est-il court, je n'y peux rien, c'est la loi ... et moi, je n'ai pas voté pour elle. A ceux-là qui, aujourd'hui, contestent non seulement mon droit mais mon devoir d'assumer mes fonctions, à ceux-là je dis qu'ils vendent un peu la peau de l'ours. Ce sont ceux-là qui ont voté la Constitution de la France £ il faut reconnaître qu'ils ont des droits d'auteur. Moi, je n'y prétends pas, mais c'est comme cela, c'est la loi.\
Alors, je dis à celles, et ceux qui s'y refusent encore qu'ils se tromperaient beaucoup s'ils croyaient que nous sommes leurs ennemis. Ils nous traitent un peu comme cela, comme des adversaires irréductibles, alors que moi je vois davantage ce qui nous oppose politiquement, comme ce qui oppose de belles équipes dans les sports que nous aimons. Cela y va avec énergie, le spectateur s'inquiète £ lorsqu'on ne dépasse pas la mesure, il s'inquiète quand même. On dit : ces garçons, quel courage ! Quelquefois même on se demande comment cela va tourner... et puis on se retrouve après. Vous avez remarqué ? On se tape sur l'épaule, on se serre la main. On dit : mon vieux, excuse-moi, je t'ai peut-être fait un peu mal, mais je suis comme toi, soyons "sport". Servons ce que nous aimons.
- Je voudrais qu'en politique il y ait davantage de cet esprit sportif, et que lorsque le suffrage universel s'est exprimé, on remise davantage les mauvaises humeurs, les rancunes, que l'on cesse de se réfugier dans le refus de la légitimité du suffrage universel dont je suis porteur, le suffrage universel que j'incarne et dont je suis garant, pour que les institutions soient strictement respectées, quelle que soit la décision des citoyens.
- Alors à celles et à ceux qui se croient nos ennemis parce qu'ils nous croient leur ennemis, je dis : comme vous vous trompez ! Il ne faut rejeter personne. Je suis dans une ville où les combats électoraux retentissent encore, et dans chacune des villes du Languedoc-Roussillon ce sont des phénomènes durables.
- Je m'en suis aperçu partout où je suis allé, mais il faut savoir dominer les combats de la démocratie. Le Président de la République est là pour servir les Français, l'opposition comme la majorité, tous les Français dans le -cadre du droit, et à tous je dis que je ne refuse la main de personne.
- Moi je leur tends la mienne. Cela n'est pas un raisonnement politique, cela ne tient pas lieu de politique, car je n'en continue pas moins, la main tendue, franchement serrée à l'autre main, celle de l'homme ou de la femme qui se croyait mon adversaire, je n'en continue pas moins d'être fidèle aux convictions qui sont les miennes et que je partage avec tant d'entre vous.\
Oui, c'est vrai, je n'ai pas simplement rêvé d'une société plus juste, plus généreuse, plus fraternelle, je n'ai pas seulement chanté l'allégresse ou l'espérance de la liberté, je n'ai pas simplement imaginé un irréel avenir, j'ai adhéré profondément à l'idée de la société qui permettrait à tous et à chacun de vivre mieux, non pas dans une égalité qui n'existe pas, mais dans celle des chances et des moyens pour que le destin de chaque femme, de chaque homme, de chaque famille, de chaque garçon, de nos enfants, puisse s'accomplir également, je veux dire avec des chances égales. C'est cela la République, et je n'ai pas simplement rêvé cette société dont je vous ai parlé partout en France, dans les circonstances les plus graves, avec ces foules, comme celle-ci, qui chantaient l'espérance.
- Non, je ne l'ai pas simplement rêvée, j'ai mis toutes mes forces dans l'action et, lorsque le peuple nous a chargés de mettre en oeuvre ce que nous avions conçu, et nos pères avant nous, comme cette société plus juste dont je parle, alors nous avons travaillé pour mettre en oeuvre ces réformes et ces mesures sociales qu'il est simple d'énoncer.
- Croyez-vous que les travailleurs, dont la moyenne de vie n'atteignait pas 65 ans, n'ont pas été heureux de pouvoir, s'ils le désiraient, seulement s'ils le désiraient, vivre un peu leur vie, regarder leurs enfants et le paysage alentour, rentrer chez soi, en paix, parce que la retraite venait un peu plus tôt ?
- Croyez-vous que c'était dissiper le capital de la France que de dire aux travailleurs qu'ils pourraient disposer d'une semaine de plus pour le repos de leur année ?
- Bien entendu, cela supposait un effort de productivité, de telle sorte que la production française ne souffre pas de cette nouvelle situation que nous avions créée.
- Mais, regardez la France aujourd'hui. On dit : "Rien ne marche..." Beaucoup de choses marchent. Chaque jour j'entends des critiques insensées. Cela ne me fera pas changer de route. Nous avons besoin de tout le monde et je serai le premier à protéger le droit et la liberté de quiconque refusera notre politique, qui voudra l'exprimer, à défendre cette liberté selon la loi commune.\
Aurais-je prononcé, avant de terminer, un vague discours de réconciliation nationale ? Non, on n'en a pas besoin, la France est plus unie qu'on ne le dit. Mais cependant si, en tant que citoyen, j'ai défendu naguère une conception de la société, qui s'appelle le Socialisme, démocratique évidemment... oui, je vous le dis, j'y reste fidèle, mais mon devoir désormais est de prendre en compte les autres, et tous les autres, et toutes les nuances, pour employer un terme modeste, des forces populaires, et tous les groupes, sociaux, économiques, professionnels, politiques, qui se comptent dans l'opinion d'aujourd'hui.
- Devant cette belle soirée, ce beau ciel de Carcassonne, dans cette noble ville, je sens la charge de l'histoire, d'une grande histoire. On a le sang chaud par ici, oui c'est vrai... On descend finalement assez souvent dans la rue, oui, c'est vrai. Il arrive même qu'on occupe les routes et qu'on les barre, c'est vrai, et c'est regrettable quelquefois. C'est vrai que les combats démocratiques prennent une certaine couleur et même un certain accent. C'est vrai.. Mais, dites-moi, l'heure avance, la nuit viendra. Encore assez tard ! Nous sommes au meilleur de l'année. Hier, je n'ai pas pu le faire, mais selon la tradition de mon enfance, j'imagine qu'il y avait encore dans quelque coin reculé de la campagne où j'ai vécu, des feux de la Saint-Jean et, ces soirs-là, on avait le coeur épanoui, on ne demandait pas aux autres ce qu'ils pensaient, comment ils avaient voté, on se sentait à l'aise, entre nous.
- Et rien ne me fera changer de cette voie, jusqu'à mon dernier souffle £ je dirai que la France, pour moi, c'est cela, et que, si je suis décidé à mener le combat dont j'ai été chargé pour la France, mais aussi pour un certain nombre de conquêtes de libertés et de justice, je n'en appelle pas moins toutes et tous à s'associer à l'-entreprise. C'est cela la meilleure entreprise, et comme les autres, elle gagnera.
- Aidez.. Aidez ceux qui vous représentent. Croyez en vous-mêmes. Soyez fiers de ce que nous avons fait, grâce à vous et que nous faisons avec vous. J'ai la démarche libre et assurée de ceux qui ont travaillé pour le meilleur de ce qu'ils croient, pour la victoire de l'esprit, pour les chances du plus pauvre, pour la France dans le monde, pour que le travail fructifie, mais aussi pour que le courage supplante la faiblesse, pour que la responsabilité se substitue à l'irrésolution et à l'abandon.
- C'est tout ce que je voulais vous dire ce soir, amis de Carcassonne, amis de l'Aude, et moi je crois en vous. Oui, vive Carcassonne,
- Vive la République,
- Vive la France.\